mardi 3 mars 2020

Balade Santé avec la maison médicale l’Herma - deuxième partie - Avroy - Guillemins – Dérivation


La Maison Médicale l’Herma organise des balades mensuelles pour ses patients. Ils m’ont demandé de les guider. Je leur ai fait un costume sur mesure: des Vennes, on traverse la Boverie, le parc D’Avroy, le quartier des Guillemins pour revenir via l’esplanade des Guillemins et la Belle Liégeoise aux Vennes. Voici la deuxième partie : du Parc d’Avroy à la Dérivation, via les Guillemins

Les Guilhelmites fondés par Saint-Guillaume.

D'où vient le nom ‘Guillemins’? Au 13e siècle, il y avait là un domaine boisé, la seigneurie très bucolique d’Avroy, avec en haut Souverain Avroy, et en bas la plaine marécageuse baigné par un bras de la Meuse (c’est le boulevard d’aujourd’hui). C'est là qu'on créa un asile de retraite pour ecclésiastiques. Mais en  1287  le prince-évêque Jean de Flandre les chassa pour mauvaise conduite et les remplaça par les Guilhelmites ou Frères Guillemins fondés par Saint-Guillaume..
Le couvent était situé à l'emplacement de la gare démolie en 2007. Il était en 1738 encore repris dans le recueil ‘Les Délices 
1649 le couvent avec son fossé et de ses jardins
du Pays de Liège’.
Ce qui veut dire que les frères Guillemins avaient de l’argent, puisqu’il fallait payer pour se retrouver dans le livre. « Situé au pied d'une montagne féconde en sources très vives, le couvent est entouré de fossés qui reçoivent des eaux très claires et très pures. Ce sont autant de bassins utiles et commodes, qui forment en même temps, un charmant coup d’œil. La sculpture est italienne et on a orné la voûte des cloître, lui donnant un air moderne qui le rend très riant et parfaitement assorti à l'église, qui est assez grande et proportionnée en toutes ses parties »
(Les Délices du Pays de Liège, t. 1, p. 186-187).
Les sources très vives qui alimentaient les fossés avec leurs eaux très claires et très pures étaient en fait des galeries d’exhaure des charbonnages. Ceux-ci devaient aux moines un tiers de leur production. En plus, les comparchonniers devaient encore réparer les dommages causés à la surface par leur exploitation, évalués par les voir-jurés des charbonnages. Le problème de ces dommages reviendra en force au XIXième, lors de l’urbanisation de ce quartier.
Derrière la gare s’étire la rue Mandeville. Le monastère se vantait des reliques de Jean de Mandeville, mort en 1372, auteur du ‘Livre des merveilles du monde’. Son tombeau se trouvait dans le couvent. Son recueil est un des ouvrages les plus célèbres du Moyen Âge. Il a avancé les possibilités de « circumnavigation » du monde, et a influencé Christophe Colomb. En fait, l'ouvrage est une compilation de ses propres voyages en Égypte, de voyages antérieurs effectués par des dominicains et les grands classiques de la littérature antique comme Flavius Josèphe, Pline le Jeune, et Solinus.
Au 18ième siècle le couvent est à son apogée, avec vingt-trois religieux et sept ou huit frères convers. Mais un siècle plus tard, il en restait sept, les bâtiments approchaient la ruine et les dettes devinrent criardes. Le prince-évêque Charles-Nicolas d'Oultremont voulait disperser les religieux dans d'autres maisons de l'ordre mais les autres communautés se refusèrent à les accueillir. L'argenterie du couvent était au mont de piété et, en 1781, on ne comptait plus que trois religieux.

La spéculation foncière autour des Guillemins

les Guillemins en 1845
La Révolution de 1789 retrouve donc le couvent endetté jusqu’au cou, notamment auprès de la veuve d’un de ses chefs Jacques-Joseph Fabry. Le fils, Jacques-Hyacinthe Fabry, proposa de racheter le bien en échange des créances. Sa requête est rejetée, et il y a vente publique, mais personne n’ose surenchérir sur le clan Fabry qui se partage la propriété en 1824.
Pour ces révolutionnaires, il ne s’agissait pas d’abus de pouvoir. Ils trouvaient simplement – à juste titre – que le clergé et la noblesse étouffaient le développement économique. A partir du principe ‘bouges toi de là que je m’y mette’ ils se sont accaparés des domaines et des bâtiments de ces deux classes déchues. Ces expropriations sont une bouffée d’oxygène pour la bourgeoisie. Toutes les grandes usines – à commencer par celles de John Cockerill qui s’installe dans le château de Prince-Evêque même- s’installent dans les biens ‘noirs’.
Ces bourges installent leurs demeures aux Guillemins dont les terrains sont lotis à partir de 1840.
Les lots se vendent d’autant plus facilement qu’à partir de 1838 le chemin de fer Bruxelles-Ans se rapprochait des Guillemins.
De 1853 à 1863, le cours de la Meuse est déplacé et sur les terrains récupérés on crée dès la fin des années 1870 le parc d’Avroy et le quartier bourgeois des Terrasses. Comme ces terrains sont inondables, le quartier est surélevé de 3 mètres.
Pour donner de la plus-value à leurs biens, les propriétaires du clos des Guillemins (principalement la famille Fabry) proposent à la Ville de céder les terrains nécessaires à la création d’un réseau de voiries. Les rues des Guillemins, Fabry, Dartois, Simonon, du Midi, de la Paix, et la place de Bronckart datent de cette époque. Un axe principal relie la rue de la Station (rue des Guillemins) à la place Sainte-Véronique. La rue Fabry et la rue de Chestret  honorent Jacques-Joseph de Fabry, et Jean-Remy de Chestret, bourgmestres révolutionnaires qui ont renversé le prince-évêque.
Le projet est accepté en 1854.
la gare en 1907 photo Claude Warzée
Cette carte postale de 1907 nous montre la deuxième gare des Guillemins, celle construite en 1863-64, agrandie en 1881-82 et embellie encore en 1905, à l’occasion de l’Exposition universelle. Mais ce n'est qu'en 1904 que le couvent est détruit.
Comme en témoigne le plan ci-dessus, daté de 1883, une quarantaine d’années a suffi pour métamorphoser la configuration des lieux.

