jeudi 19 décembre 2013

Le BAL à Liège : un défi urbanistique

Le musée des Beaux-Arts de Liège (BAL) est la première victime de la Boverie, lancée en 2006 sous le nom de CENTRE INTERNATIONAL D'ART CONTEMPORAIN, «ensemble muséal d’envergure mondiale » lancé par le GRE en 2006. On est encore nulle part avec le CIAC (la dernière facture doit être rentrée avant fin 2015 !), mais on a déjà déposé toutes les collections du Mamac au BAL. Hors de deux musées, on a fait un demi ! En août 2013, le Collège communal a décidé de ramener les collections du Musée des Beaux-Arts à la Boverie. L’îlot Saint-Georges accueillira les réserves muséales. Pourtant, ce bâtiment mérite mieux, malgré des handicaps hérités de l’architecture des années 60. Ce bâtiment a un défi urbanistique et architectural a relever.

L’espace muséal à ilôt Saint Georges : un bâtiment en béton décoffré des architectes Bonhomme et Poskin

Saint-Georges en 1966
Selon le directeur des musées de Liège, J-M Gay, «le parvis du Bal – la dalle de Saint Georges -  est digne de la Tirana des années 60 mais, à l’intérieur, il offre des espaces d’expositions modulables et modernes». Digne de la Tirana des années 60 ? Peut-être. Mais sûrement représentatif pour l’urbanisme à Liège des années 60-70.
En 2005 déjà la conservatrice du Musée d’Art Wallon plaidait pour une rénovation de la dalle extérieure. Elle imaginait un immense jeu d'échecs à taille humaine.
En 2013 encore son échevin J-P Hupkens voulait « connecter le Bal à la Meuse et à Féronstrée » (Llb 08/02/2013). Avec ça il mettait le doigt sur un problème clef de ce bâtiment. Si les espaces muséales et le bâtiment en soi ont des qualités architecturales incontestables, ils portent les tares d’une architecture qui condamnait la « rue-corridor » et qui construisait donc ses bâtiments coupés de la rue. La dalle de Saint Georges n’invite vraiment pas à s’y aventurer.
Mais ce bâtiment a aussi des qualités. Selon Ann Chevalier, ex- conservatrice du Musée d'art wallon (devenu le BAL), «le Musée de l'Art wallon est le seul à Liège qui se trouve dans un bâtiment spécifiquement construit pour abriter un musée. Du 4e étage commence la visite qui s'effectue en descente, un kilomètre en colimaçon.  En outre,  les années 70 sont à la mode. Nos visiteurs hollandais et allemands aiment beaucoup ce bâtiment en béton décoffré conçu par les architectes Bonhomme et Poskin» ( Llb 28/07/2005).
Je doute de cette amour de nos amis bataves pour le béton décoffré. Mais il est incontestable que ce bâtiment des architectes J. POSKIN et H. BONHOMME est typique pour une architecture et l’urbanisme des années 70. Ils ont conçu aussi (e.a.) la tour Kennedy avec la Bibliothèque des Chiroux. Même si pour les Chiroux aussi, l’entrée de la bibliothèque est presqu’une entrée des ‘servantes’ à côté de l’entrée de la tour Kennedy, l’intégration de cette "Maison de la Culture" est mieux réussie point de vue urbanistique que le musée de l’ilot St Georges.
Ces deux architectes ont incontestablement marqué la ville, avec la cité administrative, la tour Kennedy et leurs autres tours. Et ici nous ne portons pas de jugement de valeur sur cette ‘marque’.
Ils ont aussi inauguré les Partenariats Public Privé (PPP). La tour administrative était une production caractérisée par de grandes réalisations mêlant financements publics et privés. La volonté de s’inscrire dans un partenariat public- privé avaient permis à l’échevin Jean Lejeune (c’est à ce ‘fonceur’ qu’on doit le trou de la Place Saint Lambert) d’accélérer des procédures administratives  trop lentes qui le gênaient. En 1962 la S.A. Constructions et Entreprises industrielles (C.E.I.) propose la construction de trois édifices sur une surface de plus de 11.000 mètres carrés: un complexe commercial composé de quatre étages (« renforcement du pôle commercial»), un parking public de 184 emplacements et une tour de 18 étages avec un parking pour 64 véhicules. Pour la tour, un bail emphytéotique de 36 ans est signé. Le style de l’édifice n’est pas sans rappeler celui de la tour du siège des Nations-Unies à New-York (Niemeyer,  Le Corbusier, Harrison et al., 1947-1952 ), voire la tour du Congrès national de Brasilia (Niemeyer, 1958-1960). Et l’espace muséal fait penser au Guggenheim de Frank Lloyd Wright. Des belles références !
Mais le parvis du Bal – la dalle Saint Georges – est une horreur. A commencer pour les Personnes à Mobilité Réduite (PMR, même s’il doit y avoir un ascenseur). Si cette dalle est renfermée sur  elle-même, n’est-ce pas pour donner au complexe commercial de Féronstrée une entrée sur une ‘vraie’ rue?
Mais ce problème n’est pas insoluble. Sans pour cela adopter des solutions révolutionnaires du Louvre où l’on a restauré le jardin des Tuileries. Les tares même de cette architecture qui voulait bannir la rue peuvent devenir un atout dans la mesure où la structure sur pilotis permet de réaménager sans trop de frais le rez de chaussée. En plus, le tram imposera, qu’on le veuille ou non, une discussion sur les deux parkings ‘en ouvrage’ qui flanquent le complexe administratif.

Un bâtiment spécifiquement construit pour abriter un musée ; un kilomètre en colimaçon, comme le Guggenheim 

Il y a aussi une réflexion au niveau de l’espace muséal proprement dite. La spirale muséale est en escalier, donc difficile pour les PMR ; mais l’adaptation ne devrait pas poser des problèmes insurmontables. Cette rampe en colimaçon s’inspire du musée Guggenheim de Frank Lloyd Wright, même s’il y manque l'immense puits de lumière sur toute la hauteur de l'immeuble. Mais cela n’est pas un handicap insurmontable, à condition d’un minimum d‘efforts point de vue éclairage (ce qui n’est pas le cas maintenant). Les techniques d’éclairage sont en train de faire un bond technologique : on pourrait en faire un musée-modèle point de vue éclairage artificiel.
Assez bizarrement, nos autorités culturelles refusent cette référence au Guggenheim, tout en à tirant des plans sur la comète de la fondation Solomon R. Guggenheim . Willy Demeyer est tout récemment parti en ‘voyage d’études’ à Bilbao. Il me fait penser au moine de notre abbaye de Saint Jacques qui a été chercher à Santiago de Compostella un doigt de Saint Jacques, Santiago le matamore ou le tueur de Maures. Notre moine a dû mentir : notre Jacques est Mineur ; celui de Compostella est Jacques le Majeur. Willy est revenu les mains vides. Bilbao a profité de l’«Effet Guggenheim » au moment où la Fondation cherchait à s’essaimer un peu partout. GuggenheimSpin-off est un fonds négocié en Bourse qui investit depuis 2006 dans les titres de sociétés qui essaiment. Mais je ne trouve pas que Bilbao est un modèle à suivre.
Le projet Guggenheim est un cas d’école de gentrification et d’utilisation d’argent public pour soutenir une promotion immobilière privée. Rodriguez Martinez explique que même le tram a été conçu à Bilbao en fonction des grands équipements culturels ou touristiques qui forment le projet urbain. Le tram est une attraction touristique à part entière. Son but est de faire visiter la nouvelle ville aux touristes : Guggenheim, le Palais de la musique (Palacio Euskalduna), le Théâtre Arriaga et même le stade de football San Mames. La fréquentation du tramway est lente à démarrer en 2005. En 2009 encore Euskotram n’a qu’une occupation relative de 34,4% : ce tram ne dessert que la ville compacte de Bilbao et pas les quartiers résidentiels.
Bilbao spider maman
La fréquentation touristique de la ville a sensiblement augmenté. Cependant, c’était surtout l’attraction d’autres investissements qui était désirée, des sièges de multinationales, des firmes de services avancés, etc. La construction de nouveaux ensembles de bureaux (dotés, eux aussi, d’une architecture spectaculaire) avait été prévue dans ce but. Mais les effets d’entraînement escomptés n’ont pas eu lieu, si bien que les bureaux sont occupés aujourd’hui par des administrations publiques basques. Un autre effet de la construction du musée Guggenheim a été la flambée des prix immobiliers. Se loger à Bilbao est désormais plus coûteux qu’à Madrid ou Barcelone. En outre, les écarts de richesse entre le centre de Bilbao et les autres quartiers de la ville ont considérablement augmenté. Les pouvoirs publics locaux puisent dans les taxes sur les valeurs foncières une bonne partie de leurs capacités de financement de leurs projets phares, Guggenheim et autres, et ont donc grand intérêt à voir flamber les prix (de même, bien sûr, pour les spéculateurs privés).
Le géographe marxiste David Harvey (1989) a analysé le tournant entrepreneurial qui a affecté les politiques urbaines dans les années 1980, marquées par la décentralisation politique, le désengagement des États et la mise en concurrence des territoires. http://teoros.revues.org/82 .

L’Hospice Saint-Abraham en Féronstrée avait abrité l’Académie des Beaux-Arts en 1837

Petit détail historique: pour construire l’ilot Saint Georges on a rasé l’ancien Hospice Saint-Abraham en Féronstrée qui avait abrité l’Académie des Beaux-Arts entre 1837 et 1895. Avec la création du BAL un cercle avait été bouclé : après un siècle de pérégrinations le BAL avait retrouve ses sources… tout provisoirement, puisque les collections retourneront à la Boverie (si tout va bien)…
D’ailleurs, les ‘vieux’ bâtiments entourant le centre administratif sont des reconstructions. C’est le Bokrijk de Liège. La démolition de l’îlot formé par les rues Potiérue, Féronstrée, Saint-Jean-Baptiste et Barbe-d’Or, voté en 1955 par le Conseil communal, avait été menée grâce aux «subsides-
ill chokier.com
taudis
» de la loi de 1953 : ce secteur étant considéré comme une «lèpre matérielle et morale». On a fait une «démolition-reconstruction» par le démontage des façades puis leur re-montage. Pierre Frankignoulle appelle ça du façadisme. La tour a été construite en dérogation à un règlement communal spécial de protection de 1959 qui interdisait toute construction en hauteur dans ce secteur.

Sources

https://histoiresdeliege.wordpress.com/2017/01/24/lilot-saint-georges/
LA référence pour l’urbanisme à la base du BAL est http://www.homme-et-ville.net/Main.html

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