photo sudpresse |
Quant au site des jardins-ouvriers, c’est avec
ses 6 hectares le plus grand potager communautaire de Wallonie. Mais en 2017 on
demande aux utilisateurs de ne plus consommer leurs légumes : on vient d’y
découvrir des dépassements de la valeur
seuil pour des métaux lourds comme arsenic, cuivre, mercure, plomb et zinc et
pour plusieurs HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques). Cette année, lors
d’un bio-monitoring médical sur 93 des les 253 jardiniers amateurs du site,
seuls huit ne présentaient aucune contamination. Chez les 85 autres, on a détecté
à des degrés divers une contamination soit au plomb, soit à l’arsenic, soit au
cadmium, à des teneurs situées au-delà de la limite autorisée. Pas de
panique : on ne se promènera pas avec un masque à gaz. Il faut juste
éviter des jambes nues, parce qu’il y a parfois les orties qui reconquièrent le
terrain.
Le sentier de grande randonnée GR57
Nous empruntonsle
GR57, tout au début de la rue
Ernest Malvoz. Ce sentier de grande randonnée démarre à
Barchon, sous le pont de l'autoroute E40. Le GR57 contourne l'abbaye du Bouhay. Nous
nous promenons sur les coteaux de l’Ourthe. On ne s’en rend probablement pas
compte, mais la Dérivation suit grosso modo un ancien bras de cette rivière. Ce
n’est pas pour rien que ce GR s’appelle Sentier de l'Ourthe.
Ce sentier est en fait une variante du GR, sentier
mythique qui va de la mer du Nord à la Méditerranée, en traversant l'Ardenne,
les Vosges, le Jura et les Alpes.
Le GR longe lepotager
communautaire. Le site pourrait être agréable si les talus n'étaient pas
envahis de détritus en tous genres. Ces jardins familiers sont là depuis
presqu’un siècle, mais connaissent aujourd’hui un moment difficile, depuis qu'on a détecté une pollution. 258
familles exploitent aujourd'hui 304 parcelles dans ce potager collectif du Coin
de terre, en échange d'un loyer symbolique (10 euros par an pour 100 m²). A gauche, Droixhe et ses tours de béton
pointées vers le ciel. A droite, Robermont, terre de repos éternel.
Le plus grand potager communautaire de Wallonie
Le propriétaire du terrain est la société de
logement public Logis Social. La gestion de ce plus grand potager communautaire de Wallonie
est confiée à la Ligue du coin de terre de Bressoux. Il s'étend sur 4,6
hectares et se prolonge, à l'ouest, par une partie "pirate" d'1,5
hectare squattée par plusieurs jardiniers anonymes.
Le Coin de Terre s’occupe
aussi de réaffectation de zones industrielles. Mais il n’y a pas eu d’industrie
sur les six hectares de Bressoux, et les potagers sont là depuis presqu’un
siècle (1930). Et voilà qu’on y découvre en 2017 une
pollution aux métaux lourds. Un colon qui travaille à l’ISSeP (Institut
Scientifique de Servie Public) a fait analyser la terre. "L'analyse montre des dépassements de la
valeur seuil pour de nombreux métaux lourds (arsenic, cuivre, mercure, plomb et
zinc) et pour plusieurs HAP (hydrocarbures aromatiques polycycliques) ainsi que
des dépassements de la valeur d'intervention pour le cuivre, le plomb et le
zinc." Une "valeur seuil" est une concentration en polluant
au-delà de laquelle une étude approfondie du sol doit obligatoirement être
réalisée. Une "valeur d'intervention" correspond à une concentration
au-delà de laquelle il faut immédiatement assainir le sol ou prendre des
mesures de sécurité (grillager le site, par exemple) ou de suivi.
Les quantités de plomb, cadmium, cuivre et
zinc présentes dans la terre aux quatre coins du jardin potager sont jugées
"affolantes" par une scientifique
spécialiste des sols, qui dit n'avoir "jamais
vu ça".
Le Logis Social demande de ne plus consommer
les produits de la terre et mandate le laboratoire Phytocontrôle pour analyser
les légumes qui y sont cultivés. Au départ on croyait que seuls les salades et
les choux (les légumes à feuilles)
présentaient un taux de contamination au plomb supérieur à la normale. On était
à demi rassuré.
Un bio-monitoring médical
Mais en même temps, l’ISSeP demande aux
jardiniers du site de se soumettre à un bio-monitoring. 93 acceptent ; 85
d’entre eux présentent des teneurs au plomb, au cadmium et à l’arsenic plus
élevées que le seuil autorisé. Seuls huit ne présentaient aucune contamination.
