mercredi 17 octobre 2018

42ième balade-santé MPLP : Cointe et son mémorial interallié

vue d'en haut du mémorial

 Notre 42ième balade-santé de novembre 2018 s'est fait à Cointe. 

Un hameau qui aiguise l’appétit

Cointe est resté longtemps un hameau bucolique: Rue du Batty 55, il y a encore une ancienne ferme du 17e ou du début du 18e siècle, en retrait dans un jardin.
L’avenue de la Laiterie réfère aussi à ce passé. Dès la fin du XIXe siècle, les laiteries sont à la mode dans les alentours champêtres de Liège. Avenue de la Laiterie 46, Villa de style villégiature teinté d'Art Nouveau, isolée dans un grand jardin joue sur ce thème avec d'originaux faux colombages à caractère décoratif sur les maçonneries enduites et peintes.
Je signale aussi Avenue de la Laiterie 10, intéressante villa de style moderniste élevée dans les années 1930 d'après des plans de Paul Petit.
La première gare des Guillemins avait pourtant été inauguré en 1842, grâce au plan incliné de l’Ingénieur Henri Maus, qui permettait de vaincre la dénivellation de 110 mètres entre Ans à Liège, qu’il faut effacer en 5 kilomètres, soit une pente de 28 %. Une machine à vapeur fixe fut pour cela installée à mi-distance sur un palier au lieu-dit le Haut-Pré. La descente, par un système de freinage renforcé prenait qui prend quelque vingt minutes ! Mais cette gare rendait plutôt l’accès au hameau par les chemins traditionnels que constituaient l’actuelle rue Albert Mockel et Saint-Maur plus difficile.
Ce coin champêtre connaîtra un formidable essor avec la fièvre urbaniste des années Blonden qui incite les promoteurs immobiliers à envisager une urbanisation du hameau.
plan de Blonden en 1880
En 1880, des promoteurs immobiliers proposent au conseil communal de Liège un projet d’avenue au départ des Guillemins. Ils proposent de céder gratuitement les terrains nécessaires au tracé de la nouvelle artère. La Ville accepte, à condition que les demandeurs s’engagent à assumer également les frais des travaux de voirie. C’est l’avenue de l’Observatoire.
Au N° 160, cette maison de style villégiature, construite vers 1900 d'après des plans de George Hobé en est une belle illustration. 
La nouvelle avenue est empruntée dès 1895 par la première ligne liégeoise de tramways électriques.

Un parc résidentiel privé.

Mais ce qui a marqué le quartier est la création d’un parc résidentiel privé (il est d’ailleurs toujours
le Val Benoît au XVIIIe siècle (gravure de Remacle Le Loup)
privé). A l’origine il y a la vente d’un bien noir, l’abbaye du Val Benoît, en 1797. L’année avant avait éte promulgué en Belgique la loi supprimant les corporations religieuses. Ces biens ecclésiastiques ou biens noirs sont vendus au profit de la dette de la jeune République. L’acheteur Pierre Joseph Abraham Lesoinne (1739-1820) a joué un rôle important dans la révolution liégeoise de 1789. Ces terrains arrivent à la suite dans les mains de la famille Hauzeur qui lance en 1876 un lotissement de 35 hectares pour un parc résidentiel privé de haut standing. Le quartier, en forme de cœur, ponctué par deux ronds-points, est tracé dans l’ancien «bois du Val-Benoît».
Pour donner un accès carrossable à ce parc résidentiel la famille van der Heyden a Hauzeur fait aménager à ses frais, de 1881 à 83, une route qu’elle nomme Avenue des Thermes, parce qu’elle mène à l’hôtel de ce nom construit en 1882. L’hôtel connait une existence éphémère : fermé en 1905, démoli, puis remplacé par une villa à l’usage de la famille Hauzeur. Est-ce pour cette raison qu’en 1931, ce tronçon a été rebaptisé du nom d’Étienne Constantin de Gerlache ?
Les avenues du parc sont au départ des chaussées empierrées, aux accotements de terre, mais déjà pourvus d’un éclairage au gaz. Les premières villas sont construites dès 1888.
Au square Hauzeur, à l’intersection des avenues de Cointe, des Ormes et des Platanes, le bassin était une réserve de 843 m³ d’eau en cas d’incendie, précaution voulue par la famille Hauzeur. Le bloc de quartzite est vieux de deux millions d’années.
Les ventes des 109 parcelles sont assorties de conditions précises: les constructions ne peuvent être érigées à moins de 10 mètres de distance des chemins, pièces d’eau, places ou pelouses. Les habitations doivent être distantes les unes des autres de 20 mètres au moins. Tout acquéreur doit avoir bâti une maison dans un délai de deux ans, les plans doivent être approuvés par le vendeur. En outre, les constructions suivantes sont interdites: lazaret, hôpital, manufacture, carrière. Il est également interdit, sauf autorisation des vendeurs, de transformer une habitation en café, restaurant, salle de bal, de concert. Les eaux alimentaires sont distribuées par la famille Hauzeur, par un système de captage d’eau dans le gravier de la Meuse remontée par une machine d’exhaure.
En bordure de ce square, Avenue de Cointe 2, la villa Art Nouveau L'Aube, construite en 1903 par et pour l'architecte Gustave Serrurier-Bovy (d’ailleurs sa seule construction connue). La façade ouest est agrémentée d'une mosaïque d'Auguste Donnay. Menuiseries d'origine. A l'intérieur, magnifiques décors d'origine, en partie conservés : dallage en mosaïques géométriques, cage d'escalier, placards, etc.
A mon grand étonnement, peu de bâtiments de cette époque ont été repris dans l’Inventaire du Patrimoine Immobilier (IPIC). Il y a cette imposante villa Avenue du Hêtre 2, caractérisée par la recherche du pittoresque dans l'agencement des éléments d'inspiration médiévale, avec notamment sa tourelle d'angle.
On ne s’en rend moins compte maintenant, avec les arbres plus que centenaires de ce parc de villas, mais ce quartier huppé avait vue sur usines de Sclessin qui connaît dès 1870 un essor industriel prodigieux. Je suppose qu’à l’époque cela n’était pas considéré comme une tare, puisque c’étaient leurs usines… Le charbonnage d'Avroy par exemple appartenait aux Hauzeur. Ceci dit, à la création de l’institut d’astrophysique, certains ont mis en doute l’utilité de faire de telles observations au milieu des fumées de l’industrie…

