La cité Muller à Mulhouse été 2019 |
Lors de notre dernière balade-santé MPLP Herstal nous sommes passés devant les maisons sociales de la rue des Vignerons – rue Adolphe Borgnet, de type Mulhouse: quatre maisons avec les jardins autour.
Ce type de maisons a été présenté par
l’architecte Emile Muller à l’expo universelle de Londres de 1855. Muller
travaillait pour la Société mulhousienne des cités ouvrières (SOMCO), créée en
1853 pour répondre à la pression démographique due à l’essor industriel de
Mulhouse. Pour le Conseil supérieur d’Hygiène publique belge c’était un modèle
à suivre.
Le principe de construction consiste en un
groupement de 4 maisons en un seul bloc, en carré, avec 4 jardins d’angle,
certes privés mais soumis aux regards. Le quart de la maçonnerie étant commune,
ainsi que la toiture, les citernes, les puits et les fosses, l’économie est
appréciable. Il est indispensable de disposer de parcelles implantées entre
deux voies publiques, comme c’est le cas de la rue des Vignerons – rue Adolphe
Borgnet à Liège Saint-Léonard. Les cités belges de ce type sont de taille plus
réduite que le modèle français (920 maisons !). On en rencontre encore à
Grivegnée rue Kinet et au Longdoz, rue de Mulhouse
http://www.monquartierlelongdoz.net/pages/suppl.html.
Mulhouse : la requalification de la Cité Muller reprise dans le Grand projet de Ville
Le modèle a été peu appliqué en dehors de
Mulhouse. C’est pourtant devenu une référence au niveau européen. La ville a
invité, à l’occasion du 150ième anniversaire de la cité emblématique, un grand
architecte, Jean Nouvel, à revisiter ce modèle. La requalification du quartier
de la Cité Muller est reprise dans le GPV (Grand projet de Ville).
Cet été nous étions dans le coin et j’’ai été
voir cette cité, ou plutôt les cités, construites en plusieurs phases. Au
service de tourisme la préposée ne sait pas très bien et s’adresse à la dame à
côté de moi qui explique. La dame du tourisme réagit : « on ne va quand même pas les envoyer là ? Il n’y a que des kebabs
». On dirait qu’à Mulhouse les sentiments sont mitigés par rapport à cette cité.
Et pourtant, elle vaut le détour. 165 ans plus tard, cette cité est encore bien
vivante (avec des kebabs !), malgré les friches industrielles tout autour, et
les parkings énormes le long de la rivière Ill, qui séparent la cité du centre-ville. Il n’y a que les Halles dumarché restaurées, place Adolphe May, qui invitent à visiter ce quartier.
Ces cités ont évidemment été construits avant
la généralisation de la bagnole, et c’est intéressant comment les habitants
s’arrangent pour garer leurs engins dans ces rues étroites (les rue latérales
avec leurs 2,50 mètres de large ne font pas peur aux riverains, qui se garent
sans soucis devant leur entrée, sans certitude de pouvoir repartir puisque les
voisins ont fait de même.
C’est l’architecte Paul Chemetov qui le disait en 2011 : « Quand vous travaillez à
concevoir un habitat collectif, vous ne pouvez pas connaître les futurs
habitants mais il faut vous en inquiéter. Il faut regarder avec bienveillance
les mœurs, leur évolution, voir comment vos bâtiments sont habités, aller
quelques fois dans les réunions de locataires, entendre des inepties et des
remarques très profondes. Une maison, un bâti quelconque, selon la façon dont
on le construit aujourd’hui, va durer cent ans. On ne peut donc pas se projeter
cent ans en avant… Il faut tendanciellement rendre les maisons transformables,
réparables, perfectibles. Freud disait que la réparation est gratifiante. Nous
sommes tous angoissés par la fin, la mort des maisons et notre propre mort. Les
maisons se fissurent et nous nous ridons. Un jour, elles tombent et nous
tombons. La réparation est une activité mentalement réparatrice ».
A Mulhouse, l’architecte Muller ne connaissait
pas les habitants de 2019, mais ses maisons ont été conçues comme transformables,
il y a un siècle et demi.