1870 l’affaire des lézardes

Mais vers 1850 les affaissements miniers risquent d’étouffer cette fièvre immobilière. En dessous des quartiers des Guillemins et d'Avroy oeuvraient les Charbonnages du Paradis (qui a une rue à son nom) et du Bois d'Avroy  Cette situation n’était pas nouvelle mais prend de l’ampleur dès
plan 1883 image C. Warzée
les années 1830. Sous l’ancien régime on devait avoir l’accord des propriétaires des terrains ; mais avec le droit bourgeois instauré par Napoléon le sous-sol appartient à la nation. Et on envoie bouler les tribunaux des jurés  qui imposaient notamment de laisser tous les 12 mètres un massif de 6 mètres de charbon ce qui freinait l’affaissement du sol. Et à cette époque, les quartiers situés au-delà du quai d’Avroy n’existaient pas encore et les réclamations sont plus rares..  En 1839, une commission composée d’ingénieurs des mines affirme encore que l’exploitation peut continuer : «les exploitants, forts de l’appui des ingénieurs de l’État, persistèrent à soutenir la parfaite innocuité de leurs travaux, basée principalement sur la résistance exceptionnelle des assises du terrain houiller et sur la profondeur des exploitations».
Cette résistance exceptionnelle du terrain houiller et la profondeur des exploitations s’avéreront un vaste mensonge. Les fissures s’aggravent entre le quai de Fragnée et la chapelle du Paradis, entre 1850 et 1857. En 1858, l’ingénieur en chef des mines du Hainaut Gonot expertise les maisons lézardées. Il constate que la plupart des bâtiments de ce quartier ont subis des dégâts relativement importants au fur et à mesure que les travaux souterrains du puits du Paradis avançaient sous leurs terrains. « Les murs se sont lézardés, les plafonds se sont crevassés, des fenêtres se sont brisées, le sol des caves, le pavé des cours et des vestibules, les planchers des chambres du rez-de-chaussée se sont soulevés, en certains endroits, de plusieurs décimètres ; les voûtes des caves se sont fendues, suivant les axes, les montants des portes se sont rapprochés, les appuis des fenêtres se sont rompus, etc., etc., de telle manière qu’un assez grand nombre de ces maisons ne sont plus habitables avec sécurité » Il ne fait aucun doute pour Gonot que ce sont les travaux exécutés de 1849 à 1857 par le puits du Paradis.

En 1870 éclate l’affaire des lézardes.

Redeker, Romain les affaissements 
Des affaissements miniers touchent un des quartiers les plus riches et les plus somptueux de la ville, lézardant un grand nombre d’habitations opulentes.
Des propriétaires forment des comités de quartier, qualifiés pat les charbonnages de comités anti-industriels. Un comité est créé dans le quartier d’Avroy-Louvrex-Guillemins en 1869 et un autre dans le quartier du Jardin Botanique en 1870 après que les vitres des serres aient éclatées.
Ils craignent aussi de se retrouver sans personne vers qui se tourner en cas de dommages miniers, pour obtenir les indemnisations prévues dans la loi sur les mines: à cette époque, de nombreux charbonnages se transforment en sociétés anonymes où l’actionnaire n’est responsable des dégâts qu’à hauteur de la valeur de ses actions.
Les comités veulent interdire purement et simplement les travaux miniers sous le territoire de la ville. Ils sont partiellement suivis par la Députation permanente du Conseil provincial qui interdit en 1871 provisoirement les travaux du charbonnage du Paradis.

Gustave Dumont, ou le faible qui lutte contre le fort ?

Les comités chargent l’ingénieur Gustave Dumont d’étudier le problème. Il présente en 1871 son rapport devant l’administration communale: « On nous reprochera probablement d’entrer dans une voie où il sera bien difficile de nous mouvoir sans toucher à de grands intérêts personnels et sans soulever des questions grosses de conséquences pour les diverses sociétés qui exploitent nos mines. La pensée de subir ce reproche, si elle nous émeut, ne peut nous arrêter. Certes, il nous eût été plus agréable à tous égards de nous borner à émettre des généralités ; mais le faire, c’eût été déserter la mission qui nous a été confiée, ouvrir la porte à toute sorte de procès, et, en fin de compte, paraître reculer devant notre responsabilité. Nous ne le pouvions pas, et, en présence de la nature et de l’importance des intérêts engagés, nous ne l’avons pas voulu. En effet, d’une part, nous voyons des milliers de propriétaires, les uns fortunés, les autres, et c’est le plus grand nombre, dans une médiocre aisance et même une pauvreté relative, dont le patrimoine est compromis ou menacé. De l’autre, nous rencontrons de sociétés puissantes par leur richesse, qui, se voilant sous la forme de l’anonymat, peuvent échapper à la responsabilité de leurs actes, et dont les titres éparpillés, passant de main en main, deviennent la propriété d’inconnus; en un mot, il y a là le faible qui lutte contre le fort».
Là, notre Dumont exagère un peu : ces ‘faibles’ qui avaient construit aux Guillemins pesaient économiquement et politiquement autant, sinon plus, que les charbonnages. Et Gustave est lui-même un capitaine d’industrie. Mais son argumentation est solide et fondée sur l’historique des affaissements miniers. Systématiquement, les ingénieurs de l’Administration des mines «innocentent » les charbonnages.
Pour Dumont, le rôle de l’administration des mines ne doit pas se borner à constater tardivement les dégâts mais elle a le devoir de les prévenir. Il va à l’encontre d’une théorie qui a dominée jusqu’aux fermetures des charbonnages un siècle plus tard ! C’est Newtonien : «le sol obéit à l’action de la gravité ; l’interdiction provisoire des travaux de la houillère du Paradis, sous le quartier d’Avroy-Louvrex, est un premier pas dans la voie de la justice. L’affaissement qui se produirait inévitablement, en augmentant le route périodique des inondations dans certains quartiers, les rendrait peu à peu insalubres ou inhabitables ».
Les charbonnages invoquent l’avenir du secteur minier: « À la suite des réclamations incessantes et passionnées du Comité d’Avroy-Louvrex- Guillemins, l’interdiction provisoire de toute exploitation dans une partie de la concession d’Avroy-Boverie présente, non seulement pour le charbonnage du Paradis, mais aussi pour l’industrie charbonnière en général, des conséquences d’une gravité exceptionnelle ».

