lundi 21 octobre 2019

Des logements sociaux de type Mulhouse : une longue histoire

La cité Muller à Mulhouse été 2019

Lors de notre dernière balade-santé MPLP Herstal nous sommes passés devant les maisons sociales de la rue des Vignerons – rue Adolphe Borgnet, de type Mulhouse: quatre maisons avec les jardins autour.
Ce type de maisons a été présenté par l’architecte Emile Muller à l’expo universelle de Londres de 1855. Muller travaillait pour la Société mulhousienne des cités ouvrières (SOMCO), créée en 1853 pour répondre à la pression démographique due à l’essor industriel de Mulhouse. Pour le Conseil supérieur d’Hygiène publique belge c’était un modèle à suivre.
Le principe de construction consiste en un groupement de 4 maisons en un seul bloc, en carré, avec 4 jardins d’angle, certes privés mais soumis aux regards. Le quart de la maçonnerie étant commune, ainsi que la toiture, les citernes, les puits et les fosses, l’économie est appréciable. Il est indispensable de disposer de parcelles implantées entre deux voies publiques, comme c’est le cas de la rue des Vignerons – rue Adolphe Borgnet à Liège Saint-Léonard. Les cités belges de ce type sont de taille plus réduite que le modèle français (920 maisons !). On en rencontre encore à Grivegnée rue Kinet et au Longdoz, rue de Mulhouse http://www.monquartierlelongdoz.net/pages/suppl.html.

Mulhouse : la requalification de la Cité Muller reprise dans le Grand projet de Ville

Le modèle a été peu appliqué en dehors de Mulhouse. C’est pourtant devenu une référence au niveau européen. La ville a invité, à l’occasion du 150ième anniversaire de la cité emblématique, un grand architecte, Jean Nouvel, à revisiter ce modèle. La requalification du quartier de la Cité Muller est reprise dans le GPV (Grand projet de Ville).
Cet été nous étions dans le coin et j’’ai été voir cette cité, ou plutôt les cités, construites en plusieurs phases. Au service de tourisme la préposée ne sait pas très bien et s’adresse à la dame à côté de moi qui explique. La dame du tourisme réagit : « on ne va quand même pas les envoyer là ? Il n’y a que des kebabs ». On dirait qu’à Mulhouse les sentiments sont mitigés par rapport à cette cité. Et pourtant, elle vaut le détour. 165 ans plus tard, cette cité est encore bien vivante (avec des kebabs !), malgré les friches industrielles tout autour, et les parkings énormes le long de la rivière Ill, qui séparent la cité du centre-ville. Il n’y a que les Halles dumarché restaurées, place Adolphe May, qui invitent à visiter ce quartier.

Ces cités ont évidemment été construits avant la généralisation de la bagnole, et c’est intéressant comment les habitants s’arrangent pour garer leurs engins dans ces rues étroites (les rue latérales avec leurs 2,50 mètres de large ne font pas peur aux riverains, qui se garent sans soucis devant leur entrée, sans certitude de pouvoir repartir puisque les voisins ont fait de même.
C’est l’architecte Paul Chemetov qui le disait en 2011 : « Quand vous travaillez à concevoir un habitat collectif, vous ne pouvez pas connaître les futurs habitants mais il faut vous en inquiéter. Il faut regarder avec bienveillance les mœurs, leur évolution, voir comment vos bâtiments sont habités, aller quelques fois dans les réunions de locataires, entendre des inepties et des remarques très profondes. Une maison, un bâti quelconque, selon la façon dont on le construit aujourd’hui, va durer cent ans. On ne peut donc pas se projeter cent ans en avant… Il faut tendanciellement rendre les maisons transformables, réparables, perfectibles. Freud disait que la réparation est gratifiante. Nous sommes tous angoissés par la fin, la mort des maisons et notre propre mort. Les maisons se fissurent et nous nous ridons. Un jour, elles tombent et nous tombons. La réparation est une activité mentalement réparatrice ».
A Mulhouse, l’architecte Muller ne connaissait pas les habitants de 2019, mais ses maisons ont été conçues comme transformables, il y a un siècle et demi.

