lundi 13 janvier 2014

La requalification de Droixhe

photo VilleLiège

Le PROGRAMME COMMUNAL Liégeois D'ACTIONS EN MATIERE DE LOGEMENT 2014 – 2016 a introduit 20 projets pour 199 logements. Maggy Yerna avertit qu’elle sera contente si un tiers est accepté. Et dans ce tiers une partie seulement est social. Faute de pouvoir rénover les trois tours subsistantes de Droixhe, on les détruit  fin 2014. Cela représente440 logements ! Pourtant le Logis social de Liège a rénové à Angleur un  immeuble comparable de 211 appartements sociaux. Angleur a été conçu par le même groupe d’architectes qui a construit Droixhe.
La saga de Droixhe a commencé en 1995 quand le bureau d’études français PROJENOR subdivisé le quartier en différents secteurs ‘à rénover selon des stratégies différenciés’. En fait, PROJENOR a découpé la proie en morceaux plus digestes pour le privé. En 2004 les six immeubles le long de la Meuse ont été rénovés. Une partie a été démolie.
Après Projenor, le consultant Roland CASTRO monte en scène. Pour lui, « il faut dédensifier par écrêtage ».  En 2001 Jean-Maurice Dehousse confirme le budget de 2,1 milliards pour le projet Castro-Droixhe, mais l’année après, la Société wallonne du logement rend un avis négatif . mais les conseils (chers) de  CASTRO ont servi de prétexte pour raser 256 logements!
L’enjeu est aussi le maintien d’un patrimoine. L’architecte Daniel Dethier: « A l’heure où l’architecture moderniste est remise à l’honneur, notamment les immeubles construits par Le Corbusier,  ne faut-il pas préserver un ensemble comme Droixhe tant sur le plan  patrimonial que pour la qualité de vie qu’il peut offrir à condition d’être bien géré ».
Droixhe est un exemple d’une approche fausse du problème du logement
 Selon le sociologue français BOURDIEU  « ce n’est sans doute pas la concentration verticale des habitants qui produit ces problèmes mais la concentration verticale des problèmes. Accorder une telle importance à l’influence de l’architecture suppose qu’en agissant uniquement sur celle-ci on pourrait résoudre toutes les difficultés. Ce déterminisme architectural n‘est-il pas un leurre ? Dans les représentations, l’architecture du quartier demeure sur-culpabilisée » (LaMisère du Monde, Seuil, Paris, 1993).
Droixhe a vu passer la crème des prophètes des PPP
La saga de Droixhe a commencé en 1995 avec le bureau d’études français PROJENOR  qui propose une «requalification, une action beaucoup plus étendue que celle portant sur la seule rénovation physique. Il faut travailler sur les espaces publics, la vie associative, le tissu économique ».
En fait, cette ‘action beaucoup plus étendue’ a surtout servi à justifier une subdivision du quartier en secteurs ‘à rénover selon des scénarios et stratégies différenciés’. Projenor argumentait que ces ‘barres’ ont été construits une petite dizaine d’années après les premiers et pas selon les plans initiaux du groupe EGAU – ils sont plus hauts pour des raisons bassement financières. Cet argument ne tient pas la route. Il y a quand même une unité architecturale incontestable. Le découpage a surtout servi à justifier la stratégie PPP. Il s’agissait surtout de découper la proie en morceaux plus digestes pour le privé.
Le Bureau DETHIER rénove en 2004 les six immeubles de «TRUFFAUT-LIBERATION», qui restent dans le giron public.Une partie est démolie. Projenor destine les cinq immeubles de l’avenue de la Croix-Rouge à un PPP.

