La bataille triomphale de la Warde de SteppesEn 1208 le roi de Germanie Philippe de Souabe confèré aux bourgeois de Liège la « charte d'Albert de Cuyck ». Avec cette charte le peuple des villes commence à revendiquer ses droits. C’est aussi – et ça arrange bien le peuple – une époque de grande division au sommet. En 1197 commence dans l’Empire germanique le grand interrègne. Deux maisons se disputèrent la succession de Henri VI, les Hohenstaufen et les Welfs.
bataille des Steppes- bas refief Palais prov. |
En mai 1212, le duc de Brabant et son armée mettent Liège à sac, pour une sombre histoire d’héritage. En 1204, le comte de Moha avait vendu ses terres au prince-évêque Hugues de Pierrepont (1200-1229), le duc de Brabant revendique ces terres aussi. Avec l’appui d’Othon IV, le duc mène une guerre au prince-évêque, qui compte sur Fréderic II. Mauvais calcul… C’est le premier sac de Liège. D’autres incendies suivront, mais ça sera souvent le prince même qui met le feu à sa ville…
Un an après, les troupes du prince-évêque, renforcées par les milices de la capitale, de Huy, de Dinant et des villes de la Sambre mettront en déroute les brabançons au Warde de Steppes. C’est le « Triomphe de St Lambert à Steppes ». Ce triomphe est une fausse victoire pour le prince évêque: le peuple a compris qu’avec ses milices il pèse dans la balance. Quarante ans plus tard, ces milices refuseront de verser leur sang pour ces querelles entre seigneurs féodaux.
Mauvais calcul aussi pour le pape : en optant pour Frédéric, il donnait la couronne de l’Empire à l'adversaire le plus redoutable qu'eut à combattre le Saint-Siège. Frédéric II commence à consolider son pouvoir en Italie. La papauté, prise en tenailles, l’excommunie sous le prétexte fallacieux de n'être pas parti à temps pour une croisade promise (1227). Le pape dut se réfugier à Lyon pour déposer (1245) un adversaire dont les forces n'étaient pas épuisées lorsqu'il mourut en 1250. Pour le pape, ce Fréderic II était « l'Antéchrist » ; mais pour certains de ses contemporains, Fréderic reçut les surnoms de Stupor Mundi (la « Stupeur du monde »). Son mythe personnel se confondit alors avec celui de son grand-père Frédéric Barberousse : dans la conscience collective, il devint à son tour « l'Empereur endormi » dans les profondeurs d'une caverne, celui qui ne pouvait avoir disparu, celui qui dormait d'un sommeil magique dans le cratère de l'Etna.
Henri de Gueldre, un pion du Pape contre Fréderic II « l'Antéchrist »Guillaume de Hollande profite de la déposition de Frédéric II, en 1245, pour lui contester de son vivant encore la couronne d’Allemagne. Le pape soutient Guillaume qui mène la guerre aux partisans de Frédéric II, notamment en assiégeant Aix-la-Chapelle. En 1247, il faut désigner un nouveau chef pour la principauté de Liège. Le pape soutient la candidature de Henri de Gueldre, très jeune encore : Henri arriva chez nous non pas avec le titre d'évêque, mais avec celui d'Élu, parce que le pape l'avait dispensé, vu son âge, de l'obligation de prendre les ordres majeurs. L’élu était cruel et pervers, mais était le cousin germain de Guillaume de Hollande.
Henri de Dinant refuse de verser le sang du peuple pour des disputes féodalesLa disparition de Fréderic II en 1250 entraîne la débâcle de son camp. C’est à cette époque, en 1254, que Henri de Dinant devient le premier bourgmestre liégeois nommé par un suffrage vraiment populaire. Henri a réfléchi au Triomphe des milices (et un peu de St Lambert) à Steppes. Il organise les milices populaires par vinâves, des compagnies de vingt personnes, commandées par des vingteniers. Quelques années plus tard, il est prêt pour la confrontation avec le prince.
