lundi 4 juin 2018

Le quartier des Guillemins : un champ de bataille pour promoteurs immobiliers…

photo P. Brunain

A l’occasion des élections communales, je fais le bilan des grands projets d’urbanisme à Liège. Voici les Guillemins. Pour un chantier qui encense la « grande vitesse », il a duré… En 1988, le gouvernement belge s’accordait sur le tracé du TGV. En 1990, c’est confirmé, la Cité ardente accueillera « la » halte wallonne. 19 ans plus tard, le prince Philippe coupera le ruban. La gare proprement dite est terminée. Mais le projet s’avère un prétexte pour la construction d’un quartier d’affaires…
En 1993 le chantier ne concerne que la partie chemin de fer. Fin 1996, Santiago Calatrava est choisi, notamment sur base de son expérience ferroviaire (sa première gare de Zurich est un exemple de multimodalité). Mais, prenant les devants, la Ville adopte déjà un plan d’aménagement pour l’ensemble du quartier. Ce plan qui a même obtenu un prix de la Fondation Roi Baudouin est élaboré sans concertation avec la SNCB. L’impossibilité de se mettre d’accord sur les aménagements des abords marquera les campagnes électorales communales depuis 2006…

Willy Demeyer : le “premier véritable quartier d’affaires de Wallonie”.

le chantiers des guillemins en 1956. ill. C. Warzée
Pour Willy Demeyer, le quartier des Guillemins doit devenir le “premier véritable quartier d’affaires de Wallonie”. Cet objectif ne se retrouvait pas dans le schéma directeur pour le quartier des Guillemins que la SRWT (Société Régionale Wallonne des Transports) avait demandé en 1999 à Claude Strebelle. Strebelle est l’homme qui a réussi à tirer Liège du trou de Saint Lambert. Mais il se cassera les dents sur cet «  axe » Guillemins-Boverie : 4,5 hectares d'espace public (autant que la Place Rouge) avec un budget public d’une cinquantaine de millions d'euros censés attirer des investisseurs privé.
Cet espace est devenu une arène, où s’affrontent plusieurs promoteurs immobiliers.
Le premier projet est celui du SNCB-Holding : 60000 m² de bureaux le long de la rue du Plan incliné. Le holding fait appel à Calatrava qui d’un trait de crayon dessine aussi une rambla vers la Meuse. La Tour des Finances qui n’avait même pas trente ans barrait la perspective. Peu importe : ça arrangeait le SNCB Holding qui espérait reloger les finances.
C’était sans compter sur Fedimmo…

Un Plan Communal d'Aménagement  et un appel d'offres européen

Un Plan Communal d'Aménagement (PCA) est adopté, un plan d'expropriation est établi, et un appel d'offres européen est lancé. Fin 2004, la place dessinée par Daniel Dethier obtient un permis d'urbanisme, et un financement via les fonds Feder.
Tout ça sans impliquer Euro-Liège TGV qui lance en 2005 un projet de canal monumental entre la gare et la Meuse, issu de la fertile imagination de Santiago Calatrava. Irréaliste, impayable, le projet de Calatrava est écarté, mais l'idée d'une plus large ouverture au-delà de la place triangulaire intéresse d’autres vauriens.
Dethier Architecture réalise, sans en avoir reçu la mission, en 2006 une étude, appuyée par la Région wallonne dès janvier 2007, et approuvée par le Collège communal début février. Cette étude ‘spontanée’ est coulée dans un tout nouvel outil légal wallon : le Périmètre de Remembrement Urbain (PRU), adopté par la Ville et la Région fin 2007.
Au bout de cette esplanade, une nouvelle tour des Finances va voir le jour, à construire par le promoteur Fedimmo, à qui la Régie (fédérale) des Bâtiments venait de revendre la Cité des Finances.
Face à se projet, la SNCB met ‘on hold’ ses 60.000 m2 de bureaux rue du Plan incliné où il comptait reloger les fiscards. Quand en 2013 Michel Firket et Willy Demeyer s’impatientent, la SNCB déclare que «l’étude d’incidence avance à son rythme. Ce rythme n’est volontairement pas soutenu car en parallèle, les négociations se poursuivent pour trouver des locataires. Nous ne demanderons pas le permis avant d’être sûr de rentabiliser l’opération ».

