Le Soir 25/5/2020 |
La spécialiste d’écologie politique ANNELEEN KENIS avertit dans un billet (De Morgen 22/5/2020) : « Ce n'est pas une bonne idée d'ignorer une crise comme la corona. Entre-temps, une autre crise émerge : une sécheresse séculaire comme on n’a plus connu depuis 1901. Avec en
même temps la construction de piscines privées
qui explose ».
La Flandre a activé sa Commission Sécheresse. La
Wallonie choisit le déni de la réalité. Pourtant, selon le météorologue David
Dehenauw, «c’est comme si on avait coupé
le pays en deux, de Knokke à Virton. La sécheresse frappe l’est du Hainaut, le
Brabant wallon et le nord de la province de Namur ainsi que La
Roche-en-Ardenne, Spa et Waremme». La Wallonie n’est pas épargnée.
Les charbonnages et les galeries
d’exhaure
J’ai une piste
intéressante, malheureusement limitée à la région liégeoise. On y a très tôt
commencé à exploiter le charbon de terre, avec ces veines de charbon
affleurantes. Pour évacuer l’eau qui remplissait ces fosses on a creusé des
galeries d’exhaure. A Ans, l'areine du monastère du Val St-Lambert remonte à
1314. Il y en a des centaines dans la région. A Herstal par exemple, dans la rue
de la Buse, une buse d’une dizaine de centimètres de diamètre a alimenté très
longtemps une fontaine et un lavoir public. Aujourd’hui cette buse aboutit dans
un bassin d’orage, avec son filet d’eau régulier, été ou hiver. Cfr mon blog http://hachhachhh.blogspot.be/2017/04/herstal-le-hameau-ancestral-de-la.html
A la Chartreuse, une
areine a approvisionné le couvent en eau potable, et l’homme qui a acheté la
ferme du couvent se sert de cette eau, ainsi qu’un carwash en bas de la rue.
Cfr mon blog http://hachhachhh.blogspot.be/2018/02/lareine-des-petites-surs-des-pauvres-la.html
areine de Richonfontaine en dessous du Musée de la Vie Wallonne photo Eduard Van Loo |
Les areiniers -
prélats et proto-capitalistes comme Curtius – ont très vite compris qu’ils
pouvaient doubler leurs bénéfices en vendant cette eau à la Cité. Quatre
franches areines alimentaient la ville en eau. Pour les dizaines d’autres
areines ‘bâtardes’ on était moins regardant sur la qualité de l’eau.
Vers 1665 le bourgmestre de Liège Grati écrivait que, par le moyen de Gersonfontaine,
"tout le quartier de l'Isle pourra
estre bénéficié de fontaines, toutes les fois que la Cité trouvera bon de
continuer la dépense déjà commencée". En 1697 un certain Roland a créé
à partir de ces areines un réseau de fontaines où les citains pouvaient venir
s’approvisionner – contre paiement – en eau. Le flambeau a été repris par la "Compagnie Générale des
Conduites d'Eau". Cette multinationale est tombé en faillite en 1980 (nationalisée,
la Compagnie avait été absorbée par Sodemeca en
1976). J’ai en 2014
organisé une balade autour de ces Fontaines Roland. http://hachhachhh.blogspot.be/2014/03/sur-les-flancs-du-publemont-le-faux.html
En 1910 Gobert
écrivait dans "Eaux et fontaines publiques en pays de Liége": « Bon nombre de lecteurs n'auront point
manqué de se demander pourquoi, en des temps où l'eau potable faisait défaut à
Liège, le produit aquifère de Gersonfontaine n'a pas été affecté à
l'alimentation publique, au lieu d'être versé dans le canal de la Sauvenière,
comme de nos jours encore ».
galerie de la Légia source Tchorski |
La citation de Gobert est reprise dans un texte du collectif Tchorski
qui explore aujourd’hui ces galeries. http://tchorski.morkitu.org/6/areines-12.htm
Gersonfontaine n’a jamais servi à l’alimentation en eau potable,
mais jusqu’à la fin des années 80 la Compagnie Intercommunale Liégeoise des
Eaux (CILE) a utilisé l’eau de l’areine de Richonfontaine dont on peut encore
voir l’œil en-dessous du Musée de la Vie Wallonne. La CILE a abandonné ces
captages parce que trop de nitrites, d’origine agricole.
