samedi 30 mars 2019

Les licières de l’atelier de tapisserie « Arts en couleurs » de la Préalle perpétuent une longue tradition


Nous avons à la Préalle un atelier de peinture et tapisserie dynamique « Arts en couleurs » animé par
Kader Bendjabbar (les mardis et jeudis de 9h à 13h.). Arts en couleur prépare actuellement une expo de tapisserie qui se tiendra au Centre Culturel. Des travaux magnifiques et originaux. Un aspect qui mérite d’être mentionné est qu’elles n’utilisent que des matériaux de récupération : elles n’on pas encore dépensé un euro pour leurs fils de laine…
Nos ‘licières’ (ou licier, parce que Kader tisse aussi) font des œuvres très modernes, mais perpétuent en même temps une longue tradition.  
Le lissier (parfois orthographié licier, au féminin lissière ou licière) prépare le carton de sa tapisserie à partir d’une œuvre mise à l’échelle voulue, choisit ses couleurs (échantillonnage), prépare son métier (de haute-lisse ou de basse-lisse) et monte sa chaîne, avant de commencer à tisser les motifs du carton.
La haute lice est exécutée sur un métier vertical. Le licier écarte les fils pour voir le carton placé sous les fils en basse lice ; en haute lice, il use d'un miroir car le carton est placé derrière lui. Au départ, des fils de chaîne de laine écrue, qui constituent la matrice, sont tendus sur des rouleaux appelés ensouples. Ils sont recouverts au fur et à mesure du tissage par des fils de trame, qui apportent le dessin et les couleurs. L'exécution peut se faire à plusieurs mains. Elle est longue et minutieuse. Pour exécuter la trame, le licier actionne des pédales, qui séparent la nappe de fils de chaîne en fils pairs et impairs, permettant le passage d'une navette avec son fil. Ce passage s'appelle une passée. Il y a autant de navettes qu'il y a de couleurs. Le licier peut procéder à des effets : le battage, sorte de hachure qui permet de faire des dégradés de couleur ; le relais, sorte de coupure entre deux zones de couleur. Le travail effectué s'enroule au fur et à mesure sur l'ensouple. Une fois achevé, on déroule l'ouvrage.
La tapisserie de Bayeux, grandiose pièce historique de 70 mètres de long qui narre l'invasion de l'Angleterre par Guillaume le Conquérant au IXième siècle, est injustement appelée tapisserie car c'est en réalité une broderie, exécutée « aux points d'aiguille ». La broderie est connue depuis des temps immémoriaux, contrairement à la tapisserie, plus complexe à mettre en œuvre, et dont le démarrage se situe à la fin du Moyen Age.

Edmond Dubrunfaut, à la base d’un renouveau de la tapisserie dans l’après-guerre

Dubrunfaut Les Quatre Ages de la Vie
Il faudrait peu-être les amener un jour au Musée de la Tapisserie à Tournai, inauguré en 1990.
A la base de ce musée, Edmond Dubrunfaut. Le renouveau de la tapisserie à Tournai dans l’après guerre, c’est lui.  Le Musée de la Tapisserie accueille des collections permanentes constituées de prestigieuses tapisseries anciennes des XVe et XVIe siècles, à côté d’œuvres plus modernes que l’on doit notamment à Dubrunfaut, Somville et Deltour, du collectif "Forces Murales", et des œuvres  surprenantes de certains créateurs contemporains.
Un atelier de restauration permet au public de découvrir le travail lent et minutieux de préservation de la fibre. Les licières travaillent à la réalisation de commandes privées ou publiques. Ces travaux sont exécutés à la main sans aucun moyen mécanique,
Le Crecit, Centre de recherche d’essais et de contrôle pour l’industrie textile organise des visites guidées sur 3 axes : la teinture de la laine, le travail des licières sur des métiers de haute lice et la restauration de tapisseries, tapis ou recouvrements de fauteuils. 4 000 nuances de couleurs ont déjà été teintées ici !
Tournai héberge aussi le Centre de la Tapisserie, des Arts Muraux et des Arts du Tissu de la Fédération Wallonie-Bruxelles (TAMAT), garant de la sauvegarde et de la préservation du patrimoine tapisserie-textile issu des collections de la Ville de Tournai, de la Province de Hainaut et de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Le TAMAT a également des ateliers de recherches où des boursiers viennent travailler dans une liberté artistique totale.

