mardi 4 juin 2019

Logement social: démolition-reconstruction moins chère que rénovation?


Notre Société Régionale de Logement de Herstal – dans la novlangue SOCIÉTÉ DE LOGEMENT DE SERVICE PUBLIC - a engagé début 2017 le bureau d’études Espace Environnement et le bureau d’architectes FHW pour étudier les perspectives pour les 4 buildings avec 64 logements de l’Avenue de Brouckère. Sur cette base le Conseil d’administration a validé un plan masse, avec la démolition de deux blocs de 32 appartements, et le remplacement par un nouveau bâtiment qui fermerait la rue Vinck au milieu. Les budgets estimés (20,3 millions au total) sont de 7,4 pour la démolition- reconstruction (+2,1 pour les commerces au rez) et 4,9 pour la rénovation des autres deux blocs. 7,4 pour la démolition- reconstruction et 4,9 pour la rénovation. Et pourtant, on dit partout que rénover est plus cher.
En plus, avec ce projet, c’est 32 logements en moins pour le parc de logements sociaux. Une perte qui n’existe pas pour ceux qui parlent la novlangue: pour la SRL la nouvelle construction avec 40 unités de logement a des fonctions publiques et sociales. Même s’ils sont de type ‘transitoire’. En partenariat par exemple avec la clinique André Renard (qui, notons-le, a été impliqué depuis le début dans le projet). Aujourd’hui un logement, peu importe son statut, est compté dans les logements ‘publics’ 
La direction de la SRL a reçu comme mission de réfléchir sur le financement et de prendre contact avec des partenaires potentiels, autrement dit des partenariats public-privé. Des partenariats où le privé arrive à mettre la main sur une partie de la réserve foncière de notre société de logement.
Ceci dit, rien n’est encore fait. C’est la SRL même qui le dit : «une consultation publique est prématurée puisqu’aucune décision quant à la suite concrète à donner à cette étude n’a été prise».
Aussi longtemps que la démolition n’ait commencé on peut réfléchir à des alternatives. D’autant plus que les premiers concernés, les locataires et les habitants de la Préalle n’ont pas été impliqués. Pourtant les consultants d’Espace Environnement étaient spécialisés dans la sensibilisation, concertation & soutien à la participation et la mise en réseau d’acteurs.

Démolition-reconstruction : la seule piste ?

Chemetov contre la démolition d'un bâtiment qu'il a conçu
En étudiant un peu cette démolition-reconstruction je me rends compte qu’en France notamment  des grands architectes comme Paul Chemetov s’opposent à  la destruction des grands ensembles des années 70-80: « Quand vous travaillez à concevoir un habitat collectif, vous ne pouvez pas connaître les futurs habitants mais il faut vous en inquiéter. Il faut regarder avec bienveillance les mœurs, leur évolution, voir comment vos bâtiments sont habités, aller quelques fois dans les réunions de locataires, entendre des inepties et des remarques très profondes. Une maison, un bâti quelconque, selon la façon dont on le construit aujourd’hui, va durer cent ans. On ne peut donc pas se projeter cent ans en avant… Il faut tendanciellement rendre les maisons transformables, réparables, perfectibles. Freud disait que la réparation est gratifiante. Nous sommes tous angoissés par la fin, la mort des maisons et notre propre mort. Les maisons se fissurent et nous nous ridons. Un jour, elles tombent et nous tombons. La réparation est une activité mentalement réparatrice ».

Et dans ce combat ces architectes développent des alternatives intéressantes. On peut, selon Chemetov,  « modifier des distributions, des intérieurs, des séparations, sans forcément tout casser».

Une mouvance forte préconise l’abandon la démolition-reconstruction pour une requalification des logements; et cela autant pour des raisons écologiques, sociologiques et justice sociale.  Une série d’architectes signent en 2006 un appel «Que démolit-on ? Et qui démolit-on ?» La Confédération nationale du logement (CNL) est partie prenante du Comité anti-démolition. Jean-Pierre Giaciomo, son président, veut donner les moyens aux habitants pour commander leurs propres études, tout comme les comités d'entreprise peuvent faire réaliser des audits.

L’offre et la demande ou l’augmentation des loyers…

En France le bilan global de cette stratégie démolition-reconstruction est une diminution du nombre de logements sociaux. Avec comme conséquence un doublement deloyers au cours des vingt dernières années, dans le parc locatif privé, et une augmentation de 50% dans le parc locatif social. Entre autres à cause des démolitions HLM.  Exactement comme chez nous, où le nombre de logements de nos sociétés de logement a diminué, par des démolitions sans reconstruction, comme à Droixhe, ou par la vente des logements dont la rénovation est estimée trop onéreuse.

Une piste intéressante : la résidentialisation.

Une des pistes développées par les urbanistes français est la résidentialisation. La requalification ne saurait se limiter à l’immeuble (logement, parties communes), mais doit englober aussi les abords immédiats (pieds d’immeubles, parkings etc). Elle  consiste à organiser la hiérarchisation des parties publiques : les privatiser partiellement, pour en permettre un meilleur contrôle et une appropriation limitée par les ayants droit, tout en requalifiant l’image de la résidence. Il faut redonner sens à ces espaces intermédiaires.
Philippe Panerai (grand prix de l’urbanisme 1999) propose de redéfinir la domanialité, parce que c’est redéfinir les responsabilités. Il préconise une appropriation individuelle, familiale ou une appropriation collective des parties communes. Il veut revenir à des échelles plus familières (du quartier à la cage d’escalier), plus faciles à gérer et de fait plus propices à une appropriation par les habitants.
Dans son livre "(re)habiliter » l’urbaniste Christian Moley a fait le bilan d’une panoplie de techniques comme la façade épaisse (créer des extensions en bande continu ou des extensions de  logement sur le pignon permet en plus de résoudre en partie le problème des ponts thermiques des terrasses, en contact avec les températures extérieures).  Une surélévation ou exhaussement permet d’amortir une rénovation sur un plus grand nombre de logements : chapeauter, coiffer ou couronner.
On peut couvrir cette façade épaisse ou cette couronne par des panneaux solaires.
Il analyse les enjeux paradoxaux des halls d’entrée et des pieds d’immeubles ou il préconise de conjuguer la transition et la résidentialisation, y compris l’organisation du stationnement. Extraire les circulations et supprimer, maintenir ou créer des coursives.
D’autres développent dans le cadre de la résidentialisation des solutions intéressantes d’extension aux logements exigus par la création de prolongements de logis : balcons, loggias, jardins privatifs, garages …
En faisant des habitants les acteurs centraux du processus (trouver la bonne solution architecturale avec l’habitant), les opérateurs de la résidentialisation élèvent l’estime personnelle des résidents et augmentent de fait leur adhésion au projet. Mobiliser les habitants sur l’amélioration de leur vie quotidienne et collective crée entre eux des réflexes de solidarité et un sentiment de responsabilité à l’égard des espaces communs. Ainsi la résidentialisation contribuerait à produire des formes de régulation sociale : sécurisation, usages des espaces collectifs, « civilité » (entretien, tranquillité, intégrité des lieux), relations de voisinage…
Si le terme de « résidentialisation » est récent, l’urbaniste soixante-huitarde Jane Jacobs a déjà travaillé pas mal sur cette séparation entre l’espace privé et public. Evidemment, même la meilleure théorie peut être pervertie : Mme Tatcher a récupéré la critique sur « les espaces issus de l’utopie de Le Corbusier ». A partir des  corrélations établis par Alice Coleman entre défaut d’entretien, caractéristiques des espaces, etc., et les différents niveaux de criminalité dans 4.100 blocs de logements sociaux à Londres, la Grande Bretagne codifia en 1990 l’espace défendable avec le label Secured by Design (SBD).

Un exemple positif d’espaces partages-semi-partagés: Liers et ses terrasses privatives et zones semi-publiques.

Cette résidentialisation, c’est un peu ce qu’on a fait à Liers, dans la nouvelle cité inaugurée en mars 2019 par notre SRL, rue de la Digue et de la Sucrerie. Evidemment, on n’est pas ici dans une rénovation. Les architectes de Pierre Maes & associés et Contrast Architecture ont mêlé habilement terrasses et jardins privatives et zones semi-publiques.
Bien que groupées, les terrasses privatives et les zones semi-publiquesalternent avec bonheur. Tous les espaces communs sont ouverts, l’accès aux logements se fait par des escaliers en extérieur. Un pari sur un équilibre subtil entre intimité et convivialité. Nous préconisons d’appliquer cette approche « espace partages-semi-partagés » à la rénovation des quatre blocs de l’Avenue de Brouckère.

