mardi 19 mai 2020

Une micro-histoire d’un mineur de fond d’origine slovaque Jan Blazeniak à la Préalle


L’histoire, c’est une somme de micro-histoires. Voici à partir de la petite histoire du mineur de fond d’origine slovaque Jan BLAZENIAK, le survol de toute une époque et tout un continent. Jan a travaillé quelques années en Belgique comme mineur de fond. Jan a travaillé à la Bacnure et a vécu plusieurs années à la Préalle. C’est donc aussi en quelque sorte une micro-histoire sur mon quartier, avec son charbonnage de la Petite Bacnure en bas, et sa cité sur les Monts. Il est mort à Bavière et a probablement été enterré avec les indigents.
Depuis quelques mois un ami dialogue via Google Translate avec Ivan BLAZENIAK, dont le grand-père  Jean Blazeniak, originaire de POLHORA, aujourd’hui en Slovaquie, est venu travailler, entre 1929 et 1937, dans plusieurs charbonnages wallons, dont la Bacnure et Bonne Espérance, tout près d’où j’habite. Il est entré à l’hôpital de Bavière, une semaine après avoir quitté  la mine, où il mourra deux mois plus tard.

Deux certificats de naissances émis par la paroisse de La Prealle

Ivan sait que son grand-père habitait rue Charlemagne 104 (maison aujourd’hui disparue). Son epouse Kristína Peniyak  l’a rejoint en 1932 avec son fils qui s’appelait aussi  Jan, né en Slovaquie en 1928. Deux autres enfants sont nés à Herstal : Maria Josephina Henrica, la mère d’Ivan, le 24 février 1933,  son oncle Walter le 24 avril 1936. Les deux certificats de naissances ont été émis par la paroisse de La Préalle, mais seulement en décembre 1941, des années plus tard,  lorsque la famille était déjà retournée en Slovaquie, après le décès de Jan. Je suppose que la veuve a du demander ces certificats pour prouver en Slovaquie que ses deux derniers enfants étaient les enfants de Jan Blazeniak…
Jan a fait sa communion solennelle dans l’église de La Préalle le 5 mai 1940 et sa confirmation le 11 juillet 40. Lui est sa sœur Maria ont probablement été scolarisées jusqu'en juillet 41 à l’école Emile Muraille, qui avait été ouverte quelques années auparavant, en 1928. Maria, la mère d’Ivan, avait 8 ans quand elle est retournée en Slovaquie. Elle parlait couramment le français mais ses souvenirs sont des souvenirs d’enfant : elle se souvenait d'avoir vu la mer à Ostende lors d’une excursion scolaire! Elle s'en est souvenue toute sa vie ! Mais pour le reste, âgée de 4 ans au moment des funérailles, elle y a assisté sans pouvoir dire où.
Ivan a supposé  que ces funérailles ont eu lieu à l’église de la Préalle et y a enregistré une messe en français qu’il a fait écouter à sa Maman (décédée depuis).

Au cimetière de Rhees, pas de Blazeniak dans le livre d’inhumation.

Il a supposé aussi que son grand-père a été enterré à Herstal. Ivan veut tout simplement brûler une bougie sur le cimetière où son grand-père a été enseveli. Il est venu deux fois au cimetière de Rhees, mais ce nom n’est pas dans le livre d’inhumation. Il est passé aussi au cimetière de Foxhalle, dans le bas de Herstal.
Mon ami a alors contacté l'Administration communale de Herstal qui a consulté le livre des inhumations de 1937 (en plus du programme et des fiches individuelles cimetière), et n’a pas trouvé trace de l’inhumation de Mr. Blazeniak. Le responsable a également consulté le dossier Etrangers qui se trouve aux archives : la famille a été radiée en octobre 1941. Si elle a été radiée, c’est que cette famille a été reprise dans le registre des étrangers. Avec le confinement il n’y a évidemment pas moyen de consulter ce registre. Et même après on doit prouver soit un intérêt scientifique soit un lien familial.
Mon ami Walthère suit alors la piste du livret de travail. En tant qu’ancien mineur et historien local il a sauvé une partie des archives de la Petite Bacnure dont ces livrets. Blazeniak n’est pas dedans, mais Walthère contacte Bruno Guidolin du CLADIC (Blegny Mine) qui retrouve son livret dans les archives d’un autre charbonnage. Jan n’a pas travaillé au charbonnage  de la Petite Bacnure, mais à la Grande Bacnure, siège Gérard Cloes (n°12273) - N° de livret B4944.  Il y  a travaillé du 1er août 1930 au 1er août 1936, au fond.

Un début de carrière de houilleur dramatique

Ce livret nous apprend que Jan a commencé à travailler en Belgique le 13/7/1929 à Houssu, à Haine St Paul (aujourd’hui La Louvière). Ce siège dépendait de la Société des Charbonnages de Ressaix
Un début de carrière de mineur mouvementé, puisque quatre mois plus tard, le 20/11/1929, un grave accident  au siège Houssu causa la mort de 18 mineurs. Jan quitte cette mine l’année après, le 19/7/1930.
Mon ami contacte alors la Louvière, et a la chance de tomber sur Mr Thierry Delplancq, archiviste motivé, qui est allé fouiller dans ses Archive de Haine St Paul. Il y retrouvé l’inscription de Jan Blazeniak à l’inscription des étrangers. Profession houilleur. Il est arrivé le 12/7/1929 avec un contrat de travail délivré à Lucener (écriture peu claire ; je n’ai pas retrouvé la ville sur le net) et le passeport national N° 6352/29 délivré à Brezno  le 28/6/1929. Il a habité Rue de la Déportation (une rue de ce nom existe toujours à Haine-Saint-Paul) avant de déménager à Charleroi le 25/7/1930. M. Delplancq envoie en prime une photo de notre Jan Blazeniak !

1930 : la Petite-Bacnure et le siège Batterie de Bonne Espérance, Batterie, Bonne-Fin et Violette

Toujours selon ce livret il entre ensuite à la Grande-Bacnure, siège Gérard Cloes,  le 30/7/1930 et sort le 1/8/1936. Il entre ensuite à la S.A. de Bonne Espérance, Batterie, Bonne-Fin et Violette (siège Batterie, à quelques kilomètres de là) le 4/8/1936 et sort le 22/5/1937.
Nous ne savons pas pourquoi le grand-père Jan a quitté Bonne Espérance. Mais une semaine à peine plus tard il fut hospitalisé à Bavière du 27 mai jusqu’à son décès le 21 juillet 1937. 
Ici nous avons une nouvelle piste, grâce à une dame spécialisée dans les archives de cet hôpital ancestral. Elle finit par trouver la déclaration de décès qui aurait été communiqué par téléphone à l'Etat civil de Herstal.
Un acte de décès est émis le 2 mars 1939 - 2 ans après - par la ville de Liege. Nous n’avons pas d’explication pour ce retard. Cet acte mentionne comme témoin Dieudonné Palatre d’Angleur, employé de l’hôpital de Bavière. Il semble accompagner les personnes émargeant de l’aide sociale.
On retrouve sur plusieurs actes de décès ou de naissances la mention « en présence de Dieudonné PALATRE, âgé de 39 ans, employé, domicilié à Angleur. Après lecture, Nous avons signé avec la déclarante et les témoins ».
Cet acte de décès ne mentionne pas le lieu d’inhumation. L’extrait est rédigé « sur papier libre pour indigence constaté par le bourgmestre de Liège». Ce qui ne veut pas dire qu’il est enterré comme indigent. Mais cela m’incite à ne pas se limiter aux cimetières de Foxhalle et de Rhées dans la recherche. Il est vrai que Bavière envoyait la facture pour les soins à la commune où le malade était domicilié (avec des difficultés énormes pour faire payer ces communes), mais on ne saurait exclure qu’il a été inhumé à Liège.

Retour en Slovaquie

La veuve et ses trois enfants ont continué à vivre à La Préalle avec des ressources probablement très limitées. Un an après ce décès la vie se complexifia encore un peu plus avec les menaces de guerre. Le 7 octobre 1938 les représentants slovaques au parlement Tchécoslovaque  obtiennent l'autonomie pour la Slovaquie. Jozef Tiso, un prêtre catholique qui dirigeait le Parti du peuple slovaque, devient le Premier ministre du gouvernement autonome slovaque. Le 15 mars  1939, lors de l'occupation de Prague par les troupes allemandes, la Slovaquie déclare son indépendance sur invitation d’Hitler. Drôle d’indépendance où le lendemain, les troupes allemandes occupent la partie Ouest de la Slovaquie et un « traité de protection » subordonne formellement au Reich la politique slovaque dans les domaines économique, militaire et diplomatique.
C’est dans ces conditions que la famille retourne en train en Slovaquie en fin d’été 1941. Herstal raye la famille du registre d’Etat civil en octobre 1941.

C’est ici que se termine notre micro-histoire. Le micro-historien que je suis fait suivre au lecteur l’ordre de l’enquête historique plutôt que celui d’événements ou d’une vie. Le but est bien de faire partager au lecteur les émotions de l’historien, de « recréer une expérience de découverte». J’espère avoir réussi à vous faire partager les émotions de mon ami (qui communique avec le petit-fils de Jan, je le répète, via Google Translate) et de toutes ces personnes qui ont contribué à reconstituer (très partiellement) le passage de cette famille de mineur en Wallonie: le préposé du cimetière de Rhees, l'Administration communale de Herstal, Walthère Fransen, Bruno Guidolin du CLADIC (Blegny Mine), M. Thierry Delplancq, archiviste à la Louviere, la  dame qui s’occupe des archives de l’hôpital de Bavière, la ville de Liège, la paroisse de la Préalle et le musée de Herstal.
Pour le reste, le titre « micro-histoire » est peut-être un peu prétentieux. Il y a trop d’inconnues dans notre récit pour pouvoir situer correctement le parcours de cet homme dans son époque : les agences de recrutement pour les charbonnages en Tchécoslovaquie, la couverture en soins de santé pour les mineurs immigrés (avec notamment cette question lancinante de la coïncidence de son fin de contrat et son entrée à l’hôpital), et puis les raisons qui ont poussé cette famille à retourner en Slovaquie.
Le petit-fils Ivan Blazeniak ne retrouvera peut-être pas le cimetière où son grand-père a été inhumé. Et le fait que l’acte de décès a été rédigé « sur papier libre pour indigence » ne permet pas de déduire qu’il a eu un enterrement d’indigent. De toute façon, indigent ou pas, la chance que la tombe soit toujours là est pratiquement nulle. Dans le meilleur de cas, il trouvera son nom dans le livre des inhumations.
Mais il a ce livret au CLADIC à Blegny-Mine – où Ivan est d’ailleurs passé, sans connaître l’existence de ce livret ,- comme trace tangible de son passage au Pays de Liège. Et puis, il y a cette photo avec le formulaire d’inscription comme étranger au Borinage. Il a un endroit où il pourra se recueillir sur la vie difficile de son grand-père, qui s'est terminé de manière si tragique, et le parcours mouvementé de sa grand-mère, mère et oncles, dans un contexte de préparatifs du deuxième conflit mondial.




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