dimanche 8 juin 2014

Grétry et la révolution


Si on prend comme référence la demande de la ville en 1780 au sculpteur Everard de réaliser le buste du compositeur, on peut dire que ça fait deux siècles et demi que Liège honore son compositeur. 
Liège a fêté en 2013 le bicentenaire de sa mort, avec entre autres un nouveau géant  Grétry. Il y a eu Grétry superstar au Moderne,  sur une idée de Michel JASPAR, qui incarne depuis 5 ans le musicien dans les rues de Liège, à travers ses "Flâneries Erudites de Monsieur Grétry". Et  à  l’occasion du Festival de promenade, un parcours historique ‘Et si Grétry m'était conté...’ a retracé la vie et l’œuvre du compositeur, à travers les objets, partitions, peintures, affiches et photographies qui décorent sa charmante maison natale en Outremeuse. Il y a eu aussi une visite patrimoniale, agrémentée d’anecdotes, de chansons et de musique, animée par trois admiratrices de notre célèbre Liégeois, en costume d’époque, avec Claire Ancion, Maryse Lurquin et Madeleine Mairlot.

Grétry était enfant de chœur quand débute la querelle des bouffons.

André Grétry est né à Liège le 8 février 1741. Il commence comme enfant de choeur à la collégiale Saint-Denis de Liège. Ca ne lui laisse pas des souvenirs inoubliables : « Qu'on juge, dit-il, de ce que j'ai dû souffrir pendant les quatre ou  cinq années que j'ai passées dans cette horrible inquisition; si, pendant ces misérables années, je n'ai pas tout à fait perdu mon temps, si j'ai fait quelques progrès dans la musique, je n'obtins point cet avantage par les leçons de l'instituteur, mais malgré ses leçons».
C’est l’époque où débute en France la querelle des bouffons, en 1752. Grétry n’y est pour rien. Il en est à sa querelle avec les chanoines de Saint Denis (ou plutôt avec Renekin, organiste à Saint-Pierre ou Henri Moreau, maître de chapelle à Saint-Paul (sa biographie ne spécifie pas qui l’a fait souffrir). Ceci dit, Grétry put entendre en 1752 la fameuse « Serva padrona » de Pergolèse qui avait déclenché à Paris la non moins fameuse « Querelle des Bouffons ».
Son chemin croisera plus tard celui des encyclopédistes qui posent des questions sur tout, et qui s’attaquent à cette époque aussi à l’esthétique. La querelle des bouffons éclate en août 1752, lors de la représentation de ‘La serva padrona’ de Pergolèse à l'Académie royale, une opera buffa ou opéra comique (de buffo = grotesque, bouffon). Au départ une série de gens ne se rendent pas compte qu’ils assistent à une querelle historique. Madame de Pompadour joue elle-même un rôle dans cet opéra.
Mais bien vite les « bouffons » vont diviser l'intelligentsia parisienne en deux clans. Entre partisans de la tragédie lyrique, royale représentante du style français, et sympathisants de l'opéra-bouffon naît une véritable querelle pamphlétaire jusqu'en 1754.
Les encyclopédistes avaient préparé cette querelle et mis leurs pièces en position depuis quelques mois. Rousseau avait composé son petit opéra ‘Le Devin duvillage’. Une pièce plutôt programmatique.
Suite à ça, Holbach ouvre les hostilités avec sa ‘Lettre à une dame d'un certain âge’. Les tenants de la musique française «se rassemblent sous la loge du roi, et ceux de la musique italienne qui les moquent sous celle de la reine». Le classicisme et son prestige d’un côté, la spontanéité avec ses mélodies et sa simplicité de l’autre. Mais on est encore loin des clivvages qui vont mener à la chute de la royauté…
