Ce samedi 23 juin il y a sur la nouvelle place
communale un après-midi populaire, musicale et commerciale, la Fête de la
musique. C’est presqu’une pré-inauguration. L’occasion de se pencher sur le
bâtiment le plus en vue de cette nouvelle place: la chapelle Orémus. La mise en
valeur de la chapelle sur la butte située à l’arrière de l’hôtel de ville est
quelque part le pivot du réaménagement de la place. Elle va ainsi retrouver la
situation dégagée - tout autour il y avait un cimetière - qu’elle avait jusqu’en
1754, lors de la réfection de la route Liège – Maestricht, qui suit depuis
l’artère principale de Herstal.
Triptyque du Martyre de saint Érasme - Thierry Bouts. |
Etrange mise en valeur d’un bâtiment qui n’est
finalement qu’une chapelle votive dédié à Saint Orémus. Un saint qu’on neretrouve même pas dans le Grand Livre des saints. Ce n’est qu’à Herstal qu’on désigne Saint
Erasme sous le nom de Saint Orémus, vraisemblablement suite à la
non-compréhension de ce mot latin signifiant ‘prions’ (L'almanach de notre
terroir Par René Henry p.163). En réalité, il y avait un oratoire dédié à Saint
Orémus attenant à la maison de la Thour en Hayeneux. Les mères venaient y prier
pour les coliques des enfants. Lors de la suppression de cet oratoire le
bourgmestre Lénard Masset tranféra un retable, représentant le supplice de
Saint Erasme, fut transféré de Hayeneux à l’église de la Licourt. Pour ne pas
faire des jaloux, le bourgmestre commanda au sculpteur Harzé une statue en
terre cuite pour la chapelle de Saint Lambert et fit placer en lettre d’or le
mot latin OREMUS, c'est-à-dire prions, au-dessus de la porte d’entrée. Mais le
curé de l’époque, Joseph Bertrand, fit quand même placer des statues de Saint
Lambert et de Saint Hubert dans la chapelle. Tout compte fait, Saint Erasme
n’est qu’un des quatorze saints auxiliaires, invoqués pour leur pouvoirs
guérisseurs. Pour ne pas parler carrément de superstition… Toujours est-il que depuis 1860 les mères
venaient prier pour les coliques des enfants. A condition de ne pas raconter à leurs enfants le martyre cruel de SaintErasme: ça pourrait leur donner des coliques ! D'après la légende, son
estomac fut ouvert en deux et ses intestins enroulés autour d'un cabestan. Triptyque
du Martyre de saint Érasme - Thierry Bouts. Elles y abandonnaient aussi en
guise d’ex-voto leurs bandes hygiéniques et des bandes de boteroule de leurs enfants.
Donc, pour tout ce qui est intestinal, ne
prenez plus de l’immodium: priez Saint Orémus.
Si notre maire nous donne des coliques, de
l’indigestion, des crampes, de la chiasse, de la diarrhée, des reflux
œsophagien, des nausées et des vomissements, des haut-le-coeur etc… adressons-nous
à Saint Orémus.
Aujourd’hui il faudra le faire en latin : la
chapelle est occupée par la Fraternité sacerdotale Saint-Pierre qui pratique le rite romain. Ne
confondez pas Saint-Pierre avec Saint-Pie ! La Fraternité Saint-Pie X de
Mgr Lefebvre a claqué la porte de l’Eglise en 1988. Notre fraternité Saint-Pierre
a le soutien entier de Mgr André-Joseph Léonard et
du cardinal Joseph Ratzinger. Elle a été fondée en 1988 par le PapeJean-Paul II en personne « afin de répondre généreusement aux aspirations
légitimes des Catholiques attachées au rite romain ».
C’est presqu’un miracle que la chapelle est
toujours là : en 1791 le régime français réquisitionne les deux cloches. Le
curé G-N Berho de la Licourt s’étant enfui, son marguiller A. Deherve sauve le
sanctuaire de la fermeture en se soumettant à la loi française.
Lors des restaurations de 1929 on exhuma une
pierre tombale de 1429 : la sépulture la plus prestigieuse est sans doute
celle de Wathieu de Fléron bourgmestre de la Cité de Liège en 1407 et
probablement empoisonné suite au bannissement de Wathieu DATIN.
Un demi siècle plus tard elle fut rendue
officiellement mais très provisoirement au culte en 1839, en attendant que la
nouvelle paroisse Saint Lambert ait construit son église. Le conseil de la
fabrique de cette nouvelle paroisse, dont l’église fut consacrée en 1844, se
dispute encore avec le bourgmestre Jean-Lambert Sauveur sur la propriété du
cimetière désaffecté depuis l’ouverture du cimetière de Foxhalle en 1846. Elle
devra attendre le bourgmestre Nicolas Laloux pour trouver un arrangement. Celui-ci
était pressé parce qu’il construit en 1848 une nouvelle maison communale – qui
logeait aussi l’école du centre - sur une partie du cimetière. En 1851 il paye
encore 100 francs pour 1 are 7 centiares pour agrandir le jardin potager de
l’instituteur communal.
Elle connaît une deuxième renaissance au début
du XX° siècle. En 1910 le curé de Saint Lambert arrive à faire classer
l’oratoire dans la 3° catégorie par la Commission Royale des Monuments. En 1910
G-Fernand Lohest dresse un plan de restauration, refusé par le bourgmestre. Un
chanoine et le curé arrivent à relancer le projet en 1927. On restaure le
bâtiment selon le plan de Lohest qui rétablit même les trois nefs qui avaient
été réduites à une seule en 1758. En fait il n’y a que le chevet plat du chœur,
très bas, qui est d’origine. Les jours néo-romans de la nef, en plein cintre,
sont contemporains de la dernière restauration. En 1929 la paroisse Saint
Lambert demande pour la chapelle la dignité de chapellenie. Pour ceux qui ont des doutes sur la dignité d'une chapelle, sachez qu'en 1950 un érudit, Jean Quéguiner, a soutenu une thèse d’Ecole des Chartes sur « les
chapellenies au Moyen-Age »!
Nouveau miracle lorsque dans les années 1950 un vénérable prêtre âgé,
l’abbé Jean Longo (1911-2006) prend en charge la restauration du bâtiment et
sauva la chapelle. Il dit la messe en latin, ce qui attire une partie de
l’émigration italienne qui retrouve ainsi les sons de son pays natal. Une
personnalité attachante : quand on lui demande le prix d’un enterrement,
il répond : « je ne vais quand même pas ajouter une seconde peine à
votre peine déjà grande ». Le bâtiment sera classé définitivement le 30
avril 1964.
Nouvelle crise quand vers 2008 il est empêché par son état de santé de dire
la Messe. C’est la Fraternité Saint-Pierre qui sauve la mise.
Dédicacée à Saint Orémus ou aux Saints Lambert et Hubert ?
La chapelle avait déjà fait fonction d’église
paroissiale. Ce qui nous pose d’ailleurs un petit problème : la chapelle est-elle
dédicacée à Saint Orémus ou aux Saints Lambert et Hubert ? Notre bourgmestre
Lénard Masset a quand même brouillé un peu les pistes en plaçant cette statue
de Saint Orémus lors de la suppression de l’oratoire de Hayeneux. Ceci dit,
nous comptons fermement sur notre Fraternité sacerdotale Saint-Pierre pour
éclarcir cette question de droit canon importante.
Selon le Canon 1218, chaque église
aura son titre qui après la dédicace ne pourra plus être changé. Le Canon 1206 précise que la dédicace d’un lieu revient à l’Évêque diocésain
Can. 1208 – De cette dédicace ou bénédiction
d’une église, et aussi de la bénédiction d’un cimetière, on rédigera un acte
dont un exemplaire sera conservé à la Curie diocésaine et un autre dans les
archives de l’église. Can. 1212 – Les lieux sacrés perdent leur dédicace ou
leur bénédiction si la plus grande partie en est détruite, ou s’ils sont
réduits à des usages profanes de façon permanente, soit par décret de
l’Ordinaire compétent, soit de fait.
Nous avons un rapport de visite
archi-diaconale de 1699 qui parle «d’une
chapelle sous l’invocation de Saint Lambert ». Pour le double patronage nous devrons être
moins catégorique : un autre rapport de 1754 nous apprend seulement qu’ «
un prêtre y dit la messe les jours de Saint Lambert et Saint-Hubert ».
