mardi 5 janvier 2010

1395 – 1404 La révolte des Hédroits

les principautaires Mady Andrien Pl St Barth
Dédié aux leaders des Hédroits Jean de Spa, Laurent Lambert, Lambert Grégoire, Jean Bottier de Fexhe, Bauduoin delle Roche, Laurent Lamborte, Jacques Badut, Wathieu d'Athin.
JEAN DE BAVIÈRE avait à peine dix-sept ans, lorsque le chapitre de Saint-Lambert le désigna, le 14 novembre 1389, pour monter sur le siège laissé vacant par la mort d'Arnould de Hornes. Le pape Boniface IX ratifia ce choix, bien que l'élu n’ait pas l'âge exigé par les canons. Le 17 décembre, moyennant dispense, l'élu reçut l'ordre du sous-diaconat, le seul qui ne lui fut jamais conféré. La ‘Cronica van der hilliger stat von Coellen’ spécifie : « He niet priester werden noch misse doin enwoulde. »
Les Hédroits en profiteront pour contester son autorité. Xavier Mabille fait très justement le lien avec les courants contestataires au sein de l’Eglise: «le prince a toujours refusé d’être prêtre et évêque, et ses adversaires l’accusent de vouloir séculariser l’évêché – un siècle avant Luther» (Encyclopædia Universalis, 13, 1995, p. 774).
Ceci dit, Jean de Bavière est aussi un homme de goût : il a à son service Jan van Eyck, qui entre au service de Philippe le Bon en 1425.
Jean était typiquement une créature du Saint-Empire romain germanique. Il était petit-fils de l'empereur Louis de Bavière ; sa mère Marguerite de Silésie était de la race royale de Bohême; enfin, l'empereur Wenceslas et Jean sans Peur de Bourgogne étaient ses beaux-frères.

Hédroits, hédrois, haydroits, haïdroits..

Face à l’élu, les Hédroits. On ne discutera pas sur l’orthographe, et dans ce blog j’utilise l’un et l’autre, en fonction de mes sources. Pour certains, «ceux qui haïssent le droit», pour d’autres les "hédrois" (braillards, frondeurs) les "haydroits" ou "haïdroits" (haïsseur de droit). Pour l’historien liégeois G. Kurth c’étaient des professionnels du désordre. F. Henaux fait remarquer que les anciens canonistes appellent jus odiosum, droit haineux, tout usage contraire au droit écrit. Selon Polain, Haydroits veut dire partisan des vaines pâtures, du libre usage des heyds (bruyères, terrains vagues). Pour ce qui me concerne, je dirai : « j’ai des droits ». Mais je reconnais que cette interprétation ne pèse pas lourd et traduit plutôt ma sympathie pour ces «professionnels du désordre »…

La rue des Hédroits à Seraing

C’est les Sérésiens qui mettent le feu à la mèche en 1395 (la seule rue des Hédroits dans la région se situe d’ailleurs à Seraing). Seraing étant à cette époque encore la campagne, on peut parler d’une révolte paysanne. La révolte va durer dix ans, si on compte jusqu’à la défaite écrasante du peuple à Othée, en 1404. Mais même après ce massacre, le peuple de Liège maintient la pression. Il est vrai qu’ils sont aidés en 1416 par une volte face de l’empereur germanique, mais ça fait partie de l’histoire et n’est pas à considérer comme un élément fortuit ou extérieur. En 1418 Jean de Bavière remet son évêché entre les mains du pape. C’est là que je mettrai la fin de la révolution des hédroits.
L'abbé de St Laurent retiendra les émeutiers,
le temps que le Prince-Eveque n'arrive
L’épisode des Hédroits est en effet plus qu’une révolte. Les révolutionnaires hédroits détruisent en partie le pouvoir d’état du prince, et on peut donc parler d’une révolution. Comme l’écrit Godefroid Kurth: «avec l’épée on écrivit un nouveau droit ».
La révolte commence par un fait divers. Les gens de Seraing avaient un droit coutumier d'aller s'approvisionner en bois dans les forêts voisines, qui appartenaient au prince. Jean de Bavière leur défendait formellement de couper du bois comme par le passé; il les citait devant ses échevins, qui les condamnèrent. Mais les manants trouvaient appui chez les maîtres de la cité, qui menacèrent d'exil les échevins de l’Evêque, si la sentence n'était pas révoquée. Ceux-ci s'obstinèrent et le décret de bannissement fut prononcé. L'évêque alors fit comparaître les paysans et les bourgmestres au tribunal suprême de l'Anneau du palais, qu'il présidait en personne. Ce fut le signal d'une émeute (Biographie nationale T. X, p. 327 Académie royale des sciences, des lettres et des Beaux-arts de Belgique, Bruxelles, 1897).

Vers l’épreuve de force : la paix de Caster et la Paix des seize

Une épreuve de force était imminente, mais les conservateurs empêchaient la Cité de se jeter à corps perdu dans les aventures militaires; la paix de Caster (29 décembre 1395) rétablit l'harmonie pour quelque temps.
Une harmonie fort relative : en 1401 la peste faisait 10.000 victimes à Liège. Et à Maastricht, à Tongres et à Visé circulent des cortèges de "Flagellants", nus jusqu'à la ceinture et armés d'un fouet dont ils se flagellaient publiquement. Mais très vite le mouvement se radicalise. Les flagellants réclament la destruction de l'Église, incitent le peuple à lapider les clercs, et s'en prennent finalement aux seigneurs et à tout ordre social. Nous n’avons pas trouvé des indications que ce mouvement a influencé idéologiquement les Hédroits. Mais peu d’historiens ont travaillé sur ces tendances radicales, et l’absence d’indications ne veut pas nécessairement dire qu’il n’y a pas eu des contacts.
Dans un tel contexte le prince évêque doit louvoyer. Le 14 septembre 1402 Jean de Bavière se retire dans la maison de l’Ordre Teutonique à Maastricht (Le baillage des joncs dans la région rhénano-mosane Labor 1993).
Le 12 juillet1403, les révolutionnaires profitent de l'absence du prince pour désigner comme mambour Henri de Hornes. Ce choix est tout un programme : notre homme était déjà vieux, mais il avait une expérience militaire certaine.
Le 28 août 1403 nouvelle réaction des conservateurs qui signent la Paix des seize ou de Tongres. 19 "hédrois" sont bannis. Le 2 avril 1404 l'ex-bourgmestre hédroit Laurent Lambert, banni en 1403, est enlevé à Mouzon pour être décapité à Liège: une manière bien catholique pour restaurer l’harmonie dans la principauté…
A Pâques 1406 de nouveaux troubles éclatent dans la Cité. Un des leaders des hédrois est Lambert Grégoire. Le 27 septembre Jean de Bavière se retire à Maastricht pour la troisième fois.
On est alors en plein schisme. Le prince est soutenu par Innocent VII, depuis Rome. Les Liégeois se tournent du côté de Benoît XIII, pape d'Avignon ; le 18 mars 1407 ils proclament la déchéance de Jean de Bavière et mettent comme évêque l'archidiacre Thierry, le fils du mambour Henri de Horn.
Dans l’Empire Germanique aussi, il y a des scissions. Thierry de Perwez reçoit ses investitures de l'ex- empereur Wenceslas (déposé par la diète depuis 1400).
Les bannis de 1403 sont rappelés. L'Anneau du Palais (= le tribunal du Prince Evêque) est aboli. En 1406 les partisans de Jean de Bavière sont bannis. Le pape de Rome, Grégoire XII, autorise Jean de Bavière à frapper les rebelles de peines ecclésiastiques. Le 30 juin 1407 les hédrois exécutent sur la place du marché des fidèles à Jean de Bavière. Le 10 juillet les biens des partisans émigrés de Jean de Bavière sont confisqués.
Le 31 mai 1408, les milices des Bonnes Villes du Pays de Liège mettent le siège devant Maastricht. Le 20 juin 1408, le prince de Liège décide de faire un geste. Il adresse aux Liégeois un message dans lequel il promet d'en revenir à la situation antérieure, d'oublier les injures, pour autant que les Perwez et les Hédroits soient abandonnés. Les assiégeants répondent avec une gouaille bien liégeoise. Ils envoient une écorce pliée comme une lettre et scellée de sept sceaux... d'excréments ! L'aristocrate Jean de Bavière n'en croit pas ses yeux. Sa colère n'a plus de bornes. Il fait pendre des Liégeois prisonniers sur les murailles de la ville de Maastricht.
Jean de Bavière appelle à l’aide son frère Guillaume de Bavière, comte de Hainaut, et Jean sans Peur, duc de Bourgogne. Celui-ci craint la contagion de la rébellion vers ses villes drapières du Nord. Andrea Dirsch-Weigand démontre l’origine de cette alliance dans l’Empire germanique (Der Aufstand der Lütticher 1408 gegen den fürstelekten Johann von Bayern in der Darstellung der Grandes Chroniques de France, der bayerischen Landeschroniken und der augsburger Stadtchronik, dans Stadt und Fürst in der Chronistik des Spätmittelalters. Studien zur spätmittelalterlichen Historiographie, Cologne/Vienne, Böhlau Verlag, 1991, p. 109-137).
Le 19 septembre, les Liégeois apprennent que Jean de Bourgogne marche sur la Principauté. Il faut lever le siège de Maastricht et aller défendre le pays.

La bataille d’Othée 

La troupe liégeoise, mal armée, était presque exclusivement formée de bourgeois et d’ouvriers qui n’avaient guère d’expérience de l’art de la guerre. En face, l’armada princière était composée de soldats de métier et disposait d’une redoutable cavalerie. La bataille d’Othée est véritable boucherie. L’«armée des princes» ne perdit que 600 hommes. On retrouve parmi les cadavres les corps de Thierry de Perwez et de son père qui se tenaient par la main (La Libre Belgique du 08/09/2008 et Le Soir du 11/9/2008, à l’occasion du 600e anniversaire de la «boucherie» d’Othée). C’est ce massacre qui valut au duc de Bourgogne le titre de « Jean sans Peur », un titre facilement gagné. 60 ans plus tard son petit-fils s’illustrera de façon sinistre à Liège : Charles le Téméraire mettra la Cité ardente à sac.
Jean de Bavière, qui n'avait pas assisté à la bataille, y gagna le surnom de « Jean sans Pitié ». Il ne l’a pas volé : il arriva le lendemain de Maastricht lorsqu’on découvrit quelques Haydroits cachés sur la plaine jonchée de cadavres: il les fit pendre ou écarteler.
Le vendredi 28 septembre, un cortège de bourgeois, deux à deux, nu-pieds et nu-tête, la corde au cou, un flambeau allumé à la main, se rendit à Grâce, au camp des princes, pour leur remettre les clefs de la ville et implorer miséricorde. L'évêque désigna trente-deux notables qui furent décollés sur-le-champ, et leurs corps jetés à la voirie. Le jour même, à Liège on procéda, sur l'ordre du prince, à d'atroces exécutions : le légat de l'antipape Benoît, la femme de Perwez et pleins d’autres partisans des Hédroits furent précipités dans la Meuse du haut du pont des Arches, liés dos à dos ou enfermés dans des sacs.
la bataille d'Othée
Jean de Stavelot, un historien partisan du prince, écrit qu’à la nouvelle de la défaite, les «bonnes gens et frans borgois » se soulevèrent à Liège contre la «hedrie». Chacun écrit l’histoire à sa manière…
Cinq cents otages furent livrés aux vainqueurs et déportés en Flandre et en Hainaut. La «Sentence de Lille » supprima tous les acquis démocratiques conquis par les Bonnes Villes depuis cent ans.
Mais cela ne suffit pas pour éliminer les haidroits. Des Haidroits se réfugient au duché de Brabant, et recommencent la guerre. Ils s'emparèrent de la ville de Herck, le 30 septembre 1409. Le lendemain la ville est repris et le prince fit quatre-vingt et onze prisonniers. Soixante-douze d'entre eux furent décapités et mis sur la roue. Dix-huit furent conduits à Liège où ils subirent tous le dernier supplice. Leur chef, Jean de Spa, fut écartelé, le 5 octobre, sur le Marché à Liège et les quartiers de son corps furent portés par quatre de ses complices hors la porte Sainte-Walburge où ceux-ci furent également décapités (V. JEAN DE STAVELOT, P. 145.)