Chantages à la fermeture

Pour le charbonnage du Paradis, «les agissements du Comité des lézardes frappent les imaginations et la crédulité du public. Des dégradations surviennent peu à peu à un certain nombre d’habitations du quartier. En temps ordinaire, les habitants n’auraient attaché à la plupart d’entre elles aucune importance. Mais un COMITÉ s’était formé sous prétexte de sauvegarder des intérêts compromis par des périls imaginaires. Peu s’en faut qu’un tremblement de terre ne soit annoncé, car le Comité ne parle que de désastres et de cataclysmes. Il représente les travaux houillers, avec lesquels, malheureusement, peu de personnes sont familiarisées, comme des excavations immenses, des cavernes profondes, dont on laisse à l’imagination individuelle le soin d’exagérer encore les gigantesques proportions».
Le charbonnage opère alors un chantage à la fermeture : « Nous sommes soumis, depuis plus de trois ans, à un régime tellement exceptionnel et tellement ruineux, que nous devons franchement déclarer que son maintien est devenu impossible, et qu’il nous obligera à fermer l’exploitation, si nous n’obtenons prochainement un soulagement à nos entraves. Le maintien des interdictions est, pour le charbonnage Paradis, une véritable expropriation, sans indemnité ; une véritable confiscation de la propriété ».
Au Conseil communal de Liège du 10 novembre 1871, l’échevin Gillon, ingénieur lui-même, rétorque aux représentants des charbonnages présents : «Mais, nous dit-on, vous allez jeter des milliers d’ouvriers sur le pavé, ruiner tout un quartier dont l’industrie houillère est la seule ressource ! Nous sommes dans le drame, messieurs ! et cela parce que l’on interdirait l’exploitation d’une partie d’une couche ! S’il y a des ingénieurs dans le Conseil, ils doivent singulièrement rire!»
Les charbonnages mettent en garde le gouvernement contre les effets d’une application stricte du principe de précaution et de la prise en compte des revendications environnementales sur le devenir du secteur charbonnier et de la Belgique : « Les insensés ! Sous le prétexte de défendre la sûreté de leurs habitations, qui n’est pas compromise, ils compromettent la prospérité de notre belle cité, de notre province entière, en cherchant à tarir les sources qui les alimentent !... Leurs demeures, leurs somptueux hôtels sont debouts ; tous les jours de nouvelles constructions s’élèvent sur le prétendu volcan qu’ils dénoncent à la frayeur du public ! Et qu’on y prenne garde : ce que l’on réclame, en conspirant la ruine du charbonnage Paradis, n’est que le prélude d’une croisade générale anti-industrielle qui s’attaquera à tous les charbonnages de la commune de Liège ! Puis, s’étendant au dehors de ces limites, la propagande hostile aux exploitations devra, pour être logique, envahir Seraing, Jemeppe, Ougrée, Herstal et dix autres localités d’une grande importance comme travail national. Si on parvient à détruire une seule exploitation par l’application d’une mesure préventive, on devra, pour être conséquent avec les principes, interdire ailleurs les travaux, quand il s’élèvera, au-dessus d’eux, des habitations ou des constructions plus ou moins agglomérées ! Et alors ! où s’arrêter ?»

Un événement fondateur dans l’histoire des conflits environnementaux

Le charbonnage d’Avroy-Boverie abandonnera ses concessions en 1891. L’affaire des lézardes de Liège est un événement fondateur dans l’histoire des conflits environnementaux liés à l’extraction du charbon. Avant, il y avait eu Saint Léonard qui en 1856 renverse une majorité communale sur base d’une usine à zinc qui  rendait particulièrement insalubres le quartier: "la république démocratique et sociale vient de battre ... les libéraux". L’usine Vieille Montagne de Saint Léonard fut fermée en 1881 et déménage à Angleur où la société avait déjà une usine. A Saint Léonard il y a une place « Vieille Montagne » ; et à Angleur , entre l'Ourthe et le canal de l'Ourthe, son successeur Umicore  a créé une réserve naturelle avec le nom idyllique ‘Île aux Corsaires’,  pollué au zinc, avec « une flore très spécifique, adaptée aux sols enrichis en métaux lourds ». Notez le terme ‘enrichi’ ; moi je dirais pollué…
Face à la mobilisation des riverains des Guillemins le gouvernement applique le « principe de précaution » interdisant les travaux souterrains de la houillère du Paradis.  
En 1903 encore, le député socialiste Léon Troclet dénonce les charbonnages et les réparations des dégâts de mines: «Lorsqu’on a signalé à une société charbonnière que les affaissements de terrain ont détérioré une maison, la direction envoie quelques ouvriers qui introduisent un peu de mortier dans les fissures et si une pierre de taille est fendue, on y met deux agrafes ; c’est là ce que l’on qualifie de réparation. Dernièrement, pour réparer une porte, on avait envoyé non pas un menuisier mais un charpentier ou plutôt un boiseur du fond du charbonnage. On applique à l’intérieur des maisons un morceau de papier peint sur les fissures et alors la trace du dommage ayant disparu, il est très difficile d’obtenir réparation».
Je vous invite à repérer ces lézardes, un siècle et demi plus tard. . Mais ce que certains ne se rendent pas compte c’est que tous nous payons pour des stations de démergement, rendus nécessaire par l’affaissement général du sol. Et même encore aujourd’hui on nie la responsabilité des charbonnages, dans la mesure où personne n’essaye de faire payer ces sociétés qui existent encore sous forme de sociétés ‘en liquidation’.

L’Art Nouveau aux Guillemins

Nous avons vu un alignement relativement homogène de bâtisses Art Nouveau (AN) au Quai Mativa, construit dans l’après expo 1905. Il y a de l’AN dans le quartier des Guillemins aussi. Mais le gros du bâti du Guillemins est antérieur, d’un style plutôt éclectique et classiciste. On retrouve l’Art Nouveau dans les rues où l’urbanisation a pour l’une ou l’autre raison tardé. Je me suis servi du le site cirkwi.com et  de l’Inventaire du Patrimoine Immobilier (IPIC).  
Nous commençons notre circuit Art Nouveau par la rue de Rotterdam. Cette rue a été bâti plus tard parce qu’il fallait d’abord exproprier les maisons  qui bouchaient une percée vers le Boulevard. Pour raser des taudis, on n’hésitait pas ; mais pour ces bâtisses on mettait des gants et prenait le temps.

