mardi 4 décembre 2018

Völklinger Hütte, un complexe sidérurgique en Sarre inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO


Cet été j’ai visité le complexe sidérurgique Völklingen (en allemand : Völklinger Hütte), en Sarre. Fermée en 1986, Dillinger-Hütter-Saarstahl cède l’usine au gouvernement régional, et le site est décrété monument culturel par la Loi régionale sur la Protection et la Sauvegarde des monuments. L'ensemble est inscrit au patrimoine mondial de l'UNESCO en 1994 : c'est le premier monument industriel à figurer sur cette liste. C'est aussi le point de départ de la route européenne du patrimoine industriel.
En 1965 l’usine avait atteint son plus haut niveau d’emploi (17.000).
300.000 mille visiteurs en 2017: c’est incontestablement une réussite touristique. Même si une partie est à mettre sur le compte d’une série de grandes expositions, où le site ne sert que de décor. Mais quel décor : grandiose. La salle des soufflantes est vraiment une cathédrale industrielle. Le plan incliné (1911) pour charger les hauts-fourneaux est le plus grand système de ce genre jamais construit. Et la rue des six hauts-fourneaux est vraiment spectaculaire. Et tout ça d’une compacité jamais vue, avec une configuration de base qui est restée tel quel depuis le début du vingtième siècle.
Il faut 7 km si on veut voir tout. J’ai loupé l'accès au haut fourneau 6, qui permet d'aller sur les cowpers et de descendre chaque étage jusqu'au plancher de coulée. Et je n’ai pas trouvé le Paradis, un espace verdurisé dans l’ancienne cokerie.

Espérance-Longdoz et la Maison de la Métallurgie et de l’Industrie de Liège

Si Völklingen a été le premier musée repris au patrimoine mondial, ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu dans le passé d’autres musées basés sur le patrimoine industriel. A Liège, Espérance-Longdoz a construit à l’époque un petit musée, aujourd’hui la Maison de la Métallurgie et de l’Industrie de Liège ( MMIL,  2.500m²), avec une vieille forge à la Wallonne au pied du plus ancien haut-fourneau du pays (1693). Il y a une impressionnante machine à vapeur, le prototype d’une dynamo de Zénobe Gramme, la baignoire en zinc offerte par Dony à l’empereur Napoléon, etcetera… http://www.mmil.ulg.ac.be/accueil/qui-sommes-nous/presentation/ 
Le bâtiment est de 1845 : les frères Dothée y avaient installé leur production de fer blanc. Dothée est absorbée par  Espérance-Longdoz en 1877. L’usine a son pic de production de 142.000 tonnes de tôles en 1948. Le laminage à chaud est arrêté en 1957. En 1963 l’Espérance-Longdoz y installe les collections réunies par un ingénieur motivé Léon Willem. Après la fusion de Cockerill et Espérance-Longdoz en 1970, Cockerill en reprend la gestion.

Beau comme un haut fourneau ?

