mardi 2 avril 2019

Balade à la Chartreuse, à la recherche de la trame d’un parc presque bicentenaire.

la grotte, une 'fabrique' de jardin
Voici une description d'une balade avec la Maison Médicale l’Herma, rue Natalis,  dans le parc dit des Oblats, et à la Chartreuse. En mars 2017 je m’y étais déjà promené avec MPLP Herstal, mais à partir de l’autre côté, Rue Nicolas Bernimolin.

Le Centre Liégeois du Beau-Mur

Premier arrêt, Le Centre Liégeois du Beau-Mur. Créée il y a 30 ans, cet asbl est le berceau de La Bourrache, une entreprise de Formation par le Travail qui vend des paniers de légumes de saison qu’elle produit, ainsi que l’aménagement et l’entretien de jardins. Depuis 2006, un terrain d’environ 60 ares situé dans le quartier des Tawes, certifié bio, est mis gracieusement à disposition par l’asbl Coupile, avec trois serres tunnel et un hangar. Ils y utilisent la Kassine, un outil moderne de travail agraire par traction animale développé par l’association française Prommata, qui permet un travail particulièrement respectueux des sols (principe fondamental de l’agriculture biologique).
Le Beau Mur a été aussi impliqué dans le projet Vin de LiègeIl est l’initiateur du projet Permis de Végétaliser (Incroyables Comestibles) à Liège.

La rue du Beau Mur 

Nous n’irons pas jusqu’à l’école communale au N°9-11, un bâtiment de 1893 de l’architecte Hubert Bernimolin. Celui-ci avait déjà construit trente ans plus tôt  la maison communale de Grivegnée. Juste à côté, au N° 7, maison de style éclectique de la fin du 19e siècle – je cite l’Inventaire du patrimoine immobilier - avec entre les baies du rez-de-chaussée, l'enseigne "A LA / BONNE-FEMME / DE 1762". Cette bonne femme a donné son nom au quartier. L'enseigne originale est conservée au Musée de la Vie Wallonne. Notre architecte a aussi construit un hôtel, pour Aristide Cralle, qui s’était suicidé en 1885, ruiné par sa folie des grandeurs. L’immeuble deviendra en 1900 l'Hôtel Continental. Cet hôtel, devenu Sarma par la suite, se situait à l’îlot Saint-Michel actuel.

Parc des Oblats,  parc du Casino ou glacis du fort ?

On parle toujours du parc des Oblats. Mais ceux-ci sont arrivés beaucoup plus tard. En fait, nous sommes dans le parc du Casino.
Le 4 avril 1837, la Société d' Horticulture et la Société du Casino achète un important terrain qui faisait partie du glacis du fort. En jargon militaire, le glacis désigne un terrain découvert, généralement aménagé en pente douce à partir des éléments extérieurs d'un ouvrage fortifié, sur la contrescarpe. Il avait notamment pour fonction de n'offrir aucun abri à d'éventuels agresseurs de la place forte et de dégager le champ de vision de ses défenseurs.
le casino photo fabrice muller
La Chartreuse fait partie d’une barrière de 21 forts, dont 19 en Belgique, érigés par Wellington, le vainqueur de Napoléon, contre un ennemi imaginaire: la France républicaine (c’est Wellington même qui avait remis Louis XVIII  sur le trône). Au moment de sa construction, ce projet de barrière était rationnel, mais la situation politique et militaire a évolué si vite que les 21 forts étaient devenus inutiles au moment même de leur achèvement. Ce parc dit des Oblats dit du casino est un des premiers éléments démilitarisés de cette ‘barrière’ que l’on peut classer dans le top des travaux inutiles.
Cette partie du glacis a été démilitarisé très vite, de sorte qu’en 1837 déjà la Société du Casino peut acquérir le terrain. Le casino aménage dans la colline des sentiers et des allées et intègre les bastions dans son parc. Un des seuls vestiges de ce parc est la grotte. Elle n’est pas un sanctuaire à la Vierge, mais une «fabrique de jardin» autrement dit une fausse grotte. Subsistent aussi les pilastres de la grille d’entrée, rue Soubre, à côté de l’église. Nous essayerons presque deux siècles plus tard à retrouver la trame de ce parc. La nature est parfois coriace. Et peut-être existe-t-il encore quelque part des plans.
Le casino fait faillite en 1867. En 1883 le casino est repris  par le comte Edgard Lannoy-Clervaux qui le restauré luxueusement, mais doit arrêter les frais suite de la concurrence d’autres salles mieux situées, au centre.