La Société mulhousienne des cités ouvrières de 1853
Carré Mulhousien 1855 Coll.Archives Mulhouse. |
La Société mulhousienne des cités ouvrières (SOMCO) est créée en 1853 à
l’initiative de douze fondateurs–actionnaires dont Jean Dollfus, patron de
Dollfus-Mieg et Compagnie, dans la logique philanthropique et paternaliste de
l’époque, pour répondre à la pression démographique due à l’essor industriel de
Mulhouse.
A côté d’une logique philanthropique a joué
aussi la poussée révolutionnaire de 1848 qui incite les industriels mulhousiens
à se tenir à l’écoute, dans leur intérêt bien compris, des aspirations
ouvrières. Les élites sont ainsi amenées à repenser l’épargne ouvrière, liée
à l’encouragement à l’accession à la
propriété. La location-vente permet aux acquéreurs de devenir propriétaires du
logement en quinze ans en échange d’un acompte de 250 francs et des mensualités
de 20 francs. Les maisons sont vendues au prix de revient, mais à une époque où
la nourriture absorbe les deux-tiers des salaires, il est difficile de
consacrer 17% de son budget au logement.
Devenue société anonyme d’HLM en 1923, la
SOMCO est toujours là et gère un patrimoine immobilier sur toute l’Alsace de 5
650 logements sociaux.
Evolution d’une typologie
Dessin Lancelot, s.d. Coll. Archives municipales de Mulhouse |
Comme souvent, les cités ne sont pas édifiées sur les terrains les plus intéressants, mais sur des terrains agricoles inondables asséchés par un canal de décharge de
l’Ill. Tout autour sont installées plusieurs usines importantes, surtout
textiles (filatures, tissages, usines d’impression sur étoffes). L’emplacement
présente deux inconvénients: les fumées des usines et la remontée des eaux dans
les caves, en cas de fortes pluies.
La typologie de la première cité est encore hésitante, avec trois types différents pour 320 logements. Les plus économiques sont les maisons contiguës
en bande et adossées : l’isolation est bonne car, à l’exception des maisons
situées en coin, trois façades sur quatre touchent un voisin. Ces maisons
comportent cependant moins de pièces que les autres modèles, vu qu’il n’y a qu’une
façade libre pour les fenêtres. Les maisons en bande, avec cour et jardin, sont
les moins nombreuses : le nombre de pièces est plus élevé, mais aussi le coût.
En 1855
est construite la seconde cité sur 55 hectares, 660 logements, de deux types
seulement : les maisons adossées en bande et le carré, un grand carré
regroupant quatre petits carrés, donc quatre
Parcelles cadastrales cité Mulhouse geoportail.gouv.fr |
Puis, sur les quinze derniers hectares sont
encore construits 383 logements jusqu’en 1897. L’Alsace est allemande depuis
1871 et je suppose que le système social Bismarckien a joué un rôle. Au lieu du
logement mono-familial, un nouveau modèle de maison à trois logements
indépendants est lancé: le propriétaire occupe l'un d'eux et loue le
reste. Ils sont plus grands à partir de
1887, et plus hauts –jusqu’à 11 mètres contre 9 mètres auparavant– et d’une
surface allant de 72 m² jusqu’à 139 m². Comme au bout d'une quinzaine d'années,
les habitants deviennent propriétaires, cela change de fond en comble l’aspect
de la Cité. Pour les propriétaires, le premier impératif est de gagner de la
place, pour sous-louer une partie de l'habitation. Les bâtiments d'un seul
niveau sont systématiquement surélevés, certains greniers sont transformés et
dotés de mansardes. Des espaces sont gagnés sur les jardins, si bien que les
«carrés mulhousiens» deviennent désormais difficiles à lire. Les pergolas et
gloriettes – et plus tard des garages - sont des éléments de décor de plus en
plus présents.