1416 Retournement de la situation avec l'empereur Sigismond

Fin 1416, l'empereur Sigismond arrivait à Liège. Ce prince avait l’ambition de rendre à l'Empire son ancienne intégrité territoriale, après un combat fratricide avec son demi-frère Venceslas pour le trône de l’Empire. Sigismond avait réussi à mettre fin au Schisme. Le Concile de Constance, c’était lui. Il avait même réussi à tirer le grand rebelle Jean Hus dans un guet-apens et le faire brûler comme hérétique.
Dix ans plus tôt, il avait accepté l’alliance du prince Jean de Bavière avec le duc de Bourgogne et le comte de Hainaut : il fallait bien restaurer l’autorité du Prince Evêque, et l’empereur lui-même avait d’autres chats à fouetter.
Mais maintenant que la situation est rétablie, il veut et peut rogner les ailes de ces vassaux devenus un peu trop entreprenants, les maisons de Bourgogne et de Bavière. Les Liégeois le supplient de leur rendre leurs franchises. Sigismond leur donne satisfaction; il inflige ainsi une humiliation profonde au Bourguignons et Bavarois.
Cette tactique n’est pas nouvelle: pendant tout le Moyen Age les rois ont soutenu les villes, moyennant espèces sonnantes et trébuchantes, pour affaiblir leurs vassaux et centraliser le pouvoir. (Joseph Daris Histoire du diocèse et de la principauté de Liège, T. III., pendant le XVe siècle, Edition Demarteau, pp. 81 et suiv. Liège, 1890) Quant aux espèces sonnantes, l'Empereur emprunta aux églises de Liège la somme de six cents couronnes d'or, qu'il ne leur rendit jamais. Autrement dit : une aide directe.
Il est vrai que cette tactique de soutenir les villes pour rogner les ailes aux vassaux s’imposait moins à Liège. Dans le système de l’Église d'Empire (Reichskirche) l'empereur nomme les prélats. Dans les diocèses et archidiocèses qui dépendaient directement de l’Empire – Cologne avec Liège, Mayence et Trèves - l’Empereur pouvait raffermir son pouvoir à chaque succession. C’est ainsi que Jean de Bavière sera remplacé par DE WALENRODE, de l’Ordre Teutonique. Mais dans ce cas-ci Sigismond ne vise pas directement son prince-évêque. En mettant sur la touche Jean de Bavière, il fait surtout comprendre à la maison de Bavière que c’est lui le chef.
Et en calmant le peuple de Liège, il supprime un foyer de tension, juste au moment où, à Prague, les Hussites commencent à se remuer. En 1915 les Taborites commencent à établir leur société communiste dans la ville de Tabor. Or, il faut dompter absolument ces hérétiques. Le Diète avait déboulonné son demi-frère Wenceslas parce qu’il s’était montré trop coulant avec ces rebelles. Il faudra cinq croisades à Sigismond avant de venir à bout de ces révolutionnaires, en 1933.

Démission de Jean de Bavière

Jean de Bavière a compris la leçon et se prépare à mettre ses œufs dans un autre panier. Il se lance dans une guerre pour dépouiller sa nièce de l’héritage du comté de Hainaut et de Hollande. Les bourgeois de Liège fournissent même des fonds à Jean qui avait été sans pitié pour eux. En contrepartie celui-ci élargit encore leurs libertés. Cette guerre rapporte à Jean de Bavière, à titre viager, la régence de la Hollande, de la Zélande et de la Frise. Cela lui suffit : il remet en 1418 son évêché turbulent entre les mains du pape Martin V. Le pape le remercie par une dispense du sous-diaconat. Jean avait besoin de cette dispense pour pouvoir marier une veuve, Elisabeth de Görlitz, nièce de l'empereur.
Ceci dit, la Hollande s’avère aussi coriace que la principauté. Jean de Bavière eut à soutenir, jusqu'à sa mort, une lutte acharnée contre les gens d'Utrecht.

Un chevalier de l'ordre Teutonique à la tête du diocèse

La crème des forces armées de l’Empereur Germanique sont les moines-chevaliers de l’Ordre Teutonique. Voir mon blog http://hachhachhh.blogspot.com/2008/01/les-chevaliers-teutons-et-la-principaut.html . Sigismond envoie un de ses meilleurs éléments,
JEAN DE WALENRODE, à Liège. Ce chevalier de l'ordre Teutonique abandonne même un archevêché (Riga) en échange de la principauté. Il est vrai que le diocèse de Liège rapportait plus que l’archidiocèse de Riga… Johannes von Wallenrode était un grand pourvoyeur de fonds pour l’Empereur, via l’Ordre Teutonique. Liège est donc une récompense pour services rendus.
Sigismond l’avait déjà utilisé pour les tâches les plus délicates. Au Concile de Constance, c’est de Wallenrode qui surveille Jean Hus. Vers la fin du concile, il doit veiller sur le dernier des antipapes, Jean XXIII. Quelques semaines de prison suffisent pour le faire abdiquer.
Et notre commandeur teutonique préside la 'natio germanica' au conclave qui met fin au Schisme en choisissant, le 11 Novembre 1417, Martin V comme seul et unique pape. Le nouveau pape n’hésite évidemment pas à nommer le conseiller personnel de l’Empereur à l’évêché de Liège.
A Liège, De Walenrode fut reçu comme un libérateur. Il ratifie le diplôme impérial du 19 février 1415, rendant aux Liégeois l'ancienne charte d'Albert de Cuyck, la paix de Fexhe et les privilèges. En un mot, il replaça toutes choses en l'état où elles étaient avant la bataille d'Othée.

Jean de Heinsberg

Le règne de Jean de Wallenrode est très court : il décédé inopinément à Alken le 28 mai 1419. Il est remplacé par Jean de Heinsberg. La joyeuse entrée de celui-ci est prometteuse: le héros du jour dresse au Pré-l'Evêque, contre la muraille de son palais, une grande figure de Sirène versant du vin en abondance, ce qui naturellement ne refroidit pas l'enthousiasme de la foule. Le prince, en observation dans l'appartement qui avait vue sur la place, s'amusait, de l'intérieur, à remplir lui-même le réservoir.
Mais là se termine le conte de fées. Le tribunal des XXII n’est plus choisi par les métiers, mais par les maitres et les jurés; les journaliers vivant du travail de leurs mains ne pourraient plus être désormais « commis au dit office ». Le 16 juin 1424, le Règlement de Heinsberg remplace l'élection directe par une élection à trois degrés, dans laquelle intervenait légalement le prince, le tiers des commissaires-électeurs étant à sa nomination, autant vaut dire à sa dévotion.
En 1429, Philippe de Bourgogne achète le comté de Namur. Les Liégeois obligent Heinsberg, à déclarer la guerre au duc, le 10 juillet 1430. Mais le 15 décembre 1431 déjà Heinsberg est obligé d’accepter un traité de paix à des conditions humiliantes. Les mécontents le considèrent comme un nawe, un homme sans Dathin réclament la suppression du nouveau Régiment. La famille Dathin exerçait une influence presque absolue sur le métier des houilleurs et sur les villages de la banlieue. Ils ont le dessous et une sentence échevinale du 2 avril 1433 prononce le bannissement à perpétuité des d'Athin; défense absolue de leur venir en aide : un bourgeois fut décapité pour avoir communiqué avec un proscrit.
bassin houiller liège
énergie. Les
L'évêque faisait de longs séjours à la cour de Bourgogne. Dans la principauté se forme un parti français. Le roi de France Charles VII essaye d’affaiblir le Bourguignon en soutenant un noblion, Evrard de la Marck. Celui-ci installe des garnisons françaises dans ses châteaux, et déclare, tout seul, en 1445, la guerre au redoutable duc. Heinsberg réagit; Evrard perd tout, ses forteresses et ses terres.
Mais cela ne calme pas le Bourguignon, qui prépare l'avènement au trône de Liège de son neveu, Louis de Bourbon. Philippe attire en novembre 1455 Heinsberg à La Haye, où l'on allait soi disant célébrer de grandes fêtes. A l'heure des adieux, Heinsberg fut conduit au fond du palais, où se tenaient un franciscain et l'exécuteur des hautes œuvres, le glaive à la main. «Révérendissime évêque, dit le moine, le duc n'admet plus de délai : ou résignez sur l'heure, ou songez à votre conscience ». Le malheureux résigne en faveur de Louis de Bourbon. Nous sommes partis pour un épisode qui se terminera par le sac de Liège, en 1468.

Les Hédroits et les révoltes des paysans

La plupart des historiens belges présentent l’épisode des Hédroits comme un conflit entre Liège et son prince, presque comme une affaire familiale. Et pourtant, si on veut comprendre les tenants et les aboutissants de cet épisode, il faut l’analyser dans un cadre plus large.
D’abord les contradictions entre le peuple et les puissants. Bruges s'opposa en 1406 à Jean sans Peur qui prive la ville de ses droits des métiers par la charte du Calfvel. Dans l’Empire germanique, les Hussites avaient réussi à emprisonner le frère de l’Empereur. En Angleterre aussi la révolution menace le cœur du système. En 1381 Wat Tyler et John Ball assiègent le roi Richard II dans la Tour de Londres. Hus se basait sur Wycliff, et Wycliff avait inspiré les Lollards de Tyler et Ball qui prêchent un retour de l’Eglise à la pauvreté et l’expropriation des biens de l’Eglise.
A partir de 1394 les guerres hussites font trembler l’Empire sur ses fondations. Il a fallu cinq croisades pour les dompter. Le prince évêque Heinsberg participe, en 1422, à une de ces croisades. L'évêque regagne son diocèse suivi d'une troupe décimée. Même la dernière croisade, en 1431, a failli être un désastre. Pourtant, c’était la plus grande armée jamais réunie contre les Hussites, avec mille chariots de combats et 150 canons. Cependant dès que l'armée hussite levait son chant de guerre, Kdož jsou Boží bojovníci (Ceux qui sont les soldats de Dieu...), les croisés prirent la fuite, une fois de plus. L’armée des taborites a pu être écrasé à la bataille de Lipany parce qu’un conflit fratricide a divisé les paysans tchèques en 1434.
Bref, la révolte des Hédroits fait partie d’un mouvement à l’échelle européenne qui va culminer dans la guerre des paysans de 1525.

La Bulle d’Or ne s’avère pas un remède en or pour le Saint-Empire de la nation germanique

Au sein de la nation germanique, la situation est pourrie depuis la mort en 1378 de l’empereur Charles IV. Pourtant, celui-ci avait voulu régler minutieusement la désignation du souverain par sa Bulle d’Or. Il a voulu verrouiller les conflits incertains entre les dynasties allemandes des Luxembourg, Wittelsbach et Habsbourg. Il limite le droit de vote à sept princes : trois ecclésiastiques -les archevêques de Cologne, de Mayence et de Trèves- et quatre laïcs -le roi de Bohême (maison de Luxembourg), le comte Palatin du Rhin et le Margrave de Brandebourg (tous deux de la maison de Wittelsbach) et le duc de Saxe (maison de Wittenberg).
Dans un premier temps son système tient la route. Pourtant, il s’est marié quatre fois, avec des enfants de chaque mariage. Mais tout se déroule comme prévu: c’est son fils Wenceslas de Luxembourg qui le succède.
Il y a un hic qu’il n’a pas prévu: Wenceslas est un ivrogne. A Prague les Hussites en profitent pour lui tailler des croupières. En 1400 les 7 électeurs le déposent pour ivrognerie, incompétence et manque de poigne envers les hussites.
Robert I de Wittelsbach-Bavière lui succède comme empereur, comme le préconisait la Bulle d’Or. A la mort de celui-ci, en1409, Sigismond de Hongrie ou de Luxembourg est élu empereur. Mais Wenceslas l’ivrogne continue à saborder ses demi-frères en coulisse. C’est ainsi qu’en 1406, le 22 décembre, l’évêque des Hédroits, Thierry de Perwez, est investi par notre ex-empereur Wenceslas. Ceci dit, les Hédroits auraient été mieux inspirés s’ils avaient cherché une alliance du côté des Hussites…
Toujours est-il que les Hédroits ont réussi à garder le pouvoir quelques années en jouant sur les contradictions au sein de l’Empire. Si Sigismond rend en 1416 aux Liégeois leur charte d'Albert de Cuyck, c’est dans le cadre des contradictions entre les maisons de Wittelsbach, Bohème et Bavière.

Une alliance de la Cité avec Louis d'Orléans

Mais nous ne saurions pas nous limiter au Saint Empire. La situation en France n’est pas plus stable. Là, c’est le règne de Charles VI le Fol. Règne est un grand mot pour une situation où un fou reste sur le trône parce que les rapports de force ne permettent pas de trancher pour l’un ou l’autre camp.
Charles VI succède à son père en 1380, à l'âge de onze ans. Pendant sa minorité, ses oncles assurent la régence. En 1388, Charles VI vire ses oncles et il prend le pouvoir. Mais en 1392 déjà, il est pris d'un premier accès de folie. Les oncles reprennent leur régence.
Jean sans Peur
Dans cette situation trouble, les ducs de Bourgogne, Philippe le Hardi puis Jean sans Peur, essayent de s’emparer du pouvoir. Pourtant, la Bourgogne est dans la mouvance du Saint Empire Germanique (ce n’est qu’en 1544, avec le Traité de Crépy en Laonnois, que Charles Quint renonce définitivement à la Bourgogne). Mais l’Empereur germanique voit évidemment de bon œil que son rival français soit affaibli par ces querelles sanglantes.
Louis d'Orléans, frère du roi, tient tête aux bourguignons. C’est avec lui qu’en 1404 la Cité de Liège fait une alliance. Cette alliance n’apporte rien aux Hédroits. Jean de Bavière de son côté soutient en octobre 1405 Jean sans Peur et va même guerroyer en France.
Louis d'Orléans est un séducteur dont ses ennemis diront qu'il «hennissait comme un étalon après presque toutes les belles femmes». Jean sans Peur l’accuse même d'avoir voulu séduire ou, pis, violer la duchesse de Bourgogne. Mais Jean aurait probablement passé tout ça au bleu si Louis n’avait pas acquis en 1402 le duché de Luxembourg en gagère auprès de Wenceslas. Wenceslas est l’empereur déchu qui en 1406, avait ‘investi’ Thierry de Perwez, l’évêque des Hédroits. Depuis qu’ils ont acquis le comté des Flandres, les ducs de Bourgogne rêvent d’une continuité territoriale entre leurs états. Le Luxembourg dans les mains des rois de France bouche évidemment un coin dans ce scénario. Conclusion : Jean sans Peur fait assassiner le duc d’Orléans en 1407.
Ca se complique encore dans la mesure où la France défend les prétentions de la maison de Luxembourg, contre celle de Bavière, sur le trône de l’Empire.
De son côté, le roi d'Angleterre Henri V profite de la folie de Charles VI pour réaffirmer ses prétentions sur la Couronne de France. Il remporte la bataille d'Azincourt en 1415.
Ce n’est que peu à peu que «du chaos des peuples du début du moyen âge, sortirent les nouvelles nationalités», comme le disait Engels. Le traité de Picquigny, en 1475, et la mort Charles le Téméraire à Nancy en 1477 marquent la fin de la guerre de Cent Ans et l’émergence de ces nouvelles nationalités. Quant au Saint-Empire romain germanique, il faudra attendre la fin de la guerre de Trente Ans et les traités de Westphalie 1648 pour voir décanter la situation de cet état multinational.

Les Hédroits au temps des schismes 1294-1449

Selon le révolutionnaire russe Lénine: « C’est seulement lorsque ceux d’en bas ne veulent plus et que ceux d’en haut ne peuvent plus continuer de vivre à l’ancienne manière, que la révolution peut triompher ».
Jean XXIII l'anti pape
L’époque des Hédroits correspond à ce genre de situation. Ceux d’en haut, ce n’est pas seulement rois, empereurs et nobles. L’Eglise aussi se déchire. L’empereur germanique avait son pape à Rome: Urbain VI (1378–1389) et Boniface IX (1389-1404). Rome faisait partie de l’Empire.
Le roi de France avait casé son pape tout près de chez lui, à Avignon. Plus tard on les appellera les antipapes : Clément VII (1378-1394), suivi de Benoit XIII. En 1409 on avait même trois papes, suite au Concile de Pise. Le concile élit Alexandre V comme pape, mais comme les deux autres refusent de désister, le résultat est trois papes. Alexandre V sera suivi de Jean XXIII. A ce propos une petite anecdote : en 1958, le cardinal Angelo Giuseppe Roncalli fait un clin d’œil à l’histoire en reprenant le nom et le numéro de Jean XXIII, le second (anti)pape de Pise. What’s in a name ? Tout un message ?Quand on est prince évêque, avec trois papes, on a un problème. Surtout avec un peuple qui n’attend que l’occasion pour remettre en question son autorité.
En 1398 le roi français fournit un bon argument idéologique aux Hédroits. Il lance l’idée de la "soustraction d'obédience" aux deux papes, avec l’argument apparemment très démocratique de provoquer ainsi une nouvelle élection d’un pape et de mettre fin au schisme. En 1399 les Etats de la principauté prônent cette « soustraction d'obédience » au pape Boniface IX. C’est la rupture avec Rome, et en même temps une rupture avec leur Prince Evêque. Mais celui-ci, pour gagner du temps, souscrit aussi à cette soustraction d'obédience.
En 1405 le pape Innocent VII (1404-1406) accorde l'absolution au peuple de Liège (et à son évêque) pour sa défection de 1399. C’est l’époque de la Paix des XVI, moment où le prince a le dessus. Les Hédroits (bannis) sont évidemment contre le retour à Rome. A la mort d’Innocent VII, Grégoire XII continue son soutien à Jean de Bavière.
Le Concile de Constance mettra fin au schisme. Mais tous ces tiraillements autour de la papauté ont sapé l’autorité du pape et renforcé les Hédroits. Ils prépareront le terrain pour la Réforme protestante, les guerres des paysans de 1525 et les Rivageois.

La suite : Louis de Bourbon et le sac de Liège

Eugène DelacroixL’Assassinat de l’évêque de Liège wikipedia
Nous avons vu comment Heinsberg résigne en faveur de Louis de Bourbon. Louis XVI, dernier roi de France, est de la dynastie des Bourbons, mais vers 1400 le duché des Bourbons est un duché parmi tant d’autres. Louis de Bourbon est un pantin à sa solde de Philippe de Bourgogne qui s’installe sur le trône de la principauté.
Toute cette période qui aboutit 10 ans plus tard à l’incendie de Liège est un paroxysme de violence. C’est, comme Friedrich Engels le décrit en 1884, dans «la décadence de la féodalité et l'essor de la bourgeoisie» : « Tandis que les luttes sauvages de la noblesse féodale régnante emplissaient le moyen âge de leur fracas, dans toute l'Europe de l'Ouest le travail silencieux des classes opprimées avait miné le système féodal; il avait créé des conditions dans lesquelles il restait de moins en moins de place aux seigneurs féodaux. Les villes, entourées de remparts et de fossés, étaient des citadelles bien plus fortes que les châteaux de la noblesse, parce que seule une grande armée pouvait les réduire. Dès le XVe siècle, les bourgeois des villes étaient devenus plus indispensables à la société que la noblesse féodale. Tandis que la noblesse gênait toujours plus l'évolution, les bourgeois des villes, eux, devenaient la classe qui personnifiait la progression. Bien longtemps avant que les châteaux féodaux eussent été battus en brèche par les nouvelles pièces d'artillerie, ils étaient déjà minés par l'argent ; la poudre à canon ne fut que l'huissier au service de l'argent. Au XVe siècle, la féodalité était donc en pleine décadence dans toute l'Europe occidentale ; partout des villes aux intérêts antiféodaux, avec leur droit propre et leur bourgeoisie en armes. Partout la population réclamait avant tout que cessassent l'éternel et absurde guerroiement, cet état de dévastation ininterrompue, purement gratuite, qui avait duré pendant tout le moyen âge. Trop faibles eux-mêmes pour faire aboutir leur volonté, ces éléments trouvèrent un puissant appui dans la tête même de tout l'ordre féodal - la royauté ».
C’est dans ce contexte que les citains de Liège lancent assaut sur assaut contre leur prince évêque. En 1458, cinquante ans à peine après la défaite d’Othée, ils refusent l’autorité de leur prince Louis de Bourbon, qui doit se retirer à Maastricht.
Louis de Bourbon avait été mis sur le trône par Charles le Téméraire. Ce Téméraire se met tout le monde à dos : son Empereur, les cantons suisses, ses voisins de Lorraine et de Luxembourg et le roi de France. Mais avant de mourir lors de la Bataille de Nancy, en 1477, il aura détruit Dinant et incendié Liège. L’histoire ne se déroule pas en ligne droite. Même si la victoire du duc de Bourgogne sera éphémère. Avec sa mort disparaîtra son rêve fou d’un état Thiois.
Mais cela est pour mon prochain blog.

Références

Bande Dessinée "La bataille d'Othée", Infos Nicolas Radoux : 0498.90.34.59. asbl Comité des Fêtes d'Othée, rue Henri Crahay, 2B, 4340 Othée-Awans d'Yves Charlier et Henri Defresne. Prix : 20 euros. C.Gaier, Grandes

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