lundi 13 juin 2016

La Paix de Fexhe: un mythe fourre tout?

En 2016 Geneviève Xhayet, directrice du CHST-ULg, a donné une conférence consacrée à la Paix de Fexhe  à la Braise. C’est quoi , cette Paix de Fexhe que certains comparent avec la Magna Carta ? On pourrait dire que la Paix de Fexhe met fin de la révolte du Mal Saint Martin, qui avec les Vêpres Siciliennes, les Matines de Bruges, la rébellion de Tournai de Saint Omer de Rouen, de Magdebourg,  Augsburg et Trèves a marqué la montée des villes face à la noblesse. Mais à regarder de plus près ce n’est même pas ça ; c’est plutôt une trêve où le prince évêque se pose comme arbitre dans la vendetta entre Awans et Waroux. Avant Fexhe il y avait déjà eu la Paix d’Angleur (en quelques sorte la fin du mal Saint Martin, en 1313), et la Paix de Hanzinelle en 1314.
Et la Paix de Fexhe n’a été qu’une trêve très éphémère : les années qui ont suivies ont abouti à une rupture avec le prince-évêque Adolphe de la Marck  qui quitte même la Cité le 14 février 1325, après avoir jeté l’interdit sur Liège. C’est le début d’une guerre civile de quatre ans, où Liège, Dinant, Tongres, Saint-Trond et le comté de Looz invoquent à plusieurs reprises la Paix de Fexhe, mais à titre purement propagandiste.
Le 4 octobre  1328 on a une nouvelle trêve, la Paix de Wihogne. La seule référence à Fexhe est dans l’ordonnance de la suppression de toutes les alliances, « à l’exception de celles consignées dans la Paix de Fexhe ».
Encore une fois, c’est une trêve très passagère. La révolte reprend. Victorieux en 1331, le prince soumet le Conseil de la Cité à la Réformation d’Adolphe, qui réduit le rôle des Métiers. Son article treizième, la « Loi de Murmure », interdit même toute parole hostile au pouvoir princier. Une suggestion pour le gouvernement Michel qui trouve que les médias et syndicats ne communiquent pas bien sur ses ‘bienfaits’ ?

En 1346 nouveau conflit surgit entre le prince évêque Englebert De la Marck qui, ne se sentant plus en sécurité à Liège, cite les citains au perron de Vottem, qui est promptement occupé par 3000 miliciens. Face à eux 4000 cavaliers, dont la crème de l’Empire Germanique. Mais la brillante armée des princes se débande, comme à la bataille des Eperons d’Or.
Mais cette victoire historique du peuple ne tient pas dans la durée : un an plus tard  l'évêque avait de nouveau réuni une armée formidable. Les milices de Liège acceptent le combat en rase campagne et se font battre à plate couture à Tourine. Huit jours après, la paix de Waroux leur impose un lourd tribut.
Donc, entre 1313 (la fin du Mal Saint Martin), on a connu la Paix d’Angleur, la Paix de Hanzinelle en 1314, la Paix de Fexhe, la Paix de Wihogne, la Réformation d’Adolphe, et la paix de Waroux en 1347. Objectivement ces documents ont le même poids. A cette différence près que la Paix de Fexhe est la seule favorable à la Cité, dans un contexte d’alliance avec le prince. Ce qui explique que le peuple garde cette paix comme référence…
En conclusion, pour le médiéviste Christophe Masson, « la Magna Carta anglaise se situe à un autre niveau de pouvoir. Concernant Fexhe, il vaut mieux parler d’une trêve que d’une paix. L’efficacité de la paix de Fexhe tient plus dans sa mémoire que dans son application. Lors de la Révolution liégeoise, la paix a été exhibée comme le témoin d’un âge d’or démocratique. Quand on a voulu créer une constitution wallonne à la fin des années 1990, la paix de Fexhe a été citée ainsi que le congrès de Polleur et la charte de Huy de 1066. Dans toutes les commémorations, il y a des actualisations. Les spécialistes de la mémoire ont montré comment on utilise un fait historique pour dire autre chose (LLB 22 février 2016).
 Remarque pour les amateurs de BD: Christophe MASSON a aussi écrit le scénario d’une bande dessinée ‘le sang de la Paix’.

 Fexhe et la révolution liégeoise 

A la Révolution liégeoise, la paix est  exhibée comme le témoin d’un âge d’or démocratique. Si comme l’écrit le Pr. Masson l’efficacité de la paix de Fexhe tient plus dans sa mémoire que dans son application, il faut expliquer pourquoi cette Paix de Fexhe sort justement du lot des multiples trêves qui ont jalonné l’histoire de Liège. Je n’en ai qu’une explication : les trêves victorieuses pour le peuple ont plutôt été rares. Dans ces innombrables révoltes qui ont marqué notre histoire le Prince-évêque pouvait se tirer d’un mauvais pas en des repliant sur Maestricht et sur l’Empire Germanique. Le peuple, lui, n’avait pas ce choix et devait signer une capitulation en bonne et due forme si le rapport de forces lui devenait trop défavorable...
La Paix de Fexhe reste un mythe. La Révolution Liégeoise de 1789 revendiquait le retour à cette Paix. Notre grand historien Pirenne signale judicieusement qu’en se plaçant sous l’égide de la Paix de Fexhe, noblesse et clergé recouvraient leurs anciens prérogatives. En plus, cette révolution bourgeoise visait aussi à supprimer les Métiers. Or, la Paix de Fexhe était justement la reconnaissance de ces Métiers. Si les démocrates liégeois de 1789 se réclamaient de la paix de Fexhe, c’est parce que tout le monde mettait un peu dans ce mythe qu’il voulait. Pour le peuple, Fexhe évoquait le retour à un paradis imaginaire, à une époque où ‘l’air de la ville rendait libre’. Le 17 avril 1790, six mois après la révolution, les corporations de métiers, regardées comme des oligarchies municipales, sont supprimées à Liège. Ces Métiers étaient un frein à l’expansion de la bourgeoisie qui voulait des prolétaires ‘libres’.  Liège devance ainsi les révolutionnaires français qui votent leur loi Chapelier seulement en juin 1791. On peut dire qu’avec la suppression des Métiers la mythe de la Paix de Fexhe a vécu. Ce qui n’a pas empêché de la repêcher à l’occasion du débat sur la constitution wallonne à la fin des années 1990.
Van Cau explique que la Constitution fait référence à une série de textes fondamentaux. Des textes de valeur historique démontrent que dans l'identité wallonne, l'attachement à la démocratie est une valeur affirmée, revendiquée et ce de façon précoce, comme Paix de Fexhe (1316) et la Déclaration des Droits de l'homme et du Citoyen des gens de Franchimont (1789). En toute logique le préambule de la Constitution "s’inscrit résolument dans la démarche humaniste des citoyens qui se revendiquèrent de la Charte de Huy (1066), de la Paix de Fexhe (1316) et de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen des gens de Franchimont (1789), dans la lignée des projets autonomistes développés au sein du Mouvement wallon et dans l’esprit de toutes les affirmations d’une identité wallonne démocratique, ouverte et plurielle".
Elle a bon dos, cette Paix de Fexhe, 7 siècles plus tard… 

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