L’histoire, c’est une somme de micro-histoires. Voici à partir de la petite histoire du mineur de fond d’origine slovaque Jan BLAZENIAK, le survol de toute une époque et tout un continent. Jan a travaillé quelques années en Belgique comme mineur de fond. Jan a travaillé à la Bacnure et a vécu plusieurs années à la Préalle. C’est donc aussi en quelque sorte une micro-histoire sur mon quartier, avec son charbonnage de la Petite Bacnure en bas, et sa cité sur les Monts. Il est mort à Bavière et a probablement été enterré avec les indigents.
Depuis quelques mois
un ami dialogue via Google Translate avec Ivan BLAZENIAK, dont
le grand-père Jean Blazeniak, originaire
de POLHORA,
aujourd’hui en Slovaquie, est venu travailler, entre 1929 et 1937, dans
plusieurs charbonnages wallons, dont la Bacnure et Bonne Espérance, tout près
d’où j’habite. Il est entré à l’hôpital de Bavière, une semaine après avoir
quitté la mine, où il mourra deux mois
plus tard.
Deux certificats de naissances émis par la paroisse de La Prealle
Ivan sait que son grand-père habitait rue Charlemagne 104 (maison
aujourd’hui disparue). Son epouse Kristína Peniyak l’a rejoint en 1932 avec son fils qui
s’appelait aussi Jan, né en Slovaquie en
1928. Deux autres enfants sont nés à Herstal : Maria Josephina Henrica, la mère
d’Ivan, le 24 février 1933, son oncle Walter
le 24 avril 1936. Les deux certificats de naissances ont été émis par la
paroisse de La Préalle, mais seulement en décembre 1941, des années plus tard, lorsque la famille était déjà retournée en
Slovaquie, après le décès de Jan. Je suppose que la veuve a du demander ces
certificats pour prouver en Slovaquie que ses deux derniers enfants étaient les
enfants de Jan Blazeniak…
Jan a fait sa
communion solennelle dans l’église de La Préalle le 5 mai 1940 et sa
confirmation le 11 juillet 40. Lui est sa sœur Maria ont probablement
été scolarisées jusqu'en juillet 41 à
l’école Emile Muraille, qui avait été ouverte quelques années auparavant, en
1928. Maria, la mère d’Ivan, avait 8 ans quand elle est
retournée en Slovaquie. Elle parlait couramment le français mais ses souvenirs
sont des souvenirs d’enfant : elle se souvenait d'avoir vu la mer à
Ostende lors d’une excursion scolaire! Elle s'en est souvenue toute sa vie !
Mais pour le reste, âgée de 4 ans
au moment des funérailles, elle y a assisté sans pouvoir dire où.
Ivan a supposé que ces funérailles ont eu lieu à l’église de
la Préalle et y a enregistré une messe en français qu’il a fait écouter à sa
Maman (décédée depuis).
Au cimetière de Rhees, pas de
Blazeniak dans le livre d’inhumation.
Il a supposé aussi que
son grand-père a été enterré à Herstal. Ivan veut tout simplement brûler une
bougie sur le cimetière où son grand-père a été enseveli. Il est venu deux fois
au cimetière de Rhees, mais ce nom n’est pas dans le livre d’inhumation. Il est
passé aussi au cimetière de Foxhalle, dans le bas de Herstal.
Mon ami a alors contacté l'Administration
communale de Herstal qui a consulté le livre des inhumations de 1937 (en plus
du programme et des fiches individuelles cimetière), et n’a pas trouvé trace de
l’inhumation de Mr. Blazeniak. Le responsable a également consulté le dossier
Etrangers qui se trouve aux archives : la famille a été radiée en octobre
1941. Si elle a été radiée, c’est que cette famille a été reprise dans le
registre des étrangers. Avec le confinement il n’y a évidemment pas moyen de
consulter ce registre. Et même après on doit prouver soit un intérêt
scientifique soit un lien familial.
Mon ami Walthère suit
alors la piste du livret de travail. En tant qu’ancien mineur
et historien local il a sauvé une partie des archives de la Petite Bacnure dont
ces livrets. Blazeniak n’est pas dedans, mais Walthère contacte Bruno Guidolin du
CLADIC (Blegny Mine) qui retrouve son livret dans les archives d’un autre
charbonnage. Jan n’a pas travaillé au charbonnage de la Petite Bacnure, mais à la Grande
Bacnure, siège Gérard Cloes (n°12273) - N° de livret B4944. Il y a
travaillé du 1er août 1930 au 1er août 1936, au fond.
Un début de carrière de houilleur dramatique
Ce livret nous apprend que Jan a commencé à
travailler en Belgique le 13/7/1929 à Houssu, à Haine St Paul (aujourd’hui La
Louvière). Ce siège dépendait de la Société des Charbonnages de Ressaix.
Un début de carrière de mineur mouvementé, puisque quatre mois plus tard, le
20/11/1929, un grave accident au siège
Houssu causa la mort de 18 mineurs. Jan quitte cette mine l’année après, le
19/7/1930.
Mon ami contacte alors
la Louvière, et a la chance de tomber sur Mr Thierry
Delplancq, archiviste motivé, qui est allé fouiller dans ses Archive de Haine
St Paul. Il y retrouvé l’inscription de Jan Blazeniak à l’inscription des
étrangers. Profession houilleur. Il est arrivé le 12/7/1929 avec un contrat de
travail délivré à Lucener (écriture peu claire ; je n’ai pas retrouvé la
ville sur le net) et le passeport national N° 6352/29 délivré à Brezno le 28/6/1929. Il a habité Rue de la
Déportation (une rue de ce nom existe toujours à Haine-Saint-Paul) avant de déménager
à Charleroi le 25/7/1930. M. Delplancq envoie en prime une photo de notre Jan
Blazeniak !