On a alors évacué l’eau
de Richonfontaine dans les égouts. En 2001 en se préparant
à épurer ses eaux usées, Liège se rend compte que rien que l’areine de Gersonfontaine
envoyait 110 litres d'eau propres par seconde dans les égoûts.
La pompe actionnée par la vapeur
En 1712 Newcomen
invente la pompe actionnée par la vapeur qui rend les charbonnages moins
dépendants des areines. Mais on continuait à les utiliser, et à payer le cens,
parce qu’avec ces galeries on n’était pas obligé de pomper les eaux jusqu’en
haut (le plateau est +- à 70 mètres au-dessus du niveau du fleuve). Cette eau est remontée après l’arrêt des
pompages avec les fermetures des mines. Beaucoup de caves ont été noyées.
Selon Alain Dassargues des SPW Géologie, «on ne se rend pas toujours compte de
ce que l’exploitation minière signifie au niveau hydrogéologique. Lorsque les
mines ont fermé, on a laissé remonter naturellement les niveaux d’eau de la
nappe aquifère dans un massif désormais très fracturé et dans lequel des
anciennes galeries plus ou moins effondrées/colmatées peuvent jouer le rôle de
drains non permanents. Depuis lors, on a pu assister à des infiltrations dans
les caves ou encore des signes d’instabilité de certains versants. La remontée
des niveaux d’eau dans l’ancien massif exploité peut également créer des
problèmes de qualité d’eau, y compris dans la nappe aquifère contenue dans les
dépôts alluviaux de la Meuse (Jupiler
ne pompe plus, ou pompe nettement moins, dans la plaine alluviale de la Meuse
car l’eau y est désormais trop riche en sulfates !).
L’ennoyage minier
Ce phénomène d'« ennoyage minier » a
des conséquences sur l'environnement (acidification des eaux, coup d’eau,
instabilité des terrains…). Des études approfondies ont montré que les eaux d'exhaure minière sont souventchargées en sel et parfois en certains métaux. Lors de la fermeture des
exploitations et l'ennoyage des anciens travaux, il y a un lessivage des
terrains fissurés pendant la phase de remplissage. Mais les teneurs en sel et
en métaux particulièrement élevées à l'apparition des émergences, baissent au
cours du temps. L’association du lagunage et du filtrage permet une épuration
efficace.
Je ne connais pas d’exemple où l’on a cherché
à utiliser ces eaux. La préoccupation principale a été d’assurer un bon
écoulement, pour éviter des coups d’eau, comme à Cheratte où en 2002 le centre
de la localité a été inondé, ainsi que les Aciéries de la Meuse, un kilomètre
plus loin. Après la fermeture de la mine, on avait bouché la galerie principale
par un mur en blocs, avec en bas des trous d’évacuation pour les eaux. Lorsque
ces trous se sont bouchés, les eaux ont commencé à monter et le mur a fini par céder.
Suite à cette catastrophe on a créé un réseau d'observation hydrologique dans
la zone pilote de Wandre-Cheratte.
Je signale ici que,
contrairement à l’arrêt sauvage des pompages en Région Wallonne, on s’y prend
avec beaucoup plus de précautions lors de l’arrêts récents des charbonnages en
Allemagne où l’on continue les pompages afin de laisser remonter très lentement
le niveau de la nappe et de vérifier d’éventuels effets secondaires, notamment
de pollution. Mais j’ai l’impression que cette pollution est beaucoup plus
faible que prévue et se stabilise assez vite à des niveaux acceptables.
La 'petite' galerie d'exhaure de Biquet Gorée. Un tuyau de 20 cm suffit à peine pour évacuer cette eau |
Je me pose donc la
question si on ne pourrait pas utiliser ces eaux grises d’une manière plus intelligente,
avec la sécheresse structurelle qui nous menace. Bien sûr, il s’agit ici d’eaux
grises dont la qualité peut varier d’une source à l’autre. Et je serais curieux
de voir le taux de nitrites de Richonfontaine aujourd’hui, avec la
réglementation draconienne imposé aux fermiers pour les engrais. Et l’homme qui
a redécouvert la galerie d’exhaure de la petite concession de Biquet-Gorée, à
Hermalle-sous-Argenteau, l’a fait analyser. Elle est potable, à part des
teneurs en fer et manganèse trop élevés. Mais il y a à Spa des sources
comparables, et la moitié du Gotha de l’Europe est venu boire les eaux du
pouhon ‘Pierre le Grand’.
En plus, envoyer ces
eaux grises dans la Meuse a un coût important. Rien que pour Gersonfontaine on
a dépensé 250 millions de FB (6250000 € pour une station de
pompage souterraine, sous le parking Jaspar, avec une conduite de refoulement
vers l’égoût en-dessous du boulevard de la Sauvenière. Dans cet égout d’un
diamètre de trois mètres on a placé une conduite qui mène ces eaux propres au
fleuve).
Les eaux grises, une ressource ?
le ruisseau en plein air qui reçoit les eaux de Noppis + Biquet- Gorée où les fermiers du coin viennent pomper |
Ne devrions pas voir
ces eaux comme une ressource, plutôt que comme une ‘charge’, à évacuer ?
Je n’ai évidemment pas
une solution toute faite pour la mise à disposition de cette eau grise très
propre, et je pense ici à l’agriculture, et pas à l’arrosage des pelouses qui
supportent d’ailleurs très bien la sécheresse. En Flandres on permet aux
fermiers de venir pomper l’eau épuré sortant des stations d’épuration. Cela est
peut-être généralisable pour ces eaux des areines. C’est d’ailleurs ce qu’ont
fait certains fermiers l’été passé avec les eaux de la galerie de Biquet-Gorée.
Ces eaux, ainsi que l’areine Nopis, coulent sur une centaine de mètres à ciel
ouvert. C’est là que les fermiers viennent pomper ces eaux
Dans cette petite
contribution je n’ai parlé que les eaux qui sortent par gravité de ces
anciennes galeries d’exhaure. L’utilisation des couches d’eau qui se trouvent
plus bas, dans les vides laissés par l’exploitation houillère, ne saurait se
concevoir que dans un cadre plus général de l’utilisation de la nappe
phréatique. Ces areines sont d’ailleurs en contact avec les eaux dans les
graviers de la Meuse qui eux aussi sont d’une qualité variable. Je crois savoir
qu’il y a des captages de la CILE dans ces graviers, mais ces eaux captées dans
les graviers sont de qualité variable. Mon ancienne usine Ferblatil y pompait les
eaux de rinçage pour sa ligne d’étamage. Mais l’usine a dû investir dans une
installation de déminéralisation parce qu’on avait des piqûres de rouille avec
l’eau de ces graviers.
areine de Richonfontaine - photo Tchorski |
Ce réservoir dans les
graviers de la Meuse sont évidemment plus facilement accessibles aux
agriculteurs qui ont pour la plupart déjà des pompes. Ce n’est pas une question
technique ; c’est une question d’autorisations. Et cette eau est
disponible. Rien qu’avec l’arrêt de
l’aciérie de Chertal 9000 m3 ne sont plus pompés.
Je profite de cet
exemple de Chertal pour signaler que pour les Pays Bas l’ordre de priorité lors
d’une sécheresse ('Verdringingsreeks') n’est pas l’agriculture. Les hollandais
donnent la priorité à la sécurité et la prévention de dégâts irréversibles: les
digues doivent rester humides et la salinité des terres agricoles des polders
ne peut pas augmenter. En deux il y a
l’eau potable et le secteur de l’énergie. Et en trois seulement l’irrigation de
cultures intensives en capital et l’eau pour le procès industriel
(refroidissement des machines etc.). L’industrie et l’agriculture viennent en
dernier.
Dans un prochain blog
je développerai une hypothèse à examiner pour le stockage, à partir du coup
d’eau, en 2002, à Cheratte. Le mur qui bouchait la galerie minière principale a
cédé, mais la montée des eaux de 40 voir 60 mètres dans les anciens travaux n’avait
apparemment gêné personne. Tout au plus avait
on constaté des résurgences d’eau par des anciennes areines situées plus haut.
Mon idée de base serait de créer un réservoir en construisant un vrai barrage à
la sortie, utilisable en cas de sécheresse (ou, si on n’en a pas besoin, de produire
de l’électricité hydraulique.
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