La grande place centrale prévue initialement
pour des commerces, des bains et lavoirs a été réduite et c’est actuellement un
espace vert avec jeux pour enfants. Le métallo que je suis est évidemment
séduite par l’église Saint-Joseph, avec sa nef métallique, et son absence de
parvis, et cela pour une très bonne raison : éviter l’attroupement des ouvriers
après la messe. Quand je disais que le paternalisme était bien présent…
Attention : cette structure métallique est une question de sous, pas de
technologie. Jean Dollfus qui avait offert le terrain demanda à ce que l'église
soit construite en moins de deux ans avec un budget limité. L'architecte Jules
Scherr remporte le concours pour son coût peu élevé, avec cette structure
métallique visible à l'intérieur…
Des patrons protestants adeptes du saint-simonisme
Claude Henri de Rouvroy de Saint-Simon |
L’industriel du textile Frédéric Engel-Dollfus
est protestant, et adepte du saint-simonisme. Ce Saint-Simon n’est pas un saint, il veut remplacer l'idée abstraite de Dieu
par la loi universelle de la gravitation. Il s'oppose à tout privilège et droit
de naissance. L'industrie doit prendre le pas dans la société. Les industriels
sont invités à former un parti et à prendre le pouvoir.
Pour Dollfus, « le patron doit plus à l’ouvrier que son salaire. Il est de son devoir
de s’occuper de la condition morale et physique de ses ouvriers, et cette
obligation, toute morale et qu’aucune espèce de salaire ne saurait remplacer,
doit primer les intérêts particuliers ». Il organise une caisse de secours
et de retraite, des assurances collectives, un asile de vieillards, une société
d’encouragement à l’épargne et des écoles.
« L’Association préventive des accidents
» étudie et applique les moyens de parer aux dangers auxquels les machines
exposaient les ouvriers.
Les tenants du culte réformé représentent, en 1851, 72% des patrons, contre
seulement 3% de la population totale du Haut-Rhin. Or dans la religion
protestante, le travail est l’essence-même de la vie, le lieu, voulu par Dieu,
de l’expression des vertus individuelles. Répugner à s’accomplir par le
travail, c’est montrer son inéligibilité à la grâce divine.
C’est bien cet ascétisme au travail qu’Emile
Souvestre dépeint encore en 1836 :« Cet
homme qui gagne un million par an a moins de loisir que le plus pauvre de ses
ouvriers : il se lève avant le soleil, passe le jour au milieu des miasmes
fétides de l’atelier, et se délasse le soir en parcourant les colonnes de
chiffres de son grand-livre ; mais c’est sa joie. Dieu eut besoin de se reposer
le septième jour de la création ; mais le Mulhousien est plus robuste que Dieu
».
Le Rebberg, le quartier des riches, des bourges, des friqués
C’est donc cela le profil des
fondateurs–actionnaires de la Somco. Mais avant de construire leurs cités, les
patrons protestants se sont servis eux-mêmes
En 1826 est lancé le projet d’un Nouveau
Quartier, avec le concours de Jean Dollfus : «un jardin triangulaire entouré d’immeubles à arcades ouvertes, à
l’imitation parisienne du style Empire, d’une ordonnance néoclassique,
symbolisant la réussite économique des pionniers industriels. »
Et ce Nouveau Quartier n’est qu’un début. La
seconde génération des élites protestantes mulhousiennes se libère vite de
toute mauvaise conscience à l’égard de sa réussite sociale et consent à jouir
de sa fortune, parfois colossale. Les membres de la caste industrielle se
replient, dans la seconde moitié du siècle, dans le vignoble ou autour de la
ville, le Rebberg où ils édifient de somptueuses villas. Après 1870, les plus riches investiront
aussi dans quelques châteaux en France et en Suisse.