La Société mulhousienne des cités ouvrières de 1853

Carré Mulhousien 1855 Coll.Archives Mulhouse.
La Société mulhousienne des cités ouvrières (SOMCO) est créée en 1853 à l’initiative de douze fondateurs–actionnaires dont Jean Dollfus, patron de Dollfus-Mieg et Compagnie, dans la logique philanthropique et paternaliste de l’époque, pour répondre à la pression démographique due à l’essor industriel de Mulhouse. 
A côté d’une logique philanthropique a joué aussi la poussée révolutionnaire de 1848 qui incite les industriels mulhousiens à se tenir à l’écoute, dans leur intérêt bien compris, des aspirations ouvrières. Les élites sont ainsi amenées à repenser l’épargne ouvrière, liée à  l’encouragement à l’accession à la propriété. La location-vente permet aux acquéreurs de devenir propriétaires du logement en quinze ans en échange d’un acompte de 250 francs et des mensualités de 20 francs. Les maisons sont vendues au prix de revient, mais à une époque où la nourriture absorbe les deux-tiers des salaires, il est difficile de consacrer 17% de son budget au logement.
Devenue société anonyme d’HLM en 1923, la SOMCO est toujours là et gère un patrimoine immobilier sur toute l’Alsace de 5 650 logements sociaux.

Evolution d’une typologie

Dessin Lancelot, s.d.
Coll. Archives municipales de Mulhouse
Comme souvent, les cités ne sont pas édifiées sur les terrains les plus intéressantsmais sur des terrains agricoles inondables asséchés par un canal de décharge de l’Ill. Tout autour sont installées plusieurs usines importantes, surtout textiles (filatures, tissages, usines d’impression sur étoffes). L’emplacement présente deux inconvénients: les fumées des usines et la remontée des eaux dans les caves, en cas de fortes pluies.
La typologie de la première cité est encore hésitante, avec trois types différents pour 320 logements. Les plus économiques sont les maisons contiguës en bande et adossées : l’isolation est bonne car, à l’exception des maisons situées en coin, trois façades sur quatre touchent un voisin. Ces maisons comportent cependant moins de pièces que les autres modèles, vu qu’il n’y a qu’une façade libre pour les fenêtres. Les maisons en bande, avec cour et jardin, sont les moins nombreuses : le nombre de pièces est plus élevé, mais aussi le coût.
En  1855 est construite la seconde cité sur 55 hectares, 660 logements, de deux types seulement : les maisons adossées en bande et le carré, un grand carré regroupant quatre petits carrés, donc quatre
Parcelles cadastrales cité Mulhouse
 geoportail.gouv.fr
logements. Le «carré mulhousien» devient la règle. Ce dernier type de logement est plus petit que dans la première cité : 46 m² contre 50 m², soit une petite cuisine et une salle de séjour au premier niveau et deux chambres à l’étage.
 En 1876, la cité compte 6 551 habitants, soit plus de 11% de la population de Mulhouse dans 920 logements unifamiliaux (soit environ sept personnes par logement). La première cité compte 200 maisons, la deuxième 720.
Puis, sur les quinze derniers hectares sont encore construits 383 logements jusqu’en 1897. L’Alsace est allemande depuis 1871 et je suppose que le système social Bismarckien a joué un rôle. Au lieu du logement mono-familial, un nouveau modèle de maison à trois logements indépendants est lancé: le propriétaire occupe l'un d'eux et loue le reste.  Ils sont plus grands à partir de 1887, et plus hauts –jusqu’à 11 mètres contre 9 mètres auparavant– et d’une surface allant de 72 m² jusqu’à 139 m². Comme au bout d'une quinzaine d'années, les habitants deviennent propriétaires, cela change de fond en comble l’aspect de la Cité. Pour les propriétaires, le premier impératif est de gagner de la place, pour sous-louer une partie de l'habitation. Les bâtiments d'un seul niveau sont systématiquement surélevés, certains greniers sont transformés et dotés de mansardes. Des espaces sont gagnés sur les jardins, si bien que les «carrés mulhousiens» deviennent désormais difficiles à lire. Les pergolas et gloriettes – et plus tard des garages - sont des éléments de décor de plus en plus présents.
La grande place centrale prévue initialement pour des commerces, des bains et lavoirs a été réduite et c’est actuellement un espace vert avec jeux pour enfants. Le métallo que je suis est évidemment séduite par l’église Saint-Joseph, avec sa nef métallique, et son absence de parvis, et cela pour une très bonne raison : éviter l’attroupement des ouvriers après la messe. Quand je disais que le paternalisme était bien présent… Attention : cette structure métallique est une question de sous, pas de technologie. Jean Dollfus qui avait offert le terrain demanda à ce que l'église soit construite en moins de deux ans avec un budget limité. L'architecte Jules Scherr remporte le concours pour son coût peu élevé, avec cette structure métallique visible à l'intérieur…

