jeudi 7 septembre 2017

Le film Dunkerque et le «Haltbefehl» de Hitler devant Dunkerque



Ceux qui iront voir le film ‘Dunkerque’ ne comprendront rien aux tenants et aboutissants de cette histoire, exactement comme les pauvres hères qui attendaient en 1940 leur évacuation sur les plages de la Manche. Et on ne saurait même pas blâmer le cinéaste pour ça : la plupart des historiens refusent d’analyser pourquoi Hitler ordonne à von Rundstedt d’arrêter la progression de ses chars. La pointe de l’armée allemande se trouve à 20 km de Dunkerque où s’entassent 340 000 soldats. Hitler avait besoin de la fin des hostilités à l’Ouest pour entamer sa grande offensive à l’Est. En mai 1940, il peut croire à une paix possible avec les Anglais. Le Haltbefehl (ordre d’arrêt) du 24 mai est fondée sur l’espoir d’une paix avec les Britanniques.
En 2017 sortira aussi Darkest Hour, Les Heures sombres, un film deJoe Wright. Le scénario est signé Anthony McCarten. Ce qui pourrait être plus intéressant. Avec Anthony McCarten nous apprendrons peut-être plus sur un des défis les plus terribles et déterminants pour Winston Churchill: négocier un traité de paix avec l’Allemagne nazie, ou faire la guerre jusqu’à la défaite nazie.

Le War Cabinet Crisis de mai 1940.

La plupart des historiens font  l’impasse sur le War Cabinet Crisis de mai 1940, deux jours après l’ordre d’arrêt de Hitler. Churchill a dû travailler avec un gouvernement de coalition. Son Cabinet de Guerre comprenait l’ancien Prime Minister Neville Chamberlain, le ministre des affaires étrangères Lord Halifax, le dirigeant du Labour Clement Attlee et le député Labour Arthur Greenwood.
Chamberlain, c’était les accords de Munich du 30 septembre 1938, où Français et Anglais avaient livré la Tchécoslovaquie à Hitler. Le dictateur allemand tire de son succès la conviction que tout lui est permis. Halifax aussi était pour une paix séparée avec Hitler et avait été le rival de Churchill pour le poste de premier.
Je ne parlerai pas ici des deux dirigeants travaillistes parce que ça nous mènerait trop loin. Résumons-nous par dire qu’un certain pacifisme les amenait aussi à être très ‘apaisant’ envers Hitler.
Le 26, 27 et 28 mai 1940 (le «Haltbefehl est du 24 mai) Halifax impose à neuf reprises une discussion sur une demande de contact avec les nazis viaMussolini. Churchill doit être très prudent, vu le rapport de forces dans son cabinet de guerre. Il essaye d’acheter du temps en demandant de postposer une décision jusqu’après l’évacuation de Dunkerque. En vain : le lendemain Halifax menace de démissionner. Churchill coince Halifax en convoquant son cabinet extérieur (le Outer Cabinet de 25 membres qui ne s’était pas encore réuni une fois depuis le début de la guerre) le 28 mai, où il obtient une majorité contre les propositions de Halifax.

18 juin : le Halifax-Butler coup et le télégramme de Prytz

Halifax avec Goering en 1937
Trois semaines plus tard : nouvelle crise, quand il devient clair que la France va vers une paix séparée. Le 17 juin 1940, le jour où la France capitule, nouveau climax avec le coup Halifax-Butler et le télégramme de Prytz. Qu’on ne se laisse pas induire en erreur sur le nom Butler: c’est un calibre qu’on évoque par ses initiales RAB!)
Halifax demande à son sous-secrétaire d’Etat Butler de contacter Prytz, le représentant diplomatique de la Suède en Grande-Bretagne, de manière informelle, en se croisant ‘par hasard’ dans le St James Park.
Prytz envoie le soir même le télégramme ci-dessous, adressé à son ministre suédois des Affaires étrangères, Günther
Télégramme UD 723 17.6 ((18.6) HP39 A « Lors d’un entretien ce jour avec Butler, ce dernier m’a confirmé la capitulation française. L’attitude officielle de la Grande-Bretagne sera dorénavant que la guerre doit continuer, mais il m’a assuré qu’on ne laisserait passer aucune occasion de parvenir à une paix de compromis si des conditions raisonnables étaient présentées, auquel cas on ne laisserait aucun diehard [irréductible] y faire obstacle. Au cours de l’entretien, Butler est passé dans le bureau de Halifax, qui m’a fait dire que’la raison plutôt que la bravade inspirerait la politique britannique’. D’entretiens avec d’autres membres du Parlement, il semble ressortir que l’on s’attend à ce que des pourparlers puissent s’engager, éventuellement après le 28 juin, lorsque Halifax pourrait succéder à Churchill ».

