lundi 4 avril 2022

1976-202? Cheratte et moi

Visite à Cheratte avec le Wohnbaugesellschaft
Troisdorf (Allemagne)
Je me suis assez impliqué dans l’enquête publique organisée à Visé sur un permis d'urbanisme de la S.A. MATEXI PROJECTS sur le site des anciens Charbonnages du Hasard de Cheratte. Ce n’est pas un Hasard ! Cela fera presque 50 ans que je m’intéresse à Cheratte!

Je suis arrivé à Herstal en 1976, un an avant la fermeture du Charbonnage du Hasard. Je suis ce qu’on appelle en France un établi ; issu de la révolte de mai 68 je me suis établi en usine comme ouvrier, à la fin de mes études.

Cette fermeture m’interpelle comme militant, d’autant plus qu’une nouvelle crise s’installe dans la région, celle de la sidérurgie. J’arrive malgré ça à me faire embaucher à Ferblatil, à une époque où le ministre de l’économie Willy Claes menaçait Cockerill de faillite parce que l’entreprise embauchait autant qu’elle prépensionnait.

Le site du Hasard connaît le même sort que la plupart des charbonnages. Ces charbonnages qui prennent le statut de sociétés en liquidation vendent tout ce qu’elles peuvent à n’importe quel prix. Le Hasard est racheté par un ferrailleur limbourgeois  Armand Lowie, qui, paix à ses cendres, pille tout ce qui n’est pas trop lourd et bloque impunément toute reconversion du site. Ce qui ne l’empêche pas de donner une clef du cadenas du site à mon ami Jacques Chevalier qui pendant des décennies essaye de faire vivre le souvenir de ce site extraordinaire via son blog. Il n’est pas le seul : des photographes urbex viennent de loin pour immortaliser ce décor extraordinaire. Ils rentrent par les flancs de coteaux.

Je rentre très vite en contact avec Walthère Franssen qui a travaillé à la petite Bacnure jusqu’à la fermeture et qui s’implique très vite dans le sauvetage des documents de ces charbonnages qui ont été abandonnés à tout vent. Il ramasse tout ce qu’il peut sauver. Ce qu’il peut : concréèement cela veut dire ce qu’il arrive à stocker dans son petit logement social où il vit avec ses cinq enfants. Walthère habite à 100 mètres de chez moi, à la Préalle, mais le contact se fait via Cockerill où il est bobineur au Train à Larges Bandes de Chertal.

C’est ainsi que je m’intéresse au Hasard et sa cité construite en 1925: 200 maisons familiales et un hôtel de 128 chambres individuelles pour les célibataires. Dix ans avant la fermeture, il y avait un laisser-aller de la part du charbonnage. Les habitants avaient déjà dénoncé l’état de malpropreté et le non entretien des rues de leur cité. Heureusement, la régionale d’habitations sociales de Visé reprit la gestion en 1977, restaura quelques maisons et reconstruisit d’autres, avec une discrimination positive pour les belges, vu la prédominance de familles d’anciens mineurs d’origine turque. Le terme ‘patrimoine’ est bien pesé. On vient le visiter de loin. En septembre 2018 je fais à trois reprises le guide pour un car d’allemands dans le cadre d’une balade ‘team building’ d’une société de logement de Troisdorf (les locataires, le personnel et les fournisseurs). Le directeur qui avait étudié à Liège voulait montrer absolument la cité minière. Voir le blog http://hachhachhh.blogspot.com/2018/08/visite-aucharbonnage-du-hasard-cheratte.html

Mais n’anticipons pas : j’apprends à connaître Cheratte via Jacques Chevalier et Walthère Franssen.

Blegny ou Cheratte pour un centre touristique dédié à la mine


En 1978 la Région Wallonne veut créer un centre touristique dédié à la mine et hésite entre Blegny-Mine et Cheratte. Visé qui vient de fusionner avec Cheratte propose un aménagement du site avec une visite à flanc de colline entre le puits principal et le puits de retour d’air, le Belle Fleur. Visé trouve que Cheratte a une valeur patrimoniale supérieure, par son importance économique, son architecture et sa cité. Le charbonnage de Blegny-Trembleur avance comme atout son environnement vert, et un embryon d’activité touristique par une asbl déjà expérimentée. Le 15 novembre 1978, Jean-Maurice Dehousse,  Ministre de la Culture de la Communauté française, compétent en matière de tourisme, choisit Blegny. Ce qui a pesé dans la décision est que Marcel Levaux, le bourgmestre de Cheratte, de 1970 jusqu’en 1976, date de la fusion des communes, était député du Parti Communiste (de 1968 à 1981). Entré à l’âge de 15 ans dans la Résistance, il avait la veille du premier Mai 1944 hissé sur la Belle Fleur un drapeau belge et un drapeau russe en hommage aux prisonniers qui travaillaient dans la mine en bas. J’ai à plusieurs reprises croisé Marcel dans sa vie militante et je me devais évidemment d’être présent en 2018 à l’inauguration du square Marcel Levaux, en-dessous de cette Belle Fleur.

une veine de charbon apparente
à Sprockhovel (Ruhr)

La ville de Visé avait raison : Cheratte a une valeur patrimoniale extraordinaire avec notamment la tour Malakoff, classée depuis les années 1980. Lors de la guerre de Crimée de 1855 les français avaient conquis une tour de ce nom. Ils ont célébré cette victoire en construisant partout des «tours Malakoff ». Les allemands reprennent ce nom pour des bâtiments industriels en briques, avant la percée du béton. En 2016 j’ai été  voir dans le Ruhr (en vélo) ce que les allemands font avec ces tours Malakoff et leur patrimoine minier  http://hachhachhh.blogspot.be/2016/12/la-sauvegarde-du-patrimoine-charbonnier.html

A part cette tour (au-dessus du puits n°1) Cheratte avait deux autres puits d'extraction. Le second, de 1923, équipé d'une tour métallique, a été démonté par le proprio ferrailleur. Ce M. Lowie avait acheté aussi le château du XVIIe siècle du maître de fosse Gilles de Sarolea, et le parc, pour 175.000 euros. Celui-ci avait acheté la Seigneurie de Cheratte (et son titre de noblesse) en 1643. En 1913 le Charbonnage avait acquis le château pour son hôpital.

M. Lowie laisse le château manger par le mérule. Visé rêve pendant trente ans d’une rénovation et lance même en 2014, après le décès de M. Lowie, un "Community Land Trust". En vain : les enfants du ferailleur bloquent et annulent même une vente publique en dernière minute. Le château vient d’être racheté par une société immobilière hollandaise qui entame des travaux de stabilisation en plaçant des échafaudages intérieurs. Lors d'une rencontre avec le collège, les hollandais disent vouloir en faire des  chambres d'hôtes. Ils font des travaux de nettoyage au niveau du parc, ainsi qu'au débroussaillement des arbustes poussant sur certaines parties du bâtiment. Visé l’aurait encouragé à accélérer les travaux sous peine de devoir payer la taxe pour les immeubles inoccupés.

Restauration de la Belle-Fleur

En 1997, à l'occasion du vingtième anniversaire de la fermeture, la Belle-Fleur est restaurée. Cette petite tour en béton armé du puits N°4 ou puits Hoignée de 1927 avait servi à remonter les stériles à l’aide d’un treuil de faible puissance; il s’arrêtait à la même hauteur que le carreau de la mine.  Une galerie le reliait au puits N°1. La même année l'asbl "Les Compagnons de la Belle Fleur" et la Société Royale Archéo-Historique de Visé présentent une expo à Cheratte.

Je suis prépensionné en 2003. Dans mon troisième mi-temps j’organise mensuellement une balade-santé. Ces balades commentariées me poussent à approfondir l’historique d’un site, mais aussi les aspects urbanistiques et sociaux. En 2005, le cercle liégeois de photographes, "Priorité à l'Ouverture", de Francis Cornerotte, monte une grosse exposition photographique sur le charbonnage, au milieu d’autres événements patronnés par des associations de Cheratte et par Jacques Chevalier. Francis organisera une autre expo à l’occasion des  Journées du Patrimoine, à l’ancien Musée de l’architecture, au théâtre Le Moderne, à l’hôtel de ville de Liège et même au Centre culturel de Ganshoren.  

En 2007, 40ième anniversaire de la fermeture, le Hasard est enfin inclus dans le programme de réhabilitation du gouvernement wallon pour la salle des machines, le chevalement du puits no 4 et la colline boisée. Il faudra encore attendre six ans pour un avis d’expropriation. La SPI dépollue le site pour 2 millions d’euros. Les parties classées, la salle des machines, la lampisterie et la salle de paye attenantes sont conservées au même titre que la passerelle, mais tous les autres bâtiments sont démolis dont le puits N°3 qui ne reçoit son chevalement en béton que dans les années 1950.

Le film « Enfants du Hasard »

Cela coïncide avec la sortie du film « Enfants du Hasard » de Thierry Michel et Pascal Colson qui se plonge dans le quotidien des élèves d’une école de Cheratte. Via la même école Franck Depaifve va à la recherche d’anciens mineurs et monte une exposition de mémoire. Roméo Balancourt les photographie. La Centrale Générale sponsorise une exposition ambulante basée sur leurs  photos. Google Arts & Culture et Meta-Morphosis montent quatre expositions virtuelles du même Balancourt  et d’Axel Ruhomaully. Les deux sortent en 2016 un livre ‘Ceci n’est pas que du patrimoine’ où je suis repris dans les anges-gardiens pour avoir assuré la traduction des textes en néerlandais. La version en néerlandais n’a néanmoins pas (encore) trouvé d’éditeur.

C’est en 2016 aussi que "En Cie du Sud" revisite "Les Fils de Hasard, Espérance et Bonne Fortune", héritiers du spectacle ‘Hasard, Espérance et Bonne Fortune’ créé par le Théâtre de la Renaissance de Seraing en 1996.

Plus dans http://hachhachhh.blogspot.com/2018/08/visite-aucharbonnage-du-hasard-cheratte.html

 

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