Des patrons protestants adeptes du saint-simonisme

Claude Henri de Rouvroy de Saint-Simon
L’industriel du textile Frédéric Engel-Dollfus est protestant, et adepte du saint-simonisme. Ce Saint-Simon n’est pas un saint, il veut remplacer l'idée abstraite de Dieu par la loi universelle de la gravitation. Il s'oppose à tout privilège et droit de naissance. L'industrie doit prendre le pas dans la société. Les industriels sont invités à former un parti et à prendre le pouvoir.
Pour Dollfus, « le patron doit plus à l’ouvrier que son salaire. Il est de son devoir de s’occuper de la condition morale et physique de ses ouvriers, et cette obligation, toute morale et qu’aucune espèce de salaire ne saurait remplacer, doit primer les intérêts particuliers ». Il organise une caisse de secours et de retraite, des assurances collectives, un asile de vieillards, une société d’encouragement à l’épargne et  des écoles. « L’Association préventive des accidents » étudie et applique les moyens de parer aux dangers auxquels les machines exposaient les ouvriers.
Les tenants du culte réformé représentent, en 1851, 72% des patrons, contre seulement 3% de la population totale du Haut-Rhin. Or dans la religion protestante, le travail est l’essence-même de la vie, le lieu, voulu par Dieu, de l’expression des vertus individuelles. Répugner à s’accomplir par le travail, c’est montrer son inéligibilité à la grâce divine.
C’est bien cet ascétisme au travail qu’Emile Souvestre dépeint encore en 1836 :« Cet homme qui gagne un million par an a moins de loisir que le plus pauvre de ses ouvriers : il se lève avant le soleil, passe le jour au milieu des miasmes fétides de l’atelier, et se délasse le soir en parcourant les colonnes de chiffres de son grand-livre ; mais c’est sa joie. Dieu eut besoin de se reposer le septième jour de la création ; mais le Mulhousien est plus robuste que Dieu ».

Le Rebberg, le quartier des riches, des bourges, des friqués

C’est donc cela le profil des fondateurs–actionnaires de la Somco. Mais avant de construire leurs cités, les patrons protestants se sont servis eux-mêmes
En 1826 est lancé le projet d’un Nouveau Quartier, avec le concours de Jean Dollfus : «un jardin triangulaire entouré d’immeubles à arcades ouvertes, à l’imitation parisienne du style Empire, d’une ordonnance néoclassique, symbolisant la réussite économique des pionniers industriels. »
Et ce Nouveau Quartier n’est qu’un début. La seconde génération des élites protestantes mulhousiennes se libère vite de toute mauvaise conscience à l’égard de sa réussite sociale et consent à jouir de sa fortune, parfois colossale. Les membres de la caste industrielle se replient, dans la seconde moitié du siècle, dans le vignoble ou autour de la ville, le Rebberg où ils édifient de somptueuses villas. Après 1870, les plus riches investiront aussi dans quelques châteaux en France et en Suisse.
Selon l’historien Louis Bergeron, la pieuse légende de l’austérité mulhousienne «ne survit pas à l’accumulation de fortunes industrielles considérables. Comment, dès lors, résister à la tentation d’affirmer par l’étalage du luxe et la mondanité de la vie, que l’industriel a définitivement cessé d’être le parent pauvre du banquier et du grand négociant ? »

Le temple Saint-Etienne

La construction du temple Saint-Etienne est aussi typique pour cette mentalité. Les patrons optent pour un style ogival néogothique. Certains critiquent  «un style trop orné pour s’accorder avec la simplicité des cérémonies du culte protestant». Les initiateurs rejettent ces objections stylistiques. Leurs arguments illustrent le basculement progressif du protestantisme mulhousien de l’austérité vers la flamboyance: «On comprend bien qu’une église principale, élevée au centre de la ville et sur la plus grande place, exige un certain luxe d’architecture ; il faut donc que l’orthodoxie fasse ici une concession, conforme du reste aux sentiments et aux dispositions de la population protestante. C’est précisément parce que le culte protestant exclut toute ornementation intérieure par des tableaux et des statues qu’il convient que l’architecture par une certaine richesse vienne amoindrir cette trop grande simplicité et c’est alors l’architecture seule qui constitue l’église, qui sans elle deviendrait amphithéâtre ou salle de spectacle. »
Attention ce qui a joué aussi est la construction presque simultanée de l’église catholique Saint-Etienne du même nom. Cette émulation interconfessionnelle se mue bientôt en rivalité, alors même que s’est amorcé le basculement de l’équilibre des forces démographiques au profit du camp catholique, dans une ville dont les élites demeurent culturellement attachées à la religion réformée.
Le temple Saint-Etienne de Mulhouse est encore aujourd’hui l’édifice protestant le plus haut de France, avec sa flèche culminant à 97 mètres. Nous aurions bien voulu la visiter en cet été 2019, parce que l’architecte a réussi l’exploit d’aménager dans une coquille néogothique unplan typique d'un édifice du culte réformé: une nef-halle à trois vaisseaux d'égale hauteur, des vaisseaux latéraux divisés dans le sens de la hauteur par des tribunes qui forment un U, le tout face à la table de communion placée en face de l'entrée principale et surmontée de la chaire, elle-même surmontée de l'orgue.  Une visite sera pour plus tard : on est en train de la restaurer. Le temple est classé aux « Monuments historiques » depuis 1995.