Churchill sur Rab Butler, et son chat Nelson

Prytz s’étonne d’un discours d’un haut représentant anglais aussi opposé à celui du gouvernement britannique. Le Vieux Lion se voit ici traité de diehard (que je traduirai par tête de mule). De telles entorses aux usages diplomatiques les plus élémentaires, de la part de politiciens chevronnés, en disent long sur le fait qu’ils prennent leur chef de gouvernement "officiel" pour un bouffon dangereusement incompétent, car il exclut d’arrêter la guerre. Il y a peu d’exemples dans l’histoire d’une cohabitation, au sommet d’un Etat, de deux politiques aussi opposées.
Le message de Halifax est, en fait, destiné aux nazis. Le fait que Halifax renchérisse en disant que l’Angleterre ne cherche pas la « paix à tout prix » étaye l’idée que Londres sonde en fait Berlin. Effectivement, l’ambassadeur suédois à Berlin, Richert, évoque deux fois devant Weizsäcker (sous-secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères) le télégramme de Prytz, le 19 juin, puis le 22 : le gouvernement de Berlin prend acte, et dit qu’il attend des actes.
R.A. Butler
Le pronostic suivant lequel Halifax remplacera Churchill à la tête du gouvernement vers le 28 juin, émis par des parlementaires, révèle un flottement aux allures de conspiration. Dans L’appel du 18 juin 1940, Delpla résumé comme suit la crise ouverte par ce télégramme : «Churchill, pour donner un coup de semonce à Halifax sans s’en prendre directement à lui, va lever le lièvre, un peu plus tard, le 26 juin, en lui demandant par lettre de s’enquérir de ce que Butler avait dit exactement au diplomate. Halifax alors recule piteusement, en niant toute initiative contraire au bellicisme officiel. La presse suédoise le mentionne ce télégramme dès le 19 juin, en faisant état d’une séance, la veille, de la commission des affaires étrangères du parlement » ( F. Delpla, L’appel du 18 juin 1940, p. 312).
Delpla souligne à juste titre que lord Halifax a longtemps trompé son monde. On pensait que l’ancien bras droit de Chamberlain avait fini par se dégoûter de Hitler et par se rallier au point de vue de Churchill, fût-ce en traînant un peu les pieds. Depuis une dizaine d’années, des travaux pionniers, encore très marginalisés, ont commencé à montrer qu’il avait conservé longtemps une énorme capacité de nuisance, par rapport au bellicisme churchillien qu’il jugeait ruineux et aventuriste. Pour la période du 17 juin au 2 juillet 1940, Delpla le prend plusieurs fois la main dans le sac, en train d’explorer les voies de la paix par l’intermédiaire de l’Espagne et de la Suède. Il gère son Foreign Office de façon très personnelle, rendant compte au cabinet de guerre quand cela l’arrange, avec des déformations et des omissions gigantesques. Delpla notamment obtenu la levée d’une censure dans les archives, portant sur sa suggestion, repoussée par le cabinet, de promettre Gibraltar à Franco pour le dissuader d’entrer en guerre. Or elle a été faite par deux fois, les jours précisément (18 et 26 juin) où Churchill était absent de la réunion. Ce qui tend à prouver que cette offre, si Halifax avait réussi à en faire approuver l’envoi, avait surtout pour fonction d’avertir l’Allemagne que la direction britannique était plus disposée à négocier qu’elle n’en avait l’air.
Ceci dit, cette situation très complexe, où une série de documents ne sont pas encore accessibles, a donné lieu à un tas d’hypothèses que je qualifierais de hoax…