Un exemple négatif :  Avenue de Brouckère

La situation actuelle dans les buildings du Brouckère est exactement le contraire d’une résidentialisation. Ca commence avec les portes d’entrée. Certains n’aiment pas des portes fermées et font tout pour qu’elles restent ouvertes. Mais est-ce une solution de les enlever ? Il y a pour commencer le froid qui rentre par le hall d’escalier. Les portes intérieures ne sont pas isolées. Et il n’y a qu’un foyer au gaz par appart. Tout ça ne facilite pas une cohabitation harmonieuse.
Un petit détail : à l’arrière il y a toujours des fils à linge. Et il y a même des locataires qui risquent de sécher leur linge dans cet espace ouverte à tous. Na saurait-on réserver cet espace aux locataires ?
Les rez de chaussée sont actuellement mis à disposition d’une série d’associations (bibliothèque, Régie des quartiers etc.). Autant de logements perdus. Et tout ça avec l’argument que personne n’est intéressé à habiter au rez vu les multiples nuisances. Ces problèmes ne sont évidemment pas spécifiques pour ces bâtiments de la place Brouckère. La SRL invoque les mêmes arguments pour réserver le rez de chaussée des ses nouveaux bâtiments, comme celui de la rue E. Dumonceau, à des commerces. Et tout ça dans une ville où des centaines de cellules commerciales sont vides ?
Pour ce genre de problèmes aussi la résidentialisation ouvre des pistes, avec des terrasses réservées aux locataires, et des espaces parkings servant comme zone-tampon.
On pourrait évidemment commencer par l’installation d’un système performant de parlophone, voir un contrôle digital (littéralement : par empreinte digitale) des entrées, comme la SRL en a installé d’ailleurs dans les blocs dit « 4 fois 20 ».
Mais même sans ces avancées technologiques, il y a des solutions. Il y a quelques mois, j’ai visité, avec une équipe d’une société de logement allemande, la cité de l’Avenue de l'Europe à Fléron et la Cité de Moulin à Glain. Les cages d’escalier (et les pelouses tout autour) étaient dans un état de propreté tel que mes amis allemands en étaient surpris.
Une autre piste est de reporter la cage d’escalier, voire les portes d’entrée, à l’extérieur du bâtiment. Ce qui permet un contrôle social sur ce qui s’y passe. C’est d’ailleurs ce qui est appliqué pour les nouveaux bâtiments de la SRL pour le bâtiment Place des Demoiselles et dans la rue Elisa Demonceau. On pourrait d’ailleurs combiner cette solution, dans le cadre d’une rénovation, avec des ascenseurs extérieurs et des coursives extérieures

Bilan de gaz à effet de serre global d’une opération

Il y a le bilan financier d’une démolition-reconstruction par rapport à une rénovation. Nous avons vu que pour l’Avenue de Brouckère une rénovation est moitié prix. On doit aussi faire le bilan écologique .
Inter-Environnement Bruxelles(IEB) a par exemple demandé au bureau d’étude ECORES de calculer une démolition/reconstruction par rapport à une rénovation, à partir de quelques  projets récents :  Trebel, la tour de logement « UP-site » sur les anciens entrepôts Delhaize, et les trois tours «Victor» en lieu et place d’une partie d’îlot jusqu’alors occupée par un mélange de bureaux, d’entrepôts et de logements.
ECORES a calculé l’énergie nécessaire pour construire puis démolir les bâtiments existants ajoutée à celle qu’il faut encore dépenser pour la construction des nouveaux bâtiments. Autrement dit : le bilan de gaz à effet de serre global est la balance entre cette énergie qualifiée de grise et l’amélioration des performances énergétiques du nouveau bâtiment.
Pour UP-site, la destruction des entrepôts Delhaize coûte 10.000 tonnes équivalent CO2. Si l’on y ajoute la construction du complexe de bureaux et de logements, on arrive à environ 28.000 tonnes.
Pour le projet Trebel, il faudra attendre 48 années d’exploitation pour récupérer la gabegie énergétique que constitue la démolition du bâtiment existant et la construction du nouveau bâtiment. Pour le projet Victor, ce n’est qu’au terme de 88 années d’exploitation que la balance de gaz à effet de serre sera équilibrée. Le projet aura émis au bout de 20 ans d’exploitation près du triple en CO2 de ce qu’aurait émis le bâti existant s’il avait été rénové. La démolition des bâtiments existants aura généré près de 24.000 tonnes de déchets; l’alternative visant à rénover le bâti existant aurait permis un équilibre CO2 en moins de 15 ans. Notons également que le marché du bureau étant largement saturé, si les tours trouvent des locataires, ceux-ci videront 100 000 m² de bureau ailleurs dans la région, augmentant le « passif CO2 » du projet de quelque 25 000 tonnes d’équivalent CO2
Lire l’étude complète « Démolition/reconstruction à Bruxelles – Quel est le bilan CO2 ? », ECORES, IEB, AQL, à paraître sur www.ieb.be

