samedi 2 février 2019

Mady Andrien : une travailleuse de l’art


Au musée de la Boverie il y a eu en 2019 une rétrospective Mady Andrien. Une septantaine de sculptures, enrichie de quelques collages et fusains, présentant plus de cinquante années de création. 
Une occasion aussi de visiter la grande aile vitrée de la Boverie, avec des vitrages hauts de 7,5 mètres, posée sur des pilotis et intégrant des colonnes en forme de troncs d’arbres comme ceux qui longent le fleuve. 

Mady Andrien présent partout à Liège

Ses sculptures se retrouvent un peu partout en Cité ardente. Les baigneuses devant le centre hospitalier de la Citadelle, les coureurs cyclistes du rond-point à Alleur, encore les danseurs, dans la Galerie Opéra,  ou Le Nanti dans le domaine universitaire du Sart Tilman.
• « Le Saute-mouton » (1973) : place des Carmes
 Un Haut-relief (1979) à la cité administrative
• « Au Balcon » (1988) : haut-relief FNAC, place Saint-Lambert
• « Les Principautaires » (1992) : place Saint-Barthélemy
• « Le Rameur » (1998) : quai Mativa
• « Espace René Piron » (2000) : place de la Bergerie, Seraing
• « L'Ombre » (2002) : rue Louvrex
• « Monument à Robert Gillon » (2005) : Wandre
• « Les Passants » (2006) : rond-point de la rue de Campine et de l'avenue Victor Hugo
Le secret de cette artiste est tout simple : « Je regarde autour de moi, c’est tout. Ce que les humains font m’intéresse, ce qu’ils ressentent m’intéresse, ce qui les intéresse m’intéresse ».

 Une travailleuse de l’art

Elle n’a pas eu une enfance facile. Il ne faut pas être pauvre pour être artiste, mais parfois ça aide. Si on ne vit pas comme l'on pense, l'on finit par penser comme l'on vit ! Elle est née à la gendarmerie d'Engis, en 1941. Son père était gendarme. Il est décédé alors qu’elle avait sept ans. Elle est admise aux Beaux-Arts de Liège à l’âge de 14 ans. Elle découvre la sculpture à 17 ans, une discipline très proche de l’artisanat des sculpteurs de pierre.  La plupart des sculpteurs de la génération qui l’a précédé combinaient d’ailleurs art et artisanat. Elle a vécu comme travailleuse de l’art: à vingt-deux ans, elle postule un emploi de professeur de sculpture en cours du soir à l'Académie des Beaux-Arts de Liège. Elle était le plus jeune professeur : « lorsque je suis arrivée pour donner mon premier cours, une seule élève s'est
présentée pour me dire qu'elle s'excusait de ne plus venir! Je lui ai fait un tel baratin qu'elle est restée, et de fil en aiguille, j'ai fini par avoir une quinzaine de jeunes. J’ai d'abord été professeur, puis directrice aux Beaux-Arts mais je préférais de loin le professorat. Le contact avec les élèves est enrichissant. Surtout aux cours du soir, où j'enseignais l'art à des élèves d'âges divers et d'origines sociales variées. La direction de l'académie est un travail beaucoup plus administratif, je l'avais accepté comme fin de carrière. C'était une manière de couper un peu le cordon, de m'éloigner en douceur de mes élèves ».
Elle a commencé à avoir des commandes en 1976, à trente-cinq ans, suite à un concours du CPAS pour l'Hôpital de la Citadelle. « Ce projet m'a demandé deux ans de travail. Il m'a donné confiance en moi. Ensuite, j'ai réalisé ‘Les danseurs’pour la galerie Opéra, puis, le haut ›relief pour la façade de la FNAC, ‘Le saute-mouton’ au début commandé pour le centre sportif de Naimette-Xhovémont, redescendu par la suite place des Carmes, ‘Les bons enfants’pour le Palais des Congrès, ‘Les principautaires’, pour la place Saint-Barthélémy, une commande de Cockerill-Sambre pour la ville ».

La piscine, la réalisation dont elle est la plus fière

La réalisation dont elle est la plus fière est «La piscine», « car elle est vue par le grand public. C'est une manière de toucher beaucoup de gens qui vont et viennent, qui n'iraient jamais dans un musée. L'art public, c'est bien, c'est à la portée de tout le monde. C’est ce qui me survivra, parce qu’il s’agit là d’une œuvre très représentative de ma sensibilité. Je suis pour un art grand public, ce qui est fondamentalement diffèrent de l`envie de facilité, de la séduction a bon marché. Je suis bien évidemment adversaire de l’expression hermétique, du snobisme, de l'incompréhensible. Pour moi, ce qui est hermétique est abominable. Y a pas de beauté pour la beauté. La beauté n’a de sens que quand elle est liée à l’expression des sentiments. L’environnement humain est primordial. Si j'étais seule sur une île, je ne produirais plus rien. Sans doute ne survivrais-je pas longtemps d'ailleurs ».