Manifeste du 28 juin 1940 De Man

Evidemment, il y avait  dans tous les pays des tendances qui voulaient un arrangement avec Hitler, avec très souvent en arrière-pensée de le pousser vers un conflit avec l’URSS. En France comme en Belgique.  : http://www.levif.be/actualite/belgique/de-man-le-grand-maudit-de-la-gauche/article-normal-90743.html c’est le 28 juin 1940 que De Man, de toute sa stature de président du puissant Parti ouvrier belge, s’adresse aux militants déboussolés par la débâcle dans son Manifeste : "Ne croyez pas qu'il faille résister à l'occupant ; acceptez le fait de sa victoire et essayez plutôt d'en tirer les leçons pour en faire le point de départ d'un nouveau progrès social. Cet effondrement d'un monde décrépit est non point un désastre mais une délivrance."
"Véritable hymne à l'Ordre nouveau, tout entier axé sur l'idée que la victoire allemande est un fait acquis", a jugé l'historien Jean Stengers.
"On reproche davantage à De Man un crime de lèse-parti que de lèse-patrie", relève l'historien Francis Balace (ULg). Mais pas tous lui reprochent ses prises de position.  Louis Tobback, ténor SP.A, s'est un jour offusqué de ce que les militants socialistes soient tenus dans l'ignorance des théories demanistes.
"Il pariait sur une intégration européenne sous hégémonie allemande plutôt que de poursuivre une guerre coûteuse en dizaine de millions de morts", justifie le socialiste Lode Hancké. En 1985, Anvers, ville natale de De Man, lui a consacré une expo à l'occasion du centenaire de sa naissance.

Le vote de confiance du 7 mai et l’arrivée de Hess en Angleterre, le 10.

En Angleterre la crise se tasse après juin. Mais Churchill continue à danser sur une corde raide.  Quand le 8 juin 1940, un député travailliste suggère que Churchill devrait ouvrir une enquête sur les "appaesers", Churchill répond que cela serait stupide car "il y en a trop". Hugh Dalton, ministre de la Guerre Économique, note dans son journal intime que le «parti d'apaisement» était si puissant au sein du Parti conservateur que Churchill était menacé de démission en tant que Premier ministre.

Et ça n’arrête pas là. Des rencontres entre Samuel Hoare, Lord Halifax et Rudolf Hess se déroulent en Espagne et au Portugal entre février et avril 1941. Le 10 septembre 1940, Karl Haushofer (qui a développé la théorie d'espace vital—Lebensraum — et qui avait eu dans ses étudiants le jeune Rudolf Hess avec qui il se lie d'amitié) mène des discussions de paix secrètes avec des «intermédiaires» tels que Ian Hamilton, (président écossais de la Légion britannique). Hamilton était aussi depuis 1928 vice-president de l’Anglo-German Association et se disait "an admirer of the great Adolph [sic] Hitler". Pour lui, Mein Kampf était un pêché de jeunesse.
Le duc de Hamilton, Douglas Douglas-Hamilton (rien à voir avec Ian ) était un héros national après la Houston-Mount Everest Flight Expedition. Il était le premier à survoler le Mont Everest en 1933. L’année après était sorti un film, Wings over Everest.
Douglas-Hamilton avait des sympathies pour des groupes fascistes comme the Nordic League et the Right Club. En 1936 il s’envole avec son propre avion aux Jeux Olympiques à Berlin. Le 13 août 1936, Albrecht Haushofer présentait Douglas-Hamilton à Herman Goering et au General Erhard Milch de la Luftwaffe. Milch déclarait à Douglas-Hamilton: "I feel we have a common enemy in Bolshevism."
Von Ribbentrop le présente lors d’un banquet offert à la délégation britannique à Hitler (Hess était présent aussi) et Hermann Göring l’invite à une inspection de la Luftwaffe. A cette occasion Hamilton rencontre aussi Albrecht Haushofer qui avait étudié avec Hess à l’université de Munich
Douglas Douglas-Hamilton, 14th Duke of Hamilton
Au printemps 1937 Douglas-Hamilton suggère à Albrecht Haushofer une rencontre. Ils se voient le 23 janvier à Munich, en présence de son père Karl Haushofer.
En avril 1938 Haushofer séjourne chez Douglas-Hamilton à Dungavel House. C’est là que Hess voudra atterrir quelques années plus tard. Celui-ci essaye d’arranger un rendez-vous avec Lord Halifax, ministre des Affaires étrangères. En vain, puisque celui-ci était en France à l’époque.
Le 26 juin 1938, Haushofer rapporte à Joachim von Ribbentrop: "la Grande-Bretagne n’a toujours pas abandonné l’idée d’un arrangement avec les allemands... (« a certain measure of pro-German sentiment has not yet disappeared among the British people »); le gouvernement Chamberlain-Halifax voit son avenir lié à un vrai accord avec Rome et Berlin (avec une diminution de l'influence soviétique en Europe.)"
Hamilton s’était engagé dans le Royal Auxiliary Air Force (RAuxAF) et est responsable pour la défense aérienne du secteur de l’Ecosse du sud et de l’Angleterre du nord lors de la bataille d’Angleterre. C’est justement dans ce secteur que Hess crashe le 10 mai 1941.
Le 7 mai, trois jours avant la descente de Hess en Ecosse, les conciliateurs jouent une autre  carte :
Lloyd George qui avait à plusieurs reprises exprimé son admiration pour Hitler, après l’avoir rencontré à deux reprises en 1936, n’avait pas cessé d’attaquer le gouvernement pour son incompétence, et s’était prononcé pour des discussions de paix avec Hitler.
Pour contrer cette nouvelle offensive des ‘appeaesers’, Churchill provoque le 7 mai 1941 un ‘Vote of Confidence’. Rudolf Hess arrivera en Angleterre, trois jours plus tard, le 10 mai 1941. Churchill obtient la confiance avec 447 contre 3. Ce vote de confiance et le vol de Hess en Angleterre fera l’objet d’un autre blog, même s’il y a une continuité avec les crises précédentes que nous venons de décrire: la crise du cabinet de guerre de mai 1940 et le Halifax-Butler coup du 18 juin. Mais la situation est tellement complexe, et on a publié tellement de balivernes, vois du fake news sur le sujet, que ça demande une étude plus approfondie.