Une tour qui fait de l’ombre à Calatrava

photo P. Brunain
Le 19 mars 2013 la SNCB introduit un recours en annulation du PRU devant le conseil d’état. La SNCB trouvait que la nouvelle tour des finances et ses 118 mètres lui « faisaient de l’ombre ». Il y a un peu de ça : partout Calatrava a une clause interdisant d’autres bâtiments phares dans les environs. Mais en 2016 l’auditeur du conseil d’État déclare la plainte «irrecevable »et « non fondée». Ceci dit, l’auditeur pose des questions pertinentes sur ce PRU voté par le conseil communal de Liège et approuvé par le ministre régional de tutelle de l’époque, Philippe Henry (Écolo), à rebours des positions prises par son parti dans ce dossier. Ce P.R.U. évoquait une « émergence possible le long des quais » pour répondre architecturalement à la gare, mais il ne prévoyait pas de hauteur maximum. Les immeubles du quai de Rome culminent à une vingtaine de mètres, la tour des finances architectes Jaspers & Eyers en fait 118. Aucun immeuble de plus de 50 m n’avait été bâti à Liège depuis la tour Match de Droixhe, avec ses 87 m de haut, en 1978.
 Plein d’ironie, l’auditeur signale que le document dans lequel les autorités publiques avaient défini leurs intentions urbanistiques initiales  prévoyait des bâtiments dans un rapport de hauteur de 2 à 1 par rapport à ce qui existait déjà dans le quartier. Il se moque du concept abscons «  d’émergences ponctuelles d’échelle métropolitaine » de la Ville de Liège, afin de justifier une tour dont la hauteur serait « sans prescription ni restriction». Autrement dit, le ‘Fuck Context’ du pape des stararchitectes Rem Koolhaas. L’auditeur estime en outre que l’enquête publique portant sur ce PRU a été biaisée.

Pas de discussions sur la mobilité 

Les Guillemins sont un carrefour de circulations multimodales : train, vélo, bus, tram. Mais Dethier Architecture n’a pas travaillé sur la mobilité. Nous ne casserons pas du sucre sur le dos des star-architectes qui n’ont pas intégré la multimodalité dans leurs projets. Tout compte fait, c’est le maître d’ouvrage qui doit les tenir en laisse. La première gare de Calatrava, à Zurich, est un modèle de multimodalité. Si les Guillemins seront le contraire, c’est parce que d’autres intérêts ont joué. La SRWT a abattu trois immeubles place des Guillemins pour adoucir une courbe du tram alors que, finalement, celui-ci filera comme une ombre par l’esplanade.
Le projet de la SNCB est  donc ‘on hold’. L’autre joueur, Fedimmo, a déposé à côté de sa tour un projet Paradis Express prévoyant sept immeubles, avec 20.000 m² de bureaux, 171 logements + un développement commercial marginal. L’enquête publique relative au permis unique s’est achevée le 5 juillet 2017 et le permis devrait être délivré prochainement.
Un troisième larron,  le groupe Circus qui tient une dizaine de salles de jeux et deux casinos,  est parti de sa salle Circus et le Quick de la place des Guillemins  pour racheter petit à petit neuf bâtiments : les cafés L’Express  et Century, la Brasserie et de l’Hôtel du Midi, l’Hôtel Métropole, l’Hôtel des Nations, un night-shop et une cordonnerie et le restaurant Le Duc d’Anjou. Sans oublier à l’arrière, les ateliers de la miroiterie Maretti. La volonté était de finaliser le projet pour l’Expo 2017. C’est raté. En 2017 Ardent Group, ex-Circus crée deux sociétés (Liège Office Center et Hotel Guillemins) : 1.500 mètres carrés de surfaces commerciales au rez-de-chaussée et 15.000 m2 de bureaux aux étages, gérés par Liège Office Center, créée pour la cause.
Mentionnons encore le  Groupe Horizon au bout de la rue Paradis, où s’étalent actuellement douze petites maisons ouvrières et quatre autres à l’arrière ainsi que l’ancien parking du garage Mitsubishi situé au milieu de l’îlot. En 2012, lors des premières esquisses, il était prévu de construire 150 logements, s’étalant de quatre à neuf étages. En 2016, le nombre de logements est réduit de 150 à 100, sur quatre étages maximum.

Trop de bureaux ?

La région liégeoise offre aujourd’hui 485.000 m2de bureaux. Lors d’un colloque en 2009 de l'ASBL Études&Expansion, Bernadette Mérenne, professeur de géographie économique à l'ULg, et Christophe Nihon, patron d’Immoquest déclarent que  Liège connaît une pénurie. Liège a entre 30000 et 50000 m2 de vieux bureaux qui n'auront jamais de repreneurs, explique Bernadette Mérenne.  Ces vieux’ bureaux se trouvent où ? Au cœur de la ville qui après ses commerces se videra de ses bureaux ? Et si on accepte encore l’estimation de 50000 m2 de vieux bureaux, cela nous laisse quand même encore 435.000 m2 de bureaux aux normes.  Auxquels s’ajouteraient rien qu’au Guillemins 20.000 m2 de Fedimmo, 15.000 m2 de Liège Office Center et 60.000 m2 de la SNCB. 
Christophe Nihon d’ImmoQuest est le gourou du marché immobilier de bureaux à Liège. C’est lui qui met le ton à la Mipim à Cannes. Il voit un potentiel de 100.000 m2 nouveaux. Il a enregistré ces cinq dernières années 437.000 m² de demande, et un bon tiers n'a pas pu être rencontré. M. Nihon n’est pas à une contradiction près: une demande de 437.000 m2, alors qu’il cite une capacité de 485.000 m2 de bureaux ? Il avoue que son take-up (= prise en occupation) est en baisse depuis 2012 (il est passé de 15 à 10.000 m²), mais c'est "parce que les produits de qualité qui correspondent aux besoins des clients ne sont pas disponibles sur le marché". Il y aurait une demande immédiate pour au moins 25.000 m2 supplémentaires.  Faute d’offre, les loyers pour les bureaux sont parfois plus importants à Liège qu’à Bruxelles. Et alors que le taux de vacance est de 12 % dans la capitale, il n’est ici que de 0,6 %. Christophe Nihon reconnaît que sa vision du take-up est spéciale parce que "je ne prends en compte que les immeubles pris en occupation, achetés ou loués, alors qu'ils étaient réellement disponibles sur le marché. Les immeubles construits pour occupation propre ou les grands bâtiments destinés à un occupant prédésigné comme la Tour des Finances n'entrent pas en ligne de compte ou sont lissés dans mon évaluation du take-up ».
Nihon balaye le danger de concurrence de la périphérie: Liège Airport, l’Office Park d’Alleur, le Cristal Park de Seraing avec l’argument que l'ensemble du marché liégeois des bureaux (centre et périphérie) ne fait que 600.000 m² environ, contre 1,25 million à Gand, 2 millions à Anvers et 13 millions à Bruxelles.

Une surcapacité de bureaux. Et le logement ?

Bref, la fameuse esplanade devant la gare est une arène où s’affrontent des promoteurs immobiliers qui sont en concurrence féroce entre eux, et en concurrence avec les projets en périphérie. On va tout droit vers des surcapacités, dont la première victime sera le centre ville avec ses ‘vieux’ bureaux…
Je n’ai pas abordé ici la mobilité : tous ces scribes devront arriver sur leur lieu de travail. Or, le Réseau Express Liégeois reste une vaine promesse, à part la ligne 125A vers Seraing. Et le logement : combien de logements faudrait-il pour remplacer les centaines de maisons détruits ?
Tout ça pour le Fata Morgana d’un nouveau quartier d’affaires que d’autres villes abandonnent déjà La concentration monofonctionnelle de bureaux devient tout doucement une hérésie urbanistique. Partout, sauf à Liège.
Remarque : nous avons utilisé partout le terme sncb afin de simplifier l’exposé. En réalité il y a derrière une structure très complexe

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