Si on prend comme référence la demande de la
ville en 1780 au sculpteur Everard de réaliser le buste du compositeur, on peut
dire que ça fait deux siècles et demi que Liège honore son compositeur.
Liège a fêté en 2013 le bicentenaire de sa
mort, avec entre autres un nouveau géant Grétry. Il y a eu Grétry
superstar au Moderne, sur une idée de
Michel JASPAR, qui incarne depuis 5 ans le musicien dans les rues de Liège, à travers ses "Flâneries Erudites de
Monsieur Grétry".
Et à l’occasion
du Festival de promenade, un parcours historique ‘Et si Grétry m'était conté...’ a retracé la vie et l’œuvre du compositeur, à travers les objets, partitions,
peintures, affiches et photographies qui décorent sa charmante maison natale en
Outremeuse. Il y a eu aussi une visite patrimoniale,
agrémentée d’anecdotes, de chansons et de musique, animée par trois
admiratrices de notre célèbre Liégeois, en costume d’époque, avec Claire
Ancion, Maryse Lurquin et Madeleine Mairlot.
Grétry était enfant de chœur quand débute la querelle des bouffons.
C’est l’époque où débute en France la querelle
des bouffons, en 1752. Grétry n’y est pour rien. Il en est à sa querelle avec les
chanoines de Saint Denis (ou plutôt avec Renekin, organiste à Saint-Pierre ou Henri Moreau, maître de chapelle à
Saint-Paul (sa biographie ne spécifie pas qui l’a fait souffrir). Ceci
dit, Grétry put entendre en 1752 la fameuse « Serva padrona » de Pergolèse qui
avait déclenché à Paris la non moins fameuse « Querelle des Bouffons ».
Mais bien vite les « bouffons » vont diviser
l'intelligentsia parisienne en deux clans. Entre partisans de la tragédie
lyrique, royale représentante du style français, et sympathisants de
l'opéra-bouffon naît une véritable querelle pamphlétaire jusqu'en 1754.
Les encyclopédistes avaient préparé cette
querelle et mis leurs pièces en position depuis quelques mois. Rousseau avait
composé son petit opéra ‘Le Devin duvillage’. Une pièce plutôt programmatique.
Suite à ça, Holbach ouvre les hostilités avec
sa ‘Lettre à une dame d'un certain
âge’. Les tenants de la musique française «se rassemblent sous la loge du roi, et ceux de la musique italienne qui
les moquent sous celle de la reine». Le classicisme et son prestige d’un
côté, la spontanéité avec ses mélodies et sa simplicité de l’autre. Mais on est
encore loin des clivvages qui vont mener à la chute de la royauté…
A nos yeux, la violence du débat semble
dérisoire. On retrouve la reine dans le camp des ‘Lumières’ ; elle sera
guillotinée lors de la révolution de 1789.
Les partisans de la musique française incarnée
par Rameau louent l’«ordre naturel»
de l’harmonie, garant de l’ordre établi (partant de la royauté). Il suffit
d’écouter ces extraits de Platée de Rameau, créé en 1745 à la Grande Ecurie de
Versailles https://www.youtube.com/watch?v=cpwYjawWCZE
Dans le camp opposé, la musique «nouvelle»
accompagne la pensée des Lumières. Pour Rousseau, «la comparaison de ces deux musiques déboucha les oreilles françaises».
En 1753, Rousseau en rajoute une couche avec
sa ‘Lettre sur la musique française’.
Le premier acte de la Serva padrona est pour lui « un modèle de chant, d'unité de mélodie, de dialogue et de goût, auquel,
selon moi, rien ne manquera, quand il sera bien exécuté, que des auditeurs qui
sachent l'entendre. Je crois avoir fait voir qu'il n'y a ni mesure ni mélodie
dans la musique française, parce que la langue n'en est pas susceptible ; que
le chant français n'est qu'un aboiement continuel. Les Français n'ont point de
musique et n'en peuvent avoir ; ou que si jamais ils en ont une, ce sera tant
pis pour eux. »
C’est un peu étrange de voir le camp qui
représente le peuple rejeter la langue du peuple. Mais les «pauvres arguments
musicaux» de J-J. Rousseau portent une critique sociale bien présente.
Ecoutons-le : « Dans les
anciens temps, où la persuasion tenait lieu de force publique, l'éloquence
était nécessaire. A quoi servirait-elle aujourd'hui, que la force publique
supplée à la persuasion ? Les sociétés ont pris leur dernière forme : on n'y
change plus rien qu'avec du canon et des écus ; et comme on n'a plus rien à dire
au peuple, sinon, donnez de l'argent, on le dit avec des placards au coin des
rues, ou des soldats dans les maisons » (Essai sur l'origine des langues, chapitre XX, «du
rapport des langues aux gouvernements», p. 66 de l'édition posthume de 1781).
Ce qui a démarré comme une querelle sur les
bouffons débouche sur la linguistique
(trois siècles plus tard, en 1950, un autre révolutionnaire surnommé
Staline publiera ‘Le Marxisme et les problèmes de linguistique’)
Donc, pour Rousseau, les tribuns travaillent
le discours pour convaincre le peuple, et enrichissent ainsi la musique ; la
cour a abandonné l'art de la persuasion au profit des gendarmes. La force des
fusils a remplacé l'art de la rhétorique.
Du côté des de ses opposants, on répond : « Une nation comme la française, dont l'unité
est si parfaite depuis mille deux cents ans au moins, ne souffre pas volontiers
la supériorité trop marquée d'une nation quelconque qui n'a ni cette antiquité
ni cette unité de patrie. » En fait l'idée de nation représente le bon
plaisir de la cour, le bon vouloir du monarque.
Tous les encyclopédistes s‘y mettent dans la
querelle. Diderot publie ‘Le Petit Prophète’. Son ami allemand Melchior Grimm et le Baron d'Holbach sont parmi les plus
fervents partisans de l'opéra italien. A travers l'enjeu de domination
culturelle se joue aussi la confrontation de deux esthétiques. Grétry reprendra
vingt ans plus tard le fil de cette querelle. Il profitera de l’ouverture créée
par ce débat pour introduire dans la musique française des valeurs esthétiques
nouvelles. Il fera une synthèse dialectique de ce débat musique française -
italienne pour développer un opéra en français avec naturel et simplicité.
La rencontre avec Voltaire à Genève : hasard ou prémédité ?
Mais renouons le fil de notre biographie de
Grétry. En 1759, sept ans après la querelle des bouffons, Grétry obtient une
bourse pour le collège Darchis à Rome, où les jeunes artistes liégeois avaient
la table et le logement pendant cinq ans, à la condition de porter le costume
d'abbé.
En avril 1761, il quitte Rome. En se dirigeant
vers la France, il s’arrête à Genève. Pour certains biographes parce que son gousset étant vide ; il y trouva à donner des
leçons bien rétribuées. Je voudrais vérifier dans ses Mémoires s’il ne
cherchait pas à y rencontrer Voltaire qui habitait dans le coin. Mais même si
cela serait un heureux hasard, il a eu à partir de là des rapports fréquents et
soutenus avec Voltaire. Et ses écrits trahissent une communion profonde avec
les encyclopédistes. Que penser par exemple du texte suivant, écrit à la fin de
sa vie : « Qui nous expliquera
par quel sublime mécanisme le viscère appelé cerveau, composé de mille et mille
fibres ou filamens enveloppés d’une espèce de graisse visqueuse, qui les
nourrit ; comment, dis-je, ces fibres sont les dépositaires de toutes nos
idées. Je ne puis faire une plus juste application de ces milliers de cordages,
qu’en les comparant à un instrument de musique. En effet, l’on ne peut former
un son à côté d’un instrument à cordes, sans faire résonner celle des cordes de
l’instrument qui est à l’unisson du son que vous formez, et sans voir vibrer
les aliquotes tierce et quinte de cette même corde. Il semble qu’il est une
similitude entre les fibres du cerveau qui ont été frappées d’idées qui ont
entre elles quelque rapport » (Réflexions II p.98 cit .in Ronald Lessens, Grétry, l’Harmattan
2007, p.216)
Grétry arrive aux Champs Elysées où il rencontre ses amis encyclopedistes. Gravure 1813 |
Et ceci est du Freud : « Ne peut-on pas, ne doit-on pas croire que
l’instinct se réveille avec force, quand il se sent délivré des entraves
morales qui le contraignaient pendant le jour ? Cependant les rêves ne
nous présentent pas toujours directement l’objet qui nous occupe ; la
fibre du cerveau qui a été frappée d’une idée peut ne pas agir, et laisser
vibrer à sa place des fibres aliquotes qui furent frappées des rapports et des
conséquences de la même idée » (ibid. p.216).
Les contacts personnels de Grétry avec
Rousseau par contre se sont limités à une rencontre pas très réussie. Mais l’installation
de Grétry à l’Ermitage à Ermenonville montre jusqu’à quel point c’étaient des
âmes sœurs.
L’air de Grétry « Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille » passe dans l’histoire, mais pas spécialement du bon côté
En février 1766 il s’établit en France où le
succès n’est pas immédiat. La première version de son opéra comique Mariages Samnites
https://www.youtube.com/watch?v=yq36SN2xk1c est un bide (il le reprendra en 1776).
En 1769 son deuxième opéra Lucile n’est pas la
percée non plus, même si le célèbre quatuor « Où peut-on être mieux qu'au sein de sa famille » passera plus
tard dans l’histoire. Il faudra un peu – beaucoup - de patience à Grétry: il
est interprété par les musiques de la Garde dans le salon carré du Louvre, le
jour du mariage de Napoléon avec Marie-Louise.
Il sera fréquemment joué sous l’Empire dans les rangs de la Grande Armée. Il était inscrit au répertoire courant des musiques régimentaires. Le morceau est joué aussi lors de l’entrée dans Moscou
et pendant la retraite de Russie
Au moment de la Restauration cette chanson sert d’hymne bourbonien.
Ce fut un hymne national non officiel du Royaume de France
http://www.youtube.com/watch?v=yPvTmsOZmRM
entre 1815 et 1830.
Dans sa brochure sur l'insurrection de Paris
de 1832, Heinrich Heine, ami de Karl Marx, y fait allusion: " Louis-Philippe, Roi des Français (et non « roi
de France ») est entouré des canons des Français: où peut-on être
mieux qu'au sein de sa famille."
Henri Vieuxtemps reprendra l’air en 1861 dans
l’adagio de son Cinquième Concerto pour violon Op. 37 "Grétry" https://www.youtube.com/watch?v=bIX_qFHlItM
Et le jingle monotone qui passait en boucle la
nuit, après la fin des émissions de l’INR, vient de ce mouvement lent du
Concerto pour violon de Vieuxtemps (et donc indirectement de Grétry).
Que ce succès est attribué à un air et pas à
l’œuvre entier est tout à fait logique : l’unité dramatique (voir
musicale) de ces opéras comiques était assez faible : c’est un
enchainement de morceaux déclamés, musique, danse etc.
Le succès du Huron provoque un choc chez Voltaire
En 1768 le livret de son Huron est basé sur un
conte de Voltaire, l’Ingénu. Dans ce conte philosophique, Voltaire raconte les aventures d’un Huron qui,
arrivé en France, regarde la vie française avec candeur et naïveté, et se
trouve confronté aux pouvoirs religieux et tyranniques du siècle de Louis XIV. C’est
aussi un conte satirique qui dénonce l'embastillage et la contrainte
religieuse. La pièce n’est pas née d’un contact direct avec Voltaire : c’est
le livrettiste Marmontel qui l’a proposé à Grétry. Marmontel a, en plus, évacué
les critiques de société les plus mordantes du livret. C’est néanmoins une
bouffée de fraîcheur pour les mélomanes parisiens. Le succès du Huron provoque
chez Voltaire un choc et il s’empresse à fabriquer deux livrets qu’il envoya à
Grétry.
L’opéra suivant – Silvain https://www.youtube.com/watch?v=Oqkxkv1S6OU
– fut composé dans l’euphorie du succès
dont Grimm – encore un encyclopédiste - dira que ‘les gens de la cour se sont
beaucoup récriés sur le morale de cette pièce. M. le duc de Noailles dit
que son résultat, en deux mots, était qu’il faut épouser sa servante et laisser
braconner les paysans’ (Ronald
Lessens, Grétry, l’Harmattan 2007p.78)
Il devient un des compositeurs préférés de la
Reine Marie-Antoinette en 1771 avec Zémire et Azor : Grétry obtient
une rente royale. Voici deux versions https://www.youtube.com/watch?v=aKBLyez8wCo
https://www.youtube.com/watch?v=e_k7ZcMW0kY de l’air « Veillons, mes sœurs ».
Marie-Antoinette à l'échafaud, David |
La reine deviendra la marraine de la plus
jeune des trois sœurs de Grétry. Sa dernière apparition à une représentation de
Grétry sera prémonitoire: en février 1792 elle assiste aux « évènements imprévus ». La reine
montera sur l’échafaud un an plus tard, un évènement parfaitement
prévisible de par sa descendance autrichienne. Les Autrichiens avaient
pris la tête de la contrerévolution.
Voici deux versions de l’air de L'Amant Jaloux
https://www.youtube.com/watch?v=OVybF4YFXSE
et https://www.youtube.com/watch?v=FcG303gCuZw
.
En 1774 la carrière de Grétry passe dans
l’ombre de Glück http://fr.wikipedia.org/wiki/Christoph_Willibald_Gluck
. Cette année-là Gluck était arrivé à Paris avec notamment une version
française de son Orphée et Eurydice, dont voici un extrait https://www.youtube.com/watch?v=1ivsM00Ae3Q
. Cet œuvre est à son tour le point de
départ d'une querelle avec les tenants de la musique italienne qui prennent
comme modèle Piccini et qui acceptent mal cette francisation de l’opéra
italien. La querelle des Gluckistes et des Piccinistes est néanmoins loin
d’avoir l’envergure de la querelle des bouffons…
Grétry remonte assez vite la pente – il faut
dire que le départ de Gluck en 1779 arrange bien les choses aussi - avec le ‘Jugement
de Midas’ http://www.youtube.com/watch?v=2YIdWnLDII4 (1778). La cour n’était pas enthousiaste. La
ville par contre la reçut favorablement, ce qui inspira à Voltaire le quatrain:
La cour
a dénigré tes chants,
Dont Paris a dit des merveilles
Grétry, les oreilles des grands
Sont souvent de grandes oreilles
C’est la consécration à Liège aussi : la
ville charge en 1780 le sculpteur Everard de réaliser le buste du compositeur, qui
fut placé sur l’avant-scène du Théâtre Municipal. Fabre d’Eglantine lui dédia
son ‘Triomphe de Grétry’. Hamal
décrit dans ses annales le triomphe de Grétry lors de la visite à sa ville
natale (Ronald Lessens, Grétry,
l’Harmattan 2007p.151). Bassenge est accueilli cordialement par Grétry à Paris fin 1781. Il y assiste à
la première représentation de l’opéra ‘La
Double Épreuve’, qui fut, dit-il, « porté aux nues. »
En 1781 Grétry reprend son ‘Mariages Samnites’,
qu’il dédié d’ailleurs au Prince-Evêque éclairé Velbruck. Mozart compose des Variations
sur l’air "Dieu d'Amour" https://www.youtube.com/watch?v=Ls6uBw5QT-c
Un air de Richard Cœur de Lion devient le signe de ralliement des royalistes
Richard Cœur de Lion (1784) marque
l'apogée du talent de Grétry. Beethoven
compose 8 Variations sur l’air "Une
fièvre brulante" de cet opéra https://www.youtube.com/watch?v=MA6JJoVJ1X8
Mais cinq ans plus
tard l’un des airs
de Richard « Ô Richard, Ô mon roi,
l’univers t’abandonne » deviendra un signe de ralliement des royalistes http://www.youtube.com/watch?v=P9pfmb7aPwM
où Grétry est probablement directement
impliqué puisqu’il était à cette époque toujours directeur de la musique de la
reine. Le premier octobre 1789, lors d’un banquet
http://www.youtube.com/watch?v=WSOvQen0f7E
des Gardes du Roi à Versailles, l’orchestre joue « O Richard, O mon roi ». La famille royale descend alors sur la scène. Les gazettes transforment le banquet en orgie et avancent que la cocarde tricolore a été foulée au pied. Organiser un banquet quand le peuple a faim, c’en est trop ! Marat et Danton appellent à marcher sur Versailles. Cet appel est suivi par les parisiennes le 5 octobre. La foule, trempée par la pluie, massée dans la cour de Marbre, réclame l’apparition du couple royal. Louis XVI promet de leur donner du pain et de se rendre à Paris. Le cortège royal quitte Versailles. Pour de bon.
des Gardes du Roi à Versailles, l’orchestre joue « O Richard, O mon roi ». La famille royale descend alors sur la scène. Les gazettes transforment le banquet en orgie et avancent que la cocarde tricolore a été foulée au pied. Organiser un banquet quand le peuple a faim, c’en est trop ! Marat et Danton appellent à marcher sur Versailles. Cet appel est suivi par les parisiennes le 5 octobre. La foule, trempée par la pluie, massée dans la cour de Marbre, réclame l’apparition du couple royal. Louis XVI promet de leur donner du pain et de se rendre à Paris. Le cortège royal quitte Versailles. Pour de bon.
Par la suite, une version adaptée aux
circonstances circulera dans les milieux royalistes avec pour titre « O Louis, ô mon roi » (1791)
Non seulement Grétry mange du pain noir, lorsque
Marie Antoinette passe à la guillotine,
et que le compositeur perd sa rente
royale. Il aurait pu aussi, après le banquet des Gardes du Roi, devenir la
cible des révolutionnaires – il y avait de quoi.
Comme si cela ne suffisait pas, il perd
presque toute sa fortune accumulée sous
l'ancien régime dans la faillite de son beau-frère à qui il avair prêté ses
économies. En plus, son frère meurt subitement, laissant à Grétry le soin de
s'occuper de la veuve et de ses sept enfants.
Il faudra attendre l’Empereur pour que Grétry retrouve une
pension, charmé par le même ‘Richard cœur de Lion’.
Grétry ami intime de Rouget de Lisle
Mais ces déboires personnelles ne l’ont pas empêche
pas de soutenir cette révolution. Ca serait intéressant de lire sous cet angle
ses Mémoires, ou Essai sur la musique, qu’il
commence justement en 1789 https://archive.org/details/mmoiresouessa00gr
Rouget de Lisle chantant La Marseillaise pour la première fois à Strasbourg - Pils 1849 |
Ceci dit, le 10 août 1792, Rouget de Lisle avait été destitué de ses fonctions de
capitaine par Carnot pour avoir protesté contre l'internement de Louis XVI. La
lettre de Grétry est donc écrite juste après la destitution. Proche des
Monarchistes, Rouget est emprisonné sous la Terreur mais échappe à la
guillotine. Il sera envoyé à l'armée en 1795, contre les Chouans, et démissionnera en 1796.
Mais ses contacts ne se limitaient évidemment
pas au compositeur de la Marseillaise. Une brillante génération de compositeurs
rejoigneront la révolution.
Et il y avait du travail pour un compositeur
qui voulait servir la révolution.
le compositeurs révolutionnaire F-J Gossec |
Le 28 floréal
an II (17 mai 1794) « le Comité de Salut
Public appelle les musiciens à un grand concours ouvert entre les musiciens
pour la composition de chants civiques…et de musique guerrière et tout ce que
leur art a de plus propre à rappeler aux républicains les sentiments et les
souvenirs les plus chers de la Révolution ».
La Gazette de
Paris suggère « d'ajouter nos chansons à nos canons : celles-ci seront pour les
chaumières, ceux-ci pour les châteaux… ».
Depuis
1795 Grétry est membre de l’Institut et d’inspecteur du Conservatoire,
ce qui lui assure des rentrées régulières. Au point où la département de
l’Ourthe lui adresse une supplique en faveur de la création d’une école de
musique à Liège vu que « la chute
des corporations ecclésiastiques a jeté dans la détresse une foule d’artistes
estimables, incapables de se procurer leur subsistance autrement que par l’art
qu’ils professent » ((Ronald
Lessens, Grétry, l’Harmattan 2007p.. 229)
En 1797, le gouvernement français, à la demande des compositeurs les plus
renommés, vota les fonds nécessaires pour la réimpression des Mémoires,
auxquels Grétry ajouta deux volumes sur la philosophie, les institutions
nationales, que l'auteur rattache à l'art auquel il s'est voué.
Mort de Bara - David |
Les compositions de Grétry s’inscrivent dans
ce contexte:
Couplets du citoyen patriophile dédié à nos
frères de Paris, (1792)
Hymne à l'Eternel : Je te salue (1794) http://www.youtube.com/watch?v=0Ks8H6ramj8&list=UURm3g3qa2pEXIudCxsDlXWw&index=52
Ronde pour la plantation d'un arbre de la
Liberté , 1799
Joseph Barra (1794) David a peint ‘La mort du jeune Barra’
La Rosière républicaine, ou la fête de la
vertu, (1794) http://www.youtube.com/watch?v=lW1xkJ_2o_g
Grétry et son ‘Eloge à Bonaparte, le plus grand des héros’.
Le gouvernement de l'Empire lui accorda une pension de quatre mille francs qui,
ajoutée aux droits d'auteur que ses ouvrages repris partout, permirent de
rétablir sa fortune compromise jadis par la Révolution.
En 1801
Grétry avait composé son ‘Eloge à Bonaparte, le plus grand des héros’. Napoléon
le décore Chevalier de la Légion d’Honneur en 1802.
Il commence à écrire ses ‘Réflexions solitaire’ en 1803 et les termine en1813. Ce sont ses
vrais mémoires.
Il est consacré Chevalier de l’Empire en 1808.
Son air ‘La Victoire est à nous’ de sa ‘Caravane du Caire’ est chanté lors de
l’entrée à Moscou en 1812. C'est évidemment discutable si 'la victoire était à
eux'...
Voici la version ‘opéra’
http://www.youtube.com/watch?v=R3wI_n-6BPE
Et puis en version plus martiale http://www.youtube.com/watch?NR=1&v=qB1kp9adYYE&feature=fvwp
On le retrouve aussi sous le titre Waterloo
Soundtrack http://www.youtube.com/watch?v=HXmljXjwZko , ce qui est tout à fait à côté de la plaque
puisque là incontestablement la victoire n’était pas du côté français. Mais
c’est un beau clip avec des belles images.
Sa fin de vie est à l’image de son parcours de
vie : Grétry achète l'ermitage du grand philosophe J.J. Rousseau, à Montmorency, où il
passe ses vieux jours. Son corps repose au Père-Lachaise, et la statue Place de l'Opéra à Liège renferme une urne avec le cœur du
compositeur.
La statue de Grétry et le vide dans la statuaire révolutionnaire liégeoise
Philippe Raxhon décrit dans « La mémoire de la révolution française »
le vide dans la statuaire révolutionnaire liégeoise. La seule statue est celle
de Grétry. Il y a encore la plaque plus que discrète «LOIX PUBLIEES DANS
LE DEPARTEMENT DE L'OURTE » sur le Palais des Princes-Evêques.
Il y a eu de 1797 jusqu’en 1814 une
dalle au pont des Arches qui fut pris d'assaut lors de la seconde entrée des
Français.
En souvenir de cette action on lui donna le
nom de Pont de la Victoire. En 1796 une dalle en marbre noir reprenait cette
inscription:
PONT DE LA VICTOIRE ICI LES LIÉGEOIS ONT VU
BRISER LEURS FERS NEUF THERMIDOR AN II DE LA RÉPUBLIQUE UNE ET INDIVISIBLE
Après la chute de l'Empire l'inscription
disparut et le pont reprit le nom de Pont des Arches.
A vérifier
La seule statue est donc celle de Grétry. Le 6
septembre 1828 son cœur fut transporté à Liège. Selon Ph. Raxhon, « ce cœur est celui d’un artiste, il n’est
donc pas à priori chargé politiquement. Grétry est le révolutionnaire dénaturé
de la révolution, révolution qui se neutralise dans sa musique, même
révolutionnaire ».
Il faudra néanmoins, pour que ce cœur
d’artiste arrive à Liège, engager une procédure judiciaire contre un certain
Louis-Victor Flamand, époux de la nièce du compositeur. Celui-ci avait demandé
le 23 septembre 1813 au préfet de police d’extraire le coeur pour en faire
hommage à la ville de Liège. Mais Flamand voulait garder le cœur dans un esprit
de lucre, espérant que l’Ermitage deviendrait un lieu de pèlerinage, ce qu’il
est devenu d’ailleurs. Il enferme le cœur dans un petit monument dans le jardin
de Montmorency, inauguré en 1816. En 1821 Liège intente un procès et quelques
années plus tard envoie même Hennequin, un de ses meilleurs avocats. Celui-ci gagne le procès mais Flamand fait jouer ses relations. La duchesse de Berry persuade Louis XVIII à empêcher l’exécution de
l’arrêt. Du coup Flamand ajoute un buste de la duchesse dans le jardin de
l’Ermitage.
Il faudra attendre une ordonnance royale en
1828 pour lever les obstacles (Ronald
Lessens, Grétry, l’Harmattan 2007p.237-238).
C’est
le début d’une tradition commémorative de Grétry à Liège. L’urne funéraire
resta à l’hôtel de ville jusqu’en 1842.
Le socle provisoire resta à l’hôtel de ville
et finit par contenir des bouteilles de vin destinées au protocole. Le
bourgmestre Julien d’Andrimont avait l’habitude, lors des séances de travail, d’en
appeler à l’huissier de service pour « faire
saigner le cœur de Grétry » et boire à la santé du compositeur (note P.R. p247)
La statue resta Place de l’Université, jusqu’au
transfert en 1866 place du Théâtre.
Emile Lohest et Félix Pardon écrivent même un
opéra ‘Jeunesse de Grétry » en 1871.
A l’occasion du bicentenaire de la mort de Grétry,
la ville a restauré sa maison natale qui avait été transformée en ‘Maison
Grétry’ en 1911. Pourtant, à cette époque, la Commission des Beaux Arts de la
ville avait émis un avis défavorable entre autres par le doute qui s’était
installé dans le conseil communal sur
l’historicité de cette maison natale. En
1913, année du centenaire de la mort du musicien, il y a encore un virulent
échange de vues là-dessus où l’échevin des Beaux –Arts en personne estimait que
cette maison n’était pas la maison natale. Il lui fut répondu que d’ici cinq
ans les gens le croiraient tous. Ce qui se serait réalisé si Philippe Raxhon n’aurait
pas soulevé le lièvre dans son «mémoire
de la révolution française ». Les initiateurs soulignent l’exemple
populaire qu’incarne Grétry dans une Belgique libérale bourgeoise aux prises
avec les socialistes et la « guerre
des classes » : « la
maison est située en Outremeuse, où vibre l’âme de notre population et
l’appropriation de cette modeste demeure sera, pour les humbles, d’un
enseignement profond et réconfortant, alors que Grétry, par sa volonté, par son
talent a su parvenir au faîte de la gloire et des
honneurs ». Pour les
cathos, Grétry fut une victime de la révolution, et son ralliement à ses
principes contraint et forcé : « Malheureusement,
la révolution avait soufflé en tempête sur les libéralités de l’ancien régime
(sic) et Grétry n’avait conservé de ces recettes que ses droits d’auteur ;
encore dut-il donner des gages de civisme, renier son passé royaliste et entrer
dans le mouvement révolutionnaire. On n’avait pas oublié, à la Convention, que
les gardes du corps au banquet de Versailles, le 1 octobre 1789, avaient chanté
avec des larmes dans la voix l’air de ‘Richard Cœur de lion’ (Gazette de Liège 14/9/1911). Pour d’autres, Grétry était carrément l’auteur de la Marseillaise, et
non Rouget de Lisle (L’Oeuvre juin
1911 p.137). Mais lors de l’inauguration de la maison
Grétry, en présence du roi Albert et de la reine Elisabeth, aucun discours ne
fait allusion à son activité de compositeur révolutionnaire.
Biblio
Philippe Raxhon La mémoire de la révolution
française entre Liège et Wallonie Labor bxl 1996
Edouard GREGOIR, Grétry; André-Ernest-Modeste;
célèbre compositeur belge" 1883
https://archive.org/stream/grtryandrern00rego/grtryandrern00rego_djvu.txt
http://culture.ulg.ac.be/jcms/prod_194906/un-fonds-froidcourt-droixhe-a-l-academie-royale-de-belgique L'Académie royale de Belgique a
son Fonds Froidcourt-Droixhe qui contient les archives de Georges de
Froidcourt, Magistrat liégeois spécialisé dans le 18e siècle de la
principauté, collectées au fil des ans par Daniel Droixhe ainsi que plusieurs
lots acquis lors d'une vente publique. Ce Fonds contient entre autres des ouvrages
du 18e siècle relatant le retour du pianiste. D. Droixhe y a adjoint ses
propres archives. Il a publié ‘La
correspondance générale’ de Grétry, et ‘Grétry, Rouget de Lisle et
la Marseillaise’.
J.
Martiny, Grétry : quelques souvenirs Liégeois https://urresearch.rochester.edu/fileDownloadForInstitutionalItem.action?itemId=14614&itemFileId=33922
La Maison Grétry 1913 http://booksnow2.scholarsportal.info/ebooks/oca7/24/catalogueillustr00li/catalogueillustr00li.pdf
Le blog de JEAN-MARC ONKELINX
Musicologue-conférencier, avec orientations discographiques et bibliographiques
à propos de Grétry
http://www.musicologie.org/Biographies/g/gretry_andre.html
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