On les invite de poursuivre l’étude avec leur
médecin traitant, pour voir s’ils fument beaucoup, si leurs canalisations sont
encore en plomb, etc. La Ligue demande au Logis social de renforcer les
clôtures
Le Service public de Wallonie s’engage à une
recherche historique sur le remblai, antérieure à 1930. La Faculté de Gembloux
Agro Bio-Tech continue également son investigation : tant les cerises que
les mûres ou les raisins peuvent être consommés, ainsi que tomates et les
courgettes (Sud Presse 10 jan.
2019 et Llb 10/1/2019 ).
Un Coin de Terre, une oeuvre de salut
public
Ces potagers
communautaires ont une histoire séculaire. En 1896, Joseph Goemaere, imprimeur
bruxellois aux idées avant-gardistes, achetait un hectare pour y installer le
premier potager familial. Pour lui, c’était un moyen de lutter contre le
marasme social ambiant (alcoolisme, chômage, conditions de vie précaires,...)
et permettre aux familles ouvrières de cultiver leurs propres légumes.
La section liégeoise du Coin de Terre naît vers 1930. Au début on parle de ‘jardins ouvriers’, mais après on parlera plutôt de « jardins familiaux ». Dans les Golden
Sixties un mouvement de « Guérilla verte
» lance un mouvement de «Community Gardens», avec unjardin « manifeste » à
Manhattan.
Vers 1980 Mme Tatcher, la dame de fer, lance
l’idée d’activation, y compris pour les gens qui sont dans l’assistance
sociale. On voit alors les potagers dit « d’insertion ». A Liège il y aura
ainsi la ferme de la vache, en Pierreuse.
Le
Coin de Terre de Bressoux était florissant jusqu'il y a quelques années. Italiens, Maghrébins, Slaves... Plus de 17 nationalités se partagent ce coin de terre urbain. La location est d’un franc le mètre carré.
En 1991 la Ligue provinciale se sent même à
l'étroit et lance le slogan : « Libérez les jardins ». Le logis
Social met à la disposition de la section de Bressoux un terrain vague.
Tellement... vague que le comité local doit louer un conteneur pour évacuer les
immondices stockées sur place. Coût de l'opération: 70.000 F, à charge du
modeste groupement! Et à la même époque des parcelles en
bordure des potagers sont vendues.
En 1998 encore la «Ligue
provinciale» pavoise, avec 21
sections, 2.100 « colons » et 54 hectares de jardins. L'Institut d'enseignement horticole, dont le directeur François Charlier
est administrateur de la Ligue, crée un Centre d'initiation au jardinage.
La
Ligue belge compte 42.000 membres et 306 sections locales. Treize pays sont réunis dans un Office international des ligues de coin
de terre, créé en 1926; 3 millions
d'adhérents ; 55.000 hectares. En Allemagne, les
promoteurs de cités-dortoirs doivent prévoir un espace cultivable par les
locataires. Nous en avons visité plusieurs, le long de l’Elbe. Chaque ville a
ses ‘Schrebergarten’.
( Le Soir 18/6 1991 et 20/07/1998).
En 2006 encore la ligue provinciale qui fêtait ses 75 ans prend contact avec
les bourgmestres « car les demandes
dépassent les offres". Les listes d'attente sont d'autant plus longues
que le rythme de rotation des utilisateurs de parcelles est lent (DH 8 juillet 2006).
Peut-être que les apparences sont trompeuses.
Peut-être j’ai vu trop de magnifiques jardins dits ouvriers et que je suis un
peu blasé. Toujours est-il que les alentours des potagers de Bressoux sont très ‘urbex’. Ca se peut
évidemment que derrière les barrières qui clôturent partout le site se vivent
des moments agréables. Mais j’ai quand même l’impression que la découverte de
la pollution a été un coup de Jarnac.
Aujourd’hui la Ligue cherche « des
volontaires pour tailler la végétation des sentiers et des parcelles vides, et
pour traduire des affiches en arabe, turc etc ». Et dans le cadre de
l’action « 1 h pour ma ville », le 16 juin, des bénévoles ont ramassé
les déchets sur ce beau sentier longeant les potagers
Le tunnel de la Chartreuse
Au bout du sentier, une plaine de jeux au dessus du Thier du Bouhay et de la rue Bois-Mangon. En dessous de nos pieds, le tunnel de la Chartreuse, une ancienne galerie minière, taillée vers le milieu du 19ème siècle, à même la roche, sous l'actuel cimetière de Robermont. Les veines de houille ont été exploitées depuis 1356 (au moins) : l’abbesse de Robermont octroya, à diverses personnes, une veine de houille dite ‘del tombéal’. En 1858 l’exploitation est reprise par les Charbonnages de la Chartreuse et Violette. Ils font creuser, en 1859, une galerie horizontale de 1.480 mètres, avec deux puits: la «Sainte Famille» (pour l’extraction, dans l’ancienne plaine de manœuvres, 400 mètres de profondeur, entièrement maçonné, 3.90 mètres sur 2.50). Celle de « Robermont » servait pour l’aération. Ce puits profond de 605 mètres s’ouvrait dans le terrain près du monument aux morts de 14-18. Il a été remblayé en 1890.
Un coup d’eau en 1880 porte un
coup sensible à cette société peu solide qui finalement est mise en
liquidation. Les Charbonnages de Bonne Espérance, Batterie et Bonne-Fin
s’intéressent en 1899 à cette concession à proximité des concessions de
l’Espérance. Elle fusionne les deux concessions, et obtient une extension de
concession de 16 ha, en fait, les gisements en-dessous du lit de la Meuse,
jonction nécessaire aux deux concessions. On crée un nouveau siège à la Violette
qui produit en 1913 86.000 tonnes.
La production est très réduite
à la fin de la guerre. Il faut attendre 1920 pour que la Violette atteint le
niveau de production de 1913. Le coup de grâce vient avec la construction du pont barrage de l’île
Monsin. Il aurait fallu prévoir des stocks très importants ce qui aurait rendu
l’exploitation non rentable. La Violette est fermée en 1933
La galerie creusée en
1859 est toujours là. C’est un élément important de notre patrimoine minier.
Elle permet d’étudier l’évolution des techniques d’extraction du Moyen Age à
nos jours. Elle recoupe plusieurs veines de 20 à 70 cm de ‘puissance’. Dans les
vides laissés par les tailles elle est maçonnée. Elle est partiellement
obstruée à 1280 m. de l’entrée par un effondrement. L’entrée se trouvait dans
la cave d’une maison de la rue Bois-Mangon, détruite pendant la seconde guerre mondiale.
Lors de cette guerre des particuliers sont encore venus s’approvisionner en
charbon.
Le puits de Sainte
Famille a été sécurisé en 1999 par la DPPGSS. Il est aujourd’hui noyé jusqu’au
niveau de la galerie. C’est aussi un Site de
Grand Intérêt Biologique (SGIB), avec plusieurs espèces cavernicoles.
L’Ecole belge de
spéléologie y a organisé des stages de biogéologie.
Le tremblement de terre
de 1983 nous a rappelé que notre région n’est pas à l’abri de secousses
sismiques. L’Observatoire royal considère la galerie comme un site fondamental
du réseau sismique belge, aussi y a-t-il installé un sismographe.
Bien sûr, il n’est pas
question d’ouvrir cette galerie au grand public. Il y a des dangers
d’éboulement et aussi le grisou et autres gaz. Les visites, essentiellement à
buts scientifiques et pédagogique sont réglementées. Elle est depuis 1999 sous
statut de ‘cavité souterraine d’intérêt
Scientifique (CSIS- dans l’Atlas du Karst Wallon N°42/2-E001). Ce statut
donne un cadre général à la protection du site. Dans le comité de gestion il y
a la ville, propriétaire des terrains où se situent les entrées, la DGRNE Ulg
et CWEPSS.
L’église Notre-Dame de Lourdes au Bouhay
photo actibel |
Notre balade se termine à l’église Notre-Dame
de Lourdes au Bouhay, une église construite pour les Chanoines du Latran.
Cette église est à vendre avec ses cloches. Les biens ne sont pas
classés et peuvent donc subir des modifications. L’acquéreur bénéficiera d’un
revenu locatif lié aux antennes GSM dans la tour. Elle est désacralisée, c’est
à dire qu’elle ne représente plus un lieu de culte officiel de la religion
catholique. Mais avec ses vitraux, autels, colonnes et boiseries, l’église
Notre-Dame de Lourdes au Bouhay a conservé tout son cachet. Les “plus”: un
orgue et une tour haute de 43 mètres qui, en plus de la vue, abrite 6 cloches
qu’il n’est peut-être pas interdit de sonner à toute volée. Le parc adjacent
est agrémenté d’une réplique grandeur nature de la Grotte de Lourdes. Et pour
un montant supplémentaire de 190.000€, le presbytère adjacent et son jardin
peuvent compléter cette magnifique propriété. Renseignements: Actibel -Tél 081
74 99 99 (Dh 12/6/201).
La Congregatio Sanctissimi Salvatoris lateranensis
L’église a été bâtie pour les chanoines réguliers du Très Saint-Sauveur du Latran. «Régulier »
signifie « qui suit une règle ». C’est une des premières communautés
religieuses qui acceptent la Règle de saint Benoît. Le Synode de Latran de 1059
reconnut ces communautés en pleine expansion. Ils portent une soutane
complètement blanche, une large ceinture, une courte pèlerine couvrant les
épaules (la mozette) et une calotte, exactement ce que porte le pape tous les
jours.
A propos, en 2018 Emmanuel Macron a reçu le titre de « premier et unique chanoine honoraire de l’archibasilique du Latran». Ca remonte à Louis XI et au bon roi Henri IV, qui, après avoir abjuré sa
religion protestante, a fait don au Latran de l’abbaye bénédictine de Clairac.
En échange, il a reçu ce titre canonial, décerné par la suite aux rois – et aux
présidents - de France.
L’édifice a été construit par un grand architecte,
Edmond Jamar. Il a dessiné aussi l’Hôtel des Postes (Grand Poste) de Liège, la
basilique de Chèvremont (vide aussi ; elle et attend un repreneur), la
Gare du Palais à Liège, (bâtiment détruit).
photo actibel |
La construction a pris du temps : la
crypte a été érigée en 1901-1902 ; l’église a été commencée en 1913. Mais
en septembre 1914 un chanoine doit
constater qu’après la décision « d'inaugurer
la magnifique église, nous n'avions pas pensé que l'ère de prospérité dont
jouissait la paisible Belgique pût être troublée d'une façon si soudaine et si
brutale. La guerre est déclarée. La construction de notre église se trouva
complètement arrêtée. Mais il n'en fut pas ainsi du culte rendu à la Vierge
Immaculée. Pendant les cinq années d'inoubliable malheur, la dévotion envers
Notre-Dame de Lourdes avait pris un essor merveilleux. C'était à juste titre
d'ailleurs. La Vierge de Massabielle accueillit avec bienveillance les prières
de ses enfants, et grâce à son intervention puissante, la terrible guerre prit
fin, en assurant aux pays alliés un triomphe éclatant. Si noblesse oblige,
reconnaissance exige. Il faut donc que la Vierge voie s'achever bientôt le
sanctuaire. Une souscription est placée sous le haut patronage de son Eminence
le Cardinal Mercier, archevêque de Malines et de Sa Grandeur Monseigneur
Rutten, évêque de Liège ».
Camille BOURGAULD, un
architecte archéologue liégeois, loue le travail de son collègue Edmond Jamar, « notre
éminent architecte liégeois qui a créé
cette œuvre toute de force et d'élégance, qu'est la nouvelle église de
Notre-Dame de Lourdes au Bouxhay. L'architecte, en établissant son entrée dans
le flanc de l'église, a suivi une tradition locale que nous retrouvons à
Saint-Denis., Saint-Paul, Saint-Jacques, etc. Cette façon de pénétrer dans les
nefs latéralement, pratique sous notre climat, est peut-être la plus dangereuse
quant à l'effet que va produire sur le visiteur, cet aspect des colonnes,
arcades, nervures, voûtes présentées dans leur enchevêtrement. Seule une œuvre
impeccable peut affronter cette épreuve. Or c'est peut-être la plus belle vue
que l'on puisse avoir sur l'intérieur de la nouvelle église du Bouxhay ».
Le
bâtiment conventuel derrière l'église est construite à partir de 1933
par L. Habran et converti en 1995 en maison de retraite.
Le Bouhay dans un film de Steven Spielberg ?
Steven Spielberg compte mettre à l'écran l'histoire d'Edgardo Mortara, un enfant juif italien de six ans
kidnappé par le Vatican au milieu du 19ème siècle. A l'époque, l'affaire avait
provoqué un scandale international. Cet enfant a fini sa vie à Liège : au petit
cimetière de Bressoux, il est enterré dans le caveau des chanoines de Latran.
Cet enfant juif avait été baptisé en cachette par une employée de maison, à
l'insu de ses parents, et a ensuite été enlevé en 1858 sur ordre du pape afin,
"de sauver son âme". "Cela
a fait un scandale énorme, explique Eric de Beukelaer, vicaire épiscopal du
diocèse de Liège. Mais le pape Pie IX est resté de marbre. Le jeune garçon sera
envoyé à Rome, et finira sa vie comme prêtre à l'abbaye du Bouhay, une église
de Bressoux. Il y décèdera en 1940, à l'âge de 88 an »s (rtbf 24 janvier
2018).
Le diocèse de Liège est enthousiaste pour accueillir
Spielberg. "Je n’ai pas l’adresse
mail de Steven Spielberg (rires), poursuit Eric de Beukelaer. Le jackpot, en
tout cas, serait que Spielberg vienne ici à Liège (sourire)"
Un autre grand nom d'Hollywood voulait
également porter cette histoire à l'écran : un certain Harvey Weinstein.
Inutile de préciser que ce projet-là est tombé à l'eau.
Sources
Amandine Liénard et
Gilles Colinet, Evaluation des risques pour la santé humaine Jardin collectif «le coin de terre de Bressoux »,
Février 2018 Rapport final
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