La Cité Manifeste

Un siècle et demi plus tard, en 2005, la vénérable Société mulhousienne des cités ouvrières demande à cinq agences d'architectes - Jean Nouvel (AJN, Paris); Duncan Lewis Scape Architecture & Block (Angers, Nantes), Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal (Paris) Matthieu Poitevin et Pascal Reynaud (Art'M Architecture, Marseille), Shigeru Ban et Jean de Gastines (Paris) - de concevoir une Cité Manifeste de 61 logements sociaux expérimentaux, pour célébrer le 150e anniversaire de la première cité ouvrière de France.
Cette Cité Manifeste se positionne en quelque sorte dans la suite des expositions d’architecture manifeste du Weissenhof (Stuttgart, 1927), ou le concours d'habitations à bon marché des membres belges des Congrès Internationaux d’Architecture Moderne (CIAM) au Tribouillet (Thier-à-Liège)
 Cette Cité Manifeste est incontestablement une réalisation emblématique du logement du XXIième siècle. D’abord, la cité nouvelle contiguë à l’ancienne cité ouvrière assure l’unité par le simple
prolongement des venelles de la seconde et par la continuation du gabarit de ses maisons, fondé sur le «Carré mulhousien». A ce propos voir une étude de cas https://www.behance.net/gallery/15203857/Cit-manifeste-mulhouse-Etude-de-cas
Le projet vise la cohabitation entre les deux populations, en raison de la porosité des espaces intermédiaires.
Ces cinq agences ont aussi fait un travail intéressant sur la modularité et la transversalité, des  configurations susceptibles de favoriser la sociabilité. C’est aussi une réflexion pratique sur l’aménagement de l’espace social partagé, un arbitrage nouveau entre l’espace « privé » et l’espace « public ». Il y a des espaces réinscriptibles, avec entre autres les serres-appartements d’Anne Lacaton (Les transparences d'Anne Lacaton - Le Soir 2 juin 2012). Tout ça est facilité par les grandes surfaces au sol, les grandes surfaces vitrées, de grandes hauteurs sous plafond.
Le directeur de la SOMCO P. Zemp avait défini trois axes au départ:
- Le rôle central et actif du locataire : offrir aux habitants la capacité « de s’approprier leur propre
environnement. Non seulement intérieur mais aussi extérieur. La conjugaison entre parties privatives et parties communes, espace privé et espace public ». Une partie du budget a d’ailleurs été prévu pour des modifications demandées par les premiers locataires.
- La convivialité : « créer une ambiance de quartier, créer la discussion. D’où cette hiérarchisation des espaces qui permet ensuite de créer la convivialité »
- Un bon équilibre entre le jardin, la verdure et le logement, comme l’avait fait Emile Muller en 1853.
- Le choix de la maison individuelle renvoie aussi à la Cité ouvrière de 1853 : « Pour fixer les ouvriers, les patrons protestants avaient préféré la solution des maisons particulières à celle des logements collectifs. Réactiver ce modèle peut être d’actualité».
 « Donner plus avec autant, voire avec un budget moindre, en quantité de surfaces et en degré de liberté d’usage » : la règle première de Jean Nouvel d’augmenter le logement a été manifestement partagée par l’ensemble des concepteurs qui proposent tous un surcroît de surface et/ou un travail sur l’effacement des limites du logement.
Cette augmentation du logement prétend se reposer sur les nouveaux préceptes du développement durable, en introduisant des espaces de qualité variable par les jeux de régulation thermique dont ils sont supports. L’espace en plus est théoriquement un instrument de gestion, augmentant la performance énergétique du bâti, tout en offrant un potentiel de création et de variation d’ambiances à l’intérieur du logement.
La pratique de ces nouveaux préceptes du développement durable est probablement l’aspect le plus décevant de cette Cité Manifeste: nous verrons plus loin comment Jean Nouvel interprète ces « nouveaux espaces de qualité variable»… (Analyse-évaluation de 2013).
Si cette Cité Manifeste lance une réflexion intéressante sur plusieurs axes, il y a aussi un aspect bling-bling très fort. En 2005, le chantier est livré à grand renfort de figures politiques et médiatiques. Le mois suivant, le journal Libération titrait sa première page  «Les nouvelles cités radieuses», en référence à la Cité Radieuse emblématique de Le Corbusier  (1947) 
Ici comparaison n'est pas raison – ou peut-être bien que si. Cette Cité Radieuse de Marseille, sur la liste du patrimoine mondial de l'UNESCO en 2016, a aussi été l’objet de critiques, au point où elle a eu difficile de trouver des locataires, malgré la crise du logement d’après guerre.
A Mulhouse aussi il y a eu des controverses, à commencer par les matériaux mis en œuvre : bois et acier, polycarbonate, bardage ondulé, tôle galvanisée, les arbres mis en cage, sols en béton (mal lissé), détournement de leurs usages des éléments d'ordinaire peu nobles (cabanes de chantier, serres agricoles).
Si au moment de son inauguration, la Cité Manifeste est bien accueillie, les locataires dans les bâtiments pensés par Jean Nouvel déchantent l'hiver venu en voyant leur compteur électrique défiler à vitesse grand V. Les ménages signent leur propre manifeste : «En moyenne, les sommes d'électricité mensuelles à payer pour avoir une température décente se sont élevées à 250 euros, soit le double de l'estimation initiale.» «Quand on met les radiateurs électriques en hiver, on essaie d'avoir 19 °C dans la pièce principale. C'est affolant parce que pour arriver à ça, ça fonctionne tout le temps !». Ajoutez un climatiseur pour l'été, cela porte la facture annuelle à 3 100 euros.
Et encore : «Personne ne se plaint de vivre dans une architecture contemporaine. Mais est-ce fait pour les gens qui y vivent ou est-ce juste un coup de pub ?» 1 500 euros par an, 15 °C en hiver, en enfilant pulls et chaussettes épaisses, c’est ça, ces « nouveaux espaces de qualité variable par les jeux de régulation thermique » ?
Jean Nouvel est le seul des architectes de la Cité Manifeste à avoir fait le choix du chauffage électrique ­ les autres ont opté pour le gaz, plus cher à l'investissement. Il exclut toute erreur de conception : «Il faut savoir quelles options on prend sur la qualité d'un appartement, on ne peut pas avoir tous les avantages sans aucun inconvénient. Je préfère avoir 60 m2 en plus et une température qui descend à 14 °C dans le séjour la nuit. Ce sont des appartements de taille exceptionnelle, jamais ils ne pourront être chauffés comme de petits espaces. Alors il faut aussi apprendre à bien habiter ces grands volumes, à couper le chauffage la nuit, pour ne pas se prendre de plein fouet les inconvénients des options qui ont été prises
Ce n’est pas très convaincant…
L’objet de mon blog n’est pas de porter un jugement global sur ce projet. Comme je l’ai dit, il y a eu une phase d’ajustement / rectification suite à l’installation des habitants. Chaque secteur a fait l’objet d’une réunion entre les locataires, l’architecte et le gestionnaire. Ce qui m’a frappé le plus, c’est que les critiques sur le chauffage-refroidissement ne sont pas l’apanage des bâtiments dessinés par le star-architecte Jean Nouvel. En fin de compte, les séries Poitevin+Reynaud, e Lacaton & Vassal et Ban+de Gastines qui souffrent de la pénibilité d’une forte surchauffe estivale. C’est beaucoup pour des architectes qui prétendent résoudre l’isolation thermique avec leurs espaces intermédiaires…
Dans le Secteur 4 aussi (30% des locataires présents) on se plaint des  difficultés de régulation du chauffage et problèmes de surchauffe en été à l’étage. Idem dans le Secteur 5 (70% des locataires présents) : problème de surchauffe en été (rideaux extérieurs, ventilation en sous-toiture, seconde couche d’isolant en toiture, stores d’occultation).
Dans un autre domaine, dans le passage des Rossignols, les architectes étaient partis du principe selon lequel ces rapports sociaux pouvaient se poursuivre dans les jardins, autour de diverses pratiques extérieures qui s’y jouent, et ne les avaient pas séparés de l’espace public. Ces objections ont pu être coorigées lors de la phase d’ajustement / rectification. Faisant valoir des problèmes d’insécurité pour les enfants et de nuisances liées à la présence d’animaux, les habitants ont rapidement demandé l’autorisation de mettre en place un grillage de séparation en limite de rue. Autorisation qui a été accordée.
Je termine avec ce qui peut paraître anecdotique : les garages été conçus comme une sorte de seconde pièce de vie et le second pôle fort du rez-de-chaussée : accueillant aussi bien la moto (et la baladeuse gaz permettant de tenir le moteur au chaud) que le panier du chat, un coin bricolage, la buanderie, une machine de musculation et divers rangements, cette pièce a été décisive pour certains locataires au moment du choix du logement.
Pour d’autres, ce lieu fait l’objet d’aménagements successifs ou cycliques, selon des temporalités diverses. Ainsi, le garage, en plus d’être un espace de rangement, est alternativement utilisé pour stationner la voiture ou pour des soirées jeux de cartes (espace fumeur).
Ces exemple ont été ceuilli dans l’évaluation d’une architecte et deux sociologues sur le projet de logements le plus novateur du XXIe siècle commençant. Cette évaluation est basée sur des rencontres avec les habitants (La Cité Manifeste à Mulhouse Analyse-évaluation Sabine Guth, Jean-Michel Léger– IPRAUS François-Xavier Trivière - Groupe Brémond Rapport final - 22 février2013).
Pour conclure : je ne vais surtout pas mettre cette Cité Manifeste sur un piédestal. Pour cela il y a trop de bling bling, et, surtout, trop de problèmes point de vue chauffage- refroidissement. C’est pour moi un échec pour l’architecte.
Mais, comme la Cité Muller d’il y a un bon siècle et demi, elle ouvre le débat. Un débat qui ne doit pas obscurcir le problème de fond – l’absence de moyens pour le logement social – mais qui, par contre, intelligemment et socialement appliqué, peut aboutir à des bouts de solution.




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