Le même Vauban – et Colbert -évoquaient déjà devant Louis XIV, après l'annexion
de l'Alsace, une liaison Saône, affluent navigable du Rhône, et Rhin. Un
demi-siècle plus tard, en 1744, l’officier du génie Claude-Quentin La Chiche
observe que la ligne de partage des eaux des deux bassins se situe à
Valdieu-Lutran. Le projet se concrétise avec l'adjudication des travaux en
1784. La Révolution française ralentit
les travaux, mais continue sous Napoléon. Le Canal Napoléon, creusé en partie
par des prisonniers de guerre espagnols, est à peu près achevé en 1814. En 1832, le premier navire de commerce rejoint
le Rhin depuis la Saône via le Canal rebaptisé ‘Jonction du Rhône au Rhin’. Une branche nord relie Mulhouse à
Strasbourg. Cette branche ne se jette pas directement dans le Rhin, mais dans
l'Ill qui contourne Strasbourg. Cette branche nord est pour un autre blog.
La longueur de Saint-Symphorien à Niffer estde 236 km plus 13 km pour l'embranchement de Huningue (radié de Niffer à
Huningue) + 6km pour l'embranchement de Brisach + 23 km pour l'embranchement de
Colmar + 35 km pour la section de Friesenheim (Rhinau) à Strasbourg + 37
km pour la section de l'Île Napoléon à Künheim (radiée) + enfin 30 km
pour l'embranchement de Colmar à Friesenheim (Rhinau) (radiée).
Il y a 114 écluses (75 versant Saône et 38 versant Rhin).
Aujourd’hui le temps minimum de parcours en bateau de plaisance de
Saint-Symphorien à Kembs est d’une semaine.
Le chemin de halage d’une bonne partie des
sections radiées pour la navigation est très bien aménagé pour le
cyclotourisme.
Entre 1882 et 1921, le canal est mis au
gabarit Freycinet (péniches de 300 tonnes) sur les 320 km de
Saint-Symphorien-sur-Saône à Strasbourg. Et en 1961 un projet du canal Rhin-Rhône à grand gabarit (5.000
tonnes) est inscrit au Plan: « Entre le
Rhin et Mulhouse, la nouvelle voie empruntera le canal actuel de Huningue, qui
sera conservé avec quelques adaptations. Une nouvelle écluse devra être
construite à Niffer pour doubler l'écluse actuelle qui n'a que 85 m de
longueur. De Mulhouse à Voujeaucourt, près de Montbéliard, le nouveau canal
empruntera un tracé confondu avec celui du canal actuel du Rhône au Rhin ou
très voisin ».
Le tronçon entre Niffer (sur le Rhin) et Mulhouse est commencée
à la fin des années 1970 mais l'aménagement ultérieur est arrêté en 1992.
Le canal de Huningue
Nous avons pédalé le long de plusieurs tronçons de cet ancien
canal du Rhône au Rhin. Commençons par le premier tronçon, le canal de Huningue,
de Niffer à Bâle. À l’origine, en 1801, le canal de Huningue ne faisait pas
partie du canal, mais servait à alimenter en eau l'embranchement
Mulhouse-Strasbourg. Le canal est ouvert à la navigation en 1831
Nous commençons à l'écluse de Kembs-Niffer, qui raccorde le canal de Huningue au
canal du Rhône au Rhin. La tour, qui abrite le poste de l'éclusier et les
bureaux des douanes est de la main de Le Corbusier qui dira en faux modeste: «Ici, on ne discute plus s'il s'agit
d'architecture ou d'ingénierie. Il s'agit d'une "œuvre construite".
Les administrateurs et les ingénieurs m'ont demandé de participer à leur
entreprise." (Le Corbusier, Oeuvre complète,
volume 8, 1965-1969).
Le canal de Huningue (ainsi que la branche de l’ancien canal
Mulhouse-Strasbourg) a été déclassé en 1962, au profit du grand canal d’Alsace.
Une piste cyclable est aménagée sur l'ancien chemin de halage et fait partie de
l'Eurovélo 6. L'autre berge a volontairement été laissée naturelle, en
particulier au niveau de la réserve naturelle de la Petite Camargue Alsacienne.
Le canal sert encore à l'irrigation des cultures. Et la différence de niveau
avec le Rhin a permis l’installation à Huningue d’un parc des eaux vives, rivière artificielle
pour la pratique du kayak, du canoë et du rafting.
C’est un beau parcours, jusqu’au point des trois frontières,
avec, au bout Huningue, une autre forteresse de Sébastien Le Prestre de Vauban.
Mais il n’en reste pratiquement plus
rien : lors de leur retrait, en 1744, les français ont fait exploser pratiquement tout. Parmi les
rares vestiges, il reste un cavalier qui dominait le bastion sud, avec le
plateau de Saint-Louis, Bâle et les premiers contreforts jurassiens pour
horizon ; aujourd’hui s’y trouve un verger ainsi qu’un rucher en guise
d’artillerie ! Le projet en cours du Jardin des Pâtures sera suivi de la
restauration du vestige de l’une des demi-lunes de la place forte.
Un itinéraire cyclable entre Bâle, Huningue et à Weil ouvert deux fois par an
Théoriquement il y a depuis 2016 un itinéraire cyclable et piétonnier entre Bâle et la Passerelle des Trois Pays reliant
Huningue (F) à Weil am Rhein (D). Avant,
en raison des activités portuaires de la zone de Bâle Saint-Jean, il était
impossible de se rendre de Bâle à Huningue par les berges du Rhin. Le
démantèlement du port a permis de créer une voie sur berge transfrontalière. Un
beau projet, mais à un haut degré de bling bling.
On avait « oublié » qu’il y avait sur le trajet un site pollué par du lindane.
Cette pollution était déjà là depuis bien longtemps. Entre 1947 à 1972, la
société des produits chimiques Ugine Kuhlman a laissé dans le sous-sol à
Huningue des taux très élevés (jusqu'à 11g par kilo) de lindane (un insecticide
hexachlorocyclohexane peu biodégradable, toxique et cancérigène interdit en
France depuis 1988).
Des dizaines de tonnes de résidus de
fabrication de lindane ont été déchargées en vrac ou en fûts dans plusieurs
gravières et une partie des déchets avait été enfouie sur place après avoir été
mélangé à du béton.
En 1996, la société PCUK a été mise en
liquidation et le suivi du site a été transmis à l'ADEME (Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Énergie). Kuhlman
s’en tire à bon compte. La maison-mère fusionnera un peu plus tard avec
Péchiney.
La Steih (Société
pour le traitement des eaux industrielles de Huningue) s’y installe. La
STEIH n’évacue pas les terres polluées mais les étale sur son parking au nord du
site.
Mais fin des années 80 des analyses des eaux
souterraines montrent une pollution de la nappe. Les actionnaires de la STEIH
ferment le site fin 2012. Novartis commence la dépollution. On confine toutes
les zones d'excavation, même faiblement contaminées, avec un système de
ventilation afin de maintenir les terres excavées au sol. Les rejets airs provenant
des tentes sont filtrés au moyen de doubles filtres à charbon actif. Les terres
contaminées (858.000 tonnes) sont confinés aussi, avant d’être évacuées par
trémie étanche aux Pays Bas.
En attendant, la piste cyclable n’est ouverte que quelques jours fériés. Et aucune déviation
n’est renseignée…
Une dame bien gentille nous oriente vers la Passerelle des Trois Pays reliant
Huningue à Weil, inaugurée en 2007.
L'architecte Dietmar Feichtinger et l'ingénieur Wolfgang Strobl ont reçu le
«Deutscher Brückenbaupreis 2008», ainsi que le Outstanding Structure Award en
2009. Cette passerelle réservée aux piétons et aux cyclistes a la plus longue
portée au monde avec 238 mètres. On annonce 1 million de passages par an. Cela
me semble surfait. Du côté allemand il n’y a qu’un grand centre commercial, le
Rheincenter, et pour arriver à Weil même il faut traverser une zone logistique
peu intéressante. Il y a certes un tram entre Weil et Bâle, mais je ne crois
pas qu’on y arrive en vélo.
Canal de la Hardt
Ensuite, nous avons pédalé de Niffer à
Mulhouse, via le canal du Rhône au Rhin a grand gabarit, sur l’Eurovélo 6, et
ensuite au partage des eaux. Le tracé, qui borde un large canal très
rectiligne, a été dessiné avec soin : dans une large bande de terre, plantée
d’arbrisseaux au bord du canal, et en herbe ailleurs, la voie décrit de grandes
courbes, pour éviter la monotonie.
Le canal croise au pont du Bouc la Voie Verte de la forêt de la Hardt, une
route forestière. Juste avant ce pont, une stèle a été inaugurée en 2011 en souvenir des tirailleurs marocains morts pendant la bataille de la
Hardt, avec un de leurs canons, et sur l'autre rive du canal, le Rochefort, un char qui fut détruit pendant ces combats.
La bataille de la Hardt débute le 28 novembre 1944. Notons que offensive von
Rundstedt commence deux semaines plus tard, le 16 décembre 1944. Le 1er
Régiment de Tirailleurs Marocains appuyé par la 1ère Division Blindée doivent prendre à revers la ligne de défense
que les Allemands organisent au nord de Mulhouse. Une tête de pont est établie
à Pont du Bouc. La 19ième Armée allemande lance une contre attaque qui repousse
les Français au sud du canal. Les tirailleurs marocains repartent à l’assaut du
Pont du Bouc. Deux chars, le Soissons, et le Rochefort, sont détruits. La
puissance de feu des chars allemands est bien supérieure à celle des Sherman. Les
Allemands montent une contre attaque massive le 3 décembre par un intense pilonnage
d’artillerie d’une demi-heure sur le point d’appui de Pont du Bouc. En moins
d’une heure les Allemands s’en rendent maître. Vers 7 h 30, un intense tir de
barrage de l’artillerie française, qui frappe soldats amis et ennemis, écrase
le secteur nord du Pont du Bouc. Une heure après ce friendly fire, les
Tirailleurs de la 2e Cie appuyés par des blindés, contre-attaquent afin
d’empêcher les Allemands de prendre pied au sud du canal. Ordre est donné de
franchir le canal, coûte que coûte. Au prix de lourdes pertes, les unités
françaises rejoignent Pont du Bouc et franchissent le canal. 20 000 obus sont
tirés ce jour-là dans ce secteur de la forêt de la Hardt. Le 1er RTM déplore
790 hommes hors de combats, dont 162 morts, 279 disparus et 349 blessés. Sanglant
échec pour la 1ère Armée française, cette bataille fut vite oubliée jusqu’en
2011.