Mais la conservation d’une installation industrielle prend une autre tournure après les fermetures massives qui ont suivies la crise de 1975.
Jean-Louis Tornatore a décrit cela dans un essai sur le traitement en monument des restes industriels : « Beau comme un haut fourneau ».
Le mouvement est ambigu. D’un côté le patrimoine industriel souffre d’impopularité. Les industriels ne voient guère l’intérêt de conserver des outils de production obsolètes – quand de surcroît ils accentuent la «légende noire» de l’industrie. Pour les travailleurs ils représentent des vies de dur labeur et des luttes perdues, et pour certains toute récupération patrimoniale est l’ultime et scandaleuse trahison. S’ajoute à ça un certain ostracisme de la part des représentants du patrimoine architectural pour qui ce patrimoine industriel est en quelque sorte l’absence de valeur esthétique, et une machinerie peu lisible pour quelqu’un qui n’y a pas travaillé.
Pour Tornatore, la fermeture d’Uckange a changé la donne. Les travailleurs, CFDT en tête, ont mené six mois de luttes sous le slogan « L’emploi au cœur ». Le jour de la dernière coulée a été très médiatisé, avec «une mise à mort pyrotechnique du haut fourneau». Des militants CGT (extérieurs à l’usine) accusent les militants CFDT du collectif d’avoir «accepté la fermeture de l’usine », d’être «tout juste bons à faire des spectacles». Pour eux, cette coulée médiatisée revient à faire d’un cadavre en décomposition un objet patrimonial, traité par embaumement scientifique. Ils dénoncent un discours scientifique qui «cache ce qu’il prétend montrer», qui transforme la douleur du deuil en une nostalgie supportable. Mais ces critiques ne sont pas partagés par les sidérurgistes de l’usine qui avaient justement joué sur une forte médiatisation tout au long des six mois d’actions contre la fermeture.
J’ai visité le site en 2013. Je dois dire que l’aménagement du site me laisse songeur. A côté du HF on a aménagé le ‘Jardin des Traces’. Mais pour visiter le haut-fourneau U4, il faut sortir de ce jardin: il y a une barrière entre les deux sites. Des visites guidées sont assurées  par d’anciens sidérurgistes mais on les a logés sous un chapiteau alors qu’il y a à côté les grands bureaux sauvegardés qui ne fourmillent pourtant pas d’activité. Ca me donne l’impression d’une réserve d’indiens, dont on attend qu’ils crèvent : cela va faire aujourd’hui vingt-sept ans depuis l’extinction du haut-fourneau. ‘Garder’ un haut-fourneau est toujours un arbitrage ambigu entre témoin de luttes et volonté d’atterrir, d’accepter la fermeture : une légende noire à effacer au plus vite au nom d’une reconversion souvent problématique. Plus dans

Neunkirchen : un haut-fourneau comme mobilier urbain ?

A Neunkirchen, à 30 kilomètres de Völklingen, on a totemisé le HF, on l’a transformé en «mobilier urbain», repeint avec des couleurs (le rouge en particulier) qui suggèrent son ancienne activité. On l’a baptisé AHA (Altes Hütten Areal).
A Duisbourg-Meiderich par contre, dans le Ruhr, on a opté pour une «conservation pauvre »,. Considéré comme «une œuvre d’art collective créée par des ingénieurs, qui s’est développée au cours des cent ans de son histoire, comme un immense landart qui a pu être peu à peu remodelé à l’aide des jardiniers», ce site sidérurgique a été transformé en parc paysager, dont les diverses parties renvoient aux fonctions techniques du site d’origine: le «parc des hauts fourneaux», le «parc des crasses», le «jardin des soutes», etc. Ce traitement est dit «pauvre» parce qu’il vise à obvier aux coûts financiers induits par une «sur-restauration» et une application maximaliste des règles de mise en sécurité. On y a défini préalablement l’objectif de conservation comme temporaire : le parc reste aussi longtemps qu’on n’a pas besoin de ces friches.

Belval : un haut fourneau rénové et prêt à la production mais en état d'arrêt définitif

Belval, au Grand Duché, à 30 km d’Uckange, se veut un compromis : d'une part documenter la sidérurgie dans ses aspects historiques, techniques et sociologiques sur un des deux hauts fourneaux et d'autre part, conserver la silhouette du site intacte. Ces haut-fourneaux ont été repris sur l'Inventaire Supplémentaire des Sites et Monuments Nationaux et on a opté pour une conservation différenciée. Le haut-fourneau A était dans un bien meilleur état : depuis la campagne de réfection en 1990, il n'a jamais été remis en fonctionnement. De ce fait, le Luxembourg croit posséder le seul haut fourneau au monde rénové et prêt à la production mais en état d'arrêt définitif. Je crois qu’ils se trompent : le haut-fourneau 4 de Marcinelle a été arrêté aussi après une réfection.
Le plancher de coulée est conservé, avec les machines à forer les trous à laitier primaire, la machine à boucher et la machine à forer le trou de coulée, le gueulard et les hottes posées sur les rigoles capotables.
Le haut-fourneau B, arrêté suite au passage à la filière électrique en 1993, est conservé dans un scénario «silhouette». On opte pour un lieu ouvert pour le public au coeur d’une nouvelle cité sur la friche.