A nos yeux, la violence du débat semble dérisoire. On retrouve la reine dans le camp des ‘Lumières’ ; elle sera guillotinée lors de la révolution de 1789.
Les partisans de la musique française incarnée par Rameau louent l’«ordre naturel» de l’harmonie, garant de l’ordre établi (partant de la royauté). Il suffit d’écouter ces extraits de Platée de Rameau, créé en 1745 à la Grande Ecurie de Versailles  https://www.youtube.com/watch?v=cpwYjawWCZE
Dans le camp opposé, la musique «nouvelle» accompagne la pensée des Lumières. Pour Rousseau, «la comparaison de ces deux musiques déboucha les oreilles françaises».  
En 1753, Rousseau en rajoute une couche avec sa ‘Lettre sur la musique française’. Le premier acte de la Serva padrona est pour lui « un modèle de chant, d'unité de mélodie, de dialogue et de goût, auquel, selon moi, rien ne manquera, quand il sera bien exécuté, que des auditeurs qui sachent l'entendre. Je crois avoir fait voir qu'il n'y a ni mesure ni mélodie dans la musique française, parce que la langue n'en est pas susceptible ; que le chant français n'est qu'un aboiement continuel. Les Français n'ont point de musique et n'en peuvent avoir ; ou que si jamais ils en ont une, ce sera tant pis pour eux. »
C’est un peu étrange de voir le camp qui représente le peuple rejeter la langue du peuple. Mais les «pauvres arguments musicaux» de J-J. Rousseau portent une critique sociale bien présente. Ecoutons-le : « Dans les anciens temps, où la persuasion tenait lieu de force publique, l'éloquence était nécessaire. A quoi servirait-elle aujourd'hui, que la force publique supplée à la persuasion ? Les sociétés ont pris leur dernière forme : on n'y change plus rien qu'avec du canon et des écus ; et comme on n'a plus rien à dire au peuple, sinon, donnez de l'argent, on le dit avec des placards au coin des rues, ou des soldats dans les maisons » (Essai sur l'origine des langues, chapitre XX, «du rapport des langues aux gouvernements», p. 66 de l'édition posthume de 1781).
Ce qui a démarré comme une querelle sur les bouffons débouche sur la linguistique  (trois siècles plus tard, en 1950, un autre révolutionnaire surnommé Staline publiera ‘Le Marxisme et les problèmes de linguistique’)
Donc, pour Rousseau, les tribuns travaillent le discours pour convaincre le peuple, et enrichissent ainsi la musique ; la cour a abandonné l'art de la persuasion au profit des gendarmes. La force des fusils a remplacé l'art de la rhétorique.
Du côté des de ses opposants, on répond : « Une nation comme la française, dont l'unité est si parfaite depuis mille deux cents ans au moins, ne souffre pas volontiers la supériorité trop marquée d'une nation quelconque qui n'a ni cette antiquité ni cette unité de patrie. » En fait l'idée de nation représente le bon plaisir de la cour, le bon vouloir du monarque.
Tous les encyclopédistes s‘y mettent dans la querelle. Diderot publie ‘Le Petit Prophète’. Son ami allemand Melchior Grimm et le Baron d'Holbach sont parmi les plus fervents partisans de l'opéra italien. A travers l'enjeu de domination culturelle se joue aussi la confrontation de deux esthétiques. Grétry reprendra vingt ans plus tard le fil de cette querelle. Il profitera de l’ouverture créée par ce débat pour introduire dans la musique française des valeurs esthétiques nouvelles. Il fera une synthèse dialectique de ce débat musique française - italienne pour développer un opéra en français avec naturel et simplicité.

La rencontre avec Voltaire à Genève : hasard ou prémédité ?