Cela datait de l’époque où la chapelle faisait office d’église paroissiale,
après un incendie en 1738 de l’église Notre Dame de la Licour qui n’avait
laissé que le chœur et le transept au point où l’évêque a dû y mettre
l’interdit en 1754. Le culte fut alors célébré dans la chapelle jusqu’à
la reconstruction de l’église en 1759. Un rapport de visite archi-diaconale de
1754 nous apprend qu’ « un prêtre y dit la messe tous les jours et les jours de
Saint Lambert et Saint-Hubert et le lundi de Pâques on y célèbre des messes
spéciales. On continue à y célébrer des execques (enterrement) ».
A cette occasion la chapelle est restaurée
sommairement. La présence d’une pierre tombale sur l’un des cotés en témoigne. Un
siècle et demi plus tard, en 1699, on
apprend dans un autre rapport de visite que «sous cette paroisse de Notre Dame
se trouve la chapelle sous l’invocation de Saint Lambert où le curé célèbre
parfois les obsèques des paroissiens et où il y a un cimetière. »
La chapelle est devenu en quelques sorte une
chapelle funéraire, certes d’un certain prestige. Des notables sont même prêts
à payer une taxe pour se faire inhumer dans la chapelle même.
La famille Lovinfosse notamment y est bien représentée. La famille
de Lovinfosse est issue de la descendance d'un certain Michel Goblet d'Odeur,
écuyer originaire de la région de Givet, qui épousa en 1500 la fille du
Bourgmestre de Liège qui apporta en dot la terre de Lovinfosse située à Ougrée
et la maison de la Tour en Hayeneux à Herstal. Les armoiries figurent encore
sur un vitrail de la maison dite "de Lovinfosse" à Herstal ainsi que
sur l'autel latéral de l'Eglise Notre Dame de la Licourt.
1719 Catharine Lovinfosse
1720 Gertrud Lambrecht, ép Melchior Lovinfosse
1735 Melchior Lovinfosse
1750 Joannes, fils de Libert Lovinfosse
1759 Joannes Lovinfosse, veuf de M. Gesin
1761 Barbe Corbeaux, épouse de Liber
Lovinfosse
1772 Liber Lovinfosse
Avec cette invocation de Saint Lambert on ne
rentre pas seulement dans un problème de droit canonial : Saint Orémus ou
Saint Lambert. Nous rentrons aussi dans les âges obscurs du Moyen âge. Au onzième
siècle, le chanoine Anselme a imputé le meurtre de saint Lambert à Pépin. Des
amis du pontife avaient mis à mort deux individus qui avaient des liens de
famille avec Dodon, le puissant domesticus de Pépin, préposé à l'administration
du fisc et des domaines royaux. Dodon jura de venger ses proches. Un matin,
avec une troupe de gens armés, il surprit le pontife dans la villa de Liège. C'était
le 17 septembre de l'année 705.
Le corps de Lambert est transporté en bateau
de Liège à Maastricht. Mais la dévotion populaire se portait de préférence du
côté de Liège, où s'opéraient les principaux miracles. La cérémonie de la translation
se fait en 718. À Nivelle-sur-Meuse et à Herstal, où s'arrêta le cortège, se
produisirent des miracles. La foule reconnaissante s'empressa d'y élever des
"basiliques". Pour recevoir dignement les reliques du martyr, on
avait construit dans l'église Saint-Lambert un mausolée "admirablement
orné par le travail des artistes, par l'abondance de l'or, de l'argent, des
pierres précieuses et des joyaux de toute espèce, apportés alors et dans la
suite par les riches et les puissants du jour" (DE MOREAU, É., s.j.,
Histoire de l'Église en Belgique des origines aux débuts du XIIème siècle, t.
I, Bruxelles, L'Édition Universelle
S.A., 1940, p. 91-104). Nous voilà partis d'une chapelle dédié à un Saint qui n'existe plus, et nous nous trouvons devant une basilique! Excusez du peu! Vouc comprenez maintenant la mise en valeur de cette chapelle dans l'aménagement de la nouvelle place!
Pour les détails sur cette histoire digne d’un polar il faudra attendre mon prochain blog. Herstal ne
devrait pas se braquer sur Charlemagne (certains envisagent des fêtes en 2014).
Il y a d’ailleurs trop d’autres villes qui le réclament aussi ! Mettons en
avant Pépin de Herstal : avec un nom comme ça personne ne saurait nous le
contester. Et vous verrez : ça fait des belles histoires ; trop
cruelles peut être pour raconter aux enfants, mais passionnantes.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire