En septembre 2018 je visite le charbonnage du Hasard à Cheratte, avec un car du Gemeinnützige
Wohnungsbaugenossenschaft Troisdorf eG (en fait une société de logement
allemande). On ira voir la belle-fleur, le charbonnage du Hasard et –
presqu’obligatoire si on se promène avec le personnel d’une société de
logement- la cité-jardin.
Au départ je voulais commencer à la
belle-fleur, mais tout compte fait, ce n’est pas par là qu’il faut commencer.
D’abord parce que cette belle-fleur est un land-mark, et d’en haut on ne se
rend pas compte. Et ensuite, on ne comprend pas ce le lien de que cette tour
avec le charbonnage en bas.
Je commence donc avec le château, d’abord
parce que c’est un témoin d’une histoire multiséculaire d’exploitation
charbonnière. Et ensuite parce que l’état de délabrement de ce château parle
plus à l’imagination que la friche du charbonnage même qui, en plus, a l’air
bien propre après les premiers travaux de démolition.
Nous commençons donc par la rue Heyée :
le sentier démarre à droite derrière la dernière maison. Cette rue s’appelait
anciennement rue du Bac. Pour passer d’une rive à l’autre, de Cheratte à
Chertal, on utilisa de grandes barques, sortes de bacs qui étaient amarrés non
loin du passage à niveau (1861) et de la route nationale (1840). La maison
voisine était celle du passeur. Aujourd’hui,
si vous cherchez le bac, il faut descendre à Lanaye, où le bac ‘Cramignon’ vous
transportera à Eijsden ; Il transporté chaque année 40.000 passagers.
La rue Heyée était bordée de haies, d’où son
nom.
Nous débouchons juste à côté de la Belle
Fleur. L’arboretum de Cheratte - un hectare -a été planté sur un ancien terril une
belle collection de Viburnum et Cornus. La floraison des viornes intervient en
hiver ou au printemps, et elle est très parfumée, et à l'automne elles se
parent d'un beau feuillage aux couleurs flamboyantes. Le VIBURNUM opulus ROSEUM
(Viorne obier Boule de Neige ou Rose de Gueldre) est célèbre et très appréciée
pour ses grandes boules de fleurs. Le Cornouiller par contre est intéressant en hiver, pour ses rameaux
vivement colorés.
Entre deux maisons de la Rue Belle Fleur un
sentier descend en escalier. Prendre à droite pour rejoindre la Vieille Voie, à
l’époque le seul Thier entre Cheratte Bas et Haut
Ensuite on remonte la rue de Visé pour aller
voir le site du charbonnage, avec sa tour Malakoff. On prend à gauche la rue Césaro. Ce Cesaro
était un cancre; c’est probablement la seule rue dans le royaume affecté à un
élève irrégulier. En 1866, il entre à l’Ecole des Mines de l’Université de
Liège. Il délaisse les cours qui ne l’intéressent pas, abandonne ses études au
cours de la dernière année. Mais il découvre,
en 1883, à Richelle, d’un minéral (phosphate) auquel il donne le nom de
Richellite https://www.mindat.org/min-3413.html de teinte jaune-brunâtre
soluble dans les acides. En 1884, il
décrit un phosphate, trouvé encore à Richelle, la Koninckite. Aujourd’hui ce
minerai redevient intéressant pour des piles électriques.Nous rentrons dans la
cité par la rue du Curé. Devant nous des logements communautaires, les
documents parlent de dortoirs, de phalanstères ou d’l’hôtellerie (capacité de
logement après les agrandissements de 1956: 84 ouvriers “célibataires“). Lors
de la fermeture en 1977, la régionale visétoise d’habitations sociales de Visé
reprit la gestion, restaura quelques maisons et reconstruisit d’autres.
Si nous avons le temps, nous ferons le tour de
la darse. Nous sortons par la rue Pierre Adrien où l’on voit encore les grilles
de l’entrée (surveillée), pour teourner au centre de Cheratte en prenant à
droite.
Un Château prestigieux rongé par la mérule
Le château de Cheratte a appartenu à Gilles de
Sarolea, un maître de fosses qui racheta en 1643 la Seigneurie de Cheratte au
roi d’ Espagne. La majestueuse entrée est toujours surmontée du monogramme de
Gilles de Sarolea. Le parc allait du cimetière actuel à la Meuse. Il y avait
d’est en ouest la chapelle castrale, la basse-cour, le château, une ferme et
sur l’autre rive, les écuries. Le pavillon à droite du château a été rajouté
lors du rachat de la propriété par le
Charbonnage du Hasard en 1913.
Au début des années 80, l‘entrepreneur’
limbourgeois, Armand Lowie n’achète pas seulement le charbonnage cherattois
mais aussi que le château pour la modique somme de 175.000 euros. Le bâtiment est classé, mais Lowie ne réagit
pas quand on détecte le mérule. Après son décès en 2012, ses enfants mettent la
propriété en vente publique. Lors d’une
faculté de surenchère, en janvier 2017, la famille demande 126.000 € (leur père a payé 175.000
pour le tout, château et mine) mais en dernière minute la vente est annulée. Le Directeur
Général de la Ville de Visé explique : "les
propriétaires ont trouvé un acquéreur privé qui était d'accord pour
investir la somme demandée". Ni
le prix de vente ni le nom de l'acquéreur n'ont été divulgués, et il n’a montré
aucune activité…
La ville de Visé avait rêvé pendant trente ans d’une rénovation du château Sarolea. En 2014 elle avait même lancé un "Community Land Trust" en espérant un million d'euros de la
Région.
Saroléa n’était pas le seul à foncer des bures
dans le coin. Un jour le ruisseau de la Julienne a même disparu dans un ancien
puits de mine, en noyant les galeries. La direction fait alors un inventaire
des puits aux alentours dont voici le dessin
La tour Malakoff
Les charbonnages dans la vallée ont eu à
souffrir des nombreuses crues de laMeuse qui ont noyé à plusieurs reprises les puits. Ils y étaient aussi en
partie responsables, puisque les affaissements, c’est eux. Au point où en 1878 la
Société de Housse avait même mis fin à
l’exploitation. En 1905, les liquidateurs vendent la concession à la Société anonyme
carte des puits de mine à Chératte |
La tour imposante fait office de
chevalement et abrite le bâtiment de recette et certains services annexes. Les
molettes sont placées au sommet de la tour.
D’où vient ce nom ‘Malakoff’ ? Lors de la
bataille de Malakoff de 1855, lors de la guerre de Crimée, les français s'emparèrent d’une tour en
pierre au sommet du mamelon Malakoff, défendant Sébastopol. La tour avait un diamètre d'une quinzaine de
mètres et était haute d'environ neuf mètres avec des murs d'une épaisseur
allant de 90 à 150 centimètres. En France, la victoire de Malakoff fut célébrée
par la construction de « tours Malakoff
» dans tout le pays. Les Russes aussi ont érigé plusieurs mémoriaux pour la «défense
héroïque de Sébastopol ».
Dans le Ruhr on reprend ce nom pour les tours de
chevalement (le béton bn’existe pas encore).
Lors de notre tour en vélo dans le Ruhr nous
sommes passés à Sprockhovel où il y a
une Tour Malakoff au charbonnage (Zeche) Alte Haase.
Juste avant la Première guerre mondiale, la
Société acquiert le château Saroléa pour y installer un hôpital et son
directeur. Un second puits d'extraction équipé d'une tour métallique est mis en
service en 1923. Fin des années 1920, on fonce le puits N°III qui ne reçoit son
chevalement en béton que dans les années 1950. Cette tour vient d’être démolie
par la SPI.
Quarante ans pour la reconversion du Charbonnage du Hasard
Cheratte employait à son apogée quelques 1500
ouvriers.
Durant la guerre 40-45, le charbonnage perd la moitié de ses effectifs ; les
autorités occupantes amènent alors 500 prisonniers russes. Lors de leur
retraite en août 1944, les Allemands les emmenèrent. En 1945, lors de la « bataille du charbon », la société du
Hasard reçoit 500 prisonniers allemands.
L'article 32 de la Convention de Genève de 1929 interdit « d'employer des prisonniers de guerre
à des travaux insalubres ou dangereux », et impose la libération des
prisonniers de guerre à la fin du conflit. Eisenhower trouve un autre nom pour
ces prisonniers de
guerre et invoque l’absence de Traité de Paix, après l’écroulement
des nazis. Mais tous se rendent compte que cette situation est intenable et les
prisonniers de guerre furent libérés après 14 mois de travail.
Lorsque le charbonnage ferme le 31 octobre
1977, il employait encore 600 mineurs.
Un ferrailleur, Monsieur Armand Lowie, achète
le site pour deux fois rien. Pendant 36 ans il bloque toute reconversion du
site, en récupérant un maximum de fer, dont la tour en fer du puits no 2.
Le site devient un haut-lieu de l’urbex. Le
site est littéralement assiégé, ils se promènent dans les installations par
dizaines durant les week-ends. Un ancien mineur s'installe même sur le site et
demande un billet d'entrée, soit une vingtaine d'euros par personne. En cas de
non paiement, il appelle la police.
En 2007, le Hasard est inclus dans le
programme de réhabilitation du gouvernement wallon pour les façades et les
toitures du phalanstère, la salle des machines, le chevalement du puits no 4,
la colline boisée et la cité-jardin. La tour Malakoff est classée depuis les
années 1980.
2013, après plus de trente ans de polémique entre
les propriétaires et les autorités, un avis d’expropriation est actée par le
ministre Philippe Henry et le site du charbonnage devient public. La SPI est
chargée de dépolluer le site avec un budget de 2 millions d’euros.
En 2014, la SPI annonce que les parties
classées mais aussi la salle des machines, la lampisterie et la salle de paye
attenantes sont conservées au même titre que la passerelle, mais que tous les
autres bâtiments seront démolis.
La Cité-jardin de Cheratte
Tous les charbonnages de Wallonie connaissent
un problème de main d’œuvre. Pour les attirer, la Société du Hasard fit
construire en 1925, entre le chemin de fer et le canal, une cité pour y établir “une colonie d’ouvriers polonais de même type que celle qui
s’établissait à Hautrage dans le bassin de Mons “. Dans les années 30 la cité a même une école
polonaise. Et, d’autre part, les houillères refusaient des fortes têtes. Le curé
de Montegnée recommande dans une lettre du 19/01/1933 du au Directeur du
Charbonnage de Cheratte « pour un
emploi au charbonnage, M. Lheureux, mon paroissien, qui se trouve sans travail.
Ce bon travailleur à quitté son travail par ce que ses compagnons de travail
étaient tous communistes. Remerciements ».
C’était l’époque des cités jardins.
Un livre de R. Unwin, ‘Town Planning in
practice’ sert de base à un congrès de l’International Federation pour Town
and Country planning and Garden Cities, en 1924. La Cité des fleurs ressemble donc plus aux
cités minières anglaises plutôt qu’aux corons du Nord. Une sorte de cité
radieuse où même la route était « fleurie » et qui comprenait en 1926 200
maisons.
Le charbonnage gérait la cité: le loyer était
décompté du salaire ou faisait partie du contrat de travail. On demandait aux
habitants une bonne gestion de la maison
et des jardins à fleurs sur la façade et à légumes à l’arrière. Ou sinon, des
amendes étaient retirées du salaire. Le Charbonnage du Hasard écrit par exemple
le 6 juin 1969 à ORTIZ SARACHAGA Domingo , un ouvrier espagnol : «
Nous constatons que vous avez peint en vert la porte de l’immeuble que vous
occupez à Cheratte, avenue de Visé, 26.
L’article 3 du règlement d’occupation vous interdit d’apporter à nos
maisons une modification quelconque sans autorisation écrite de la Direction. Vous
voudrez bien, dans le plus bref délai repeindre la porte en bleu comme elle
l’était auparavant».
La cité était un lieu “privé“ où l’accès à
toute personne étrangère au charbonnage était soumis à autorisation et contrôlé
par des gardes. On refusait l’accès aux
vendeurs ambulants qui vendaient à crédit ainsi qu’aux démarcheurs-recruteurs
d’autres charbonnages. Au phalanstère ou à l’hôtellerie (84 ouvriers
“célibataires“, un franc par jour) l’accès aux dortoirs étaient interdit à
toute personne non inscrite comme logeur.
Lors de la fermeture en 1977, la régionale visétoise
d’habitations sociales reprit la gestion, restaura quelques maisons et
reconstruisit d’autres.
La cité ne suffisait pas pour loger les
mineurs. La houillère monte des baraques ‘provisoires’. Elles serviront plus
longtemps que prévu. En 1928 d’autres « baraques » à Cheratte haut, près de la
Belle Fleur. On utilisera aussi les baraques ayant servi de camps de
prisonniers pour les captifs russes puis allemands.
La Darse
Au départ la darse a été creusé par le
chantier naval du Lloyd Mosan en 1920. Le charbonnage commence à se servir de
cette darse après le creusement du canal Albert. Un endroit du canal était plus
large pour les manœuvres des péniches qui devaient repartir vers la Meuse.
Cette darse plutôt que canal est maintenant un paradis pour les passionnés de
pêche.
La Belle Fleur
En 1927, le puits Belle-Fleur (N°4 ou puits dit Hoignée) est équipé d'une petite tour en béton armé et d'un treuil de
faible puissance ; il sert à remonter les stériles et s’arrêtait à la même hauteur
que le carreau de la mine. Une galerie le reliait au puits N°1. En 1997, la Belle-Fleur est restaurée.
On vient d’y inaugurer
le square Marcel Levaux. Marcel Levaux qui sera député du Parti Communiste de
1968 à 1981, était entré à l’âge de 15 ans dans la Résistance. Le 30/04/44 il a
hissé sur la Belle Fleur un drapeau belge et un drapeau russe en hommage aux
prisonniers qui travaillaient dans la mine en bas. En 1970, il devient, après bien de palabres et
à la surprise générale, Bourgmestre de Cheratte, et cela jusqu’en 1976, date de
la fusion des communes. Il restera donc, à
tout jamais le dernier bourgmestre
de Cheratte!Blegny Mine plutôt que Cheratte
En fin de journée le
groupe rejoint Blegny Mine pour un bbq. Il faut savoir qu’il y a aussi une
liaison souterraine qui est encore en relativement bon état. Si l’on a choisi
le site de Blegny pour en faire le musée de la mine, plutôt que Cheratte, c’est
parce qu’on ne voulait pas faire ce ‘cadeau’
à un bourgmestre communiste. Pourtant, le Hasard de Cheratte a nettement plus
d’atouts : facilité d’accès dans la vallée, qualités architecturales,
beauté du site avec la Belle Fleur, la cité des fleurs etc.
D’ailleurs, la
preuve est que le site a inspiré de nombreux artistes. Le
Théâtre de la Renaissance de Seraing crée en 1996 le spectacle ‘Hasard, Espérance et Bonne Fortune’.
Vingt ans plus tard, "En Cie du Sud" revisite "Les Fils de Hasard, Espérance et Bonne
Fortune". La metteuse en scène Martine De Michele
vient d’être nommée citoyenne d’honneur de Liège.
En 1997, l'asbl "Les
Compagnons de la Belle Fleur" et la Société Royale Archéo-Historique
de Visé présentaient à Cheratte une expo à l'occasion du XXème anniversaire de
la fermeture du charbonnage du Hasard. En 2005
"Priorité à l'Ouverture"
monte une exposition des photographies de Francis
Cornerotte. En 2016 Axel Ruhomaully fait un livre ‘Ceci n’est pas que du patrimoine’ et une exposition de mémoire. Franck Depaifve va à la recherche d’anciens mineurs. Roméo Balancourt les photographie. La Centrale Générale sponsorise une exposition ambulante basée sur leurs photos.
Cornerotte. En 2016 Axel Ruhomaully fait un livre ‘Ceci n’est pas que du patrimoine’ et une exposition de mémoire. Franck Depaifve va à la recherche d’anciens mineurs. Roméo Balancourt les photographie. La Centrale Générale sponsorise une exposition ambulante basée sur leurs photos.
Un clip musical s’inspire de «Working in the Coal Mine » de Lee Dorsey.
En 2017, le film « Enfants du Hasard » de Thierry Michel et Pascal
Colson se plonge dans le quotidien des élèves d’une école de Cheratte.
Sources
http://geologie.wallonie.be/files/events/Effondrements2014/08-DREVET.pdf Influence des eaux minières : exemple des
coups d’eau de la zone pilote de Wandre
-Cheratte
Jean-Pierre Drevet Cellule Risques Sous-sol ISSeP
Sur la cité de
Cheratte voir mon blog http://hachhachhh.blogspot.be/2017/05/31ieme-balade-sante-mplp-une-cite-des.html
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