Stigmatiser le bâti existant =  stigmatiser ses habitants ?

Ce qui est habitable doit être habité et, le cas échéant, réparé. Il faut aussi prendre en compte les formes sociales existantes qu’il est tout aussi important de préserver.  Stigmatiser le bâti existant, n’est-ce pas quelque part  stigmatiser aussi ses habitants ?
Concernant le plan-masse Brouckère, on a l’impression que l’on veut casser ainsi l’image du cœur de la cité, et changer ainsi complètement son caractère. Dans les années 20 les cités avaient toutes un surnom péjoratif. Comme notre historien local –pour le reste très méritant - Collart-Sacré  qui écrit en 1929  dans son chapitre «Maisons ouvrières (Avenue des -) : cette artère qui se décore si prétentieusement du titre d'avenue fut taillée en pleins champs par la Société coopérative des habitations à bon marché de Herstal et des communes environnantes. Nous ne doutons pas que la  Société se soit inspirée des grands principes d’urbanisme touchant l’hygiène, la salubrité, le confort, mais il reste indiscutable que ses architectes n’ont guère manifesté l’amour de l’esthétique. Toutes ces maisons tristement alignées, trahissent trop leur fabrication en série, bon marché, toutes sont tristes, sombres, refusant à leur banalité le moindre cachet de gaieté » (La libre Seigneurerie de Herstal , p 504).
Pour la petite histoire : dans les années 50 on donna son nom à la rue qui relie la rue Hubert Defawes à la rue Emile Vinck. Seulement une erreur s'est glissée sur la plaque, Collart est devenu Collard. Lui, qui dans son livre, signale souvent les déviations dans l'attribution des noms de rue, voila que cela lui arrive…
J’ai l’impression qu’avec ce plan-masse on cherche à casser cette image négative que les cités avaient à l’époque. Pourtant, la cité des Monts a énormément évoluée, depuis la première cité de 1928 et la construction de la 2ième phase dans les années 50 (les bâtiments en briques jaunes, faites avec de l’argent CECA, afin de remédier au scandale du logement des mineurs immigrés logés dans des baraques).
La dénomination des rues a évolué avec la Cité. Les urbanistes du premier noyau ont mis la seule place (place Hubert Sacré) à l’extérieur de leur cité (en vue d’une extension?).  Il y avait une Avenue: celle des Maisons Ouvrières, qui aurait dû aboutir dans la rue Muraille.
Les urbanistes des années 50 ont déclassé l’Avenue des Maisons Ouvrières, et  créé l’Avenue de Brouckère, que tout le monde appelle aujourd’hui ‘place’, ce qu’elle n’est pas avec ces deux voies séparées par un terre-plein central. Les croisements avec les voies qui débouchent sur la place sont surdimensionnés. Et finalement, la place a perdu son rôle de place, avec l’axe de gravité qui s’est déplacé sur la rue Emile Muraille. Aujourd’hui  le quartier des Monts, c’est aussi les nouveaux lotissements du Coq Mosan, de la rue Muraille et du Bure Crévecoeur, qui ont doublé le nombre d’habitants.
La Cité n’est pas de l’architecture de haut niveau, mais elle a des charmes et il y a un concept derrière. Cela ne vaut-il pas la peine de sauvegarder l’unité architecturale de cette cité? L’Avenue de Brouckère mériterait d’être réaménagée en Place, un espace semi-partagé où les locataires sont le point de gravité.

Un retour aux sources : la coursive ?

En France l’‘école anti-démolition’ – si je peux l’appeler ainsi- développe parfois des solutions innovantes;  ou dois-je parler d’un retour aux sources ? C’est ainsi qu’elle revisite la coursive extérieure associée à des images négatives héritées de longue date. Apparue d'abord dans les prisons ou les casernes, elle gagne l'habitat ouvrier au XIXe siècle dans les opérations spéculatives des faubourgs. Alors que l'habitat social anglais l'adopte souvent, la production française ne la réserve qu'aux réalisations pour les catégories les plus modestes. Il y a eu  la "rue-galerie" de Fourier. La coursive avait été l'un des emblèmes d’une architecture "de signature »  (la "promenade architecturale" et la "rue en l'air" de Le Corbusier). Parmi les réalisations les plus connues, citons Jean Nouvel à Nîmes  (Nemausus) ou encore Bernard Paurd à Vitry. Aujourd’hui elle  s'avère rationnelle, assurant une  bonne intimité entre pièces habitables et circulation commune.
Ceci dit : je ne veux pas me braquer sur une technique spécifique : les vertus communautaires de la coursive sont aujourd'hui relativisées par Paul Chemetov, qui avait été l'un des tenants de cette conception.

Greffer balcons, terrasses ou vérandas sur la façade

Une rénovation suppose de transformer tous les plans intérieurs des appartements. Ajourd’hui on veut  des séjours-cuisine de 30 mètres carrés. La dalle centrale, autrefois entrée des immeubles puis lieu de trafics, devient un jardin clos pour la copropriété.
Nantes Tetrarc
A Nantes, l'agence Tetrarc a imaginé un système de passerelles en bois destiné à desservir les appartements par l'extérieur. Cette variante sur la coursive offre aussi d’autres avantages. "Les habitants s'en servent aussi comme lieux de vie. L'été, ils y organisent de grands dîners", se réjouit son architecte, Daniel Caud. Le duo Beckmann-N'Thépé a transformé à la ZAC Masséna, à Paris, des terrasses en jardins collectifs. Là on joue sur la contradiction espace privé-partage.
https://www.lexpress.fr/culture/art/hlm-la-nouvelle-vague_987393.html  Les architectes greffent sur la façade balcons, terrasses ou vérandas. A la tour Bois-le-Prêtre, Lacaton & Vassal a doté chaque appartement d'un jardin d'hiver qui peut s'ouvrir et se fermer selon les saisons.
 « Nemausus », logements sociaux de l’architecte Jean Nouvel

L’argument environnemental

On justifie parfois la démolition par la difficulté de mettre les bâtiments existants aux normes d’isolation. Je ne veux surtout pas minimiser la condensation qui se produit sur les points froids, et favorise la prolifération des moisissures. Dans un logement correctement ventilé, l’humidité relative devrait se situer autour de 50 %. Pour éviter les condensations, aucune surface intérieure ne doit être à une température inférieure à 12°C (qui correspond au point de rosée* pour ce niveau
d'hygrométrie). Chaque plancher intermédiaire peut constituer un pont thermique.
Mais l’ajout d’extensions chauffées, de jardins d’hiver et de balcons, permet justement de réduire passivement la consommation des énergies. L’architecte Frédéric Druot a réussi réduire cette consommation de 50%, par l’adjonction de jardins d’hiver à la Tour Bois le Prêtre, une tour de 100
logements construite en 1962.

Un autre architecte Edouard François a même imaginé une "tour de la biodiversité", à la ZAC Masséna, à Paris, en forme de jardin suspendu, rempli d'espèces végétales rares. Leurs graines, au gré des vents, devraient venir "réensemencer" la capitale. J’admets qu’on est ici probablement dans la folklorique, mais il faut parfois oser rêver…

L’argument patrimonial

On a pendant des années montré du doigt l’architecture et l’urbanisme pour des problèmes qui étaient avant tout sociétaux. Et dans la foulée on a aussi créé un mépris pour cet urbanisme qui a une grande valeur patrimoniale.
C’est ainsi qu’en 2002, on a envisagé la démolition d’un ensemble en trois îlots à Villetaneuse, dus à l'architecte Jean Renaudie, un des meilleurs spécialistes du logement social du XXe siècle en France.
Avec son concept de « cités en étoiles » il avait cassé l’angle droit et dynamisé l’espace en introduisant la diagonale et la tangente, contre l’effet « cage à lapins ». De l'extérieur, on voit des pointes et des arêtes, une sorte de variation sur l'étoile qui n'a rien à voir avec une barre. Ses bâtiments sont un foisonnement de terrasses et de jardins privatifs, avec une diversité des plans des appartements. Renaudie est mort en 1981, avant d'achever cet ensemble.
La communauté d'agglomération a voulu garderles immeubles, malgré certains défauts. Lorsque l’architecte Emmanuelle Patte retrouve les plans de Renaudie elle constate que quantités d'espaces «tampons», des petites pointes, des serres avaient été transformés en surfaces dites «habitables» après sa mort. D’autre part, des appartements trop mal fichus n'avaient jamais été occupés.
L’œuvre de Renaudie fait l’objet en 2009 d’un programme de réhabilitation. La démarche architecturale de rattrapage consiste à supprimer des pointes pour recréer des pièces d'une forme normale, à transformer certains de ces réduits en resserre à outils pour les terrasses. Et surtout, à transformer tous les plans intérieurs des appartements. L'architecte donne des terrasses au sud quand l'appartement est au nord, fait des séjours-cuisine de 30 mètres carrés minimum. La Ville recrée de vraies rues là où des sentiers passaient derrière le pâté de maisons. La dalle centrale, autrefois entrée des immeubles puis lieu de trafics, devient un jardin clos pour la copropriété.
Malheureusement, cette démarche n’aboutit pas toujours. A Pierrefitte, la mairie a demandé la destruction de la Cité des Poètes, achevée en 1983, après avoir soutenu une réhabilitation. Son argument : «s'il n'y a pas de démolition, il n'y a pas de crédits». Le maire évoque aussi qu’avec les terrasses qui y sont la règle, et les niveaux variés, le tout a plutôt un air balnéaire que banlieusard. L’architecture novatrice de l’« écolegradins-jardins » aménage les logements en duplex et triplex à l’intérieur d’une structure pyramidale, avec chacun une terrasse cultivable avec un traitement naturel de l’eau de pluie. L’espace se veut propice à la convivialité, au niveau de la desserte des logements, avec une grande halle couverte par une verrière ; l’aménagement extérieur s’effectue autour de deux cours piétonnes où sont installés quelques commerces ou des équipements de proximité. Déjà au départ , en 1981,le chantier avait été suspendu pendant un an ; sa livraison ne se fera qu’en 1994. Avant même l’achèvement de la construction, l’état de l’édifice souffre de dégradations. La mixité sociale particulièrement faible dès l’attribution des logements, s’est encore amoindrie au cours des deux décennies suivantes. Cependant, les habitants expriment en 2004 leur contestation face à la perspective de démolition, à travers une pétition signée par 811 locataires, soit la quasi-totalité d’entre eux avant leur dispersion qui sera préalable aux travaux.
 «Ils traitent le quartier des Poètes comme si c'était l'énième barre de La Courneuve, alors que c'est quasiment de l'utopie réalisée», s'insurge l'architecte Renée Gailhoustet.
Voilà une série d'arguments pour réévaluer la démolition-reconstruction de l'Avenue de Brouckère. Je ne prétends pas que c'est l'évangile. Mais ça pourrait contribuer à lancer la discussion et la consultation des habitants de notre cité....

Sources

https://umrausser.hypotheses.org/5482 « (Ré)concilier architecture et réhabilitation de l’habitat » / Christian Moley ; Paris, éditions du Moniteur, mars 2017
Une réflexion théorique et pratique sur la place de l’architecture dans la requalification de l’habitat collectif avec une analyse détaillée d’environ 200 opérations parmi les plus marquantes. Centré principalement sur l’habitat des Trente Glorieuses (1946-1975), ce bilan critique explique l’évolution du contexte favorable à la requalification des logementset propose une étude comparative de réalisations aux qualités architecturales reconnues, classées par type et niveau d’interventions − de l’immeuble (logement, parties communes) aux abords immédiats (pieds d’immeubles, résidentialisation) jusqu’à l’aménagement urbain dans le cas d’extensions neuves ;
Elle offre des outils opérationnels au regard des enjeux visés (agrandissement de logements, création d’annexes extérieures privatives, diversification de l’offre, mixité de l’habitat, etc.)

La résidentialisation a été longuement étudiée par trois architectes, Anne Lacaton, Jean-Yves Vassal et Frédéric Druot, https://issuu.com/marinegerbet/docs/memoire_de_recherche  mais leur travail, https://www.citedelarchitecture.fr/fr/video/anne-lacaton-jean-philippe-vassal-et-frederic-druot-paris-france  est resté assez confidentiel.


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