L’observatoire de Cointe, un des huit instituts scientifiques « Trasenster » (comme nos huit collégiales)

Le projet de lotissement de Hauzeur qui connaît quand même quelques difficultés à démarrer reçoit un formidable  boost avec l’Observatoire.
En 1879, le ministre Walthère Frère Orban (1812-1896) dote les deux universités d’État (Gand et Liège) d’une solide manne financière. L’Université de Liège construit ainsi entre 1881 et 1890 huitinstituts scientifiques, nommés Trasenster en l’honneur du recteur de l’époque: les instituts de Pharmacie, de Botanique,  d’Anatomie, de Physiologie, de Zoologie, de Chimie, d’électrotechnique et l’Institut d’Astrophysique à Cointe. Cet observatoire fut réalisé par Lambert Noppius à qui on doit aussi les instituts de zoologie, d’anatomie et de botanique.  Noppius avait succédé à Jean-Charles Delsaux comme architecte provincial et est comme lui dans le néo-gothique, avec une architecture castrale tardo-médiévale dénote un peu pour un observatoire, mais qui est plus à sa place dans l’architecture carcérale, comme par exemple, l’ancienne prison Saint-Léonard de Liège réalisée par l’architecte Josef Jonas Dumont.
Dans les années 1960 l’institut d’astrophysique se met à la mode de la technologie spatiale. Mais en 2001, le département astronomie déménage sur le campus du Sart-Tilman, et la Région wallonne rachète le site, déjà fort délabré, sans fixer un budget pour le restaurer. La Société Astronomique de Liège a notamment signalé la présence de mérule. Aujourd’hui, une mobilisation citoyenne de 25.000 personnes essaye de monter un dossier de classement au titre de monument. Mais des bruits de couloir font vent de l’implantation de plusieurs villas dans son parc, rasant au passage une partie des bâtiments, dont l’extension moderniste.

Le plateau de Cointe et l'Exposition universelle de 1905


Le plateau de Cointe reçoit un autre boost vingt-cinq ans plus tard, avec une annexe de l'Exposition universelle destinée aux manifestations agricoles (horticulture, floriculture), aux promenades, aux activités sportives et aux festivités de plein air.
Gustave KLEYER, bourgmestre de Liége à l’époque, aménage le boulevard dont le premier tronçon est baptisé Boulevard de Cointe.  Ce boulevard prendra le nom de son créateur, Kleyer, en 1921, quand ce dernier cessera ses fonctions de bourgmestre. Il fait partie d’un projet de création d’une
ceinture de 11 km de boulevards de Cointe à la Citadelle-Thier-à-Liège. Ce «boulevard de circonvallation» est aujourd’hui encore une pièce-clé du Plan Urbain de Mobilité. Le plan prévoit de construire un Belvédère sur le terril d’Avroy « montrant dans toute son étendue le magnifique panorama de la ville de Liège, l’enfilade de la vallée de la Meuse jusque Visé», selon le rapporteur Bouvy.
Le parc paysager de prestige est l’œuvre de Louis Van der Swaelmen. Cet architecte-paysagiste, fils d’un inspecteur des Parcs et Jardins de l'état, est délégué par son père  pour la conception des espaces verts de Cointe (65 ha) et du parc de la Boverie et son Jardin d'acclimatation. Pendant la guerre il élaborera le Park-system, la ville entourée de cités-jardins isolées par une ceinture verte. En 1922 il peut mettre ses idées en pratique dans les cités-jardins le Logis et Floréal, à Watermael-Boitsfort.

