photo P. Brunain |
A l’occasion des élections communales, je fais
le bilan des grands projets d’urbanisme à Liège. Voici les Guillemins. Pour un
chantier qui encense la « grande vitesse », il a duré… En 1988, le gouvernement
belge s’accordait sur le tracé du TGV. En 1990, c’est confirmé, la Cité ardente
accueillera « la » halte wallonne. 19 ans plus tard, le prince Philippe coupera
le ruban. La gare proprement dite est terminée. Mais le projet s’avère un
prétexte pour la construction d’un quartier d’affaires…
En 1993 le chantier ne concerne que la partie chemin
de fer. Fin 1996, Santiago Calatrava est choisi, notamment sur base de son
expérience ferroviaire (sa première gare de Zurich est un exemple de
multimodalité). Mais, prenant les devants, la Ville adopte déjà un plan
d’aménagement pour l’ensemble du quartier. Ce plan qui a même obtenu un prix de
la Fondation Roi Baudouin est élaboré sans concertation avec la SNCB. L’impossibilité
de se mettre d’accord sur les aménagements des abords marquera les campagnes
électorales communales depuis 2006…
Willy Demeyer : le “premier véritable quartier d’affaires de Wallonie”.
le chantiers des guillemins en 1956. ill. C. Warzée |
Pour Willy Demeyer, le quartier des Guillemins
doit devenir le “premier véritable
quartier d’affaires de Wallonie”. Cet objectif ne se retrouvait pas dans le
schéma directeur pour le quartier des Guillemins que la SRWT (Société Régionale
Wallonne des Transports) avait demandé en 1999 à Claude Strebelle. Strebelle
est l’homme qui a réussi à tirer Liège du trou de Saint Lambert. Mais il se
cassera les dents sur cet « axe » Guillemins-Boverie : 4,5 hectares
d'espace public (autant que la Place Rouge) avec un budget public d’une cinquantaine
de millions d'euros censés attirer des investisseurs privé.
Cet espace est devenu une arène, où
s’affrontent plusieurs promoteurs immobiliers.
Le premier projet est celui du SNCB-Holding :
60000 m² de bureaux le long de la rue du Plan incliné. Le holding fait appel à
Calatrava qui d’un trait de crayon dessine aussi une rambla vers la Meuse. La
Tour des Finances qui n’avait même pas trente ans barrait la perspective. Peu
importe : ça arrangeait le SNCB Holding qui espérait reloger les finances.
C’était sans compter sur Fedimmo…
Un Plan Communal d'Aménagement et un appel d'offres européen
Un Plan Communal d'Aménagement (PCA) est
adopté, un plan d'expropriation est établi, et un appel d'offres européen est
lancé. Fin 2004, la place dessinée par Daniel Dethier obtient un permis
d'urbanisme, et un financement via les fonds Feder.
Tout ça sans impliquer Euro-Liège TGV qui lance
en 2005 un projet de canal monumental entre la gare et la Meuse, issu de la
fertile imagination de Santiago Calatrava. Irréaliste, impayable, le projet de
Calatrava est écarté, mais l'idée d'une plus large ouverture au-delà de la
place triangulaire intéresse d’autres vauriens.
Dethier Architecture réalise, sans en avoir
reçu la mission, en 2006 une étude, appuyée par la Région wallonne dès janvier
2007, et approuvée par le Collège communal début février. Cette étude ‘spontanée’ est coulée dans un tout
nouvel outil légal wallon : le Périmètre de Remembrement Urbain (PRU), adopté
par la Ville et la Région fin 2007.
Au bout de cette esplanade, une nouvelle tour
des Finances va voir le jour, à construire par le promoteur Fedimmo, à qui la
Régie (fédérale) des Bâtiments venait de revendre la Cité des Finances.
Face à se projet, la SNCB met ‘on hold’ ses 60.000 m2 de bureaux rue du Plan
incliné où il comptait reloger les fiscards. Quand en 2013
Michel Firket et Willy Demeyer
s’impatientent, la SNCB déclare que «l’étude
d’incidence avance à son rythme. Ce rythme n’est volontairement pas soutenu car
en parallèle, les négociations se poursuivent pour trouver des locataires. Nous
ne demanderons pas le permis avant d’être sûr de rentabiliser l’opération ».