1930 : la Petite-Bacnure et le siège Batterie de Bonne Espérance, Batterie, Bonne-Fin et Violette
Toujours selon ce livret il entre ensuite à la Grande-Bacnure, siège Gérard Cloes, le 30/7/1930 et sort le 1/8/1936. Il entre
ensuite à la S.A. de Bonne Espérance, Batterie, Bonne-Fin et Violette (siège Batterie, à quelques kilomètres de là) le
4/8/1936 et sort le 22/5/1937.
Nous ne savons pas
pourquoi le grand-père Jan a quitté Bonne Espérance. Mais une semaine à peine plus
tard il fut hospitalisé à Bavière du 27 mai jusqu’à son décès le 21 juillet
1937.
Ici nous avons une
nouvelle piste, grâce à une dame spécialisée dans les archives de cet hôpital ancestral.
Elle finit par trouver la déclaration de décès qui aurait
été communiqué par téléphone à l'Etat civil de Herstal.
Un acte de décès est émis
le 2 mars 1939 - 2 ans après - par la ville de Liege. Nous n’avons pas d’explication
pour ce retard. Cet acte mentionne comme témoin Dieudonné Palatre d’Angleur, employé
de l’hôpital de Bavière. Il semble accompagner les personnes émargeant de
l’aide sociale.
On retrouve sur plusieurs actes de décès ou de naissances la
mention « en présence de Dieudonné
PALATRE, âgé de 39 ans, employé, domicilié à Angleur. Après lecture, Nous avons
signé avec la déclarante et les témoins ».
Cet acte de décès ne mentionne pas le lieu
d’inhumation. L’extrait est rédigé « sur
papier libre pour indigence constaté par le bourgmestre de Liège». Ce qui
ne veut pas dire qu’il est enterré comme indigent. Mais cela m’incite à ne pas
se limiter aux cimetières de Foxhalle et de Rhées dans la recherche. Il est
vrai que Bavière envoyait la facture pour les soins à la commune où le malade
était domicilié (avec des difficultés énormes pour faire payer ces communes),
mais on ne saurait exclure qu’il a été inhumé à Liège.
Retour en Slovaquie
La veuve et ses trois
enfants ont continué à vivre à La Préalle avec des ressources probablement très
limitées. Un an après ce décès la vie se complexifia encore un peu plus avec
les menaces de guerre. Le 7
octobre 1938 les représentants slovaques au parlement Tchécoslovaque obtiennent l'autonomie pour la Slovaquie. Jozef Tiso, un prêtre
catholique qui dirigeait le Parti du peuple slovaque, devient le Premier
ministre du gouvernement autonome slovaque. Le 15 mars 1939, lors de l'occupation de Prague par les
troupes allemandes, la Slovaquie déclare son indépendance sur invitation d’Hitler.
Drôle d’indépendance où le lendemain, les troupes allemandes occupent la partie
Ouest de la Slovaquie et un « traité de
protection » subordonne formellement au Reich la politique slovaque
dans les domaines économique, militaire et diplomatique.
C’est dans ces
conditions que la famille retourne en train en Slovaquie en fin d’été 1941. Herstal
raye la famille du registre d’Etat civil en octobre 1941.
C’est ici que se termine notre
micro-histoire. Le micro-historien que je suis fait suivre au lecteur l’ordre de l’enquête
historique plutôt que celui d’événements ou d’une vie. Le but est bien de faire
partager au lecteur les émotions de l’historien, de « recréer une expérience de
découverte». J’espère avoir réussi à vous faire partager les émotions de mon
ami (qui communique avec le petit-fils de Jan, je le répète, via Google
Translate) et de toutes ces personnes qui ont contribué à reconstituer (très
partiellement) le passage de cette famille de mineur en Wallonie: le préposé du
cimetière de Rhees, l'Administration communale de Herstal, Walthère Fransen, Bruno Guidolin du CLADIC (Blegny
Mine), M. Thierry Delplancq, archiviste à la Louviere, la dame qui s’occupe des archives de l’hôpital de
Bavière, la ville de Liège, la paroisse de la Préalle et le musée de Herstal.
Pour le reste, le titre « micro-histoire »
est peut-être un peu prétentieux. Il y a trop d’inconnues dans notre récit pour
pouvoir situer correctement le parcours de cet homme dans son époque : les
agences de recrutement pour les charbonnages en Tchécoslovaquie, la couverture
en soins de santé pour les mineurs immigrés (avec notamment cette question
lancinante de la coïncidence de son fin de contrat et son entrée à l’hôpital),
et puis les raisons qui ont poussé cette famille à retourner en Slovaquie.
Le petit-fils Ivan Blazeniak ne retrouvera
peut-être pas le cimetière où son grand-père a été inhumé. Et le fait que
l’acte de décès a été rédigé « sur
papier libre pour indigence » ne permet pas de déduire qu’il a eu un
enterrement d’indigent. De toute façon, indigent ou pas, la chance que la tombe
soit toujours là est pratiquement nulle. Dans le meilleur de cas, il trouvera son
nom dans le livre des inhumations.
Mais il a ce livret au CLADIC à Blegny-Mine –
où Ivan est d’ailleurs passé, sans connaître l’existence de ce livret ,- comme trace
tangible de son passage au Pays de Liège. Et puis, il y a cette photo avec le
formulaire d’inscription comme étranger au Borinage. Il a un endroit où il
pourra se recueillir sur la vie difficile de son grand-père, qui s'est terminé
de manière si tragique, et le parcours mouvementé de sa grand-mère, mère et
oncles, dans un contexte de préparatifs du deuxième conflit mondial.
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