Des maisons ouvrières au boulevard Montefiore

A cette occasion aussi, un comité présidé par l’ancien bourgmestre de Bruxelles Charles Buls lance un concours d’habitations à bon marché. 25 maisons ouvrières seront construites dans une voirie créée pour la circonstance : le boulevard Montefiore (les N°s 2-32, près du GB actuel). Ces habitations dotées d'un grand confort pour l'époque sont dites « ouvrières » parce qu'elles représentent ce qu'on fait de mieux en matière de logement modeste. Ces maisons sont l'oeuvre de la Caisse générale d'Epargne et de Retraite, de la S.A. des Charbonnages d'Ougrée, la S.A. des Charbonnages de Mariemont et Bascoup, de la Vieille-Montagne, et de seize sociétés de construction de toute la Wallonie. Elles présentent un aperçu des variantes géographiques et typologiques de maisons ouvrières au début du siècle. Elles furent dessinées par vingt-deux architectes.
Il y a à Liège, au Tribouillet au Thier à Liège, une autre série de maisons-témoins, à l’occasion d’une autre expo en 1930, à l’occasion du centenaire de la Belgique. 200 logements, dans le cadre d’un concours d'habitations à bon marché. Les initiateurs étaient les membres belges des Congrès Internationaux d’Architecture Moderne (CIAM) et son antenne local le groupe l’Equerre.  Plus dans mon blog http://hachhachhh.blogspot.com/2013/12/thier-liege-la-cite-du-tribouillet-un.html
A ce concours, s’en joint un autre, pour la décoration intérieure et l’ameublement. Gustave Serrurier-Bovy, dont nous avons vu la villa, et qui avait déjà recueilli de nombreux compliments (et quelques critiques) pour sa "Chambre d’artisan" (exposition de la Libre esthétique, 1895), propose son mobilier Silex, l’Ikéa de l’époque. Jules Destrée s’enthousiasme pour son projet. Il souligne l’ "impression de fraîcheur, de santé, de joie et d’énergie"..

L’implantation du Mémorial Interallié

Un troisième boost est l’implantation du monument interallié, conçu par l'architecte anversois Joseph Smolderen, et les travaux qui débutent en septembre 1928 sur la colline de Cointe, et qui s'arrêtent, inachevés, en 1935. Je n’ai pas réussi à savoir en quelle mesure les rues qui y mènent sont contemporains à l’érection du Mémorial. Par contre, pas mal de bâtisses dans le parc privé repris dans l’Inventaire du Patrimoine sont de 1930. Quelques exemples repris dans l'IPIC: Avenue des Platanes 37, Villa de style moderniste construite dans les années 1930 et signée par l'architecte Henri Snyers.
Avenue des Platanes 42, En retrait dans un jardin, maison de style moderniste en brique brune et calcaire, sur ossature en béton, construite vers 1935 d'après des plans de l'architecte P. Jacques.
Avenue des Platanes 49, Isolée dans un jardin, villa de style moderniste construite dans les années 1930. Volumes parallélépipédiques en béton peint. Dominant l'ensemble, volume d'angle plus élevé, primitivement occupé par un atelier de peintre et largement éclairé par une grande baie vitrée.
Avenue de Cointe 6, Villa construite dans les années 1930 par l'architecte P. Jacques.

Biblio 


L’Institut du Patrimoine Wallon, carnet du patrimoine 148, Brigitte Halmes.
Patrimoine cointois Brigitte HALMES. Publié dans Nouvelles du quartier et d'ailleurs
Un nouveau carnet du patrimoine de l’IPW consacré au patrimoine du quartier de Cointe 60 pages,
présente ce vendredi 8 décembre 2017 à la chapelle Saint-Maur.

https://urbagora.be/interventions/notes/l-observatoire-de-cointe-un-patrimoine-en-danger.html 29 août 2018, par Antoine Baudry historien de l’art, archéologue et doctorant à l’Université de Liège. Margot Minette est historienne de l’art, spécialisée en conservation-restauration du patrimoine culturel immobilier. Ils sont tous deux actifs au sein du groupe de travail Patrimoine Moderne de urbAgora et militent pour la conservation et la restauration de l’observatoire de Cointe

Bibliographie

http://labos.ulg.ac.be/memoire-politique/le-memorial-interallie-de-cointe-liege/ Carnets du Patrimoine sur le Mémorial interallié, 2014, par Jacques Barlet, Olivier Hamal et Sébastien Mainil.
http://www.ihoes.be/publications_en_ligne.php?action=lire&id=38&ordre=numero Hygiène, art et ordre social. Le confort du home ouvrier de 1830 à 1930 (analyse n°38, publiée le 18/12/2008)
Par Camille Baillargeon
En 2008, Liège honorait la mémoire de Gustave Serrurier-Bovy qui avait acquis une partie de sa notoriété pour avoir envisagé une certaine démocratisation du luxe de l’habitation. Avec e.a. l’ameublement d’une des maisons ouvrières construites à Cointe en 1905.
http://www.homme-et-ville.net/ressource/ressources/cointecr.pdf Historique du parc de Cointe: étude réalisée par l’asbl Homme et Ville en 2005 pour le compte de l’Echevinat de l’Urbanisme de la Ville de Liège, dans le cadre du programme de restauration et de rénovation des parcs publics.
Etude   sur   l’histoire   de   sept   parcs   liégeois

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