Les tapisseries de la cathédrale de Tournai et la haute lice

Tournai fut, aux XVe et XVIe siècles, l’une des principales villes licières du pays. C'est à un licier d'Arras- qui était le lieu de fabrication le plus important d'Occident dans les premières décennies du xye siècle - que Toussaint Prier, chanoine de Tournai, s'adresse pour faire exécuter les tapisseries de la cathédrale, achevées en 1402 et consacrées à la vie des deux saints patrons: Piat et Eleuthère. Plus tard, Tournai arrache à Arras sa profitable clientèle. Jusqu'à ce que Bruxelles vienne lui ravir la suprématie, à la fin du siècle, c'est à Tournai, devenu le plus grand centre de la tapisserie, que s'adressent les principaux clients d'alors et d'abord le plus fastueux mécène du temps,
Dubrunfaut, un des fondateurs des ‘Forces Murales’, à côté de Roger Somville et Deltour, connaissait l’antique tapisserie dans la cathédrale de Tournai. Pour le groupe Forces Murales, créé en 1947, la tapisserie permet de placer l’art « là où passent et vivent les hommes ».  Le trio met sur pied deux ateliers à Tournai (Leroy, fin 1942 et Taquet, en 1945).
Leur premier projet est  le centre de Rénovation de la tapisserie : «la tapisserie a été le compagnon le plus quotidien de l’homme ».   Mais bien vite le groupe doit se rendre compte que ce compagnon le plus quotidien de l’homme n’échappe pas non plus aux forces du marché. Les lissiers http://www.institut-metiersdart.org/metiers-d-art/textile/lissier de la coopérative atteignent une production moyenne journalière de 5,82 dm2. On peut se faire une idée du prix d’un tapis…
La première – et seule - grosse commande de trois cents mètres carrés vient de Spaak, à cette époque Premier ministre et ministre des Affaires Etrangères, pour les ambassades belges à l’étranger. Somville explique: « cette commande était le résultat de difficiles tractations entre le Conseil Economique Wallon et le Ministère des Affaires Etrangères : nous donnions du travail à des handicapés professionnels, et nous recevions en échange de cet effort sur le plan social, les 300 mètres carrés de tapisserie murale pour un Centre de Rénovation et une Coopérative de production. Je donnais des cours de dessin et d’histoire de l’art à des ouvriers et des ouvrières âgés de 30 à 60 ans qui n’avaient jamais dessiné, ni bien souvent dépassé le stade des études primaires. Ces lissiers firent un effort merveilleux. Malheureusement, au bout de trois années de luttes, notre Coopérative se trouva confrontée à d’énormes problèmes financiers et fut mise en faillite. Les lissiers avaient reçu leur salaire, mais les trois peintres-cartonniers ‘bénéficiaient’ des déficits accumulés par la Coopérative».
Notre trio se tourne alors vers les fresques, une technique moins coûteuse et plus rapide à exécuter.
Ce qui n’empêche pas Roger Somville de réaliser encore en 1963  Le Triomphe de la Paix, une tapisserie monumentale de 80 m² qui décore un temps le Palais de l’OTAN à Paris,  et qui aujourd’hui est à la Commission Européenne à Bruxelles.
Pour Dubrunfaut, la tapisserie reste l’un de ses modes d’expression privilégié. Il dessine entre 1937 et 2006 quelques 800 cartons pour plus de 5000 m2 de tapisseries tissées, dont 60 forment le cycle « Les temps de l’homme ».
En 1979 il crée avec Norbert Gadenne la Fondation de la Tapisserie, des Arts du Tissu et des Arts muraux de la Communauté française. Il est membre fondateur du Domaine de la Lice en 1981. Et en 1985 il a l’occasion d’installer à la stationde métro Louise «La terre en fleur», une tapisserie, céramique et tôle d’acier émaillée vitrifiée. C’est une œuvre prophétique. Des décennies avant l’appel d’Al Gore, l’artiste part d’une recommandation de l’UNESCO: «Sauvons les espèces, une grande menace plane sur la nature, les animaux, les arbres, les plantes,...». Il déploie une riche décoration végétale et florale qui intègre l’homme et l’animal en liant tendrement tous les signes de vie entre eux. Edmond Dubrunfaut a fait don à l’IHOES de plus de 330 œuvres, dessins, de lithographies, d’aquarelles, de cartons de tapisserie et de peintures créées entre 1945 et 1999.


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