Völklingen, une «ruine contrôlée»

A Völklingen aussi c’est une initiative « citoyenne » qui a recherché à donner une nouvelle vie à ces installations abandonnées. Ce « témoin technique de notre passé industriel » est aujourd’hui un musée en plein air et un théâtre pour l’événementiel. Le succès de foule est là. La conservation a été effectuée selon le principe de la «ruine contrôlée». Seule une partie des installations techniques et des bâtiments a été aménagée pour le public. Ainsi, sur une ligne de six hauts fourneaux, un seul a été rendu accessible au public, après réfection des escaliers et passerelles jusqu’au «gueulard», tandis que les autres, interdits au public, ont été laissés en l’état.

Rendre lisible une conservation ‘muséale’ d’un haut-fourneau

Le décor est magnifique. Mais le gros problème avec une conservation ‘muséale’ est à mon avis la lisibilité pour un non initié. Celui qui n’a pas travaillé sur une machine ne saurait s’imaginer comment ça marche et à quoi ça sert. Et il ne suffit pas d’avoir côtoyé des installations. J’ai travaillé dans la sidérurgie à froid et je parie que 90% de mes anciens camarades de travail ne savent pas la fonction d’une soufflante pour un H-F. Pourtant la salle des soufflantes est une pièce maitresse  de Volklingen. Il y a peut-être même des haut-fournistes qui ne s’en rendent pas compte de l’importance de ces soufflantes, qui doivent tenir en suspension les 1000 m3 de charge d’un haut-fourneau.  Comme ces machines ne s’arrêtent jamais, il faut avoir vécu un incident, comme à Sidmar, où suite à une coupure de courant la charge des hauts fourneaux s’est effondrée.
Nos sidérurgistes connaissent les soufflantes actionnées par une centrale électrique. A Völklingen ces machines sont actionnées par des moteurs au gaz (pauvre) des hauts-fourneaux. Et ces soufflantes très anciennes ont fonctionné jusqu’à la fermeture des HF, vers 1980.
Il faut être un peu fana d’histoire industrielle pour apprécier ces détails techniques.
Idem pour l’installation d’agglomération des charges du fourneau. On a beau mettre des panneaux explicatifs, le commun des mortels ne comprend pas en quoi cette préparation de la charge d’un HF était une rupture technologique. Mais je ne vais pas faire le malin et je comprends qu’on se rabat alors sur l’aspect ‘décor’ qui devient dominant. Un décor pour des expos phares qui attirent les foules. Völklingen célèbre même les mariages dans l’ancien hall des hauts fourneaux !

La «réhabilitation» des aspects sociaux

Je ne sais pas comment Völklingen a évolué comme musée, mais l’accueil n’est plus assuré par les anciens sidérurgistes. Pourtant ça fait pour moi le charme d’un musée de ce genre. Peut-être n’a-t-on jamais essayé de les impliquer. Peut-être ont-ils disparus au fil du temps : ces anciens ne sont évidemment pas immortels.
Pourtant, la Chambre du travail de Sarre, représentante légale des travailleurs sarrois(es), a eu son mot à dire. Elle reconnait que la «réhabilitation» des aspects sociaux est restée embryonnaire. Sa contribution s’est limitée au départ à une vingtaine de témoignages oraux. L’IG Metall ainsi que es anciens employés de l’usine ont été interrogés.
Le musée a-t-il eu beaucoup de critiques sur cette absence, ou a-t-il fallu simplement du temps pour intégrer cet aspect ? Toujours est-il que il s’est montré réactif.
En 2018  il y a eu le projet „Second Life – 100 Arbeiter“ du sculpteur Ottmar Hörl : une deuxième vie pour les sidérurgistes, dans un musée, en nains de jardin.
Et toujours en 2018 on a lancé un grand projet «travailler sur la Völklinger Hütte » avec un budget de 700.000 € sur 3 ans. Que signifie travailler à moins 10 degrés au-dessus du gueulard du haut fourneau? On compte après s’attaquer au travail des cokiers.
Et, last but not least en septembre 2018 un film "Le trésor de fer - Une histoire du Völklinger Hütte" est sorti qui raconte l'histoire de Manfred Baumgärtner, qui a éteint le dernier haut fourneau en 1986. Ou du sidérurgiste Detlef Thieser, qui avait toujours rêvé d’être jardinier - et qui cultive aujourd'hui le jardin "paradisiaque" dans l’ancienne cokerie.