A Lire

http://www.humanite.fr/node/158725  L'Humanité  26 Mai, 1997 Les mystères du «Haltbefehl» de Hitler devant Dunkerque FRANÇOIS DELPLA. Ed. France Empire 310 pages. Sa thèse : Hitler a brusquement interrompu une offensive dont le succès eût été total parce qu'il voulait que la guerre s'arrête là en Europe occidentale, que la Grande-Bretagne se débarrasse de Churchill au profit des hommes qui avaient fait Munich. Ainsi serait-il libre pour passer sans tergiverser à la réalisation de son but principal: la conquête des terres de l'est, la destruction du «communisme». Mais ces plans à long terme échouent, notamment à cause de Churchill. 

Stephen Bungay The Most Dangerous Enemy: A History of the Battle of Britain, Aurum Press: 2000 https://www.winstonchurchill.org/resources/speeches/speeches-about-winston-churchill/his-speeches-how-churchill-did-it). Churchill’s oratory
was not universally acclaimed at the time, particularly in Parliament. Churchill had become Prime Minister on 10 May 1940, against the wishes of the King and many Conservative MPs who would have preferred the Foreign Secretary, Lord Halifax. Oratory was the main instrument he used to maintain his shaky position in Parliament, to solidify support in the nation, and to get the war fought. Churchill was his own spin doctor.

John Lukacs Five Days In London, May 1940 http://yalebooks.yale.edu/book/9780300084665/five-days-london-may-1940

Cato, The Guilty Men
http://socialistreview.org.uk/274/guilty-men When in May 1940 Churchill became prime minister he did so against vicious opposition from the Tory Party.
He had to rely on maverick press barons like Lord Beaverbrook, the Labour Party and left wing journalists like Michael Foot to wage a faction fight against those who wanted to come to terms with Hitler. Michael Foot was one of the authors of a little book, 'The Guilty Men', which nailed the Tory appeasers. Booksellers refused to distribute it and it was literally sold off a barrow in London's Charing Cross Road (it then went through edition after edition). Churchill sacked various Tory ministers, shunted off Lord Halifax to be ambassador in Washington and had to force the Duke of Windsor to quit first the French Riviera (where he seemed to be happy to go into German captivity) and then Lisbon en route to becoming governor of Bermuda (where the Americans kept a close eye on his contacts with Nazi sympathisers). A future Tory prime minister, Alec Douglas Home, told dinner guests that Churchill's supporters were 'scum'.
https://en.wikipedia.org/wiki/Guilty_Men Guilty Men by 'Cato' was written by three journalists: Michael Foot (a future Leader of the Labour Party), Frank Owen (a former Liberal MP), and Peter Howard (a Conservative). It was published as the pseudonymous 'Cato' because the three journalists were employed by Lord Beaverbrook who was active in the Conservative Party. Beaverbrook had also been a vocal supporter of the appeasement movement. Guilty Men was published in early July, shortly after the Dunkirk evacuation It was sold on news-stands and street barrows and went through twelve editions in July 1940selling 200,000 copies in a few weeks.
The 'guilty men' were:
    Neville Chamberlain
    Sir John Simon
    Sir Samuel Hoare
    Ramsay MacDonald
    Stanley Baldwin
    Lord Halifax
    Sir Kingsley Wood
    Ernest Brown
    David Margesson
    Sir Horace Wilson
    Sir Thomas Inskip
    Leslie Burgin
    Earl Stanhope
    W. S. Morrison
    Sir Reginald Dorman-Smith


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