Selon l’historien Louis Bergeron, la pieuse
légende de l’austérité mulhousienne «ne
survit pas à l’accumulation de fortunes industrielles considérables. Comment,
dès lors, résister à la tentation d’affirmer par l’étalage du luxe et la
mondanité de la vie, que l’industriel a définitivement cessé d’être le parent
pauvre du banquier et du grand négociant ? »
Le temple Saint-Etienne
La construction du temple Saint-Etienne est
aussi typique pour cette mentalité. Les patrons optent pour un style ogival
néogothique. Certains critiquent «un style trop orné pour s’accorder avec la
simplicité des cérémonies du culte protestant». Les initiateurs rejettent ces
objections stylistiques. Leurs arguments illustrent le basculement progressif
du protestantisme mulhousien de l’austérité vers la flamboyance: «On comprend bien qu’une église principale,
élevée au centre de la ville et sur la plus grande place, exige un certain luxe
d’architecture ; il faut donc que l’orthodoxie fasse ici une concession,
conforme du reste aux sentiments et aux dispositions de la population
protestante. C’est précisément parce que le culte protestant exclut toute
ornementation intérieure par des tableaux et des statues qu’il convient que
l’architecture par une certaine richesse vienne amoindrir cette trop grande
simplicité et c’est alors l’architecture seule qui constitue l’église, qui sans
elle deviendrait amphithéâtre ou salle de spectacle. »
Attention ce qui a joué aussi est la construction presque simultanée de l’église catholique Saint-Etienne du même
nom. Cette émulation interconfessionnelle se mue bientôt en rivalité, alors
même que s’est amorcé le basculement de l’équilibre des forces démographiques
au profit du camp catholique, dans une ville dont les élites demeurent
culturellement attachées à la religion réformée.
Le temple Saint-Etienne de Mulhouse est encore
aujourd’hui l’édifice protestant le plus haut de France, avec sa flèche
culminant à 97 mètres. Nous aurions bien voulu la visiter en cet été 2019, parce
que l’architecte a réussi l’exploit d’aménager dans une coquille néogothique unplan typique d'un édifice du culte réformé: une nef-halle à trois vaisseaux d'égale hauteur, des vaisseaux latéraux
divisés dans le sens de la hauteur par des tribunes qui forment un U, le tout
face à la table de communion placée en face de l'entrée principale et surmontée
de la chaire, elle-même surmontée de l'orgue. Une visite sera pour plus tard : on est
en train de la restaurer. Le temple est classé aux « Monuments historiques »
depuis 1995.
La Cité Manifeste
Un siècle et demi plus tard, en 2005, la
vénérable Société mulhousienne des cités ouvrières demande à cinq agences
d'architectes - Jean Nouvel (AJN, Paris); Duncan Lewis Scape Architecture &
Block (Angers, Nantes), Anne Lacaton et Jean-Philippe Vassal (Paris) Matthieu
Poitevin et Pascal Reynaud (Art'M Architecture, Marseille), Shigeru Ban et Jean
de Gastines (Paris) - de concevoir une Cité Manifeste de 61 logements sociaux
expérimentaux, pour célébrer le 150e anniversaire de la première cité ouvrière
de France.
Cette Cité Manifeste se positionne en quelque sorte dans la suite des
expositions d’architecture manifeste du Weissenhof (Stuttgart, 1927), ou le concours
d'habitations à bon marché des membres belges des Congrès Internationaux
d’Architecture Moderne (CIAM) au Tribouillet (Thier-à-Liège).
prolongement des venelles de la seconde et par
la continuation du gabarit de ses maisons, fondé sur le «Carré mulhousien». A
ce propos voir une étude de cas https://www.behance.net/gallery/15203857/Cit-manifeste-mulhouse-Etude-de-cas
Le projet vise la cohabitation entre les deux
populations, en raison de la porosité des espaces intermédiaires.
Ces cinq agences ont aussi fait un travail
intéressant sur la modularité et la transversalité, des configurations susceptibles de favoriser la
sociabilité. C’est aussi une réflexion pratique sur l’aménagement de l’espace
social partagé, un arbitrage nouveau entre l’espace « privé » et l’espace «
public ». Il y a des espaces réinscriptibles, avec entre autres les
serres-appartements d’Anne Lacaton (Les transparences d'Anne Lacaton - Le Soir
2 juin 2012). Tout ça est facilité par les grandes surfaces au sol, les grandes
surfaces vitrées, de grandes hauteurs sous plafond.