Mais renouons le fil de notre biographie de Grétry. En 1759, sept ans après la querelle des bouffons, Grétry obtient une bourse pour le collège Darchis à Rome, où les jeunes artistes liégeois avaient la table et le logement pendant cinq ans, à la condition de porter le costume d'abbé.
En avril 1761, il quitte Rome. En se dirigeant vers la France, il s’arrête à Genève. Pour certains biographes parce que  son gousset étant vide ; il y trouva à donner des leçons bien rétribuées. Je voudrais vérifier dans ses Mémoires s’il ne cherchait pas à y rencontrer Voltaire qui habitait dans le coin. Mais même si cela serait un heureux hasard, il a eu à partir de là des rapports fréquents et soutenus avec Voltaire. Et ses écrits trahissent une communion profonde avec les encyclopédistes. Que penser par exemple du texte suivant, écrit à la fin de sa vie : « Qui nous expliquera par quel sublime mécanisme le viscère appelé cerveau, composé de mille et mille fibres ou filamens enveloppés d’une espèce de graisse visqueuse, qui les nourrit ; comment, dis-je, ces fibres sont les dépositaires de toutes nos idées. Je ne puis faire une plus juste application de ces milliers de cordages, qu’en les comparant à un instrument de musique. En effet, l’on ne peut former un son à côté d’un instrument à cordes, sans faire résonner celle des cordes de l’instrument qui est à l’unisson du son que vous formez, et sans voir vibrer les aliquotes tierce et quinte de cette même corde. Il semble qu’il est une similitude entre les fibres du cerveau qui ont été frappées d’idées qui ont entre elles quelque rapport » (Réflexions II p.98 cit .in Ronald Lessens, Grétry, l’Harmattan 2007, p.216)
Grétry arrive aux Champs Elysées où il rencontre ses amis
encyclopedistes. Gravure 1813
C’est du Diderot, du Pavlov, c’est un matérialisme bien étayé et un apport intéressant dans le débat sur l’esthétique.
Et ceci est du Freud : « Ne peut-on pas, ne doit-on pas croire que l’instinct se réveille avec force, quand il se sent délivré des entraves morales qui le contraignaient pendant le jour ? Cependant les rêves ne nous présentent pas toujours directement l’objet qui nous occupe ; la fibre du cerveau qui a été frappée d’une idée peut ne pas agir, et laisser vibrer à sa place des fibres aliquotes qui furent frappées des rapports et des conséquences de la même idée » (ibid. p.216).
Les contacts personnels de Grétry avec Rousseau par contre se sont limités à une rencontre pas très réussie. Mais l’installation de Grétry à l’Ermitage à Ermenonville montre jusqu’à quel point c’étaient des âmes sœurs.

L’air de Grétry « Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille » passe dans l’histoire, mais pas spécialement du bon côté

En février 1766 il s’établit en France où le succès n’est pas immédiat. La première version de son opéra comique Mariages Samnites https://www.youtube.com/watch?v=yq36SN2xk1c  est un bide (il le reprendra en  1776).
En 1769 son deuxième opéra Lucile n’est pas la percée non plus, même si le célèbre quatuor « Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille » passera plus tard dans l’histoire. Il faudra un peu – beaucoup - de patience à Grétry: il est interprété par les musiques de la Garde dans le salon carré du Louvre, le jour du mariage de Napoléon avec Marie-Louise. Il sera fréquemment joué sous l’Empire dans les rangs de la Grande Armée. Il était inscrit au répertoire courant des musiques régimentaires. Le morceau est joué aussi lors de l’entrée dans Moscou et pendant la retraite de Russie
Au moment de la Restauration cette chanson sert d’hymne bourbonien.
Ce fut un hymne national non officiel du Royaume de France http://www.youtube.com/watch?v=yPvTmsOZmRM  entre 1815 et 1830.
Dans sa brochure sur l'insurrection de Paris de 1832, Heinrich Heine, ami de Karl Marx, y fait allusion: " Louis-Philippe, Roi des Français  (et non « roi de France »)  est entouré des canons des Français: où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille."
Henri Vieuxtemps reprendra l’air en 1861 dans l’adagio de son Cinquième Concerto pour violon Op. 37 "Grétry"  https://www.youtube.com/watch?v=bIX_qFHlItM
Et le jingle monotone qui passait en boucle la nuit, après la fin des émissions de l’INR, vient de ce mouvement lent du Concerto pour violon de Vieuxtemps (et donc indirectement de Grétry).
Que ce succès est attribué à un air et pas à l’œuvre entier est tout à fait logique : l’unité dramatique (voir musicale) de ces opéras comiques était assez faible : c’est un enchainement de morceaux déclamés, musique, danse etc.