En 2014 Il y a eu une expo sur les prisonniers de guerre russes qui ont contribué à produire en 14-18 90 % de l’acier des casques de fer utilisés par l’armée allemande. Et en 2018 il y a eu une expo sur l’utilisation de plusieurs milliers de travailleurs obligatoires et de prisonniers de guerre durant la deuxième guerre mondiale. Hermann Röchling soutenait les nazis et était en tant que «Wehrwirtschaftsführer» grand producteur d’armement.

Un site unique point de vue technologique

Il est difficile de faire ‘vivre’ une installation industrielle. Cela ne veut pas dire impossible. Je voudrais citer deux exemples qui a mon avis sont réussis : Blegny Mine et Beringen Mijn.
Une difficulté autrement plus grande est de faire comprendre la valeur de Völklingen en tant que patrimoine industriel. Je ne connais aucune installation ou les éléments constitutifs et le concept de base datent du début du XXième siècle. Tout ça a fonctionné en tant que tel bien au-delà de la crise de 1975. Dans la plupart des cas on a au fil des fusions démoli les fourneaux les plus anciens pour moderniser les plus récents. A Liège par exemple on a gardé le HFB de Cockerill-Ougrée, et le HF6 d’Espérance Longdoz à Seraing.
A Völklingen, le premier des six hauts fourneaux est construit en 1883, le dernier datant de 1903 ; 45 mètres de haut et d’une longueur de 250 mètres. Un peu plus tard on installe les six soufflantes au gaz, entre 1905 et 1914. La salle des mélanges des minerais est construite de 1911 à 1913. La cokerie date de 1897. Celle-ci sera reconstruite et agrandie en 1935.
La rue des six H-Fx est toujours là, dans sa trame d’origine. C’est à se demander comment ils ont fait pour élargir leur diamètre, serrés l’un contre l’autre.
En plus, Völklingen a travaillé presque jusqu’à la fin avec des minerais lorrains. La minette avait un double handicap : une teneur en fer de 30%, alors que les minerais suédois ou brésiliens atteignaient 50%. Et ils étaient phosphoreux ; or, pour obtenir une qualité suffisante il a fallu inventer un nouveau procéde (Thomas). En plus, pour éliminer le phosphore, il fallait un traitement supplémentaire spécial. C’est ainsi que Cockerill avait fermé en 1973 son aciérie Thomas qui était pourtant récente (1959).
Malgré ces handicaps l’usine à fonte de Völklingen a pu continuer à produire de manière +- rentable encore une dizaine d’années après la crise de 1975, probablement à cause de sa compacité.

Une coupure complète avec la sidérurgie actuelle de Saarstahl

Mais ce qui m’a frappé le plus, c’est la coupure complète avec ce qui reste de la sidérurgie tout autour, et qui est impressionnant ET rentable. Les 10 hectares du musée ne sont rien par rapport aux 260 hectares de des usines Völklinger Saarstahl. Derrière l’accueuil, au bâtiment on voit la nouvelle aciérie qui a remplacée l’aciérie Thomas. Et quand on traverse le Saar on roule sur 2 kilomètres le long du laminoir.
Et on n’explique nulle part ce qui réunissait l’usine à fonte muséal et ces usines en pleine activité. Le non sidérurgiste ne se rend même pas compte qu’il ne voit que l’usine à fonte. Rien sur l’aciérie qui élabore cette fonte en acier et qui termine ainsi la phase liquide. Ou plutôt aciéries au pluriel, parce qu’en 1976 encore on a remplacé les six vénérables convertisseurs Thomas en forme de poire par trois convertisseurs OBM qui n’ont fonctionné que quelques années. http://www.saarlandbilder.net/orte/neunkirchen/huette.htm
Sous la houlette d’Arbed on construit début des années 80 une nouvelle usine à fonte pour approvisionner deux nouvelles aciéries à Völklinger Saarstahl et chez Dillinger. Les anciens H-Fx et aciéries de Völklingen ont encore produit en parallèle jusqu’en 1986. C’est dommage que ces anciennes aciéries n’ont pas été reprises dans le projet muséal. Ces convertisseurs Thomas en forme de poire parlent à l’imagination. On aurait compris ainsi ce qu’on faisait avec la fonte ET d’où ces usines qui l’entourent tirent aujourd’hui leur fonte.
C’est tout le concept actuel de core-business : une usine n’a pas à s’occuper de son histoire. Elle doit produire et faire du profit. C’est regrettable…

Un cas unique dans la sidérurgie européenne : un statut public !