Projenor contesté en France

Euralille - ill. urbanisme insurrectionnel
Qui a été chercher Projenor, et combien ça a coûté ? La carte de visite de Projenor était Euralille. Pour les city marketeers un succes story. Si on gratte un peu pas si terrible que ça. Un exemple seulement : Euralille, entièrement construit sur la gare TGV, n’avait au départ pas de liaison avec la gare Lille Flandre, à 300 mètres de là. Ce n’est que des années après qu’on a construit une galerie reliant les deux. En organisant des détours pour qu’on passe devant le maximum de vitrines.
A Dunkerque,  Charles Masse, directeur de Projenor, a été critiqué par la chambre régionale des comptes pour ses notes de frais excessifs: 19.000 euros en 2 ans et demi avant son  arrivée, 30.000 euros en deux ans pour lui, avec une situation potentielle de conflit d’intérêt, notamment dans ses activités de lotisseur et d’assistance à maîtrise d’ouvrage. La convention entre S3D et Projenor avait coûté 224.000 euros, pour un bilan jugé faible. La rémunération du directeur (152.000 € bruts/an hors frais de voiture) « est jugée élevée pour une structure employant une dizaine de personnes».
La société coopérative Atlas
Suite à l’étude Projenor, la Région wallonne constitue en 1999 la société coopérative Atlas, avec un conseil d’administration composé à la proportionnelle des groupes politiques à la ville : PS, PSC, PRL et Écolo.
Une petite anecdote qui est représentative pour Atlas. En 2000, une équipe de suivi sociologique de l’Université de Liège s’installe dans un appartement témoin où les locataires des six immeubles à rénover peuvent venir constater les futures transformations de leur appartement. Pour des raisons de « marketing », la société de logements décide (contre l’avis de l’équipe de l’Université et des auteurs de projet) de retapisser et de repeindre l’appartement alors que ces travaux n’étaient pas prévus pour les locataires. Ce n’était pas dans le marché… M. Frankignoulle : « étant donné qu’il a été inauguré par le ministre Daerden, la société Atlas a voulu le faire repeindre, pour le rendre clean, avec un très beau vinyle au sol.  Ils étaient même venus mettre une hotte et une cuisinière électrique.  Nous avions trouvé que ce n’était pas l’idéal.  Effectivement, il y avait normalement des saignées visibles dans les murs des appartements rénovés.  Le fait d’avoir retapissé l’appartement masquait ces choses-là ».
Roland CASTRO, le roi de l’écrêtage
Après Projenor, on va chercher le consultant Roland CASTRO. D’une voix de prophète il déclame: « L’avenue de la Croix-Rouge est une frontière: d’un côté, un faubourg pavillonnaire; de l’autre, 5 tours de 22 étages identiques. Deux mondes se font face et s’ignorent. Deux échelles incompatibles. Il faut dédensifier par écrêtage de façon à adoucir les écarts de hauteur, les parties les plus basses étant les plus proches du faubourg. Le respect du contexte urbain entraîne la suppression de 256 logements sur 660. L’écrêtage vise aussi une transformation des tours au bénéfice de figures géométriques différentes composées suivant la trilogie socle-corps-ciel. Requalifier les espaces extérieurs dans le sens d’un plus grand potentiel d’appropriation par les habitants. Introduire la mixité fonctionnelle par la création d’écoles, de locaux d’activités et associatifs ».
Beaucoup de blabla (trilogie socle-corps-ciel), voire carrément  à coté de la plaque ! Mixité fonctionnelle par la création d’écoles, de locaux d’activités et associatifs ? Mais il y a une école, une église classée, une belle salle, le complexe du Parc ! Quant au deux mondes qui s’ignorent, faubourg et tours: les gens du ‘faubourg pavillonnaire’ allaient se promener dans le parc ; ils passaient entre les tours pour prendre le bus, l’école etc. . Dédensifier par écrêtage ? Une opération esthétique discutable et lourde : il faut déshabiller complètement les bâtiments pour démolir une partie des étages supérieurs ; et puis, qu’est-ce que ça change sur le fond, d’avoir quelques étages en moins ? Cela témoigne d’un manque de respect total pour un concept qui n’est peut-être plus d’actualité mais qui a eu ses mérites. Mais surtout, c’est un prétexte pour supprimer 256 logements sur 660 !