Les ‘Principautaires’ : David et Goliath, ou une insouciance quelque peu frondeuse…

Si pour notre sculptrice ‘La Piscine’ est le premier choix (et, comme par hasard, sa première commande importante), mon coup de cœur est ses ‘Principautaires, en acier autopatinable, imposé par le mécène Philippe Delaunois, administrateur délégué de Cockerill (aujourd’hui ArcelorMittal). Delaunois y voyait une traduction principautaire du thème biblique de David et de Goliath, défi des petits aux grands. Pour Firket, échevin à l’époque, la statue témoigne de « l'esprit liégeois qui survit aux épreuves s'appuyant sur un courage qui toujours se dissimule sous les apparences d'une insouciance quelque peu frondeuse »… Une œuvre forte est une œuvre qui suscite des réactions divergentes et c’est bien le cas ici.
Quels types de groupes l’inspirent particulièrement? Mady: « Les manifestations, les fêtes populaires. Le défoulement m’attire : c’est une manière saine et festive, vieille comme le monde, de jouer un autre rôle, de sortir du quotidien, d’oublier la réalité. Ce que je trouve toujours intéressant, c’est le personnage qui sort du groupe, de l’anonymat. L’individu doit quitter le groupe à un moment donné. J’en fais toujours bien un qui regarde dans l’autre direction. L’oxygène d’un groupe tient au fait qu’il ne soit pas trop homogène ». Allons donc pour le défoulement, pour les principautaires.

Le Monument à Robert Gillon mal scellé

Toujours en acier Corten, un autre coup de cœur est le Monument à Robert Gillon (2005) à la sortie du pont de Wandre, tourné vers Chertal. Est-ce mon passé sidérurgiste, ou le simple fait que le pont de Wandre est à moitié sur Herstal ? Seulement, ce monument nécessite une réfection. Un des porte-drapeau s’est écroulé. Je l’aurais redressé moi-même avec quelques potes si ce n’est qu’il y a un sérieux problème de scellement qui remonte peut-être à l’érection de cette sculpture. Je suppose que c’est l Ville de Liège qui en a la responsabilité. On aurait pu profiter de la rétrospective pour réparer ce vice caché.
Mady Andrien a son style à elle, bien reconnaissable, sans répéter des formules à succès comme certains artistes mineurs. Un petit tuyau : elle adore modeler les pieds et les orteils! Il parait que c’est à cela qu'on reconnait son travail. Comme elle le dit : « un pied qui s’exprime, c’est l’ouverture. Un pied emprisonné, c’est abominable ».
Elle ajoute parfois un accessoire, un G.S.M. par exemple : « un G.S.M., ça veut dire quelque chose, c’est un phénomène de société. Ca m’interpelle de voir à quel point les gens ont besoin de communiquer même pour dire des modalités ».
Et puis, les thèmes qui la tiennent à cœur, ce sont les couples, et les situations de groupe, où chacun doit se positionner par rapport aux autres.
Elle adore aussi Picasso comme elle adore l’art brut. Pour l’abstrait, elle a fait une première, et en même temps dernière expérience de l'abstrait, une demande de l'architecte Myreck Safin pour une œuvre monumentale qui devait orner une place publique de Medine en Arabie Saoudite. La seule consigne, c'est qu'elle devait être abstraite puisque la figuration était interdite dans l'art musulman. Mais elle se « sentait incapable d'exprimer quoi que ce soit ». Je n’ai pas retrouvé cette sculpture sur internet. Peut-être disparue ?
Elle admire énormément le peintre Balthus, à qui elle a rendu hommage en se livrant à une relecture assez personnelle de sa « Partie de cartes ».
Ses points d’ancrage sont plus spécifiquement Liège et Knokke. Elle a beaucoup d'acheteurs en
Flandre et un certain nombre aux Pays-Bas. Mais, « l'important pour moi est de travailler. S'il faut en plus prospecter... » . Une de ses scènes de carnaval se retrouve chez Philippe et Mathilde, un cadeau à l’occasion de leur mariage offert par le Parlement Wallon, donc sans prospection de sa part... Sa longue et riche carrière a été récompensée par le Conseil Culturel Mondial 

Le Collin Maillard de Mady Andrien disparu  à Huy

Je termine sur une oeuvre disparue (et retrouvée en 2020, dans les eaux limpides suite à la sécheresse): son  Collin Maillard de Huy. On connait le jeu: un participant, les yeux bandés, poursuit à tâtons les autres et doit saisir l’un d’entre eux et l’identifier à l’aveugle. Mady Andrien l’avait statufié en 1976 sous la forme d’un personnage de bronze d’1mètre 82 de haut (comme moi). Malheureusement, le 4 mars 2014, alors qu’elle était exposée temporairement à proximité de la collégiale, l’œuvre a été volée. Estimée à 25.000 euros, elle n'était pas assurée. En outre, coulée en 1976, il s'agissait d'une pièce impossible à refaire. «Je l'ai créé, mais le modèle a disparu. Les moulages en plâtre, à l'époque, ne se conservaient pas bien. J'avais déjà exposé le Colin Maillard dans plusieurs villes, sans jamais avoir de souci. C'est la première fois que j'ai une telle mésaventure», se désole Mady Andrien (La Meuse 5/3/2014).
Johan Colley Maillart se serait illustré à la bataille de Hougaerde, en 1005, au cours de laquelle des flèches ennemies lui auraient crevé les yeux. Guidé par ses écuyers, il aurait néanmoins continué d’asséner ses coups de taille et d’estoc. C’est en référence à ça que son nom aurait été donné au jeu de société.
C’est le chroniqueur liégeois Jean d’Outre-Meuse qui, au XIVe siècle, dans sa Geste de Liège, évoqua cet épisode guerrier de ce Collin Mayard. Son récit, repris par Laurent Mélart dans L’Histoire de la Ville et du Chasteau de Huy (1641) et amplifié par des écrits postérieurs, s’est ancré dans l’imaginaire collectif et affectif hutois (et le folklore estudiantin).
Certains voient dans Joannem Colley dictum Malhars ou Maillars un tribun du peuple. Je veux bien, mais c’était quand même avant tout un homme de main de Notger.
«Liège doit Notger au Christ, et le reste à Notger!» est exagéré, mais il est vrai que l’abandon par le Otton III du comté de Huy le 7 juillet 985 a été un modèle pour toutes les Eglises épiscopales de son Empire: à Cambrai, Utrecht, Munster, Cologne, Trèves, Mayence, Wurtzbourg, Spire, Strasbourg, etc.
Et on pourrait dire que la querelle des investitures (l'anneau et la crosse, au nom du principe démocratique clero et populo) contre le pape qui se bat bec et ongles pour garder le droit de nommer ses évêques, a joué un rôle progressif dans l’histoire et a permis au peuple de rogner le pouvoir des «tyrans».
Collin Maillard appartenait à la noblesse du comté de Huy, mais son père avait dilapidé tout l’héritage en sorte que Johan dut exercer le métier de maçon pour vivre. L’empereur Otton Ier avait fait de Huy, en 943, la capitale d’un comté. En 985, son dernier comte embrasse la vie monacale et laisse son comté au prince-évêque. Cette donation n’était pas du goût des Brabançons qui assiégent Huy en 998. Armé de son lourd marteau de maçon (un maillart), Johan Colley se jeta dans la mêlée et les Brabançons furent contraints de se replier sans gloire. Pour le remercier, Notger lui accorda le privilège d’accoler à son patronyme le mot maillart. Colley reçut en outre une coquette pension de 1.000 florins. Si non è vero, c’est une belle histoire.

sources

La statuaire de Mady Andrien https://liege28.blog/2012/12/10/que-du-bonheur-premier-album-sur-la-statuaire-de-mady-andrien/
Clément Delaude, docteur en sciences chimiques et ethnobotaniste mais aussi photographe,  suit Mady Andrien depuis ses débuts. «C’est mon fan principal», reconnaît Mady Andrien.  La première partie de La Statuaire est consacrée aux œuvres publiques. La seconde traite de la maison de Mady Andrien, petit musée privé, avec son atelier, son jardin et ses terrasses, rue de Campine.

http://www.spectacle.be/redac.php?IDtexte=7111 «La statuaire de Mady Andrien» Clément Delaude 
avec liste complète et photos
http://culture.uliege.be/jcms/prod_132956/fr/mady-andrien ses personnages qui font partie de notre quotidien.

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