samedi 31 janvier 2015

Novembre 1918 : un Soviet de soldats allemands au Palais des Princes-évêques

En 2014 l’expo «Liège dans la tourmente » au Musée de la Vie wallonne, reprenait  une affiche du Soviet de soldats  allemands au Palais des Princes-évêques, en 1918. Cette affiche a été imprimée à l’Imprimerie Coopérative Thonon, Place Verte 6.

Dans le cadre des commémorations de 14-18 La Braise avait organisé un cycle « Un AUTRE REGARD SUR LA GRANDE GUERRE » avec entre autres José Gotovitch sur le conseil de soldats de Bruxelles: "NOVEMBRE 1918 - REVOLUTION A BRUXELLES : le ZENTRAL –SOLDATENRAT". 

Un soviet des soldats au palais des princes-évêques en novembre 1918

En 14-18 le palais des princes-évêques fut le siège de la Kaiserliche Kommandantur, le commandement impérial de la place forte de Liège. Le palais sera à nouveau le siège de la kommandantur en 40-44. Au Palais se forme aussi le 12 novembre 1918 un Soldatenrat, un soviet des soldats. Le 22 novembre ce Rat s’éclipse. Les signataires sont Lückenhaus, „vorsitzenden des
Soldatenrat Lüttich“ et Schneider, „Generalstab“, autrement dit état major. La proclamation se réfère aux sociaux-démocrates Friedrich Ebert, Philipp Scheidemann, Otto Landsberg (Mehrheitssozialdemokraten ou sociaux-démocrates majoritaires), et de Hugo Haase, Wilhelm Dittmann, Emil Barth (sociaux démocrates indépendants = Unabhängige). Les majoritaires se mettront un peu plus tard à la tête de la répression des conseils ouvriers et soldat révolutionnaires. Beaucoup d’Indépendants sont tués, comme la Spartakiste Rosa Luxembourg ou emprisonnés.
Le Conseil des soldats de Liège n'est institué que le 13 novembre 1918, soit deux jours après l'armistice. Une cinquantaine de soldats investissent le Palais des Princes-Evêques, sans rencontrer aucune résistance et déposent le gouverneur, le Freiherr Leuckart von Weissdorf,  après que celui-ci ait légèrement protesté. Ce dernier transmet ensuite l'ordre aux officiers d'obéir au Conseil des soldats.
Voici le texte de la première déclaration repris sur l’affiche de l’expo : « Hier s'est constitué à Liège un Conseil des Soldats. Il travaille en parfait accord avec les anciens services et les anciennes autorités militaires. Le but commun est le maintien de la discipline, du sang-froid militaire et de l'ordre. Dans les circonstances actuelles, en territoire occupé, chacun doit s'efforcer, par tous les moyens, à atteindre ce but. La vente d'armes et de pièces d'équipement, les pillages, surtout de magasins d'approvisionnement et de trains, de même que les dommages causés à toutes les installations militaires importantes, seront punis sans aucune considération, le cas échéant même de la peine de mort. La désertion également reste, comme sous l'ancien gouvernement, un crime punissable".
Une seconde délivre le message suivant aux civils : "Le Conseil des Soldats a repris l'autorité dans la province de Liège. Il invite la population à s'abstenir de tout ce qui pourrait troubler l'ordre public. Le conseil des soldats salue la population et la félicite à l'occasion de sa délivrance".
Le passage de soldats battant en retraite s'intensifie encore à partir du 16. Le voyage se fait principalement à pied, parfois accompagné de charrettes tirées par des chevaux, les officiers se distinguant à peine au sein de cette longue procession.

REVOLUTION A BRUXELLES : le ZENTRAL –SOLDATENRAT.

A Bruxelles, au siège central du gouvernement, un conseil de soldats se réunit le 9 novembre. L'immeuble du gouvernement général est occupé dans l'après-midi et le pouvoir du gouverneur de Bruxelles, le lieutenant-général Hurt, lui est retiré. Le drapeau rouge est hissé sur les quartiers militaires en fin de journée. Le dernier gouverneur général, Ludwig von Falkenhausen resté à l'écart de l'agitation, quitte la Belgique par le chemin de fer via les Pays-Bas dans la nuit du 12 au 13 novembre 1918. A l'inverse, à l'image de la plupart des officiers, le gouverneur de l’administration civile, le baron von der Lancken, se met à la disposition du conseil des soldats.
Le 9 novembre la république avait été proclamée en Allemagne. Les soldats révolutionnaires fraternisent avec la population. Pourtant, malgré la présence de mitrailleuses qui doivent préserver l’ordre public, le chaos succède bientôt à la fête.
Plusieurs jours durant, des fusillades opposent soldats allemands révolutionnaires et officiers restés fidèles à l’empereur. Elles font une dizaine de morts parmi les civils belges. Dans une atmosphère de guerre civile, les soldats révolutionnaires en finissent avec le régime du gouvernement général et remettent une partie de leurs prérogatives aux autorités locales. Bruxelles n’est pas libérée par les troupes alliées, mais par des militaires allemands en révolte.
L’Alsacien Eugène Bouillon décrit ce conseil de soldats dans son livre «  Sous les drapeaux de l’envahisseur. Mémoires de guerre d’un Alsacien ancien-combattant 1914-1918 ». En octobre 1915 il avait été enrôlé dans la garde impériale de Berlin. Au début de novembre 1918 il se retrouve chef cuisinier d’un casino des officiers à Bruxelles. Le Soldatenrat proclame sa démobilisation et organise
la retraite générale vers l’Allemagne. Une longue colonne de camions se met alors en route, de laquelle il trouve l’occasion de s’échapper, prenant congé définitivement de l’armée allemande. Il rejoint alors Liège et trouve à loger chez des hôtes très généreux qui l’hébergent durant trois semaines au cours desquelles il assiste au long défilé des troupes allemandes en retraite. Il quitte enfin Liège pour Paris avec neuf autres déserteurs alsaciens-lorrains à bord d’un train rempli de prisonniers français libérés. Après la guerre il s’établit comme exploitant viticole à Wintzenheim et exerce à deux reprises le mandat de maire. En 1940, l’Allemagne nazie victorieuse ré-annexe l’ancien Reichsland perdu en 1918. Eugène Bouillon, tout comme une partie de la population jugée indésirable, en est expulsé et se réfugie avec sa famille dans le Lot.
Des simples soldats arrachent les épaulettes des officiers dont ils croisent la route. On réquisitionne des écoles et salles de fêtes. Quelques jours avant l'armistice, le drapeau rouge est hissé dans plusieurs villes. Des soldats allemands, revenant de vacances ou arrivant de la réserve, font un arrêt dans les premières villes après la frontière, dans l'espoir d'une paix qui ne saurait tarder et qui leur permettrait d'échapper au front.

Les soviets de soldats et le POB

Un aspect intéressant est développé dans un article de Herwig Lerouge dans Etudes Marxistes : ces conseils de soldats cherchent contact avec le Parti Ouvrier Belge (POB). Ce mouvement révolutionnaire avait démarré en octobre 1918 en Allemagne. Le prince Max von Baden, chancelier de l’Empire, démissionna et fut remplacé par le socialiste Ebert. Le 9 novembre, la république fut proclamée et le kaiser s’enfuit. Le 10 novembre, un comité de soldats allemands venus de Berlin débarqua à Bruxelles. Quand les soldats allemands se révoltèrent contre leurs officiers et instaurèrent un conseil révolutionnaire à Bruxelles, à l’exemple de ce qui se passait en Allemagne, des militants du POB et des membres de la Jeune Garde socialiste se joignirent à eux. L’un d’eux était Joseph Jacquemotte, le futur président du Parti communiste. Le baron von der Lancken, l’une des figures de proue des autorités d’occupation allemande, chercha à contacter la direction du POB afin d’empêcher que la population soit aspirée dans une révolte. Mais le POB n’avait nullement l’intention de participer à l’insurrection: Joseph Wauters, qui fut invité par les insurgés allemands, refusa toute collaboration et Anseele, qui fut nommé par les insurgés président de la «République belge », déclina la proposition.
Herwig Lerouge se base sur le livre de Jan Godderis « Oorlog aan de oorlog !? De houding van de Belgische Werkliedenpartij ten aanzien van het leger 1885 – 1914”.  Selon Godderis,  Joseph
Vooruit 1910
Jacquemotte se serait engagé activement. Selon sa biographie au carcob cela n’est pas le cas. Surveillé par les notables du POB, il ne répond pas aux sollicitations du Conseil des soldats allemands. Je me pose aussi des questions sur les démarches du baron von der Lancken auprès de la direction du POB. Il était à la tête de la Politische au près du Gouverneur général de la Belgique occupée depuis février 1915, et certes bien placé pour faire ce genre d’approches.  Michael Amara, un historien qui a fait un très beau travail sur 14-18, a fait une édition critique de sa correspondance entre 1915 et 1918. Mais il n’aborde malheureusement pas les soviets de soldats. De la part d’un haut responsable allemand il est certes logique et sensé de compter sur le POB comme ‘modérateur’ de conflits. Mais on ne peut pas exclure que les dirigeants de ce mouvement se sont aussi tournés vers ce parti que quatre ans auparavant se posait comme défenseur de la solidarité internationale.
Un sujet à approfondir lors de la conférence de José Gotovitch sur le conseil de soldats de Bruxelles le 15  AVRIL à la Braise…

Bibliographie

Der Soldatenrat Brüssel
Wählt Soldatenräte! Kameraden! Bei allen Truppenteilen müssen sofort Soldatenräte gebildet werden. Nach der Mitteilung des Grossen Hauptquartiers darf der Bildung von Soldatenräten keine Schwierigkeit bereitet werden. Die Art der Wahl muss den Truppenteilen überlassen werden. Die Dienststellen und Truppenteile (Bataillon), entsenden je einen ausreichend legitimierten Vertreter in den Soldatenrat Gross Brüssels, der im Gebäude des Generalgouvernements, rue de la loi 8, tagt. Meldung beim Vollzugsausschuss, der dauernd versammelt ist.
Brüssel, am 11. November 1918. Der Soldatenrat Brüssels.
Der Vollzugsausschuss. Freund. Nottebohm. Horn. Siegmund. Heinig.

Le Soldatenrat et la retraite des Allemands – interview avec un fondateur du conseil de soldats à Bxl. Extrait de l'émission "14-18", Alain Nayaert et Willy Estersohn (1968) http://www.rtbf.be/video/detail_le-soldatenrat-et-la-retraite-des-allemands?id=1938879

Affiche soldatenrat bxl http://dgtl.kbr.be:8881//exlibris/dtl/d3_1/apache_media/L2V4bGlicmlzL2R0bC9kM18xL2FwYWNoZV9tZWRpYS84NjQ1Nw==.pdf

José Gotovitch,  Révolution à Bruxelles: le Zentral-Soldaten-Rat in Brüssel, Editeur scientifique Baumann, Carl-Einstein Kolloquium 1998, (page 237-257) Publié 2001
Eugène Bouillon «  Sous les drapeaux de l’envahisseur. Mémoires de guerre d’un Alsacien ancien-combattant 1914-1918, imprimerie Messager de Colmar, 1934, 120 p.

LIEBMAN, Marcel, Les socialistes belges 1914-1918. Le P.O.B. face a la guerre, Bruxelles, Vie ouvrière, 1986. 
Mes blogs sur l'expo Liège dans la Tourmente
http://hachhachhh.blogspot.be/2015/01/liege-dans-la-tourmente-les-refugies.html
http://hachhachhh.blogspot.be/2014/08/expo-liege-dans-la-tourmente.html
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