Le Canal de la Hardt (pas de halage et donc
pas de piste cyclable) a été mis en
service dans les années 50 afin de compenser les effets de l’abaissement de la
nappe suite à la canalisation du Rhin. Il sert à la réalimenter de la nappe
phréatique et permet de réalimenter le canal
du Rhône au Rhin déclassé et la Muhlbach.
Sur l'EuroVelo 6, de Mulhouse à la ligne de partage des eaux à Valdieu-Lutran.
Le contournement du port Napoléon de Mulhouse
se fait par les faubourgs. Une piste tranquille qui permet de découvrir un
autre aspect de la ville, avec beaucoup d’ingéniosité pour traverser les nœuds
routiers et la gare. On retrouve le canal au cœur de la ville avec un plus
petit gabarit pour la navigation de plaisance.
Le passage de Mulhouse est marqué par le spectaculaire pont de la Fonderie.
A Zillisheim, on passe devant le majestueux collège privé (dit collège
épiscopal), sur deux pont-levis. La tuile à emboîtement de Zillisheim fut
exportée par péniches dans le monde entier.
La Guinguette d’Illfurth, à la sortie de
Mulhouse, est ouverte tous les jours en haute saison et on ne peut pas la louper,
le long du canal, avec un jardin très bien aménagé. Un endroit idéal pour y
rencontrer les ‘locaux’.
Cette portion du canal est la seule qui a
quelques haltes sympa le long du canal, comme le jardin d’été à Eblingen, la
guinguette d’Illfurth ou le restaurant A l’Arbre vert à Eglingen, avec sa
terrasse sur berge. Au relais nautique de Wolfersdorf, un snack Aux cent pâtes et,
pour les amateurs d’authenticité, le Café de la Largue. Nous avons suivi le
canal jusqu’à Dannemarie, à quelques kilomètres de l’échelle de 12 écluses
Valdieu-Lutran qui marque la ligne de
partage des eaux entre la
Saône et le Rhin. Au relais nautique de Wolfersdorf, le canal s’élargit sur une centaine de mètres formant un cercle. Le lieu abrite aujourd’hui un port de plaisance. Mais jadis, c’était là un bassin de retournement, percé entre 1864 et 1868 par les Tuileries Gilardoni. Les péniches pouvaient y faire demi-tour. Les embarcations arrivaient pleines de charbon et en repartaient remplies de tuiles et de briques. Le plus émouvant témoin de cette histoire industrielle reste la « cité Gilardoni », construite en 1880 sur les bords du canal entre Wolfersdorf et Retzwiller. Barre horizontale d’habitation qui rappelle les corons du Nord, la cité est aujourd’hui joliment réhabilité. A Dannemarie un panneau explicatif retrace l’épopée de la tuile dans ce secteur.
Saône et le Rhin. Au relais nautique de Wolfersdorf, le canal s’élargit sur une centaine de mètres formant un cercle. Le lieu abrite aujourd’hui un port de plaisance. Mais jadis, c’était là un bassin de retournement, percé entre 1864 et 1868 par les Tuileries Gilardoni. Les péniches pouvaient y faire demi-tour. Les embarcations arrivaient pleines de charbon et en repartaient remplies de tuiles et de briques. Le plus émouvant témoin de cette histoire industrielle reste la « cité Gilardoni », construite en 1880 sur les bords du canal entre Wolfersdorf et Retzwiller. Barre horizontale d’habitation qui rappelle les corons du Nord, la cité est aujourd’hui joliment réhabilité. A Dannemarie un panneau explicatif retrace l’épopée de la tuile dans ce secteur.
Et dans le coin ne manquez pas une perle du
génie des Ponts et Chaussées : le pont-canal de la Largue : entre
Wolfersdorf et Retzwiller, le canal coule au-dessus de la rivière. Certes, ce
n’est pas Briare, mais ça vaut le coup d’œil quand même !
Voilà donc une expérience intéressante, avec
entre Niffer et Mulhouse un canal à grand gabarit qui devient après l’île
Napoléon (une zone industrielle autour d’un port fluvial) un canal pittoresque
pour la navigation de plaisance.
Mon prochain blog sera sur Strasbourg, 12ième
ville mondiale du vélo.
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