La cascade de restructurations ont abouti à ce qui est presqu’un cas unique dans la sidérurgie européenne : un statut public ! Röchling, la famille fondatrice, jette le gant en 1972. ARBED devient majoritaire en 78. L’entreprise reprend également deux autres usines sarroises, et lance la construction d’une centrale fonte pour les trois (ROGESA et  Zentralkokerei Saar fourniront la fonte à Saarstahl).
Arbed doit décrocher à son tour en 1989 suite à la fusion de Saarstahl avec Dillinger Hütte. Usinor-Sacilor acquiert 70,0 %;  la région de Sarre garde 27,5 %; ARBED 2,5 %.
En 1993 survient la faillite de Saarstahl. Usinor Sacilor, en la personne de Guy Dollé qu’on retrouvera quelques années plus tard à Liège,  justifie le dépôt de bilan de Saarstahl par l'ampleur de ses pertes (30 millions de deutsche Mark par mois ; une saignée que le groupe estimait n'avoir plus les moyens de supporter). Pour assurer la continuité de l'activité, Saarstahl est cédé pour le mark symbolique aux autorités sarroises en janvier 1994. Saarstahl restera 7 ans sous curatelle avant de prendre un nouveau départ.
Afin de maintenir la sidérurgie en Sarre, la Région crée en 2001 la « MontanStiftung-Saar». Celle-ci détient 100% du « Stahl-Holding-Saar ».
Le consultant Syndex nous apprend dans un texte sur l’avenir de la sidérurgie à Liège (Axes structurants d’une politique industrielle pour le développement d’une sidérurgie en Wallonie, une étude financée par la Sogepa pour la région wallonne, mai 2012, p.91) que la fondation Montan-Stiftung-Saar a pour mission d’assurer l’indépendance de la sidérurgie sarroise. Et cela ne sont pas des mots en l’air : c’est ainsi que la fondation a bloqué en 2008 ArcelorMittal  qui voulait mettre la main sur Dillinger Hütte Stahl (dont il détenait jusqu’alors 51,25 %). In fine, ArcelorMittal doit renoncer à sa mainmise et vendre ses 21,17 % du capital de DHS.

Un Paradis ?

La zone entre lacokerie et la Sarre était restée tel quel pendant 25 ans. À l'occasion du dixième anniversaire de l’usine-musée l'architecte paysagiste CatherineBernadotte a créé « un jardin pittoresque dans ce désert unique au monde » qu’on a baptisé le Paradis, un mystérieux jardin d’Eden derrière un mur infranchissable. C’est bien trouvé point de vue communication, et Völklingen n’est pas le premier site à surfer sur le thème de dialogue entre nature et patrimoine industriel. Je peux apprécier et j’ai visité (et fait visiter) pas mal de sites ‘urbex’. Mais on attend quand même un petit plus de la part d’une architecte paysagiste.
J’ai l’impression que notre comtesse ne s’est pas trop fatiguée. Qu’elle est originaire de l’île aux fleurs Mainau est chez moi un argument qui ne pèse
pas lourd.

On y a installé onze ruches qui donneront bientôt le premier “Völklinger Paradies Honig”
Le bassin de décantation est devenu « l’étang aux poissons noirs ». Et un Zentrum für Biodokumentation  a découvert une mousse unique „Didymodon umbrosus“, une espèce certes rare, mais je dirais que c’est plutôt normal sur le sol pollué d’une cokerie à l’abandon. A Trooz, sur les flancs de coteau qui ont été pendant des décennies sous les fumées des usines à zinc poussent des plantes calaminaires. Bref, je reste un peu sur ma faim…