L'Eglise Glorieuse de Jésus-Christ chez les Oblats

Les Oblats l’achetèrent vers 1890 pour 60.000 Francs. Lorsque leur congrégation est expulsée de France en 1903, comme les autres congrégations prédicantes, ils s’installent à Grivegnée. En 1934, le diocèse de Liège, en dialogue avec les oblats, consacre l'édifice et la paroisse sous le vocable de Saint Lambert en nostalgie de la cathédrale Notre-Dame-et-Saint-Lambert. Sur cette nostalgie voir mon blog http://hachhachhh.blogspot.be/2013/09/leonard-defrance-et-saint-lambert.html
L'église qui renfermait quelques trésors des missionnaires oblats, ainsi que certains trésors de la cathédrale démolie, est fermée au public en 2010 pour des raisons de sécurité. En 2017, elle est vendue à l'Eglise Glorieuse de Jésus-Christ, fondée par un pasteur congolais, qui rassemble essentiellement des ouailles d'origine africaine. Elle est issue d'une dissidence de l'Eglise du Réveil.  Elle s'apparente au protestantisme, mais elle n'est pas officiellement reconnue par le synode. Cette marginalité, aux méthodes de prédication plutôt particulières, ne semble pas poser de problème. L'opération a néanmoins nécessité un accord de l'évêché et... de la ville. Techniquement, il s'agissait de supprimer une paroisse, et une désaffectation suppose l'accord communal, et même l'aval de la tutelle régionale.

Des potagers collectifs et un projet de vélodrome.

les potagers au parc de la Chartreuse
Je n’ai pas réussi à savoir de quand datent les potagers collectifs qui nous conduisent au plateau jadis agricole et viticole de Grivegnée.
Certains voient dans ces potagers un outil de reconquête de l’espace urbain.
La cuvette de Péville, d’une circonférence de 300 mètres, a été initialement creusée pour un projet de vélodrome. Certains rêvent d’y installer un plan d'eau, éventuellement ouvert à la baignade. En 2010 le fort et le parc sont reconnus comme Site de Grand Intérêt Biologique (SGIB).
Un projet européen “Value Added” a permis l’aménagement de trois sentiers balisés en 2013. Les 350.000 euros ont été focalisés sur les entrées, la restauration de la grotte et l’aménagement de la dalle jouxtant la lande aux aubépines, avec notamment des équipements sportifs et des gradins permettant l’organisation de petits événements.
Ce patrimoine fortifié est un enjeu patrimonial de développement durable. «Les places fortes sont un jeu sur la protection et l’ouverture, sur le caché et le montré. C’est un acte urbain sur la relation au temps et à l’espace du paysage». C’est l’urbaniste  Jean Nouvel qui le dit et je souscris bien volontiers. Allons donc à la découverte du caché et montré de ce parc….

Un parc qui tourne le dos aux quartiers de Longdoz et d’Amercoeur

Dans leurs configurations actuelles, le parc et le quartier du Longdoz se tournent le dos, alors même que le Longdoz manque cruellement d'espaces verts. On pourrait sans dépenses folles créer une nouvelle entrée du parc donnant dans la rue Basse-Wez et étendre une trame verte jusqu'à la rue Grétry. On pourrait «faire entrer» le parc dans le quartier via le tissu de venelles autour de l'Impasse Magnée, sur le site de l'ancienne desserte ferroviaire de la gare du Longdoz. Idem pour Amercoeur où l’on pourrait donner accès au parc depuis l'hôpital du Valdor. Mais là, il faudra peut-être un ascenseur...

La très spectaculaire rue des Châlets

Juste à côté du parc, la très spectaculaire rue des Châlets, qui débouche sur  l’avenue de Péville, avec un paquet de maisons de la 1ière moitié du 20e siècle reprises à l'inventaire du patrimoine :
n°1, n°80, une villa n°86, n°194-202 et 205-215, ensemble urbanistique; et au, N°204 encore une villa.
Lors de la démilitarisation du fort, plusieurs lotisseurs ont profité de l’aubaine. Certains ont même profité deux fois. Lors des expropriations pour  la construction du fort, les habitants du hameau de Péville font monter les enchères en refusant les offres d'indemnisation lors, avec notamment L.-J. Lambinon, notaire. Sa Maison Lambinon a survécu à l'édification du fort hollandais, aux transformations militaires de 1939 mais pas aux promoteurs des années 90 (Jacques Liénard, Hameau de Péville, histoire de la Chartreuse). Ils profitent une seconde fois en rachetant les terrains démilitarisés et en les lotissant.

Entrée du fort et les monuments au Génie et aux 1er  et 12ième de Ligne

Nous voilà à l’entrée du fort. Le site de Cornillon a été fortifié depuis que la ville existe. C’est géopolitique, avec le vénérable Thier de la Chartreuse fut longtemps le "Grand chemin" ou "Chemin royal" qui passait au  milieu du fort.
C’est là que Wellington a voulu son fort. Si une partie des frais de  construction ont été porté par les alliés, l’occupation des forts retombait sur la Belgique indépendante fraîchement née. Six mois après l'indépendance de la Belgique, en avril 1831, un protocole secret fut signé à Londres par les plénipotentiaires d’Autriche, de Grande-Bretagne, de Prusse et de Russie  qui reconnaissaient la disproportion du nombre des forteresses eu égard aux faibles ressources du jeune Royaume. Mais les travaux de démolition prévus pour 1833 ne se font pas pour des raisons budgétaires.
La plupart de ces forts seront finalement été démilitarisés vers 1850, quand la jeune Belgique commençait à élaborer une nouvelle doctrine de défense, autour d’un réduit national à Anvers.
La guerre franco-allemande de 1870 sonne définitivement le glas des forts bastionnés. Brialmont construit une ceinture des forts. La Chartreuse est déclassée comme fort en 1891 et servit de caserne.  Sa superficie est réduite de 41 à 31 ha. La prestigieuse avenue de Péville voit le jour et une cité de logements sociaux prend place le long de la bien nommée rue des Fortifications.
Mais le site a servi de caserne jusque dans les années 80.
photo eduard van loo
Au dessus de la poterne d’entrée ‘Nihil intentatum relinquit virtus’ (le courage ne laisse rien qu’il n’ait tenté. C’est une phrase de Sénèque, ‘de la Bienfaisance ‘).
Le monument aux 1er  et 21e de Ligne (classé) est installé en 1932 par des amicales d’anciens.
Ces deux régiments de ligne remontent à l’indépendance belge, en 1831. En 1913, lors de la mobilisation, comme tous les régiments de ligne d'active, ils se dédoublent.  Ils prennent part à la bataille de l'Yser. Lors de l’offensive finale en septembre 1918, le 12e de Ligne s’emparera du STADENBERG. Les champs de bataille du 12ème de Ligne sont repris sur  leur caserne en temps de paix : LIEGE, ANVERS, DIXMUDE, YSER, MERCKEM, STADENBERG et LA LYS.
Les régiments sont remobilisés en août 1939.

Les casernes et urbex

photo Michel Veriter
L’armée y ajoute encore de bâtiments en 1955. C’est une architecture fonctionnelle avec une structure en béton armé, toits plats, parements en brique orange, larges baies horizontales. Les Cahiers de l’Urbanisme de décembre 2007 laissaient encore miroiter une  reconversion. En attendant s’est ajouté une nouvelle couche patrimoniale : ces bâtiments sont devenues un haut lieu del’urbex, remplies de grafs et de tags jusqu’au dernier étage.
Il y a aussi quelque part l’enseigne du " 28th General Hospital US Army" qui remonte à l’offensive Von Rundstedt.
D’autres grafs plus anciens retracent la vie quotidienne du "plouc" comme on appelait ces soldats d'infanterie. Les cachots se trouvaient a l'entrée près du corps de garde. Un soldat au 123ttr en 69, barman au mess sous-off et coiffeur, signale que son nom est inscrit sur le mur du cachot à côté de Roger Claessen et Nico Dewalque. En 2015 cette légende du Standard se retrouve de nouveau sous les verrous, à 70 ans, pour faillite frauduleuse, faux et usage de faux et fraude à la TVA.

L'Enclos du Bastion et les tombes des fusillés

tourelle d'angle de la prison Saint-Léonard. Photo Philippe HAMOIR
Dans le bastion n° 1 a été aménagé l’enclos des fusillés. En 14-18 les allemands transféraient les condamnés à mort de Saint Léonard à la Chartreuse pour y être fusillés.
Le Monument du Fusillé se trouvait au départ sur une tourelle d'angle de la prison Saint-Léonard, en hommage à la cinquantaine de résistants du réseau « La Dame Blanche » fusillés entre 1915 et 1918. 
Complété en 1923 par un relief dû à Oscar BERCHMANS, la stèle fut transférée au bastion de la Chartreuse à la suite de la démolition de la prison en 1982.
A plusieurs reprises des éléments en bronze ont été volés. Il n’y a pas que des promoteurs immobiliers sans scrupules… Et le Monument du Fusillé a aussi été la cible d’adeptes de paintball. Depuis, un arrêté de police interdit ces jeux paramilitaires sur le site.

Les Chartreux

Nous contournons le fort côté bastions pour descendre la rue de la Charité pour admirer les beaux restes de la Chartreuse qui a donné son nom au site. En 1357, le prince-évêque Engelbert III de La Marck offre le site aux Chartreux. Mais c’est un cadeau un peu empoisonné : le monastère est souvent occupé militairement. Dans les périodes de calme, les moines reviennent. Une gravure de 1738 de REMACLE LE LOUP a comme titre : ‘plan et élévation de la. chartreuse comme elle sera. Achevée’.
En 1797, la République vend les biens du couvent au citoyen Lecoulteux-Canteleu qui fait  démolir  l’église pour vendre les matériaux. Le préfet de l’Ourthe lui octroie aussi en 1801 la concession de toutes les mines de la Chartreuse pour 50 ans, une surface de 12 km2. C’est une superficie énorme pour l’époque. Et c’est aussi la toute première concession charbonnière en Belgique.
En  1820,  les  frères  Begasse  installent leur  fabrique  de  couvertures dans ce qui reste du Couvent. Ils déménageront à  Sclessin (les couvertures Sole Moi qui deviennent en 2001 Nordifa).
La  communauté  des  Petites  sœurs  des  pauvres accueille à la Chartreuse de  1853 à 2003 jusqu’à 250  vieillards. Le site est vendu au groupe immobilier Coenen qui se rend compte qu’il reste 60 petits appartements qui se louent entre 250 et 350 euros. Willy arrange ça : en mai 2007 il signe un arrêté d'inhabitabilité pour raison de sécurité, sur une base assez loufoque (superficie insuffisante par rapport aux normes).
Coenen découpe le site en quatre. En 2010 Vulpia y construit une maison de repos de 195 chambres. Monument Real Estate NV & Vulpia Real Estate n’y vont pas de main morte par rapport au permis d’urbanisme. Cela ne freine pas l’Intégrale à racheter le site.

L’Arvo restauré

L’Arvo avait une fonction militaire, à l’époque de Jean de Flandre. C’est pourquoi, lors d’une restauration récente, on y a ajouté des meurtrières. Avec les  Chartreux, l’arvô acquiert une fonction utilitaire. Les moines se retrouvaient avec des terres bien exposées sur le coteau dont une grande partie était séparée de leurs bâtiments de ferme par cette route encaissée qui menait de Liège à Herve. Aussi, en 1381, le prince-évêque les autorisa à construire, à leurs dépens,  un pont pour le passage du charroi et du bétail à leurs terres.
L’Arvo actuel date du 17ième. Selon l'analyse dendrochronologique , l'arbre constituant l'entrée a été abattu entre 1594 et 1604, celui formant le linteau a été coupé après 1656 (source : Laboratoire de dendrochronologie de l'université de Liège).
En 1988 nait l'ASBL Parc des Oblats. Ces pionniers ont joué un grand rôle dans la sauvegarde du site. Ils ont voulu créer une Fondation Chartreuse-Oblats, avec des partenaires privés et publics, qui auraient acquis le site. S’ils n’ont pas atteint le but initial, ils ont réussi à  acquérir l'arvô et a le restaurer.

Mes autres blogs sur la Chartreuse

http://hachhachhh.blogspot.be/2018/02/37ieme-balade-sante-mplp-la-chartreuse.html
http://hachhachhh.blogspot.be/2017/12/chartreuse-une-nebuleuse-autour-de.html
http://hachhachhh.blogspot.be/2017/12/le-patrimoine-religieux-immateriel-et.html
photo Guilleaume Mora-Dieu Green Window



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