La rue de Rotterdam

rude de Rotterdam 31 image IPIC
Au N°5 résida l’architecte Clément Pirnay que nous croiserons un peu plus loin, dans la rue Dartois. Au n° 11, les fines boiseries des châssis sont originaux, soigneusement préservés, tant au niveau des fenêtres que de l’oriel ou de la porte d’entrée. La maison – ainsi que le N° 13 - a été construite en 1904, sur des plans de l’architecte Victor Rubbers, à la demande du rentier J. Thiriar. Le n° 38 est de l’architecte Paul Jaspar, que nous avons déjà croisé rue des Vennes. Pour cette façade de 1897, il s’est amusé à réinterpréter l’architecture mosane traditionnelle: grande fenêtre du rez-de-chaussée à croisées de pierre, têtes sculptées aux extrémités du linteau de la porte d’entrée (tradition dans l’architecture liégeoise du 16e siècle), panneaux moulurés des boiseries, vitraux dans les baies d’imposte….
D’autres détails attirent l’attention, comme les dragons sculptés dans les boiseries à la base de l’oriel et les moellons carrés aux motifs figuratifs au-dessus du soubassement. Les petits bois de la lucarne principale semblent inspirés de la forme des paravents japonais. A l’époque, les Européens découvrent l’Art du japon, qui devient une des sources d’inspiration de l’Art nouveau. Avec ses formes de feuilles et fleurs de marronniers, la grille d’accès à la cours constitue une application remarquable du nouveau style.
De l’autre côté de la rue, les n°31 et 33 sont de Paul Jaspar. Le 33 a été conçu en 1899. Des figures humaines ornent les extrémités du linteau. Remarquez le dessin original des boiseries: arc outrepassé et petits bois pour la grande baie du rez-de-chaussée, oriel aux côtés inclinés à 45°, rambarde du balcon incurvée, montants et consoles finement sculptés… Des représentations symbolistes nous interrogent : que peut bien représenter le visage souriant sur la cheminée ? Et le visage grimaçant qui émerge des rinceaux anguleux à la base de l’oriel ?

Un attentat anarchiste à la dynamite

J. Moineau 1900
ill. Le Maitron
Ca flairait tellement le pognon que cette rue a été la cible d’un attentat anarchiste, à la dynamite, à une époque où elle s’appelait encore rue de la Paix.
Jules Moineau était en 1886 à l’école militaire Il quitta l’armée pour ne pas avoir à tirer sur les ouvriers. Avec le cafetier Herstalien Wagener il devient un des animateurs de la commémoration de la Commune de Paris en mars 1886, le point de départ d’un mouvement social qui a ébranlé le pays.
En mars 1891, suite à un vol de 900 kilos de dynamite à la poudrière d’Ombret, des anarchistes sont arrêtés et condamnés à 15 et 12 ans de prison. Le soir du jugement, une bombe déposée devant le domicile du président de la cour d’assises Renson n’explosa pas. Un peu plus tard un autre attentat vise le procureur du roi et un sénateur, son fils et l’église Saint-Martin.
Moineau fut arrêté avec 15 autres militants et inculpé de «vol de dynamite et de complot » . Il affirma n’avoir exercé qu’une influence morale sur ses camarades, mais prit sur lui l’entière responsabilité des faits, acceptant « la solidarité de tous les actes qui devaient amener à la révolution » en précisant qu’il n’avait jamais cherché à faire de victimes. Il fut condamné à 25 ans de travaux forcés. Il bénéficia d’une libération anticipée en 1901. Lors d’un meeting en 1902 il déclarait encore: "J’ai voulu réveiller la masse des travailleurs ; je n’ai jamais voulu attenter à la vie de personne. Je cherche à abattre les institutions sociales actuelles et je considère que la victoire sociale ne peut être obtenue que par la force. La société bourgeoise est pourrie ; la justice n’est qu’une justice de classe."

La  Place de Bronckart 

La Place de Bronckart était le cœur de cette opération immobilière lancée par le clan Fabry. On l’a voulu uniforme : des goûts et des couleurs on ne discute pas. Mais pour voir de l’Art Nouveau il faut entrer dans le jardin d’hiver  de la brasserie installée dans l’ancien hôtel de maître au N°3, avec ses miroirs biseautés encadrés par des boiseries dessinant des volutes organiques.
Dans la rue de Chestret n°15, l’architecte A. Guillite, qui signe au bas de la façade, a dessiné des menuiseries qui donnent un cachet: consoles de corniches arquées, châssis de fenêtres courbes, porte en bois combinant des motifs de disques avec des lignes droites et incurvées

Rue du Plan Incliné

source Rixhe rail archives
En 1838, le chemin de fer atteignit Ans. En 1843, le tronçon Liège - Cologne fut achevé, ce qui fit de cette ligne le premier chemin de fer transeuropéen. Ca n’a pas été facile de faire descendre les locomotives d’Ans aux Guillemins. Pour la côte d'Ans l’ingénieur Henri Maus a du développer la technique de plan incliné. Le 1er mai 1842, le premier train fut hissé de Liège à Ans. On accrochait aux trains montants un wagon spécial, muni d'une pince dont les mâchoires saisissaient le câble moteur.
Jusqu'à l'électrification de la voie, une seconde locomotive était nécessaire pour pousser le convoi jusqu'en gare d'Ans. Cette locomotive n'était pas attelée, elle pouvait ainsi se séparer du convoi sans l'arrêt de celui-ci, avant de redescendre en gare de Liège. Cette méthode perdura jusqu'aux années 1970, les premières locomotives électriques n'étant pas suffisantes pour tracter les convois. Et je crois savoir qu’il y a toujours une loco en réserve, en cas de pépin, comme des feuilles mortes…

La rue de Sélys

rue de Selys 25 source cirkwi
La rue de Sélys est particulièrement riche en bâtiments AN, parce qu’elle a seulement été ouverte en 1896. Au n°25, la façade est de l’architecte Micha avec les vitraux de la porte et les ferronneries du balcon en formes végétales stylisées. Les pierres sculptées décorent les linteaux: tiges, feuilles et fleurs se prolongent d’une pierre à l’autre afin de fusionner les montants d’encadrement et les linteaux aux formes arrondies. Les châssis, toujours originaux en 2016, épousent parfaitement la forme des profils ainsi dessinés. Relevons enfin les amusantes volutes qui encadrent les extrémités du fronton-pignon sommital.
Au n°17, classée, la maison du directeur d’usine Henri Piot (1904) est un chef-d’œuvre de l’architecte Victor Rogister, lui-même élève de Paul Jaspar. La signature est très maçonnique, avec les sphinx sur les vantaux de la porte, le coq, le hibou, les visages de vieillards barbus  au sommet des piédroits qui encadrent la lucarne. Notez aussi les poignées de porte en forme de dragons.