Le succès du Huron provoque un choc chez Voltaire

En 1768 le livret de son Huron est basé sur un conte de Voltaire, l’Ingénu. Dans ce conte philosophique, Voltaire raconte les aventures d’un Huron qui, arrivé en France, regarde la vie française avec candeur et naïveté, et se trouve confronté aux pouvoirs religieux et tyranniques du siècle de Louis XIV. C’est aussi un conte satirique qui dénonce l'embastillage et la contrainte religieuse. La pièce n’est pas née d’un contact direct avec Voltaire : c’est le livrettiste Marmontel qui l’a proposé à Grétry. Marmontel a, en plus, évacué les critiques de société les plus mordantes du livret. C’est néanmoins une bouffée de fraîcheur pour les mélomanes parisiens. Le succès du Huron provoque chez Voltaire un choc et il s’empresse à fabriquer deux livrets qu’il envoya à Grétry.
L’opéra suivant – Silvain https://www.youtube.com/watch?v=Oqkxkv1S6OU  – fut composé dans l’euphorie du succès dont Grimm – encore un encyclopédiste - dira que ‘les gens de la cour se sont  beaucoup récriés sur le morale de cette pièce. M. le duc de Noailles dit que son résultat, en deux mots, était qu’il faut épouser sa servante et laisser braconner les paysans’ (Ronald Lessens, Grétry, l’Harmattan 2007p.78)
Il devient un des compositeurs préférés de la Reine Marie-Antoinette en 1771 avec Zémire et Azor : Grétry obtient une rente royale. Voici deux versions https://www.youtube.com/watch?v=aKBLyez8wCo  https://www.youtube.com/watch?v=e_k7ZcMW0kY  de l’air « Veillons, mes sœurs ».
Marie-Antoinette  à l'échafaud, David
La reine deviendra la marraine de la plus jeune des trois sœurs de Grétry. Sa dernière apparition à une représentation de Grétry sera prémonitoire: en février 1792 elle assiste aux « évènements imprévus ». La reine montera sur l’échafaud un an plus tard, un évènement parfaitement prévisible de par sa descendance autrichienne. Les Autrichiens avaient pris la tête de la contrerévolution.
En 1774 la carrière de Grétry passe dans l’ombre de Glück http://fr.wikipedia.org/wiki/Christoph_Willibald_Gluck . Cette année-là Gluck était arrivé à Paris avec notamment une version française de son Orphée et Eurydice, dont voici un extrait https://www.youtube.com/watch?v=1ivsM00Ae3Q  . Cet œuvre est à son tour le point de départ d'une querelle avec les tenants de la musique italienne qui prennent comme modèle Piccini et qui acceptent mal cette francisation de l’opéra italien. La querelle des Gluckistes et des Piccinistes est néanmoins loin d’avoir l’envergure de la querelle des bouffons…
Grétry remonte assez vite la pente – il faut dire que le départ de Gluck en 1779 arrange bien les choses aussi - avec le ‘Jugement de Midas’ http://www.youtube.com/watch?v=2YIdWnLDII4  (1778). La cour n’était pas enthousiaste. La ville par contre la reçut favorablement, ce qui inspira à Voltaire le quatrain:
La cour a dénigré tes chants,
   Dont Paris a dit des merveilles
 Grétry, les oreilles des grands
     Sont souvent de grandes oreilles
C’est la consécration à Liège aussi : la ville charge en 1780 le sculpteur Everard de réaliser le buste du compositeur, qui fut placé sur l’avant-scène du Théâtre Municipal. Fabre d’Eglantine lui dédia son ‘Triomphe de Grétry’. Hamal décrit dans ses annales le triomphe de Grétry lors de la visite à sa ville natale (Ronald Lessens, Grétry, l’Harmattan 2007p.151). Bassenge est accueilli cordialement par Grétry à Paris fin 1781. Il y assiste à la première représentation de l’opéra ‘La Double Épreuve’, qui fut, dit-il, « porté aux nues. »
En 1781 Grétry reprend son ‘Mariages Samnites’, qu’il dédié d’ailleurs au Prince-Evêque éclairé Velbruck. Mozart compose des Variations sur l’air "Dieu d'Amour" https://www.youtube.com/watch?v=Ls6uBw5QT-c

Un air de Richard Cœur de Lion devient le signe de ralliement des royalistes

Richard Cœur de Lion (1784) marque l'apogée du talent de Grétry. Beethoven compose 8 Variations sur l’air "Une fièvre brulante" de cet opéra  https://www.youtube.com/watch?v=MA6JJoVJ1X8
Mais cinq ans plus tard  l’un des airs de Richard « Ô Richard, Ô mon roi, l’univers t’abandonne » deviendra un signe de ralliement des royalistes http://www.youtube.com/watch?v=P9pfmb7aPwM  où Grétry est probablement directement impliqué puisqu’il était à cette époque toujours directeur de la musique de la reine. Le premier octobre 1789, lors d’un banquet http://www.youtube.com/watch?v=WSOvQen0f7E
des Gardes du Roi à Versailles, l’orchestre joue « O Richard, O mon roi ». La famille royale descend alors sur la scène. Les gazettes transforment le banquet en orgie et avancent que la cocarde tricolore a été foulée au pied. Organiser un banquet quand le peuple a faim, c’en est trop ! Marat et Danton appellent à marcher sur Versailles. Cet appel est suivi par les parisiennes le 5 octobre. La foule, trempée par la pluie, massée dans la cour de Marbre, réclame l’apparition du couple royal. Louis XVI promet de leur donner du pain et de se rendre à Paris. Le cortège royal quitte Versailles. Pour de bon.
Par la suite, une version adaptée aux circonstances circulera dans les milieux royalistes avec pour titre « O Louis, ô mon roi » (1791)
Non seulement Grétry mange du pain noir, lorsque Marie Antoinette passe à la guillotine,  et que le compositeur perd sa rente royale. Il aurait pu aussi, après le banquet des Gardes du Roi, devenir la cible des révolutionnaires – il y avait de quoi.
Comme si cela ne suffisait pas, il perd presque toute  sa fortune accumulée sous l'ancien régime dans la faillite de son beau-frère à qui il avair prêté ses économies. En plus, son frère meurt subitement, laissant à Grétry le soin de s'occuper de la veuve et de ses sept enfants.
Il faudra attendre  l’Empereur pour que Grétry retrouve une pension, charmé par le même ‘Richard cœur de Lion’.

Grétry ami intime de Rouget de Lisle

Mais ces déboires personnelles ne l’ont pas empêche pas de soutenir cette révolution. Ca serait intéressant de lire sous cet angle ses  Mémoires, ou Essai sur la musique, qu’il commence justement en 1789 https://archive.org/details/mmoiresouessa00gr
Rouget de Lisle chantant La Marseillaise
pour la première fois à Strasbourg - Pils 1849
Ami intime de Rouget de Lisle et de Beaumarchais, il sert rapidement la propagande révolutionnaire. Dans une lettre que Grétry adresse le 4 novembre 1792 à Rouget de Lisle, Grétry écrit: « bonjour, mon Brave, revenez m’embrasser, soyez tout couvert de gloire, un de ces jours, mon Pays de Liège sera françois, j’en suis enchanté, j’en suis tout fier ».
Ceci dit, le 10 août 1792, Rouget de Lisle avait été destitué de ses fonctions de capitaine par Carnot pour avoir protesté contre l'internement de Louis XVI. La lettre de Grétry est donc écrite juste après la destitution. Proche des Monarchistes, Rouget est emprisonné sous la Terreur mais échappe à la guillotine. Il sera envoyé à l'armée en 1795, contre les Chouans, et  démissionnera en 1796.
Mais ses contacts ne se limitaient évidemment pas au compositeur de la Marseillaise. Une brillante génération de compositeurs rejoigneront la révolution.
Et il y avait du travail pour un compositeur qui voulait servir la révolution.  
le compositeurs révolutionnaire F-J Gossec
Pour les Conventionnels et les Montagnards, la Révolution avait besoin de musiciens comme elle avait besoin de chimistes ou de mathématiciens. Les musiciens ont été alors réquisitionnés, ou se sont eux-mêmes mobilisés au service de la République. Dans ses Mémoires, Grétry raconte comment l'opéra ‘Le Congrès des rois’ représenté le 26 février 1794, et qui se terminait sur une carmagnole dansée par les rois en bonnet rouge, avait été mis en musique en deux jours par tous les musiciens de Paris : «  le redoutable Comité de Salut Public en donna l'ordre aux comédiens ; on numérota tous les morceaux destinés au chant ; ils furent mis dans le bonnet rouge ; alors le scrutin décida du morceau que chacun devait faire dans la journée ».
Le 28 floréal an II (17 mai 1794) « le Comité de Salut Public appelle les musiciens à un grand concours ouvert entre les musiciens pour la composition de chants civiques…et de musique guerrière et tout ce que leur art a de plus propre à rappeler aux républicains les sentiments et les souvenirs les plus chers de la Révolution ».
La Gazette de Paris suggère « d'ajouter nos chansons à nos canons : celles-ci seront pour les chaumières, ceux-ci pour les châteaux… ».
Depuis  1795 Grétry est membre de l’Institut et d’inspecteur du Conservatoire, ce qui lui assure des rentrées régulières. Au point où la département de l’Ourthe lui adresse une supplique en faveur de la création d’une école de musique à Liège vu que « la chute des corporations ecclésiastiques a jeté dans la détresse une foule d’artistes estimables, incapables de se procurer leur subsistance autrement que par l’art qu’ils professent » ((Ronald Lessens, Grétry, l’Harmattan 2007p.. 229)
En 1797, le gouvernement français, à la demande des compositeurs les plus renommés, vota les fonds nécessaires pour la réimpression des Mémoires, auxquels Grétry ajouta deux volumes sur la philosophie, les institutions nationales, que l'auteur rattache à l'art auquel il s'est voué.

Mort de Bara - David
Les compositions de Grétry s’inscrivent dans ce contexte:
Couplets du citoyen patriophile dédié à nos frères de Paris, (1792)
Hymne à l'Eternel : Je te salue (1794) http://www.youtube.com/watch?v=0Ks8H6ramj8&list=UURm3g3qa2pEXIudCxsDlXWw&index=52  
Ronde pour la plantation d'un arbre de la Liberté , 1799 
Joseph Barra (1794) David a peint ‘La mort du jeune Barra’ 
La Rosière républicaine, ou la fête de la vertu, (1794) http://www.youtube.com/watch?v=lW1xkJ_2o_g

Grétry et son ‘Eloge à Bonaparte, le plus grand des héros’.

Le gouvernement de l'Empire lui accorda une pension de quatre mille francs qui, ajoutée aux droits d'auteur que ses ouvrages repris partout, permirent de rétablir sa fortune compromise jadis par la Révolution.
 En 1801 Grétry avait composé son ‘Eloge à Bonaparte, le plus grand des héros’. Napoléon le décore Chevalier de la Légion d’Honneur en 1802.
Il commence à écrire ses ‘Réflexions solitaire’  en 1803 et les termine en1813. Ce sont ses vrais mémoires.
Il est consacré Chevalier de l’Empire en 1808.
Son air ‘La Victoire est à nous’  de sa ‘Caravane du Caire’ est chanté lors de l’entrée à Moscou en 1812. C'est évidemment discutable si 'la victoire était à eux'... 
Voici la version ‘opéra’ http://www.youtube.com/watch?v=R3wI_n-6BPE
On le retrouve aussi sous le titre Waterloo Soundtrack http://www.youtube.com/watch?v=HXmljXjwZko  , ce qui est tout à fait à côté de la plaque puisque là incontestablement la victoire n’était pas du côté français. Mais c’est un beau clip avec des belles images.
Sa fin de vie est à l’image de son parcours de vie : Grétry achète l'ermitage du grand philosophe J.J. Rousseau, à Montmorency, où il passe ses vieux jours. Son corps repose au Père-Lachaise, et la statue Place de l'Opéra à Liège renferme une urne avec le cœur du compositeur.

La statue de Grétry et le vide dans la statuaire révolutionnaire liégeoise

Philippe Raxhon décrit dans « La mémoire de la révolution française » le vide dans la statuaire révolutionnaire liégeoise. La seule statue est celle de Grétry. Il y a encore la plaque plus que discrète «LOIX PUBLIEES DANS LE DEPARTEMENT DE L'OURTE » sur le Palais des Princes-Evêques. Il y a eu de 1797 jusqu’en 1814  une dalle au pont des Arches qui fut pris d'assaut lors de la seconde entrée des Français. 
En souvenir de cette action on lui donna le nom de Pont de la Victoire. En 1796 une dalle en marbre noir reprenait cette inscription:
PONT DE LA VICTOIRE ICI LES LIÉGEOIS ONT VU BRISER LEURS FERS NEUF THERMIDOR AN II DE LA RÉPUBLIQUE UNE ET INDIVISIBLE
Après la chute de l'Empire l'inscription disparut et le pont reprit le nom de Pont des Arches.
A vérifier
La seule statue est donc celle de Grétry. Le 6 septembre 1828 son cœur fut transporté à Liège. Selon Ph. Raxhon, « ce cœur est celui d’un artiste, il n’est donc pas à priori chargé politiquement. Grétry est le révolutionnaire dénaturé de la révolution, révolution qui se neutralise dans sa musique, même révolutionnaire ».
Il faudra néanmoins, pour que ce cœur d’artiste arrive à Liège, engager une procédure judiciaire contre un certain Louis-Victor Flamand, époux de la nièce du compositeur. Celui-ci avait demandé le 23 septembre 1813 au préfet de police d’extraire le coeur pour en faire hommage à la ville de Liège. Mais Flamand voulait garder le cœur dans un esprit de lucre, espérant que l’Ermitage deviendrait un lieu de pèlerinage, ce qu’il est devenu d’ailleurs. Il enferme le cœur dans un petit monument dans le jardin de Montmorency, inauguré en 1816. En 1821 Liège intente un procès et quelques années plus tard envoie même Hennequin, un de ses meilleurs avocats. Celui-ci gagne le procès mais Flamand fait jouer ses relations. La duchesse de Berry  persuade Louis XVIII à empêcher l’exécution de l’arrêt. Du coup Flamand ajoute un buste de la duchesse dans le jardin de l’Ermitage.
Il faudra attendre une ordonnance royale en 1828 pour lever les obstacles (Ronald Lessens, Grétry, l’Harmattan 2007p.237-238).
 C’est le début d’une tradition commémorative de Grétry à Liège. L’urne funéraire resta à l’hôtel de ville jusqu’en 1842.