Qui est ce Roland CASTRO, l’homme qui  redessine la ligne de ciel  ?
Qui est ce Roland CASTRO avec un nom si sympathique ? L'architecte Roland Castro se lance après les violences dans les HLM en France. Pour lui, ces émeutes, c’est «la civilisation urbaine ou barbarie. Soit on va se bouger sur la ville, soit il va arriver des choses vraiment graves dans cette société, un déchirement social». Contre ce déchirement social il propose la cohésion sociale, le remède miracle de l’Union Européenne.
Roland Castro a pourtant un bon pédigrée : au Parti communiste en 1961 il évolue en 1967 vers les maoïstes de l’Union de la jeunesse communiste marxiste-léniniste et est co-fondateur du mouvement « Vive la révolution ». Il se rapproche de François Mitterrand  en 1976. En 1992, barre à droite : il devient consultant de Charles Pasqua. Il effectue ensuite un nouveau virage vers le PCF, sous Robert Hue.
Ne nous fions donc pas trop à sa carte de parti. Voyons quelle politique il vend. Ce vendeur de rêves se présente ainsi: « je bosse dans les agences qui, à l’époque, conçoivent les ‘grands ensembles’. Cette connaissance de l’intérieur que j’ai des pratiques qui ont fabriqué ces morceaux de non-ville et de non-architecture m’a aidé, ensuite, à les déconstruire ».
Notez le jargon : il ‘remodèle’ ces morceaux de ‘non-ville et de non-architecture’ ; en fait il les ‘déconstruit’. Approfondissons un peu son vocabulaire. A propos de son projet de  réhabilitation ‘radicale’ à Lyon il «  redessine une ligne de ciel ». Rien de moins.
A  La Caravelle, il ouvre des rues, « d’est en ouest et du nord au sud, au prix de démolition d’une partie des bâtiments. Bref, on désenclave, pour rendre le quartier plus perméable ; on remaille, pour diviser la cité à neuf quartiers distincts ; et on construit des bâtiments satellites, pour introduire de la complexité. Entre l’espace public et l’espace privé, on introduit des gradations : des jardins semi-privés en pied d’immeuble, appropriables par les habitants. On travaille la ligne de ciel, en écrêtant. Bref, on instille de la différence, on propose des repères visuels qui arrêtent le regard et adoucissent la perception ». Le loyer des nouvelles constructions augmente, pour lutter contre « le spectre du ghetto ».
En 1968, Castro s’en prenait déjà à la « violence » d’une architecture « fonctionnaliste totalitaire ». Castro est en guerre contre les fils de Le Corbusier:« C’est toujours dur de devoir démolir. Mais pour faire une ville, il le faut bien. Haussmann l’a fait. » 
Voilà une petite idée d’un des consultants qui ont contribué à creuser un trou de 35 millions d’Euro à la Maison Liégeoise !
Un avis négatif de la Société wallonne du logement pour rétrécir les cinq tours.
Jean-Maurice Dehousse déclare en 2001 : « Nous venons de confirmer notre accord pour le projet Castro-Droixhe 2005. Le budget de 2,1 milliards est confirmé, nous avons obtenu une participation de la Province tandis que la Ville interviendra, comme prévu, à raison de 191 millions. Le reste - soit près de deux milliards - devant être pris en charge par la Région wallonne au travers de la Société wallonne du logement. Si le ministre Daerden n'accorde pas d'autres affectations aux deux milliards prévus... Si le projet n'aboutit pas, il faudra alors assainir le site et là, la facture pourrait être lourde: rien que la destruction des tours coûterait près de 3 milliards ».
photo Castagnetti