Une tour qui fait de l’ombre à Calatrava
photo P. Brunain |
Le 19 mars 2013 la SNCB
introduit un recours en annulation du PRU devant le conseil d’état. La SNCB
trouvait que la nouvelle tour des finances et ses 118 mètres lui « faisaient de l’ombre ». Il y a un peu de
ça : partout Calatrava a une clause interdisant d’autres bâtiments phares
dans les environs. Mais en 2016 l’auditeur du conseil d’État déclare la plainte
«irrecevable »et « non fondée». Ceci dit, l’auditeur pose
des questions pertinentes sur ce PRU voté par le conseil communal de Liège et
approuvé par le ministre régional de tutelle de l’époque, Philippe Henry
(Écolo), à rebours des positions prises par son parti dans ce dossier. Ce
P.R.U. évoquait une « émergence possible
le long des quais » pour répondre architecturalement à la gare, mais il ne
prévoyait pas de hauteur maximum. Les immeubles du quai de Rome culminent à une
vingtaine de mètres, la tour des finances architectes Jaspers & Eyers en
fait 118. Aucun immeuble de plus de 50 m n’avait été bâti à Liège depuis la
tour Match de Droixhe, avec ses 87 m de haut, en 1978.
Plein
d’ironie, l’auditeur signale que le document dans lequel les autorités
publiques avaient défini leurs intentions urbanistiques initiales prévoyait des bâtiments dans un rapport de
hauteur de 2 à 1 par rapport à ce qui existait déjà dans le quartier. Il se
moque du concept abscons « d’émergences ponctuelles
d’échelle métropolitaine » de la Ville de Liège, afin de justifier une
tour dont la hauteur serait « sans
prescription ni restriction». Autrement dit, le ‘Fuck Context’ du pape des
stararchitectes Rem Koolhaas. L’auditeur estime en outre que l’enquête publique
portant sur ce PRU a été biaisée.
Pas de discussions sur la mobilité
Les Guillemins sont un carrefour de
circulations multimodales : train, vélo, bus, tram. Mais Dethier
Architecture n’a pas travaillé sur la mobilité. Nous ne casserons pas du sucre
sur le dos des star-architectes qui n’ont pas intégré la multimodalité dans
leurs projets. Tout compte fait, c’est le maître d’ouvrage qui doit les tenir
en laisse. La première gare de Calatrava, à Zurich, est un modèle de
multimodalité. Si les Guillemins seront le contraire, c’est parce que d’autres
intérêts ont joué. La SRWT a abattu trois immeubles place des Guillemins
pour adoucir une courbe du tram alors que, finalement, celui-ci filera comme
une ombre par l’esplanade.
Le projet de la SNCB est donc ‘on
hold’. L’autre joueur, Fedimmo, a déposé à côté de sa tour un projet Paradis
Express prévoyant sept immeubles, avec 20.000 m² de bureaux, 171 logements + un
développement commercial marginal. L’enquête publique relative au permis unique
s’est achevée le 5 juillet 2017 et le permis devrait être délivré prochainement.
Un troisième larron, le groupe Circus qui tient une dizaine de
salles de jeux et deux casinos, est
parti de sa salle Circus et le Quick de la place des Guillemins pour racheter petit à petit neuf
bâtiments : les cafés L’Express et
Century, la Brasserie et de l’Hôtel du Midi, l’Hôtel Métropole, l’Hôtel des
Nations, un night-shop et une cordonnerie et le restaurant Le Duc d’Anjou. Sans
oublier à l’arrière, les ateliers de la miroiterie Maretti. La volonté était de
finaliser le projet pour l’Expo 2017. C’est raté. En 2017 Ardent Group,
ex-Circus crée deux sociétés (Liège Office Center et Hotel Guillemins) :
1.500 mètres carrés de surfaces commerciales au rez-de-chaussée et 15.000 m2
de bureaux aux étages, gérés par Liège Office Center, créée pour la cause.
Mentionnons encore le Groupe Horizon au bout de la rue Paradis,
où s’étalent actuellement douze petites maisons ouvrières et quatre autres à
l’arrière ainsi que l’ancien parking du garage Mitsubishi situé au milieu de l’îlot.