Une région ballottée entre la France et l’Allemagne

Un autre aspect qui aurait pu être plus mis en avant  est la place de ces usines  dans la rivalité entre France et Allemagne. On a fait des guerres pour cette région !
Ca remonte à 1680 lorsque Vauban renforce Sarrelouis.
En 1815, à la suite de la défaite de Napoléon, la France perd le département de la Sarre et le canton de Sarrelouis, œuvre de Louis XIV.
La guerre franco-allemande de 1870 commence par une attaque de Napoléon III sur Sarrelouis. Suite à la défaite française, Bismarck annexe les arrondissements de Sarrebourg, Sarreguemines, Metz, Thionville et Briey et départements du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Autrement dit : 20 % de son potentiel minier et sidérurgique.
Lors de la Grande Guerre les deux Röchling exploitent à fond ce potentiel minier (qui était donc en droit international allemand). Cela n’a pas empêché une condamnation devant un tribunal militaire français  pour « pillage et utilisation de la force, destruction délibérée d’usines françaises et vols qualifiés ». Il s’agit bien d’un tribunal militaire français : les alliés refusent de participer à ce genre de jurisprudence à la limite du droit international. Hermann Röchling ne fera pas du cachot: nommé expert commissaire du gouvernement allemand à Versailles il jouit du statut de diplomate. Son frère
Robert sera, lui, libéré en octobre 1920. En 1934, Hermann Röchling justifie dans ‘Wir halten die Saar !’ (en fr : nous tenons la Sarre !) le pillage des forges ‘françaises’ pendant la Grande Guerre.
Des années plus tard, dans le postscriptum d’une lettre à Adolf Hitler, Hermann Röchling exprime « des désirs personnels: je suis encore toujours condamné à dix ans de travaux forcés, à dix millions de francs d’amende et à quinze années d’interdiction de séjour. Le jugement du conseil de guerre du 2 décembre 1919, rendu par le conseil de guerre d’Amiens subsiste toujours. Salut, mon Führer, votre tout dévoué HR ».
Il aura son amnistie qui sera signée le 18 mai 1942 par Philippe Pétain.
Le traité de Versailles sépare la Sarre, de 1920 à 1935, de l’Allemagne et la place sous la tutelle de la Société des Nations, la France disposant de la propriété de ses houillères en compensation des destructions de son propre bassin minier pendant la guerre. Il accorde à la France la propriété de l'usine de Völklingen, et place le Bassin de la Sarre sous mandat de la Société des Nations. Les français entretiennent en Sarre à partir de 1920 une importante garnison militaire, dont la présence provoqua de multiples difficultés diplomatiques avec l’Allemagne, les pays alliés et la Société des Nations.
Les détachements français et belges quittèrent définitivement le territoire de la Sarre en 1930, suite à une décision du Conseil de la Société des Nations. En 1935, lors du plébiscite prévu par le traité de Versailles, les Sarrois votèrent à 90,8 % le rattachement de leur territoire à l’Allemagne. L’usine redevient allemande.
Röchling écrit à Hitler: « Vous avez réveillé dans le peuple allemand l’absolue confiance que vous mettrez aussi l’Angleterre à genoux. Après ce qui s’est déroulé devant nos yeux personne ne doute plus de ce qui n’était plus possible depuis plus de 300 ans vous réussira maintenant.
Nous nous demandons aussi ce que nous devons faire pour que soit réalisée la tâche de gagner maintenant véritablement la paix. Je n’ai pas besoin de vous assurer que où que vous puissiez m’employer à ce sujet, je suis à votre disposition ».
En 1942, Herman Röchling est un des protégés de Speer, ministre de l’Armement et de la Guerre, et entre au conseil de l’armement (Rüstungsrat), et préside la Reichsvereinigung Eisen (RVE - association pour le fer),  et est fondé de pouvoir du Reich pour la quasi-totalité de l’Europe envahie par les armées de Hitler.
Après la seconde guerre, la Sarre est incluse dans la zone d'occupation française et l'administration de l'usine revient à la France jusqu'au rattachement de la Sarre à la RFA le 1er janvier 1957.
Comme en 1918, les Röchling échappent au tribunal international de Nurenberg. En février 1948 c’est un tribunal militaire français, assisté de magistrats belges et polonais, qui entame un procès contre Röchling. Contrairement à ce qu’indique la chronologie publiée sur le site Völklinger Hütte, l’acte initial comportait trois chefs d’accusation, et non un seul : crime contre la paix pour avoir favorisé la conduite des guerres d’agression, crime de guerre pour avoir exploité les pays occupés afin de servir l’effort de guerre du Reich, puis crime contre l’humanité pour avoir fait travailler sous la contrainte les ressortissants des pays occupés et les prisonniers de guerre dans les usines dont il avait la gestion, d’avoir toléré qu’ils subissent des traitements inhumains.
En appel, le tribunal de Rastatt abandonnera, en 1949, l’inculpation contre Röchling pour «crimes contre la paix » afin de se conformer aux directives de Nuremberg, mais sa peine carcérale sera alourdie, passant de sept à dix ans. Enfin, grâce à l’intervention de Konrad Adenauer auprès du ministre des Affaires étrangères Robert Schumann, Hermann Röchling et son cousin Ernst seront libérés en 1951.
En 1956 la famille Röchling récupère ses usines sous séquestre.
On pourrait donner à ce pan de l’histoire de l’usine une place dans les expositions permanentes, et si ce n’est pas le cas c’est parce que trois quart de siècle plus tard ça reste un sujet très délicat. Or que l’on cherche – à tort, à mon avis – le consensuel dans la muséologie qui vise un public très large. Mais on retrouve certes certaines informations sur le site du musée Et une conférence internationale de recherche s’y est tenue en 2015.
A cette occasion il y a eu de 2014 à 2016 une exposition "Les Röchlings et la Völklinger Hütte", dans le hall des minerais, ainsi qu’une expo sur le travail forcé des prisonniers de guerre.
En 2017, une exposition dans l'usine d'agglomération a présenté les travaux de recherche sur le travail forcé avec une série de conférences
publiques en coopération avec l'Université de la Sarre, l'Université de Trèves, l'Association des musées de la Sarre et ERIH.