L’année après
, la Société wallonne du logement rend un avis négatif (consultatif) pour rétrécir les cinq tours. Le coût de l’écrêtement a été jugé trop élevé (86,7 millions d’euros). Atlas aussi hésite : le rétrécissement des tours diminuerait le nombre de logements de 660 à 440. Atlas a hérité d’une dette de 8,9 millions d’euros pour rembourser le coût de construction des tours, étalé sur 70 ans. Dehousse "n’est pas un entêté de l’étêtement. Le nombre de logements sociaux à Liège va tomber en dessous du minimum vital ».  Pour Willy Demeyer, «il faut conserver le nombre d’appartements sociaux ». Pour le PSC, l’étêtement représente aussi "une mauvaise solution qui mettrait budgétairement en péril la rénovation des autres secteurs du quartier et ne modifierait pas la mauvaise image de marque de Droixhe". Écolo juge "inacceptables le coût économique et social de la démolition, la perte de 400 logements et le risque d’un chancre urbain sur la plaine". Le PRL par contre se prononce "pour la démolition avec une nouvelle occupation du sol. Il faut un geste fort, symbolique : en finir avec ça !"

A la même époque le ministre wallon du Logement Michel Daerden visite à Bordeaux un projet visant à raser les bâtiments ‘ghettos’. Dans la foulée de cette visite, son chef cab Alain Rosenoer, Directeur général de la Société wallonne du Logement, note qu’en Wallonie, nous manquons cruellement d’une culture de partenariat privé-public qui permette une stratégie plus globale : « par exemple à Bordeaux, la rénovation d’une ancienne zone d’activité économique portuaire se traduit en un tiers de logements acquisitifs, un tiers d’investissement et un tiers de logement social. Les partenariats s’y sont mis en place en deux ans, ce qu’il faut comparer aux délais extrêmement longs observés chez nous ».
Droixhe : démolir encore 440 logements ?

Exit le consultant Roland CASTRO. On lancé un appel à projet européen en 2008 pour les trois tours restants, puis un second en 2010. « L’idée était de confier la restauration des tours au secteur privé, explique Maggy Yerna, échevine du logement.  Des promoteurs se sont montrés intéressés, mais ils n’ont pas trouvé de financement. La crise est passée par là.  Après 4 ans d’échec, la démolition des tours est une option qu’on ne peut plus exclure. On n’arrive pas à trouver d’investisseur privé car ce qui est proposé n’est pas assez attractif. On se retrouve avec des tours ghettos, vides, alors qu’il y a un besoin criant de logements. Il y a eu la crise financière en 2008, puis on nous a conseillé de scinder les appels d’offres en plusieurs lots parce le dossier était trop lourd. Puis maintenant, le secteur privé nous dit qu’il est toujours intéressé mais qu’il ne trouve pas de financement auprès des banques  (Le Soir  9 Novembre 2012).
Le mécanisme du Parténariat Public- Privé (PPP) prouve ses limites. Mais les pouvoirs publics n’en tirent pas les conséquences : ils s’apprêtent à investir en solo pour refiler tout au privé après. Maggy Yerna annonce 120 logements et une maison de repos de 135 lits ainsi que 50 lits de résidence service. «Nous lancerons la construction de ces deux projets en espérant que le privé suivra en investissant dans le reste des tours » (Ls 20/4/2012).  Willy Demeyer avertit:  « Il faut voir si le cahier des charges n’est pas trop contraignant pour le partenaire privé. Lui demander, par exemple, de louer des logements n’est sans doute pas pertinent ».
Et du côté du privé, devant ces paroles lénifiantes, on ajoute une couche. Ils veulent se faire payer pour remettre prix ! Selon Denis Bosson (Franki), « une des pistes de solution serait, comme c’est le cas en France, que le pouvoir public prévoie un budget pour défrayer les candidats non retenus mais dont le dossier était correctement constitué ».
Les 3 barres représentent 404 logements. Dans le projet Yerna il en resterait 120 puisqu’elle en supprime pour la maison de repos et la résidence service. Et aujourd’hui ce projet est quasiment enterré….

A Angleur le Logis social de Liège rénove un  immeuble comparable

Pourtant à Angleur le Logis social de Liège rénove un  immeuble comparable de 211 appartements sociaux.  « L’objectif est de faire de ce bâtiment un exemple de développement durable en passant d’un bâtiment extrêmement énergivore à un bâtiment  très performant au niveau énergétique, proche du standard  passif et respectueux des modes de vie actuels. Une quantité  de détails techniques ont ainsi été étudiés afin de supprimer les nombreux ponts thermiques existants tout en respectant un budget serré et l’aspect esthétique du bâtiment ».
Le clou, c’est que ce bâtiment a été conçu par le groupe d’architectes EGAU qui a construit aussi Droixhe. L’argumentaire pour Angleur pourrait s’appliquer à Droixhe : « inscrit à l’inventaire du Patrimoine monumental de Belgique, il est représentatif de ce qui se faisait à la fin des années 50 en matière de logement social urbain. Il est adjacent à deux immeubles similaires. Il présente une forte  parenté avec la cité radieuse du Corbusier ».
Il est vrai que l’endettement du Logis social s’élève à seulement 700.000 €, et qu’il peut se permettre de prendre encore quelques initiatives. Tandis que celui de la Maison Liégeoise culminait à 36.965.760 € au 31 décembre 2010 ! Mais au moins 30 millions ont été engloutis dans le gouffre de Droixhe ! Pour ce prix-là, on aurait pu restaurer tout le site !
Droixhe est un patrimoine important et récupérable
photo Sonuma

L’enjeu est donc le maintien de 440 logements. Mais c’est aussi le maintien d’un patrimoine.
Selon Pierre Frankignoulle de l’association « Homme et Ville »  (il a animé pendant sept ans une cellule d’accompagnement sociologique de Droixhe, en collaboration avec Daniel Dethier),  « Droixhe est inspiré de la Charte d’Athènes et du CORBUSIER : implantation selon une orientation optimale (est-ouest) ; 75% des 18 hectares non bâtie ; présence d’équipements collectifs (école, centre culturel, commerces) compensant l’exiguïté relative des logements. Des performances de confort peu courantes à l’époque de la construction (à partir de 1954), et moins encore dans le logement social : il y avait 100% de salles de bains alors que le logement privé de l'époque n'en offrait que 7% en Belgique (en 1947); il en était de même de l’eau courante dans les logements, ou encore du chauffage central.
La présence de l’autoroute est plus tardive et n’était pas prévue par les concepteurs. Très prisé des «petites classes moyennes» : des chiffres de 1962 montrent la diversité socio-professionnelle : ouvriers du secteur privé : 19,3%, ouvriers du secteur public : 5,4 %, ouvriers pensionnés : 6,2%, employés du secteur privé : 36,8%, employés du secteur public : 19,5%, employés pensionnés : 10,6%, professions libérales : 2,2%. La situation actuelle est très différente : 90% des chefs de ménages sont inactifs ».
Et il conclut très judicieusement : « L’architecture des lieux est souvent montrée du doigt : mais n’est-il pas réducteur de focaliser sur ce seul paramètre ? »
Le groupe EGAU a réalisé Droixhe, mais aussi l’Église Saints-Pierre-et-Paul en 1973 et  le Cinéma Le Parc dans le même quartier. Sur leur palmarès aussi la gare des Guillemins (intérieur), démolie aujourd’hui, le siège liégeois de la Banque Nationale place Saint-Paul en 1968, ainsi que des logements sociaux à Angleur, qui sont rénovés aujourd’hui. Pourquoi a-t-on exclu ce genre d’intervention à Droixhe ?
Daniel Dethier, un des architectes responsables pour la rénovation des six immeubles de «TRUFFAUT-LIBERATION», signale, à juste titre, que « la Cité de Droixhe constitue, en Belgique, le plus bel exemple d’application de la pensée moderniste – et particulièrement des CIAM (congrès internationaux d'architecture moderne) – au logement social. En 1958, année de l’inauguration des premiers bâtiments, habiter à Droixhe est un privilège et le demeure jusqu’à la fin des années 1970. Depuis lors, la cité s’est dégradée ; elle est souvent, non sans excès, désignée comme le quartier difficile de Liège. Et, bien  des observateurs stigmatisent les choix d’EGAU comme responsables de la dévalorisation sociale. Plutôt que d’imputer  la faute à la typologie du bâti, il est sans aucun doute plus significatif de s’interroger sur les nouvelles dispositions de  gestion qui lient les loyers aux revenus et se soldent par un exode de la classe moyenne active (dont les loyers explosent) et la ghettoïsation d’une population socialement défavorisée (90 % de personnes inactives avec un revenu moyen annuel par habitant de 3900 euros). Alors que la Région manque de logements, 720 appartements sont démolis au prix fort alors que la Ville de Liège doit encore payer
ill. V.Rixhon
l’édification des immeubles jusqu’en 2037. Un vague projet de construction des maisonnettes a été avancé sans développement significatif faute de partenaires privés. A l’heure où l’architecture moderniste est remise à l’honneur, notamment les immeubles construits par Le Corbusier,  il semble nécessaire d’étendre une réflexion sur la nécessité à préserver un ensemble comme Droixhe tant sur le plan  patrimonial que pour la qualité de vie qu’il peut offrir à condition d’être bien géré
 ».
Dans un autre texte Dethier explique que « le plan-masse a été conçu suivant un principe de rationalisation de l'espace utile : le complexe est divisé en unités de voisinage (2000 logements), elles-mêmes composées d'unités d'habitation (500 logements). Séparation des fonctions, sécurité, hygiène et confort président à l'élaboration du projet ».

Des reliefs en béton qui tiennent de l'abstraction géométrique

Dethier continue : « les préoccupations d'ordre esthétique dans la finition des immeubles sont particulièrement sensibles dans le travail de la polychromie des façades. C'est aussi la première fois en région liégeoise que, pour ce type de construction, on traite le béton armé comme un matériau noble. Les reliefs en béton de Jo Delahaut, Pol Bury, Jean Rets et Georges Collignon tiennent tous de l'abstraction géométrique ».
A propos de ces reliefs en béton de Jo DELAHAUT, typiques du style "atome" de la fin des années 50, avec leurs motifs aux reliefs pointus et aux profils anguleux, et leurs coloris alliant le gris, le brun et le bleu, ils attestent des préoccupations sociales d'un artiste, qui, de 1956 à 1960, se consacrera à la décoration de plusieurs logements sociaux, conçus par l'élite de l'architecture progressiste belge : Victor Bourgeois, le groupe EGAU, Gaston Brunfaut et Willy Van der Meeren. Jo Delahaut intervient aussi au Palais des Congrès.
photo urbagora
Dethier conclut, avec un parler franc inhabituel de la part de quelqu’un qui a pris une partie du contrat de rénovation : « Il nous a d’emblée semblé inopportun de répondre à des problèmes d’urbanisme et aux difficultés sociales qui en découlent par la destruction. Outre de faire disparaître un élément du patrimoine architectural de Wallonie et un repère dans le paysage liégeois, la démolition de cet ensemble apparaît comme un gâchis, un gaspillage du denier public. Plutôt que d’étêter les immeubles, nous proposons de remplacer leur travée centrale par de larges plateaux. la plupart des critiques formulées par les habitants portaient sur les espaces communs dégradés, mal entretenus ou inopérants ; ce dernier point était criant pour les ascenseurs souvent saturés ou en panne. Il faudrait désenclaver le secteur  aussi bien vers le reste de la cité que vers le centre ville ».
Edmond Leburton : Droixhe une cité de l'avenir.
"Droixhe est une synthèse vivante de ce que doit être la cité de l'avenir ». L'auteur de cette affirmation prophétique (22 février 1958) n'est autre que feu Leburton (PS) qui croyait fermement en l'avenir de cette cité-modèle, ville-satellite, cité-jardin, etc. et son principe de «l'unité de voisinage». De la naissance (consultation post-natale, crèche, écoles) à la mort (morgue), l'architecture rythme la vie des locataires. «Times» a évoqué la cité-parc dans ses colonnes. Ce fleuron de l'habitat social fut le sujet d’un numéro spécial (1962) de la revue «Habiter» éditée par l'Institut national du logement.

Conclusion

Avant de raser (éventuellement) les trois dernières tours de Droixhe, exigeons la construction d’un équivalent neuf. 440 logements rien que pour ces trois tours ! Le Logis social a rénové à Angleur un  immeuble comparable. Et à l’heure où l’architecture moderniste est remise à l’honneur, ne faut-il pas préserver un ensemble comme Droixhe tant sur le plan  patrimonial que pour la qualité de vie qu’il peut offrir à condition d’être bien géré ? L’architecture des lieux est souvent montrée du doigt : mais n’est-il pas réducteur de focaliser sur ce seul paramètre ?

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