En 2012, lors des premières esquisses, il était prévu de construire 150
logements, s’étalant de quatre à neuf étages. En 2016, le nombre de logements est
réduit de 150 à 100, sur quatre étages maximum.
Trop de bureaux ?
La région liégeoise offre aujourd’hui 485.000 m2de
bureaux. Lors d’un colloque en 2009 de l'ASBL Études&Expansion, Bernadette
Mérenne, professeur de géographie économique à l'ULg, et Christophe Nihon,
patron d’Immoquest déclarent que Liège
connaît une pénurie. Liège a entre 30000 et 50000 m2 de vieux
bureaux qui n'auront jamais de repreneurs, explique Bernadette Mérenne. Ces vieux’ bureaux se trouvent où ? Au
cœur de la ville qui après ses commerces se videra de ses bureaux ? Et si
on accepte encore l’estimation de 50000 m2 de vieux bureaux, cela
nous laisse quand même encore 435.000 m2 de bureaux aux normes. Auxquels s’ajouteraient rien qu’au Guillemins 20.000
m2 de Fedimmo, 15.000 m2 de Liège Office Center et 60.000
m2 de la SNCB.
Christophe Nihon d’ImmoQuest est le gourou du
marché immobilier de bureaux à Liège. C’est lui qui met le ton à la Mipim à
Cannes. Il voit un potentiel de 100.000 m2 nouveaux. Il a enregistré
ces cinq dernières années 437.000 m² de demande, et un bon tiers n'a pas pu
être rencontré. M. Nihon n’est pas à une contradiction près: une demande de
437.000 m2, alors qu’il cite une capacité de 485.000 m2
de bureaux ? Il avoue que son take-up (= prise en occupation) est en
baisse depuis 2012 (il est passé de 15 à 10.000 m²), mais c'est "parce que les produits de qualité qui
correspondent aux besoins des clients ne sont pas disponibles sur le marché".
Il y aurait une demande immédiate pour au moins 25.000 m2
supplémentaires. Faute d’offre, les
loyers pour les bureaux sont parfois plus importants à Liège qu’à Bruxelles. Et
alors que le taux de vacance est de 12 % dans la capitale, il n’est ici que de
0,6 %. Christophe Nihon reconnaît que sa vision du take-up est spéciale parce
que "je ne prends en compte que les
immeubles pris en occupation, achetés ou loués, alors qu'ils étaient réellement
disponibles sur le marché. Les
immeubles construits pour occupation propre ou les grands bâtiments destinés à
un occupant prédésigné comme la Tour des Finances n'entrent pas en ligne de
compte ou sont lissés dans mon évaluation du take-up ».
Nihon balaye le danger de concurrence de la
périphérie: Liège Airport, l’Office Park d’Alleur, le Cristal Park de Seraing
avec l’argument que l'ensemble du marché liégeois des bureaux (centre et
périphérie) ne fait que 600.000 m² environ, contre 1,25 million à Gand, 2
millions à Anvers et 13 millions à Bruxelles.
Une surcapacité de bureaux. Et le logement ?
Bref, la fameuse esplanade devant la gare est
une arène où s’affrontent des promoteurs immobiliers qui sont en concurrence
féroce entre eux, et en concurrence avec les projets en périphérie. On va tout
droit vers des surcapacités, dont la première victime sera le centre ville avec
ses ‘vieux’ bureaux…
Je n’ai pas abordé ici la mobilité : tous
ces scribes devront arriver sur leur lieu de travail. Or, le Réseau Express
Liégeois reste une vaine promesse, à part la ligne 125A vers Seraing. Et le
logement : combien de logements faudrait-il pour remplacer les centaines
de maisons détruits ?
Tout ça pour le Fata
Morgana d’un nouveau quartier d’affaires que d’autres villes abandonnent
déjà La concentration monofonctionnelle de bureaux devient tout doucement une
hérésie urbanistique. Partout, sauf à Liège.
Remarque : nous avons
utilisé partout le terme sncb afin de simplifier l’exposé. En réalité il y a
derrière une structure très complexe
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