Le socle provisoire resta à l’hôtel de ville et finit par contenir des bouteilles de vin destinées au protocole. Le bourgmestre Julien d’Andrimont avait l’habitude, lors des séances de travail, d’en appeler à l’huissier de service pour « faire saigner le cœur de Grétry » et boire à la santé du compositeur (note P.R. p247)
La statue resta Place de l’Université, jusqu’au transfert en 1866 place du Théâtre.
Emile Lohest et Félix Pardon écrivent même un opéra ‘Jeunesse de Grétry »  en 1871.
A l’occasion du bicentenaire de la mort de Grétry, la ville a restauré sa maison natale qui avait été transformée en ‘Maison Grétry’ en 1911. Pourtant, à cette époque, la Commission des Beaux Arts de la ville avait émis un avis défavorable entre autres par le doute qui s’était installé dans le conseil communal sur
l’historicité de cette maison natale. En 1913, année du centenaire de la mort du musicien, il y a encore un virulent échange de vues là-dessus où l’échevin des Beaux –Arts en personne estimait que cette maison n’était pas la maison natale. Il lui fut répondu que d’ici cinq ans les gens le croiraient tous. Ce qui se serait réalisé si Philippe Raxhon n’aurait pas soulevé le lièvre dans son «mémoire de la révolution française ». Les initiateurs soulignent l’exemple populaire qu’incarne Grétry dans une Belgique libérale bourgeoise aux prises avec les socialistes et la « guerre des classes » : « la maison est située en Outremeuse, où vibre l’âme de notre population et l’appropriation de cette modeste demeure sera, pour les humbles, d’un enseignement profond et réconfortant, alors que Grétry, par sa volonté, par son talent a su parvenir au faîte de la gloire et des
honneurs
 ». Pour les cathos, Grétry fut une victime de la révolution, et son ralliement à ses principes contraint et forcé : « Malheureusement, la révolution avait soufflé en tempête sur les libéralités de l’ancien régime (sic) et Grétry n’avait conservé de ces recettes que ses droits d’auteur ; encore dut-il donner des gages de civisme, renier son passé royaliste et entrer dans le mouvement révolutionnaire. On n’avait pas oublié, à la Convention, que les gardes du corps au banquet de Versailles, le 1 octobre 1789, avaient chanté avec des larmes dans la voix l’air de ‘Richard Cœur de lion’
(Gazette de Liège 14/9/1911). Pour d’autres, Grétry était carrément l’auteur de la Marseillaise, et non Rouget de Lisle (L’Oeuvre juin 1911 p.137). Mais lors de l’inauguration de la maison Grétry, en présence du roi Albert et de la reine Elisabeth, aucun discours ne fait allusion à son activité de compositeur révolutionnaire.

Biblio

Philippe Raxhon La mémoire de la révolution française entre Liège et Wallonie Labor bxl 1996
Edouard GREGOIR, Grétry; André-Ernest-Modeste; célèbre compositeur belge" 1883  https://archive.org/stream/grtryandrern00rego/grtryandrern00rego_djvu.txt 
http://culture.ulg.ac.be/jcms/prod_194906/un-fonds-froidcourt-droixhe-a-l-academie-royale-de-belgique  L'Académie royale de Belgique a son Fonds Froidcourt-Droixhe qui contient les archives de Georges de Froidcourt, Magistrat liégeois spécialisé dans le 18e siècle de la principauté, collectées au fil des ans par Daniel Droixhe ainsi que plusieurs lots acquis lors d'une vente publique. Ce Fonds contient entre autres des ouvrages du 18e siècle relatant le retour du pianiste. D. Droixhe y a adjoint ses propres archives. Il a publié ‘La correspondance générale’ de Grétry, et  ‘Grétry, Rouget de Lisle et la Marseillaise’
Le blog de JEAN-MARC ONKELINX Musicologue-conférencier, avec orientations discographiques et bibliographiques à propos de Grétry
http://www.musicologie.org/Biographies/g/gretry_andre.html

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