Dans la rue Dartois, Bacot, comptoir d'Outremer pour le négoce des vins et de spiritueux

La rue Fabry était au départ une impasse, d’une largeur de 10.7 mètres ! La famille Fabry avait dès le début rêvé de prolonger cette rue vers le Plan Incliné. Cette percée se fait au travers de l’ancienne papeterie de la Station, occupée après par les ateliers de Serrurier-Bovy. Cet architecte a meublé les maisons AN. Un aspect peu connu de cet architecte est qu’il envisageait aussi une certaine démocratisation du luxe de l’habitation, avec l’ameublement d’une des maisons ouvrières construites à Cointe lors du concours de l’Exposition universelle de Liège en 1905. Notre homme avait déjà conçu une « Chambre d’artisan » pour l’exposition de la Libre esthétique en 1895.
En 1905 il propose le mobilier Silex. C’est Ikea avant la lettre. Il pressent que le temps de l’artisanat est en passe d’être révolu – et là il est en rupture avec l’Art Nouveau qui jurait justement par les Arts&Crafts- et équipe progressivement ses ateliers de machines modernes. Une centaine d’ouvriers travaillent dans ses ateliers liégeois.
Au n° 42  de la rue Dartois, l’architecte Clément Pirnay dessine en 1920 un immeuble de quatre niveaux commandé par la société Bacot, avec une exceptionnelle composition de sgraffites: des pampres de vignes s'étirent de bas en haut, à partir de deux vases situés de part et d'autre de la loggia. Quatre des panneaux supérieurs sont ornés de corbeilles de fruits. Le garde-corps, les couronnements des pilastres et du sommet de la façade sont en ferronneries peintes. L’ossature du bâtiment est en béton armé ; la verticalité est accusé par les pilastres prolongés de plus de trois mètres au-delà de la toiture plate pour soutenir l'enseigne commerciale « Bacot, comptoir d'Outremer pour le négoce des vins et de spiritueux ».
Rue Dartois 44, l’habitation personnelle de l'architecte Clément Pirnay, Art Nouveau géométrique construite de 1907 à 1911, l’immeuble avait primitivement quatre niveaux, et fut exhaussé de deux niveaux en 1926. Le rez entièrement de calcaire était occupé jadis par le bureau de l'architecte. Au deuxième étage, une loggia trapézoïdale en calcaire repose sur deux importantes consoles figurant des sirènes antiques. Surmontant la loggia, le balcon est accessible par quatre baies jointives séparées par des colonnes à chapiteaux sculptés. Les quatre panneaux en pierre blanche ornés de couronnes qui amortissaient primitivement la façade servent aujourd'hui d'allèges au cinquième niveau. Les deux niveaux supérieurs en brique et béton comportent deux loggias rentrantes triangulaires. Belle rampe d'escalier en ferronnerie de style Art Déco.
Par après le bâtiment est occupé par le groupe Egau (Études en Groupe d'Architecture et d'Urbanisme) qui a marqué sa ville, avec notamment la gare des Guillemins précédente et la Cité de Droixhe.

A l'angle de la place des Guillemins, un projet Ardent Group

Le groupe liégeois Circus est parti en 1989 de sa salle Circus  de la place des Guillemins (le métier de base du groupe Ardent est les salles de jeux) pour racheter petit à petit le café L’Express, le célèbre café Le Century, suivi de la Brasserie et de l’Hôtel du Midi. On poursuit dans la rue des Guillemins avec l’Hôtel Métropole, puis l’Hôtel des Nations. Deux petits bâtiments ensuite occupés par un night-shop et une cordonnerie. Et enfin, le non moins célèbre restaurant Le Duc d’Anjou. Sans oublier à l’arrière de tous ces bâtiments, la miroiterie Maretti. En tout +- 5.000 m2 au sol (Ls 3/10/2012 et LLB 18/1/2017). 
Un cube de verre fait l’angle, neuf étages de bureaux, entièrement vitrés, en porte-à-faux de sept mètres sur le trottoir. Ca a pris 30 ans pour le premier projet privé à se concrétiser autour de la nouvelle gare TGV. Le « Liège Office Center » n’est pas encore ouvert que tout est déjà loué. 10 entreprises vont s’y installer prochainement et y occuperont près de 600 personnes. Un hôtel Ibis Style de 102 chambres (3 étoiles) vient d’ouvrir. Les 12 appartements (de 85 à 127 m²) sont déjà vendus ou loués et trois surfaces commerciales dont deux sont déjà occupées par Burger King et par une supérette Carrefour. Mais il y a surtout 11.000 m² de bureaux tout neufs déjà tous loués. La proximité de tous ces transports en commun et de cette mobilité douce explique aussi que le bâtiment ne présentera en sous-sol « que » 185 places de parking voitures et 56 places pour vélos. Et ce pour environ 600 personnes qui seront occupées sur le site, sans compter les clients de l’hôtel. 350 pour les neuf premières sociétés et sans doute 200 pour tous les bureaux que Regus va proposer en coworking. Début avril aura lieu l’inauguration officielle (Sud Presse 29 janvier 2020).
Nous ferons le tour de la gare, ou plutôt nous entrerons dans une œuvre d’art! C’est Calatrava lui-même qui le dit: "Si on est dans la gare on ne regarde plus la forme mais on est dans l’espace, on a pénétré à l’intérieur de l’œuvre d’art." Le BBC appelait– à juste titre – les Guillemmins “his latest sculpture”. Voir mon blog sur le sujet http://hachhachhh.blogspot.be/2014/01/calatrava-dabord-artiste-avant-detre.html

Un terrain de bataille pour des promoteurs immobiliers.

Nous venons de voir que le Liège Office Center tire très bien son épingle du jeu.
Un autre gagnant est Fedimmo qui a commencé un nouveau quartier d’affaires, qualifié – un peu vite, tant les exigences environnementales sont vagues – d’écoquartier par l’ex-ministre écolo Henry.  Paradis Express a remporté le Mipim Award 2016 et un European Property Award en 2019. Pour cet écoquartier d’1,6 ha, 35000 m², dont 10400 m² habitables,  Matexi et Befimmo s’entourent d’un trio A2M, Greisch et Jaspers-Eyers.  Befimmo construira deux immeubles de bureaux sur 21000 m². Dans un deuxième temps Matexi fera 115 logements, 1600m² d’espaces Horeca, de services et professions libérales, et 400 m² de commerces. Là aussi on ne prévoit que 155 places de parking: les promoteurs invoquent le tram.
La Région wallonne louera, dans le cadre d’un bail de 18 ans, une surface de 6700 m² dans l’immeuble. 250 agents de la direction Mobilité et Infrastructures occupent actuellement quatre endroits différents La direction des routes et autoroutes est  aux n°12 à 18 de l’avenue Blonden. Ils sont plus d’une centaine à y travailler. Les Voies hydraulique se situent dans un bâtiment rénové de la rue Forgeur, appelé autrefois « L’hôtel des Ponts et Chaussée ». Plus de 80 fonctionnaires y sont occupés. La Direction de la gestion des voies navigables est à Angleur, rue du Canal de l’Ourthe, juste à côté du siège central de la CILE. Ils sont une trentaine d’agents à être concernés. Le service électromécanique du SPW de Liège, une trentaine de travailleurs, serait aussi rassemblée rue Paradis.Pour occuper les nouveau bureaux en construction,  à chaque fois, il s’agit d’emplois publics. Le journaliste Luc Gochel se demande – à juste titre : à quand l’arrivée de plusieurs centaines d’emplois nouveaux et financés par le privé? (La Libre Belgique, 28 nov. 2019 et Sudpresse  22 aoû. 2019).

Les perdants

Mais à côté des gagnants, il y a aussi des perdants. A commencer par le groupe Horizon qui avait racheté douze petites maisons à l'abandon et proposait 97 appartements sur quatre étages, en façade et à l'intérieur de l'îlot. 62 riverains de l'avenue Blonden ont émis des remarques lors de l'enquête publique. Les suivant, collège échevinal demande de réduire le gabarit à l'intérieur de l'îlot et les reculer par rapport aux buildings. Selon le promoteur Laurent Minguet, « les gens se sentiront complètement enclavés entre l'avenue Blonden et la rue Paradis. Ce n'est plus vendable. Et tant pis, que les riverains conservent leur parking pourri à l'arrière alors. On passe alors de 97 à 37 appartements ! Sur le PRU qui n'autorise qu'un maximum de quatre étages : on a déjà accepté une dérogation pour la tour des finances (de 40 m, elle est passée à 120m), ainsi que pour le dégradé des immeubles du projet Paradis Express, pourquoi ne pas me permettre de faire de même ? » Il propose un dégradé à partir des huit étages de l'immeuble France qui fait le coin, en passant à sept, puis six, puis cinq, puis quatre (La Meuse, 23 jan. 2020).
La SNCB a de son côté payé une étude d’incidence pour la construction de 60.000 mètres carrés de bureaux rue du Plan incliné (un plan de Calatrava !), mais on ne les entend plus.
 Ca fait beaucoup de bureaux ! Mais ça pose surtout deux question s: comment amener ces milliers de gratte-papiers sur leur lieu de travail. Bien sûr, il y a la gare. Mais le REL (Réseau Express Liégeois) est postposé à chaque tour de vis budgetaire. Et, cela créera au centre-ville des friches énormes, et videra le centre de toute vie. Voir aussi https://hachhachhh.blogspot.com/2018/06/le-quartier-des-guillemins-un-champ-de.html

Un nouvel axe : de la gare vers le centre commercial Médiacité

Devant la gare « Liege Together ». Pas pour la Ville de Liège et la SNCB (au sens générique du terme, toutes filiales confondues) qui en vingt ans de dossier, n’ont pas développé l’art de la collaboration.
La Ville a soutenu Fedimmo.  Calatrava, soutenu par Infrabel, a perdu son procès contre la construction de la tour Fedimmo de 27 étages, 118 mètres de haut, à 400 mètres de ‘sa’ gare. Le conseil d’Etat a jugé que rien ne démontre que l’érection de la tour nuirait à la mission de la SNCB qui est de « construire des gares et leurs dépendances en dotant celles-ci d’une forte visibilité. »
On pourrait rire de cette bataille entre star-architectes si le débat se limitait aux qualités architecturales de l’un ou de l’autre. Mais le tram de Liège ne s’arrêtera pas sous la casquette d’entrée de la gare cause de cette mésentente. S’il a fallu attendre plus d’un an avant que les travaux d’aménagement devant la nouvelle gare prennent forme, c’est parce que les deux pouvoirs ne se parlaient pas/plus. Au prétexte, un moment, que le plan d’aménagement de la Ville rognait de quelques mètres carrés sur une pelouse que la SNCB avait plantée devant sa nouvelle gare ! Si le voyageur qui débarque dans la gare pour la première fois peut chercher longtemps et sans succès des indications aussi simples que les arrêts de bus (le sens de circulation, la répartition des lignes sur les quais, etc.), les taxis, les locations de voiture, les parkings ou les bureaux de coworking, c’est parce que chacun travaille sur son propre territoire.
Très longtemps la SNCB n’y a tout simplement envoyé personne  à la « SDLG » (société de développement de Liège Guillemins), ou des observateurs silencieux. Le centre de design et  le projet Circus ont été faits sans vraie coordination d’ensemble.
Dans l’axe de la gare à  la Mediacité (d’un autre star-architecte Ron Arad), Calatrava voulait un plan d’eau jusqu’à la Meuse. Il a du se résigner à des fontaines et une pelouse.

La maison Rigo et la maison Rosen

Lors de l’inauguration de la passerelle, Willy Demeyer s’en est pris aux associations de défense du patrimoine qui militaient pour la sauvegarde de la maison Rigo, immeuble témoin du style Mosan se trouvant pile poil dans l’axe Boverie-Guillemins :« On voit très bien qu’elle est dans le chemin».
Pourtant, la maison, construite il y a cent ans, était selon le Vieux-Liège « une réinterprétation du style identitaire liégeois de la fin du 16 ème siècle avec l’intégration d’éléments authentiques plus anciens. Une sorte de recyclage ou réemploi ». Madeleine Mairlot (SOS Mémoire de Liège): « Elle empêcherait d’avoir une perspective dégagée sur la gare. Faux ! Où que l’on se place cette perspective n’est jamais totalement dégagée, même sans la maison Rigo.  Le centre du Design, par exemple, empêche cette perspective. Sa position au pied de la tour des finances mêle le solennel et l’intime». « Garder des éléments à taille humaine comme la maison Rigo, c’est avoir un cheminement plus poétique, où les grands édifices comme la gare se découvrent par petits bouts », ajoutait l’arhitecte Eric Lorenzi. Le professeur Marcel Otte parlait de «perversion de la pensée urbanistique ».
J’ajouterais que pour Calatrava la Tour des finances aussi est dans le chemin. Pouvait-on imaginer un dialogue architectural plus évocateur que cette gare, cette tour Fedimmo et cette maison Rigo ? L’arène où s’affrontent trois promoteur immobiliers : Fedimmo, Infrabel et Liège Office Center, avec, au beau milieu du jeu de quilles, cette maison Rigo, symbole de la ‘Cité Ardente’ ? ( Le Soir 13 juillet et 23 août  2017 )
La tour Rosen est toujours là parce qu’elle est classée depuis 1959. Le noyau de la tour date de 1516 ; la maison est agrandie au XVIIe siècle par la famille Rosen qui donnera son nom à cette bâtisse. Jusqu'en 1870, année du comblement des douves, la maison était dotée d'un pont-levis.

Greisch et la belle liégeoise, amante du carnage, excitant à l’assaut un peuple sans souliers

La ‘Belle Liégeoise’ est l’oeuvre du bureau d’ ingenieurs Greisch, et l’atelier français de Michel Corajoud. René Greisch est décédé en 2002. C’est son bureau qui a participé à la construction par lançage du pont de Millau: deux kilomètres et demi au-dessus de la vallée du Tarn, en France.
Le bureau Greisch a aussi collaboré avec Calatrava. Heureusement : suite à leurs calculs la structure a été alourdi de 30%. Comme je viens de dire : on peut prendre Calatrava comme artiste, mais on a intérêt à le faire encadrer pour la technique…
La Belle Liégeoise était le surnom de Théroigne de Méricourt, qui a joué un rôle dans la Révolution Française. Charles Baudelaire écrivait dans Les Fleurs du Mal : « Avez-vous vu Théroigne, amante du carnage, / Excitant à l’assaut un peuple sans souliers, / La joue et l’œil en feu, jouant son personnage, / Et montant, sabre au poing, les royaux escaliers ? »
 Née à Marcourt, elle s’est retrouvée en 1789 à Paris où elle fréquente Camille Desmoulins, Fabre d'Églantine et autres révolutionnaires qui la surnomment « la Belle Liégeoise ». En 1792, favorable à la guerre, comme Danton et les Girondins, elle tente de créer une « phalange d'amazones ». Les Montagnards de Robespierre s’opposent à cette guerre qui plongera la jeune république dans la défaite. En mai 1793, elle est prise à partie par des femmes jacobines – les Tricoteuses - qui la dénudent et la fessent publiquement. Cet incident fait qu’elle passe les 23 dernières années de sa vie à l'asile, où le  médecin aliéniste Jean-Étienne Esquirol fait son portrait. Elle meurt à l'hôpital de la Salpêtrière en 1817.
On a tissé un tas de mythes autour de sa personne. Mais il faut la part de mythe pour une passerelle qui prendra sa place à côté de celle de la Régence ou celle de Hennebique que nous venons de traverser, de l’autre côté de la Boverie..
Mlle Thérouène
Pour vous donner une petite idée des mythes autour de sa personne, voici quelques portraits. Théroigne de Méricourt est réprésentée la gorge découverte, le sein gauche nu.
Jean-Etienne Esquirol médecin aliéniste fait réaliser ce portrait en 1816, à La Salpétrière. Elle est alors âgée de 54 ans. Il publie ce portrait dans Les Maladies mentales, en 1836

Un nouvel axe : de la gare vers le centre commercial Médiacité

On a inauguré en 2016 le nouveau musée de la Boverie, et ensuite la nouvelle passerelle. On a trouvé des fonds pour rénover la tour cybernétique et le centre consulaire. Et on a apaisé le trafic sur les quais. Mais cela ne s’arrête pas là. L’objectif est de prolonger cet axe jusqu’à la Médiacité. C’est probablement dans ce but qu’une branche de la passerelle aboutit à quelques décamètres de la Dérivation.
Il y en a sûrement qui trouvent un peu dommage que les arbres centenaires du parc bouchent un peu la vue. Sous cet angle là la remontée des castors est probablement une aubaine : on a déjà coupé la rangée d’arbres centenaires derrière le musée..
Mais le problème ne se limite pas à ces arbres. Le promeneur se retrouve devant un véritable nœud presqu’autoroutier qui n’invite pas à traverser cet espace indéfini.
C’est pour cela que le promoteur Wilhelm & Co a appelé l’architecte-designer Ron Arad (qui se fait d’ailleurs accompagner cabinet d’architectes belges Jaspers-Eyers que nous avons croisé de l’autre côté de la Meuse, au Paradis Express).
Il fallait un geste architectural fort pour répondre à l’œuvre de Calatrava qui se trouve dans l’axe de Médiacité.
Ceci dit, relativisons ce ‘geste fort’. Sa "nervure", serpent, cétacé, veine saillante ou rivière (au choix) donne de la chair et de l’air à un bâtiment qui est  pour le reste une "boîte noire" assez conventionnelle, comme la plupart des centres commerciaux. Et encore, son serpent ne se voit que du ciel (il est vrai que les drones se démocratisent). Wilhelm&Co a juste cherché à donner "une identité" à la Médiacité.
La "verrière" ondoyante, transparente, ponctuée d’éléments rouges, qui sillonne d’un bout à l’autre la Médiacité (360 mètres), est formée de rubans d’acier (20 cm de large) entrelacés, et d’une couverture en ETFE, une sorte de plastique ici posé en quatre couches formant de fins "coussins" gonflés à l’air. Ron Arad: "La seule chose dont j’étais sûr, c’est que ce bâtiment allait être défini et lu par le toit... Et le sol (regardez ces ombres projetées par la structure !) en est une sorte d’imitation Ce n’est pas un centre commercial, dans le sens d’un bâtiment avec des magasins, mais plutôt une rue couverte. Un marché turc".
« Ce serait un grand compliment qu’un centre commercial puisse être mentionné comme un monument architectural », confie Arad. Il avoue ne pas avoir tenu compte de l’histoire du site de la Médiacité. Le seule référence indirecte aux laminoirs de Longdoz qui occupaient le site est ces rubans d’acier (LLB 31 mai 2009).
Cette Médiacité pose aussi deux autres problèmes : la mobilité. Les bouchons risquent d’être fatals, non seulement au centre commercial même, mais aussi au quartier bien vivant du Longdoz. Et la concurrence avec Belle Ile est là. Carrefour y décroche. Non seulement les deux centres commerciaux risquent de se phagocyter, mais ils étranglent aussi les commerces au centre ville.

Les Laminoirs et ferblanterie de Longdoz

Ron Arad n’a pas tenu compte de l’histoire du site de la Médiacité. L’ancien sidérurgiste et ferblantier que je suis devra donc se contenter de ses rubans d’acier pour évoquer l'ancienne usine de fer-blanc de Dothée. Charles-Martin Dieudonné Dothée crée en 1847 au Longdoz un atelier pour la tôle, du fer et du fer-blanc.
En 1881 Espérance-Longdoz s’installa dansl’ancienne ferblanterie. Paul Borgnet (1863-1944), alors âgé de 18 ans, y installe un atelier de galvanisation de tôles au trempé. En 1905, il construit  à Flémalle une usine qui devient en 1911 Phénix Works. En 1935, il y lance la production de fer-blanc, par étamage au trempé. Passée sous le contrôle de Cockerill en 1970, l’entreprise est absorbée en 1989. J’ai assisté à la fermeture de cette ligne de fer blanc, et l’arrivée de ses ouvriers à Ferblatil où je travaillais.
En 1948, l’usine du Longdoz produit encore 142.000 tonnes de tôles. Le laminage à chaud est arrêté en 1957. Après la fusion de Cockerill et Espérance-Longdoz en 1970, l’activité cesse définitivement en 1980. J’ai travaillé à Ferblatil sous le dernier directeur de Longdoz.

La Mmil ou « Maison de la Métallurgie et de l’Industrie de Liège »

En 1963 Espérance-Longdoz ouvre un musée dans l’ancienne usine Dothée, à l’endroit même où se trouve aujourd’hui la « forge à la wallonne ». Après la fusion avec Espérance-Longdoz, Cockerill case en 1973 le musée dans l’asbl « musée du fer et du charbon ». Suite à la crise sidérurgique Cockerill en fait don à la Ville de Liège. En  1990, suite aux difficultés financières de la Ville, l’ULiège, la Ville et le Musée de la Vie Wallonne, épaulés par Cockerill Sambre, ses filiales de revêtement et Vieille-Montagne créent la « Maison de la Métallurgie et de l’Industrie de Liège ».

La rectification de l’Ourthe

Au départ, l'Ourthe se divisait en deux bras principaux en aval de l'actuel pont des Grosses Battes. Le bras principal empruntait l'actuel boulevard de l'Automobile et passait plus ou moins à la place de l'actuelle Dérivation pour se joindre au cours principal de la Meuse vers l'actuel pont Atlas. Un autre bras, le Fourchu Fossé, contournait l'actuel centre commercial de Belle-Île par le sud avant de parcourir tout l'actuel boulevard Émile de Laveleye et rejoindre la Meuse à hauteur de l'actuel pont de Fétinne. Dans le cadre du projet de canal Meuse et Moselle qui ne verra jamais le jour, le canal de l'Ourthe emprunte en 1847 une partie du méandre du Fourchu Fossé actuellement encore visible à l'arrière du centre commercial Belle-Île, près du pont Marcotty.
En 1846, la ville décide de rectifie la Meuse et de créer la Dérivation. L'épidémie de choléra en 1849 (près de 2 000 morts) força la décision. De 1853 à 1863, on creuse la Dérivation  dans laquelle on dévie une partie des eaux de la Meuse (25 à 30 %).
Le cours actuel de l'Ourthe, presque rectiligne entre le pont des Grosses Battes et le pont de Fétinne, n'existait pas avant 1902.  La rivière est rectifiée en 1905, avec l’expo, créant ainsi le quai Mativa et le parc de la Boverie. L'actuel boulevard de l'Automobile aussi est asséché en 1905.

Des «fascines végétales» sur la Dérivation

En dehors des grosses eaux la Dérivation n’est pas très profonde. Même les rameurs doivent parfois slalommer entre les bancs de sable.
C’est ainsi qu’en 2016 on a pu installer dans la Dérivation un projet pilote en partenariat avec la Maison wallonne de la pêche, des cylindres en fibres naturelles de coco biodégradables, végétalisés par plusieurs espèces de plantes aquatiques et contenus dans des structures métalliques fixées aux murs des berges, dans le cadre du plan communal de développement de la nature (PCDN). En 2019 près de 160 mètres de fascines supplémentaires ont fleuri, et au moins 120 m sont annoncés pour 2020.  Le “ système racinaire” va servir aux poissons en vue d’y coller leurs œufs  Les alevins vont pouvoir se nourrir autour des racines, le Martin-pêcheur va venir se nourrir des alevins…A l’occasion  l’échevin de la transition écologique  évoquait le plan Maya, avec des fascines végétalisées dans la darse de Cheratte, après une polution en juillet 2007 par des insecticides provenant de Chimac-Agriphar. À la suite à cette forte pollution, plus de vingt tonnes de poissons avaient été tués (L'Avenir 24 sep. 2019).
Ce qui peut faire rêver certains de terrasses flottantes sur la Dérivation, afin de relier Outremeuse avec Amercoeur, faubourg du Cœur…

sur les Guillemins et la Boverie

Redeker, Romain, Les stations de pompage du bassin Liégeois : un patrimoine fragile https://matheo.uliege.be/bitstream/2268.2/6040/5/s099766Redeker2018.pdf
« Ma« Manière de montrer les délices de Liège »
http://hachhachhh.blogspot.com/2017/07/ma-maniere-de-montrer-les-delices-de.html 


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