L'exposition 'John Cockerill, 200 ans d'avenir'
vient de se terminer à la Boverie. Les références à la lutte sociale sont
rares, comme ici cette grève des puddleurs en 1869. Le dossier pédagogique nous
apprend qu’en 1869,
des émeutes, déclenchées
par les puddleurs
et les chauffeurs
de la fabrique
de fer de
Cockerill, éclatent à Seraing
. Les
ouvriers se plaignent
du despotisme d’un
chef de service
et de l’augmentation du
nombre d’heures de travail,
sans augmentation de salaire. Après une reprise temporaire du travail, la grève
reprend, suivie par les lamineurs, puis
par tous les
travailleurs des usines
du bassin liégeois .
La répression est
violente: des ouvriers
sont tués par
la gendarmerie et des meneurs
sont condamnés. Aucune revendication n’est rencontrée.
Voici ce que j’ai trouvé sur cette grève.
« Les ouvriers
puddleurs et lamineurs avaient réclamé, la semaine dernière, contre une
disposition réglementaire qui les obligeait à rester à l'usine jusqu'à six
heures, c'est-à-dire jusqu'à l'arrivée du poste suivant. Leur réclamation avait
été accueillie dans la limite où elle pouvait être fondée mais cela ne faisait
pas le compte des agitateurs.
Jeudi, à six heures du soir, au moment de la
reprise du travail de nuit, les ouvriers des deux postes se mutinèrent, en
exigeant cette fois le renvoi du chef de fabrication et en se livrant à son
égard à ses menaces qui eussent peut-être été suivies de voies de fait si
l'arrivée fort opportune et l'énergie de M. Kamp, bourgmestre,
n'avaient imposé aux mutins.
Les
ouvriers du laminoir se mirent en grève. Ils se répandirent principalement dans
le village de Lize, et, suivant un plan concerté par les meneurs de
l'Internationale, ils décidèrent les ouvriers houilleurs des trois principales
fosses Cockerill (Henri-Guillaume, Collard et Caroline) à suspendre le
lendemain matin leurs travaux.
Hier matin, en effet, les-ouvriers de ces
trois fosses ne voulurent pas descendre, sans donner aucun motif de leur
conduite, sans formuler aucune réclamation en ce qui les concernait, la plupart
uniquement pour imiter les puddleurs et les lamineurs, et quelques uns pour
appuyer le renvoi du chef de fabrication du laminoir, avec lequel ils n'ont
aucun rapport. C'était donc pour les houilleurs une grève sans cause réelle el
uniquement -pour se donner quelques jours de congé et complaire aux
entrepreneurs de ces sortes de démonstrations, lesquels n'ont d'autre but que
de troubler l'ordre et d'agiter les ouvriers.
Les mineurs de la fosse Marie, de la Société
Cockerill, résistant sagement aux excitations des faiseurs de grèves,
continuèrent leur travail toute la journée.
Une partie des
grévistes, au nombre de cent cinquante, escortés de femmes et d'enfants, se
rendirent à l'Espérance et à Marihaye pour enjoindre la suspension du travail,
la nuit suivante, mais sans se livrer à aucun acte de violence.
En présence de ces faits, le bourgmestre fit
prévenir les diverses autorités civiles et militaires M. Dubois, procureur du
roi, se rendit immédiatement sur les lieux et y est resté jusque aujourd'hui il
y retourna l'après-midi. M. Jamme, commissaire d'arrondissement, n'a pas quitté
Seraing depuis hier. Dans l'après-midi, un détachement de quinze gendarmes à
cheval venant de Liège, commandé par M. le lieutenant Philippart, venait de
prendre position dans la cour de la houillère Henri-Guillaume. Le bourgmestre,
en présence de l'extension que menaçait de prendre la grève, fit demander en
outre" la présence des troupes de ligne. M. le lieutenant-général Lecocq
se rendit l'après-midi à Seraing pour se concerter avec lui; mais ce ne fut
qu'à dix heures du soir que trois bataillons arrivèrent à Seraing, lorsque
malheureusement des désordres graves avaient eu lieu.
MM. le procureur du roi et le commissaire
d'arrondissement, M. le bourgmestre, M. le juge de paix, M. le commissaire et
les agents de police, la brigade locale de gendarmerie, ne négligèrent
d'ailleurs aucune mesure rentrant dans leurs attributions respectives.
La journée se passa sans agitation grave;
quelques groupes seulement stationnaient vers le centre de la commune, mais
sans se livrer à aucune manifestation hostile.
Vers
six heures du soir, au moment où les ouvriers du jour quittent leurs ateliers
et où ceux de nuit se rendent à leur travail, la grande route de Seraing,
depuis l'établissement Cockerill
jusqu'à l'Espérance, fut envahie par une masse d'ouvriers et de femmes. Les
meneurs empêchèrent les ouvriers de plusieurs fosses de l'Espérance et de
Marihaye de s'y rendre.
M.
le bourgmestre, craignant que la soirée n'amenât des collisions et des
désordres, et pour en prévenir les conséquences déplorables, fit afficher dans
l'après-midi une proclamation pour rappeler l'article 30 du Code pénal, qui
punit tout attentat à la liberté du travail, et plus tard une autre
proclamation pour interdire les rassemblements.
Malheureusement les
ouvriers, égarés par des excitations coupables s'attroupèrent en grand nombre
près de la cour de la houillère Henri-Guillaume, dans laquelle stationnaient la
gendarmerie à cheval venue de Liège et les brigades de Seraing et d'Engis. Ils
se mirent à huer la force armée, à pousser des cris séditieux et à jeter des
pierres aux gendarmes, qui montrèrent un calme et une patience exemplaires.
M. le bourgmestre
Kamp, MM. Dubois, procureur du roi Jamme, commissaire d'arrondissement, se
rendirent plusieurs fois au milieu des grévistes, les engageant à faire
connaître leurs griefs et leurs réclamations, que pas un re parvint à formuler,
ce qui prouve qu'ils étaient les instruments d'agitateurs pervers, qui jouent
avec leur repos et leur vie. Les efforts de ces honorables magistrats
échouèrent complètement, et ils durent se retirer dans la cour de la houillère
Henri-Guillaume. Il était neuf heures du soir.
A ce moment, les émeutiers.se sont alors rués comme des furieux contre
les portes, en lançant une nuée de pierres.
La gendarmerie à cheval fit une première
sortie, sans faire en aucune façon usage de ses armes. Malheureusement, les
gendarmes, au nombre de quinze seulement, ont été accueillis à coups dé pierres
et ont dû se retirer. Les agressions de la multitude devenant plus graves,
force a été à la gendarmerie de faire une seconde sortie, et cette fois a eu
lieu une charge à l'arme blanche. La plupart des gendarmes ont reçu des
blessures. Le lieutenant de gendarmerie Philippart a, parait-il, reçu plusieurs
pierres à la tête. Un gendarme a eu l'épaule fracassée par son propre fusil,
qu'un coup de pierre, lancée par un émeutier, avait fait partir.
Un gendarme, entouré
par la foule, a été arraché de son cheval, et il a été recueilli grièvement
blessé dans une maison du voisinage. » Il y a aussi un grand nombre d'ouvriers
blessés nous ne savons pas encore actuellement si leurs blessures sont graves,
ces blessés s'étant réfugiés ou ayant été transportés dans divers endroits.
A dix heures du soir,
trois bataillons de troupes, impatiemment attendus, car les autorités, bloquées
dans l'établissement assiégé par la multitude et n'ayant que quelques gendarmes
à leur disposition, commençaient à se trouver dans une position critique, trois
bataillons, disons-nous, arrivèrent sur les lieux. A leur aspect, les émeutiers
se dispersèrent.
» La nuit a été calme. »
On lit dans
l'Indépendance du 12 avril:
« Une dépêche qu'on
nous a expédiée de Liège hier soir, à onze heures et demie, nous dit que la
grève prend des proportions de plus en plus graves. Outre les trois bataillons
d'infanterie dont il est parlé dans les extraits ci-dessus, deux escadrons de
cavalerie sont encore arrivés hier sur les lieux, venant de Louvain.
Ces troupes étaient
massées dans la cour de l'établissement Cockerill, et l'on semblait craindre un
engagement pour la nuit. Les ouvriers de plusieurs charbonnages se sont mis en
grève hier, et l'on porte à 6.000 le nombre de ceux qui ont quitté leurs
travaux.
On écrit de Seraing,
le 12 avril, au journal la Meuse:
Le travail a repris à la houillère de
l'Espérance à Marihaye, un grand nombre d'ouvriers se sont présentés ce matin
pour reprendre leur travail;, le directeur n'ayant pas été prévenu, les travaux
n'ont pu recommencer, mais cela sera fait demain, les ouvriers ayant promis de
revenir. » La fabrique de fer de Seraing, ainsi que trois des houillères
Caroline, Collard et Henri-Guillaume, chôment aujourd'hui, les ouvriers ne
s'étant pas présentés.
A six heures cependant un ouvrier était venu
demander au directeur des établissements Cockerill, et au nom d'un certain
nombre de ses camarades, s'il leur serait permis de se remettre à l'ouvrage.
M. le directeur lui a répondu que tous les grévistes qui avaient l'intention
de rentrer dans les ateliers n'avaient qu'à donner leurs noms, qu'il en serait
tenu bonne note. M. le général Jambers est venu prendre le commandement des
troupes campées à Seraing. Tout est calme ce matin les groupes ont disparu et
on a l'espoir fondé que la grève va cesser.
La proclamation
suivante a été affichée dans les rues de Seraing
Aux
habitants de Seraing
Les scènes de
désordre qui se sont produites depuis deux jours sont favorisées par la
présence dans les rues d'un certain nombre de curieux. » Le bourgmestre invite
les citoyens paisibles à rester chez eux; ils éviteront ainsi de concourir à un
trouble qu'ils réprouvent et qu'ils ont tout intérêt à faire cesser. Ceux qui
se trouveront sur la voie publique s'exposeront à des dangers sérieux, si les
forces imposantes qui se trouvent dans la commune sont obligées d'agir.
Seraing, le il
avril 1869.
Le bourgmestre G. Kamp.
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