Le déclenchement est encore ce guerroyement entre seigneurs féodaux pour une affaire d’héritage. Marguerite, comtesse de Flandre, entre en conflit avec son propre fils Jean d'Avesne à qui elle avait déjà donné le comté de Hainaut, don qu’elle voulait retracter. Sur base du principe « donné c’est donné et reprendre c’est voler », le fiston Jean d'Avesne s'adressa alors au prince-évêque pour lui demander son secours, car le Hainaut était un fief de l'église de Liège. Le prince lui promit des troupes et ordonna aux échevins de convoquer les bourgeois sous les armes. Henri de Dinant conseilla au peuple de ne pas répondre à l'appel, sous le prétexte que les Liégeois doivent le service militaire pour la défense de la principauté et celle du prince, mais non pour les étrangers.
Le prince déféra l'affaire au roi germanique (et son cousin germain) Guillaume. Celui-ci décida que les bourgeois de la cité devaient prendre les armes pour défendre le Hainaut. En mai 1254, le prince-évêque excommunia les chefs et jeta l'interdit sur la cité.
Henri de Dinant en tire les conclusions : il organise le financement les milices et proposa une « fermeté » sur les objets de consommation. Or, en vertu des conventions de 1249, confirmées par l'autorité du souverain pontife, il ne pouvait plus être levé de fermeté à Liège depuis le 25 décembre 1251. Le prince se plaint au Pape de ce que les bourgeois de Liège avaient rétabli l'impôt de la fermeté sur la bière et institué des compagnies (Cart. de Saint-Trond, t. I) Le délégué du Saint-Siège maintint que sans le consentement du clergé l'impôt en question ne pouvait être établi. Henri de Dinant contourne cet interdit en imposant une taille ou contribution personnelle d'après la fortune présumée. Les riches furent taxés à un marc. Les patriciens refusent de payer la taille et se retirent Outre-Meuse. Le peuple de Liège ne parvient pas à passer le Pont-des-Arches que les patriciens défendaient sur la rive droite (19 avril). Dans cette lutte armée, il y eut, de part et d'autre, bien des tués et des blessés (JEAN D'OUTREMEUSE, t. V). Le prince-évêque relança la sentence d'excommunication et d'interdit sur les Hutois et les Liégeois.
Bref, on voit que nos intérêts notionnels du XXI° siècle sont la continuation d’un principe séculaire : pas question de faire payer les dépenses publiques par ceux qui ont de l’argent… La seule différence, c’est que en 2008 Didier Reynders ne fait plus appel au pape…
L’Empire impose la paix de Bierset1254, l'année où Henri de Dinant devient bourgmestre, est aussi l'année de la mort du fils de Fréderic, Conrad IV, qui en quatre ans de règne n’a pas réussi à déstabiliser l’anti-roi Guillaume. Henri de Dinant ne sait donc pas jouer sur les contradictions entre roi et anti-roi. Et la comtesse de Flandre, pour qui tout cela avait commencé, n’a aucun intérêt dans une confrontation directe avec l’Empire.
Le prince reçoit le soutien de l’Empire, dans les personnes du duc de Brabant, du comte de Gueldre, du comte de Juliers et du comte de Looz. Les deux bourgmestres – dont notre Henri de Dinant - et les abbés de Saint-Jacques, de Saint-Laurent et de Saint-Gilles furent députés au prince qui campait avec son armée à la porte de Sainte-Walburge, pour convenir des conditions de la paix. Le prince leur posa les conditions suivantes : les chefs condamnés au bannissement seront livrés; les compagnies de vingt hommes seront dissoutes.
La réponse du prince augmenta l'indécision des Liégeois; certains voulaient prendre le roi Guillaume comme arbitre de la paix, ce qui n’était quand même pas malin, vu le contexte. Ce fut seulement lorsque la famine se fit sentir dans la ville de plus en plus étroitement investie qu'on se décida à passer par toutes les exigences du prince et à sacrifier les maîtres proscrits. En vain Henri de Dinant essaya de détourner les citains de leur résolution. Ils lui promirent seulement de faire tout ce qui était possible pour qu'il rentrât par la suite.
