vendredi 6 décembre 2019

En vélo en camargue alsacienne, le long du canal du Rhône au Rhin

Dans mon premier blog sur nos vacances vélo en Alsace, je décris deux canaux creusés pour les forteresses de Vauban.
Le même Vauban – et Colbert -évoquaient déjà devant Louis XIV, après l'annexion de l'Alsace, une liaison Saône, affluent navigable du Rhône, et Rhin. Un demi-siècle plus tard, en 1744, l’officier du génie Claude-Quentin La Chiche observe que la ligne de partage des eaux des deux bassins se situe à Valdieu-Lutran. Le projet se concrétise avec l'adjudication des travaux en 1784.  La Révolution française ralentit les travaux, mais continue sous Napoléon. Le Canal Napoléon, creusé en partie par des prisonniers de guerre espagnols, est à peu près achevé en 1814.  En 1832, le premier navire de commerce rejoint le Rhin depuis la Saône via le Canal rebaptisé ‘Jonction du Rhône au Rhin’. Une branche nord relie Mulhouse à Strasbourg. Cette branche ne se jette pas directement dans le Rhin, mais dans l'Ill qui contourne Strasbourg. Cette branche nord est pour un autre blog.
La longueur de Saint-Symphorien à Niffer estde 236 km plus 13 km pour l'embranchement de Huningue (radié de Niffer à Huningue) + 6km pour l'embranchement de Brisach + 23 km pour l'embranchement de Colmar + 35 km pour la section de Friesenheim (Rhinau) à Strasbourg + 37 km  pour la section de l'Île Napoléon à Künheim (radiée) + enfin 30 km pour l'embranchement de Colmar à Friesenheim (Rhinau) (radiée).
Il y a 114 écluses (75  versant Saône et 38 versant Rhin). Aujourd’hui le temps minimum de parcours en bateau de plaisance de Saint-Symphorien à Kembs est d’une semaine.
Le chemin de halage d’une bonne partie des sections radiées pour la navigation est très bien aménagé pour le cyclotourisme.
Entre 1882 et 1921, le canal est mis au gabarit Freycinet (péniches de 300 tonnes) sur les 320 km de Saint-Symphorien-sur-Saône à Strasbourg. Et en 1961 un  projet du canal Rhin-Rhône à grand gabarit (5.000 tonnes) est inscrit au Plan: « Entre le Rhin et Mulhouse, la nouvelle voie empruntera le canal actuel de Huningue, qui sera conservé avec quelques adaptations. Une nouvelle écluse devra être construite à Niffer pour doubler l'écluse actuelle qui n'a que 85 m de longueur. De Mulhouse à Voujeaucourt, près de Montbéliard, le nouveau canal empruntera un tracé confondu avec celui du canal actuel du Rhône au Rhin ou très voisin ».
Le tronçon  entre Niffer (sur le Rhin) et Mulhouse est commencée à la fin des années 1970 mais l'aménagement ultérieur est arrêté en 1992.

Le canal de Huningue

Nous avons pédalé le long de plusieurs tronçons de cet ancien canal du Rhône au Rhin. Commençons par le premier tronçon, le canal de Huningue, de Niffer à Bâle. À l’origine, en 1801, le canal de Huningue ne faisait pas partie du canal, mais servait à alimenter en eau l'embranchement Mulhouse-Strasbourg. Le canal est ouvert à la navigation en 1831
Nous commençons à l'écluse de Kembs-Niffer, qui raccorde le canal de Huningue au canal du Rhône au Rhin. La tour, qui abrite le poste de l'éclusier et les bureaux des douanes est de la main de Le Corbusier qui dira en faux modeste: «Ici, on ne discute plus s'il s'agit d'architecture ou d'ingénierie. Il s'agit d'une "œuvre construite". Les administrateurs et les ingénieurs m'ont demandé de participer à leur entreprise." (Le Corbusier, Oeuvre complète, volume 8, 1965-1969).
Le canal de Huningue (ainsi que la branche de l’ancien canal Mulhouse-Strasbourg) a été déclassé en 1962, au profit du grand canal d’Alsace. Une piste cyclable est aménagée sur l'ancien chemin de halage et fait partie de l'Eurovélo 6. L'autre berge a volontairement été laissée naturelle, en particulier au niveau de la réserve naturelle de la Petite Camargue Alsacienne. Le canal sert encore à l'irrigation des cultures. Et la différence de niveau avec le Rhin a permis l’installation à Huningue d’un  parc des eaux vives, rivière artificielle pour la pratique du kayak, du canoë et du rafting.
C’est un beau parcours, jusqu’au point des trois frontières, avec, au bout Huningue, une autre forteresse de Sébastien Le Prestre de Vauban. Mais  il n’en reste pratiquement plus rien : lors de leur retrait, en 1744, les français ont  fait exploser pratiquement tout. Parmi les rares vestiges, il reste un cavalier qui dominait le bastion sud, avec le plateau de Saint-Louis, Bâle et les premiers contreforts jurassiens pour horizon ; aujourd’hui s’y trouve un verger ainsi qu’un rucher en guise d’artillerie ! Le projet en cours du Jardin des Pâtures sera suivi de la restauration du vestige de l’une des demi-lunes de la place forte.

 Un itinéraire cyclable entre Bâle, Huningue  et à Weil ouvert deux fois par an

Théoriquement il y a depuis 2016 un itinéraire cyclable et piétonnier entre Bâle et la Passerelle des Trois Pays reliant Huningue (F) à Weil am Rhein (D).  Avant, en raison des activités portuaires de la zone de Bâle Saint-Jean, il était impossible de se rendre de Bâle à Huningue par les berges du Rhin. Le démantèlement du port a permis de créer une voie sur berge transfrontalière. Un beau projet, mais à un haut degré de bling bling.
On avait « oublié » qu’il y avait sur le trajet un site pollué par du lindane.
Cette pollution était déjà là depuis bien longtemps. Entre 1947 à 1972, la société des produits chimiques Ugine Kuhlman a laissé dans le sous-sol à Huningue des taux très élevés (jusqu'à 11g par kilo) de lindane (un insecticide hexachlorocyclohexane peu biodégradable, toxique et cancérigène interdit en France depuis 1988).
Des dizaines de tonnes de résidus de fabrication de lindane ont été déchargées en vrac ou en fûts dans plusieurs gravières et une partie des déchets avait été enfouie sur place après avoir été mélangé à du béton.
En 1996, la société PCUK a été mise en liquidation et le suivi du site a été transmis à l'ADEME (Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie). Kuhlman s’en tire à bon compte. La maison-mère fusionnera un peu plus tard avec Péchiney.
La Steih (Société pour le traitement des eaux industrielles de Huningue) s’y installe. La STEIH n’évacue pas les terres polluées mais les étale sur son parking au nord du site.
Mais fin des années 80 des analyses des eaux souterraines montrent une pollution de la nappe. Les actionnaires de la STEIH ferment le site fin 2012. Novartis commence la dépollution. On confine toutes les zones d'excavation, même faiblement contaminées, avec un système de ventilation afin de maintenir les terres excavées au sol. Les rejets airs provenant des tentes sont filtrés au moyen de doubles filtres à charbon actif. Les terres contaminées (858.000 tonnes) sont confinés aussi, avant d’être évacuées par trémie étanche aux Pays Bas.
En attendant, la piste cyclable n’est ouverte que quelques jours fériés. Et aucune déviation n’est renseignée…
Une dame bien gentille nous oriente vers la Passerelle des Trois Pays reliant Huningue à Weil,  inaugurée en 2007. L'architecte Dietmar Feichtinger et l'ingénieur Wolfgang Strobl ont reçu le «Deutscher Brückenbaupreis 2008», ainsi que le Outstanding Structure Award en 2009. Cette passerelle réservée aux piétons et aux cyclistes a la plus longue portée au monde avec 238 mètres. On annonce 1 million de passages par an. Cela me semble surfait. Du côté allemand il n’y a qu’un grand centre commercial, le Rheincenter, et pour arriver à Weil même il faut traverser une zone logistique peu intéressante. Il y a certes un tram entre Weil et Bâle, mais je ne crois pas qu’on y arrive en vélo.

Canal de la Hardt

Ensuite, nous avons pédalé de Niffer à Mulhouse, via le canal du Rhône au Rhin a grand gabarit, sur l’Eurovélo 6, et ensuite au partage des eaux. Le tracé, qui borde un large canal très rectiligne, a été dessiné avec soin : dans une large bande de terre, plantée d’arbrisseaux au bord du canal, et en herbe ailleurs, la voie décrit de grandes courbes, pour éviter la monotonie.
Le canal croise au pont du Bouc la Voie Verte de la forêt de la Hardt, une route forestière.  Juste avant ce pont, une stèle a été inaugurée en 2011 en souvenir des tirailleurs marocains morts pendant la bataille de la Hardt, avec un de leurs canons, et sur l'autre rive du canal, le Rochefort,  un char qui fut détruit pendant ces combats.
La bataille de la Hardt débute le 28 novembre 1944. Notons que offensive von Rundstedt commence deux semaines plus tard, le 16 décembre 1944. Le 1er Régiment de Tirailleurs Marocains appuyé par la 1ère Division Blindée  doivent prendre à revers la ligne de défense que les Allemands organisent au nord de Mulhouse. Une tête de pont est établie à Pont du Bouc. La 19ième Armée allemande lance une contre attaque qui repousse les Français au sud du canal. Les tirailleurs marocains repartent à l’assaut du Pont du Bouc. Deux chars, le Soissons, et le Rochefort, sont détruits. La puissance de feu des chars allemands est bien supérieure à celle des Sherman. Les Allemands montent une contre attaque massive  le 3 décembre par un intense pilonnage d’artillerie d’une demi-heure sur le point d’appui de Pont du Bouc. En moins d’une heure les Allemands s’en rendent maître. Vers 7 h 30, un intense tir de barrage de l’artillerie française, qui frappe soldats amis et ennemis, écrase le secteur nord du Pont du Bouc. Une heure après ce friendly fire, les Tirailleurs de la 2e Cie appuyés par des blindés, contre-attaquent afin d’empêcher les Allemands de prendre pied au sud du canal. Ordre est donné de franchir le canal, coûte que coûte. Au prix de lourdes pertes, les unités françaises rejoignent Pont du Bouc et franchissent le canal. 20 000 obus sont tirés ce jour-là dans ce secteur de la forêt de la Hardt. Le 1er RTM déplore 790 hommes hors de combats, dont 162 morts, 279 disparus et 349 blessés. Sanglant échec pour la 1ère Armée française, cette bataille fut vite oubliée jusqu’en 2011.
Le Canal de la Hardt (pas de halage et donc pas de  piste cyclable) a été mis en service dans les années 50 afin de compenser les effets de l’abaissement de la nappe suite à la canalisation du Rhin. Il sert à la réalimenter de la nappe phréatique et  permet de réalimenter le canal du Rhône au Rhin déclassé et la Muhlbach. 

Sur l'EuroVelo 6, de Mulhouse à la ligne de partage des eaux à Valdieu-Lutran.

Le contournement du port Napoléon de Mulhouse se fait par les faubourgs. Une piste tranquille qui permet de découvrir un autre aspect de la ville, avec beaucoup d’ingéniosité pour traverser les nœuds routiers et la gare. On retrouve le canal au cœur de la ville avec un plus petit gabarit pour la navigation de plaisance. 
Le passage de Mulhouse est marqué par le spectaculaire pont de la Fonderie.
A Zillisheim, on passe devant le majestueux collège privé (dit collège épiscopal), sur deux pont-levis. La tuile à emboîtement de Zillisheim fut exportée par péniches dans le monde entier.
La Guinguette d’Illfurth, à la sortie de Mulhouse, est ouverte tous les jours en haute saison et on ne peut pas la louper, le long du canal, avec un jardin très bien aménagé. Un endroit idéal pour y rencontrer les ‘locaux’.
Cette portion du canal est la seule qui a quelques haltes sympa le long du canal, comme le jardin d’été à Eblingen, la guinguette d’Illfurth ou le restaurant A l’Arbre vert à Eglingen, avec sa terrasse sur berge. Au relais nautique de Wolfersdorf, un snack Aux cent pâtes et, pour les amateurs d’authenticité, le Café de la Largue. Nous avons suivi le canal jusqu’à Dannemarie, à quelques kilomètres de l’échelle de 12 écluses Valdieu-Lutran  qui marque la ligne de partage des eaux entre la
Saône et le Rhin. Au relais nautique de Wolfersdorf, le canal s’élargit sur une centaine de mètres formant un cercle. Le lieu abrite aujourd’hui un port de plaisance. Mais jadis, c’était là un bassin de retournement, percé entre 1864 et 1868 par les Tuileries Gilardoni. Les péniches pouvaient y faire demi-tour. Les embarcations arrivaient pleines de charbon et en repartaient remplies de tuiles et de briques. Le plus émouvant témoin de cette histoire industrielle reste la « cité Gilardoni », construite en 1880 sur les bords du canal entre Wolfersdorf et Retzwiller. Barre horizontale d’habitation qui rappelle les corons du Nord, la cité est aujourd’hui joliment réhabilité. A Dannemarie un panneau explicatif retrace l’épopée de la tuile dans ce secteur.
Et dans le coin ne manquez pas une perle du génie des Ponts et Chaussées : le pont-canal de la Largue : entre Wolfersdorf et Retzwiller, le canal coule au-dessus de la rivière. Certes, ce n’est pas Briare, mais ça vaut le coup d’œil quand même !
Voilà donc une expérience intéressante, avec entre Niffer et Mulhouse un canal à grand gabarit qui devient après l’île Napoléon (une zone industrielle autour d’un port fluvial) un canal pittoresque pour la navigation de plaisance.
Mon prochain blog sera sur Strasbourg, 12ième ville mondiale du vélo.


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