Le directeur de la SOMCO P. Zemp avait défini
trois axes au départ:
- Le rôle central et actif du locataire :
offrir aux habitants la capacité « de s’approprier leur propre
environnement. Non seulement intérieur mais
aussi extérieur. La conjugaison entre parties privatives et parties communes,
espace privé et espace public ». Une partie du budget a d’ailleurs été prévu
pour des modifications demandées par les premiers locataires.
- La convivialité : « créer une ambiance de
quartier, créer la discussion. D’où cette hiérarchisation des espaces qui
permet ensuite de créer la convivialité »
- Un bon équilibre entre le jardin, la verdure
et le logement, comme l’avait fait Emile Muller en 1853.
- Le choix de la maison individuelle renvoie
aussi à la Cité ouvrière de 1853 : « Pour
fixer les ouvriers, les patrons protestants avaient préféré la solution des
maisons particulières à celle des logements collectifs. Réactiver ce modèle
peut être d’actualité».
« Donner plus avec autant, voire avec un
budget moindre, en quantité de surfaces et en degré de liberté d’usage » :
la règle première de Jean Nouvel d’augmenter le logement a été manifestement
partagée par l’ensemble des concepteurs qui proposent tous un surcroît de
surface et/ou un travail sur l’effacement des limites du logement.
Cette augmentation du logement prétend se
reposer sur les nouveaux préceptes du développement durable, en introduisant des
espaces de qualité variable par les jeux de régulation thermique dont ils sont
supports. L’espace en plus est théoriquement un instrument de gestion,
augmentant la performance énergétique du bâti, tout en offrant un potentiel de
création et de variation d’ambiances à l’intérieur du logement.
La pratique de ces nouveaux préceptes du
développement durable est probablement l’aspect le plus décevant de cette Cité
Manifeste: nous verrons plus loin comment Jean Nouvel interprète ces « nouveaux espaces de qualité variable»…
(Analyse-évaluation de 2013).
Si cette Cité Manifeste lance une réflexion
intéressante sur plusieurs axes, il y a aussi un aspect bling-bling très fort. En 2005, le chantier est livré à grand renfort de figures politiques et médiatiques. Le mois suivant, le journal Libération titrait sa première
page «Les nouvelles cités radieuses», en référence à la Cité Radieuse
emblématique de Le Corbusier (1947)
Ici comparaison n'est pas raison – ou
peut-être bien que si. Cette Cité Radieuse de Marseille, sur la liste du
patrimoine mondial de l'UNESCO en 2016, a aussi été l’objet de critiques, au
point où elle a eu difficile de trouver des locataires, malgré la crise du
logement d’après guerre.
A Mulhouse aussi il y a eu des controverses, à
commencer par les matériaux mis en œuvre : bois et acier, polycarbonate,
bardage ondulé, tôle galvanisée, les arbres mis en cage, sols en béton (mal
lissé), détournement de leurs usages des éléments d'ordinaire peu nobles
(cabanes de chantier, serres agricoles).
Si au moment de son inauguration, la Cité Manifeste est bien accueillie, les
locataires dans les bâtiments pensés par Jean Nouvel déchantent l'hiver venu en
voyant leur compteur électrique défiler à vitesse grand V. Les ménages signent
leur propre manifeste : «En moyenne,
les sommes d'électricité mensuelles à payer pour avoir une température décente
se sont élevées à 250 euros, soit le double de l'estimation initiale.» «Quand on met les radiateurs électriques en
hiver, on essaie d'avoir 19 °C dans la pièce principale. C'est affolant parce
que pour arriver à ça, ça fonctionne tout le temps !». Ajoutez un
climatiseur pour l'été, cela porte la facture annuelle à 3 100 euros.
Et encore : «Personne ne se plaint de vivre dans une architecture contemporaine.
Mais est-ce fait pour les gens qui y vivent ou est-ce juste un coup de pub ?»
1 500 euros par an, 15 °C en hiver, en enfilant pulls et chaussettes épaisses,
c’est ça, ces « nouveaux espaces de
qualité variable par les jeux de régulation thermique » ?
Jean Nouvel est le seul des architectes de la
Cité Manifeste à avoir fait le choix du chauffage électrique les autres ont
opté pour le gaz, plus cher à l'investissement. Il exclut toute erreur de
conception : «Il faut savoir quelles
options on prend sur la qualité d'un appartement, on ne peut pas avoir tous les
avantages sans aucun inconvénient. Je préfère avoir 60 m2 en plus et une
température qui descend à 14 °C dans le séjour la nuit. Ce sont des appartements
de taille exceptionnelle, jamais ils ne pourront être chauffés comme de petits
espaces. Alors il faut aussi apprendre à bien habiter ces grands volumes, à
couper le chauffage la nuit, pour ne pas se prendre de plein fouet les
inconvénients des options qui ont été prises.»
Ce n’est pas très convaincant…
L’objet de mon blog n’est pas de porter un
jugement global sur ce projet. Comme je l’ai dit, il y a eu une phase
d’ajustement / rectification suite à l’installation des habitants. Chaque
secteur a fait l’objet d’une réunion entre les locataires, l’architecte et le
gestionnaire. Ce qui m’a frappé le plus, c’est que les critiques sur le
chauffage-refroidissement ne sont pas l’apanage des bâtiments dessinés par le
star-architecte Jean Nouvel. En fin de compte, les séries Poitevin+Reynaud, e
Lacaton & Vassal et Ban+de Gastines qui souffrent de la pénibilité d’une
forte surchauffe estivale. C’est beaucoup pour des architectes qui prétendent
résoudre l’isolation thermique avec leurs espaces intermédiaires…
Dans le Secteur 4 aussi (30% des locataires
présents) on se plaint des difficultés
de régulation du chauffage et problèmes de surchauffe en été à l’étage. Idem dans
le Secteur 5 (70% des locataires présents) : problème de surchauffe en été
(rideaux extérieurs, ventilation en sous-toiture, seconde couche d’isolant en
toiture, stores d’occultation).
Dans un autre domaine, dans le passage des
Rossignols, les architectes étaient partis du principe selon lequel ces
rapports sociaux pouvaient se poursuivre dans les jardins, autour de diverses
pratiques extérieures qui s’y jouent, et ne les avaient pas séparés de l’espace
public. Ces objections ont pu être coorigées lors de la phase d’ajustement /
rectification. Faisant valoir des problèmes d’insécurité pour les enfants et de
nuisances liées à la présence d’animaux, les habitants ont rapidement demandé
l’autorisation de mettre en place un grillage de séparation en limite de rue.
Autorisation qui a été accordée.
Je termine avec ce qui peut paraître
anecdotique : les garages été conçus comme une sorte de seconde pièce de
vie et le second pôle fort du rez-de-chaussée : accueillant aussi bien la moto
(et la baladeuse gaz permettant de tenir le moteur au chaud) que le panier du
chat, un coin bricolage, la buanderie, une machine de musculation et divers
rangements, cette pièce a été décisive pour certains locataires au moment du
choix du logement.
Pour d’autres, ce lieu fait l’objet
d’aménagements successifs ou cycliques, selon des temporalités diverses. Ainsi,
le garage, en plus d’être un espace de rangement, est alternativement utilisé
pour stationner la voiture ou pour des soirées jeux de cartes (espace fumeur).
Ces exemple ont été ceuilli dans l’évaluation d’une
architecte et deux sociologues sur le projet de logements le plus novateur du
XXIe siècle commençant. Cette évaluation est basée sur des rencontres avec les
habitants (La Cité Manifeste à Mulhouse Analyse-évaluation Sabine Guth, Jean-Michel Léger– IPRAUS François-Xavier Trivière - Groupe Brémond Rapport final - 22 février2013).
Pour conclure : je ne vais surtout pas mettre
cette Cité Manifeste sur un piédestal. Pour cela il y a trop de bling bling,
et, surtout, trop de problèmes point de vue chauffage- refroidissement. C’est
pour moi un échec pour l’architecte.
Mais, comme la Cité Muller d’il y a un bon
siècle et demi, elle ouvre le débat. Un débat qui ne doit pas obscurcir le
problème de fond – l’absence de moyens pour le logement social – mais qui, par
contre, intelligemment et socialement appliqué, peut aboutir à des bouts de
solution.
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