Par la paix de Bierset, signée le 17 octobre 1255, la Cité se rendait littéralement à merci. Le 28 octobre 1255, le prince fit son entrée à Liège. Chacune des villes rebelles dut lui livrer une des portes de son enceinte, qu'il se réserva le droit de garder jusqu'à complète exécution des clauses du traité de paix. Liège livra la porte Sainte-Walburge. Les douze proscrits en étaient sortis à temps.
Retour de la fermetéLa ville était accablée d'amendes - au seul élu, elle devait verser l'énorme somme de 2500 marcs. Ironie de l’histoire : la Cité ne trouva d'autre moyen de s'acquitter que l'éternel expédient de la fermeté. Henri de Gueldre – pas principiel pour un sou : il avait commencé la guerre contre ses propres sujets à cause de cette fermeté - n'avait pas fait difficulté d'en autoriser la perception, tenant avant tout à être payé par ses sujets. Mais le clergé et les nobles invoquaient les actes de 1249, confirmés par le Pape en 1251. Henri de Gueldre crut prudent de céder devant cette opposition. Non seulement il défendit de lever la fermeté, mais il ordonna de restituer au clergé les sommes déjà perçues. Le petit peuple protesta, alléguant l'iniquité de la répartition.
Retour de Henri de DinantA la faveur du mécontentement populaire, les partisans de Henri de Dinant formèrent un complot pour rappeler leur chef. Accueilli avec enthousiasme par les affidés, qui coururent en armes au devant de lui et qui l'acclamèrent comme le père de la patrie, il rentra à Liège le 17 mars 1256 et fut conduit par la foule jusqu'au Marché. Mais devant le rapport de force trop inégal, Henri de Dinant se retire dès le lendemain, disant un adieu éternel à cette ville. Pendant qu'il prenait tristement le chemin de l'exil, l'élu accourait à Liège et se mettait à sévir. Les principaux fauteurs d'Henri de Dinant furent jetés dans les fers; sa maison fut démolie et les poutres servirent à la construction d'une potence sur les hauteurs qui dominaient la place du Marché. Là, le 21 mars, les Liégeois virent, à leur grande douleur, se balancer le corps du sellier Gérard Bassier, l'un des plus fidèles partisans du tribun.
Cette équipée de Henri de Dinant fournit au prince un prétexte pour ne pas restituer aux Liégeois la porte Sainte-Walburge. Il se hâta d'y édifier un château fort où il mit garnison. L'argent de la fermeté qui devait être restitué aux chanoines fut, avec leur consentement, employé à élever cette bastille.
Quant à Henri de Dinant, il trouva un asile à la cour de la comtesse Marguerite, qui avait été à la base de tout ce conflit, avec cette affaire d’héritage.
1274 un nouveau pape se rappelle un coup de pied aux c…Le peuple aura quand même sa petite vengeance. La violence et la débauche du prince-évêque Henri de
Gueldre lui valent le surnom de « Grand Ribaud ». Cela atteint un tel sommet, que l’archidiacre de Liège Thibaut Visconti lui reproche sa conduite et reçoit pour réponse un coup de pied au bas-ventre. Pas de chance pour notre Grand Ribaud : en 1271, Visconti devint pape sous le nom de Grégoire X (1271-1276). Henri de Gueldre convoqué devant le pape, est destitué de ses fonctions d’évêque en 1274. Il saccage alors le pays à la tête d’une bande de brigands jusqu’en jusqu’en 1283 où dans le marquisat de Franchimont il aurait été tué d'un coup d'épée.
Pour la grande vengeance, le peuple devra attendre un demi siècle. Partout en Europe le peuple se lève: les vêpres siciliennes en 1282, les Matines de Bruges (ou brugeoises), le 18 mai 1302, qui débouchent le 11 juillet 1302 sur la bataille de Courtrai : défaite de la chevalerie française, par les communiers flamands. A Liège ce sera en 1287 les Chaperons Blancs, culminant en 1312 avec le Mal saint Martin.
site intéressant: http://perso.infonie.be/liege06/07septc.htm avec des contributions de J. Daris, C. de Borman, De Gerlache, G. Kurth, F. Magnette:
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire