vendredi 9 mai 2014

Le 18 mai Journée portes ouvertes au musée de Herstal avec dégustation médiévale

En 2014 on a créé derrière musée de Herstal un jardin médiéval, inspiré du capitulaire ‘Capitulare de villis vel curtis imperii’. J’ai écrit une page là-dessus dans mon blog http://hachhachhh.blogspot.be/2013/11/charlemagne-et-le-city-marketing.html
Il y a des jardins similaires dans plusieurs monastères comme Corbie, Saint-Benoît-sur-Loire et Saint-Gall. 

Le Petit Lancelot : un projet gastronomique intéressant

Lors de l'inauguration il y a eu une dégustation médiévale organisée par Pierre Leclerc, un historien qui combine son intérêt culinaire avec une connaissance approfondie des modes de production alimentaire, et un respect profond et sincère des différentes cuisines multiculturelles.
Son projet Petit Lancelot réfère à un livre de 1604, ‘l’Ouverture de cuisine’, de Lancelot de Casteau, maître queux des princes-évêques de Liège. On y trouve par exemple une recette de carpe aromatisée à la noix de muscade, au gingembre, à la marjolaine, à la menthe, au vin, au verjus et à la cervoise.
Mais ce Lancelot est aussi le premier qui  mentionne le mot « boulet », boulet de poisson, certes, mais il en prépare également à la viande sous le nom de « rondes boules » qui sont à la base de nos boulets liégeois

La civilisation carolingienne tourmentée par la famine.

Mais quand on parle de dégustation médiévale, on ne peut pas oublier que la civilisation carolingienne était dominée et tourmentée par la famine. En Europe, le capitulaire de Charlemagne de 789 est l'un des premiers textes juridiques à se préoccuper des actes de cannibalisme : « Si quelqu’un, trompé par le diable, croit qu’une femme est une sorcière qui mange des hommes, et que pour cela il la brûle et donne sa chair à manger ou la mange lui-même, il sera puni de la peine capitale ».
On l’a appris lors de colloque sur Charlemagne de la bouche de Florence Close: « le Capitulaire de Herstal de 779 envisageait les moyens à mettre en oeuvre pour résorber la crise provoquée par la famine de 778/779 ».
Au même colloque Jean-Pierre  Devroey a fait le parallèle entre la plupart des capitulaires et la famine. La guerre demandait plus de pain et de fourrage, et la politique agraire carolingienne fut aussi stimulée  par le défi représenté par la répétition des pénuries alimentaires. L’obligation pour tous de payer la dîme paroissiale (dont un tiers à un quart du produit était réservé à l’assistance aux pauvres de la paroisse) fut instaurée par Pépin III en 765. Après les hivers extrêmes de 762-763 et 763-764, les récoltes de 763 et 764 furent vraisemblablement très déficitaires partout en Europe. L’aléa climatique et ses conséquences désastreuses pour les populations furent  interprétés comme des épreuves voulues par Dieu en raison des péchés du royaume tout entier (Dedit tribulationem pro delictis nostris), jusqu’à ce que la divine providence dispense une « abondance merveilleuse » en 765. Dans une lettre à saint Boniface, Pépin III donna l’ordre de dire des litanies dans les paroisses, de faire que tout homme fasse l’aumône et nourrisse les pauvres, et que désormais, chacun soit contraint de payer la dîme qu’il le veuille ou non.
Ces injonctions furent  répétées par Charlemagne en 779 à Herstal  dans les mêmes circonstances de disette et d’autres tribulations politiques et militaires (le désastre militaire d’Espagne de 778).
Le 2e  capitulaire de Herstal impose des jeûnes pour le clergé et les hommes qui dépendent d’eux s’ils en sont capables ; une taxe exceptionnelle à distribuer en aumône d’un livre d’argent pour les évêques, les abbés et les abbesses, qui le peuvent ; une demi livre pour les moyens; 5 sous pour les plus petits. Chacun d’entre eux doit nourrir, selon ses moyens, de 1 à 4 pauvres jusqu’à la moisson. Des jeûnes pour ces laïcs et leurs hommes qui dépendent d’eux s’ils en sont capables, rachetable pour 60 à 12 deniers. Chacun d’entre eux doit nourrir, selon ses moyens, de 1 à 4 pauvres jusqu’à la moisson.
Des récoltes déficitaires se succèdent, à partir de l’automne 792. En juin 794, lorsque Charlemagne réunit une assemblée à Francfort, l’abondance était « grâce à Dieu, revenue malgré une grande sécheresse ». Cela n’empêche que cinq chapitres  sur cinquante-six concernent l’économie chrétienne des échanges, et l’accès à la nourriture : tarif des prix maximum des céréales ; obligation aux détenteurs de bénéfices royaux de nourrir leurs dépendants pour qu’ils ne meurent pas de faim, et de vendre le surplus des grains à leurs propres dépendants au prix légal des grains publics.
Durant l’automne et l’hiver 805, plusieurs capitulaires font allusion à la disette. Il ordonne de ne pas attendre un nouvel édit de sa part pour prendre des dispositions religieuses analogues dans le cas où interviendrait une quelconque tribulation naturelle (fames, clades, pestilentia, inaequalitas aeris). Il interdit de vendre des victuailles à l’extérieur de l’Empire. Les seigneurs fonciers doivent aider leurs dépendants et ne pas vendre leurs excédents plus cher. L’assemblée à Nimègue a été convoquée au mois de mars 806, ce qui correspond à la période de soudure. Un capitulaire est entièrement consacré aux mesures destinées à lutter contre la famine. Dix chapitres sur dix-huit concernent la politique d’accès à la nourriture: devoir d’assistance aux mendiants contre du travail ; comment certains font des profits honteux en achetant et en vendant des céréales et du vin ; mesures spéciales pour lutter contre les effets de la famine.
Tout ça n’est pas pour couper l’appétit de ceux qui participent à la dégustation médiévale. Mais il est toujours intéressant de penser un peu à ceux qui ont produit ces aliments et les conditions dans laquelle ils ont été produits.
Et je termine, comme dans les fables de la Fontaine, avec un extrait – certes un peu indigeste - d’une lettrede Friedrich Engels à Piotr Lavrov : «  La production humaine atteint à un certain stade un tel degré que sont produits non seulement des besoins nécessaires, mais aussi des plaisirs superflus, bien qu’au départ seulement pour une minorité. La lutte pour la vie se transforme en une lutte pour les plaisirs, non plus pour de simples moyens d’existence, mais pour des moyens de développement, moyens de développement produits socialement, et à ce niveau on ne peut plus appliquer les catégories du règne animal. Mais si maintenant, comme c’est le cas actuellement, la production dans sa forme capitaliste produit une quantité de moyens d’existence et de développement de loin supérieure à ce que la société capitaliste peut consommer parce qu’elle tient artificiellement la grande masse des producteurs réels à distance de ces moyens d’existence; si cette société est contrainte par la loi même de sa propre existence à augmenter continuellement cette production déjà trop forte pour elle, et en conséquence est amenée à détruire périodiquement, tous les dix ans, non seulement une masse de produits, mais aussi de forces productives — quel sens peut encore avoir le bavardage sur la «'utte pour la vie' ».

Voir aussi mes autres blogs sur Charlemagne



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