Sources

La Plate-forme "Google Arts & Culture" permet une visite virtuelle https://artsandculture.google.com/exhibit/8wKCyS2nNDTpKw

https://www.exxplore.fr/pages/Volklinger-Hutte.php description du processus avec beaucoup de photos

https://www.fonds-belval.lu/media/publications/69/Concept_Hauts%20Fourneaux.pdf Une publication intéressante sur le haut fourneau B à Esch-Belval, abandonnés suite au passage à la filière électrique en 1993. Un lieu ouvert pour le public au coeur d’une nouvelle cité. Un projet unique de conservation d'une installation industrielle inscrite dans le cadre d'un projet de développement urbain. A comparer avec des projets de type muséal comme la" Völklinger Hütte " ou la relégation d’installations industrielles dans des zones récréatives comme dans le " Landschaftspark Duisburg-Nord ". La brochure donne une belle description du processus sidérurgique et ses installations. Belval est un compromis entre d'une part documenter la sidérurgie dans ses aspects historiques techniques et sociologiques et d'autre part, conserver la silhouette du site. Le Grand Duché a jugé qu’un seul des deux hauts fourneaux est suffisant pour documenter l'activité sidérurgique. Depuis la campagne de réfection en 1990, le  haut fourneau A n'a jamais été remis en fonctionnement. De ce fait, le Luxembourg possède probablement le seul haut fourneau au monde rénové et prêt à la production mais en état d'arrêt définitif (note HH : je crfois que le HF de Charleroi est dans le même cas). Les éléments des installations du haut fourneau B sont conservés dans un scénario « silhouette».
https://journals.openedition.org/lhomme/24797  Jean-Louis Tornatore, Beau comme un haut fourneau ; Sur le traitement en monument des restes industriels, Études et essais, 170 | 2004 p. 79-116

https://www.fonds-belval.lu/media/publications/69/Concept_Hauts%20Fourneaux.pdf sur les hauts fourneaux de Belval : un lieu ouvert pour le public au coeur d’une nouvelle cité, dans le cadre d'un projet de développement urbain. Un projet de compromis : d'une part documenter la sidérurgie dans ses aspects historiques techniques et sociologiques sur un des deux hauts fourneaux et d'autre part, conserver la silhouette du site intacte.
http://franz-albert.de/?p=180  reportage photo du „Paradis“
http://salioandco.blogspot.com/2017/04/volkingen.html explication intéressante du circuit des matières

Aucun commentaire: