A l’occasion des élections communales, j’ai
fait un peu le bilan des grands projets d’urbanisme à Liège. Voici le premier :
la Chartreuse.
S’il y a un projet symptomatique de la
faillite d’une approche PPP (Partenariat Public-Privé), c’est bien la
Chartreuse. Ce site recèle un patrimoine militaire, religieux, minier et
paysager unique.
Deux ans après
l’abandon du site par la Défense nationale, en septembre 1983, la Ville
de Liège proposa encore 138 modifications au plan de secteur pour éviter le
dépeçage du site par les promoteurs. Mais en 1988, quand l’écolo Raymond Yans
proposa la préservation du domaine boisé, il l’assortit de l'offre à la
promotion privée de 70.500 m2 constructibles. L’année après, en 1989,
la ville affecte 14,67 ha du plateau en Zone d’Aménagement Communal Concerté
(ZACC). En soi, cette affectation ne
signifie pas nécessairement une urbanisation. La preuve : deux ans plus
tard, en 1991, le site est classé pour
son intérêt patrimonial et environnemental.
En 1993, devant la volonté de l’armée de
vendre le site pour quelque 35 millions, on envisage encore une fondation, avec
la Défense nationale, la ville de Liège, la Région wallonne, la Fondation Roi
Baudouin et des ASBL d'horizons divers. Mais on envisage la cession des zones
d'extension d'habitat à un promoteur immobilier comme une des sources de
financement.
Vers 1994 la Région propose à la Défense nationale 7 millions de FB pour la zone
verte non encore propriété publique (la Ville avait déjà racheté le parc des
Oblats). Mais pour l’échevin des de l'urbanisme la préservation de la zone
verte n’est pas prioritaire, mais bien de ‘rendre
l'habitat urbain plus attractif’. Selon lui Liège ne dispose pas des 30 à
40 millions demandés par la Défense nationale. Liège devra donc trouver un ou
plusieurs partenaires privés.
Il faut aider les promoteurs à réussir leur projet ?
Et c’est ici que ça se corse. Fin 2003, Immo Gérardrie achète une partie en vente publique,
pour 2,5 millions €. «Il faut aider les
promoteurs à réussir leur projet », plaide l'échevin. Immo Gérardrie
divise très vite le site en trois lots, dont un acheté par MATEXI qui est à la
manœuvre aujourd’hui. L’asbl La Chartreuse remarque judicieusement que la réalisation
de ce projet est surtributaire du fait que des promoteurs sérieux s'intéressent
aux lots 1 et 3. Le réduit étant le cadeau empoisonné, comme l’asbl le dit
depuis vingt ans, ces promoteurs « pensent
que les pouvoirs publics devront s'impliquer si ils veulent vraiment, comme ils
le prétendent, un avenir pour le domaine ».
Cela n’empêche pas l'échevin de défendre le
soi-disant projet immobilier d’Immo Gérardrie ; en fait un saucissonnage. A
ce moment déjà, les promoteurs veulent que les remparts soient refaits par la
ville. L’argument que la Ville n’a pas les moyens est démoli par les
investisseurs même : ils veulent que la Ville casque pour la sauvegarde du
patrimoine !
Une « charrette urbanistique » : un terme qui provient tout droit de la boîte à outils de Matexi !
En 2004 la ville lance un schéma directeur baptisé « charrette urbanistique ». Le terme’charrette’ provient tout droit de la
boîte à outils de Matexi !
En 2004 le conseil communal de Liège reprend
la Chartreuse dans cinq ZACC’s prioritaires. Le Rapport Urbanistique
Environnemental obligatoire, adopté fin 2008 par le conseil communal, adopte à
l'unanimité, suggère de demander le statut de Site A Réaménager qui
ouvre le droit à des subsides régionaux mais « un tel projet n’est pas intéressant pour un promoteur privé: la
rénovation lourde du fort ne permet pas un bénéfice important. Qui plus est,
une part importante du terrain est consacrée à des espaces publics et
communautaires qui ne rapportent pas d’argent au promoteur. Des transactions ont encore eu lieu
récemment sur certaines parties, témoignant d’une certaine spéculation
autour de l’avenir du site ».
Le rapport demande le couplage du réaménagement de la zone centrale à celui de la zone sud
et nord, bien plus rentables, ce qui permettrait d’équilibrer le déficit de la
zone centrale par les bénéfices sur les deux autres zones. Afin de garantir le
réaménagement de la zone centrale, un phasage devra être mis en place tout en
évitant que la dégradation du fort se poursuive».
Le rapport demande obligatoirement un
aménagement avant la mise en œuvre de la ZACC. Mais au lieu d’un phasage on aura un
saucisonnage… Dix ans plus tard l’échevin Hupkens doit constater que cette zone
centrale est irrécupérable ou déjà démolie à moitié.
Entretemps Gérardrie Immo est racheté par Immo
Chartreuse dont la seule activité se résume aujourd’hui en démolitions et abattage
d’arbres, sans autorisation. L’échevin Firket reconnaît qu’Immo Chartreuse est
en infraction à plusieurs niveaux. En 2015 Immo Chartreuse demandera encore un Avis d’urbanisme pour
84 logements, dans l'ancien bâtiment principal, avant de disparaitre des
radars…
En 2013 Matexi dépose une demande de permis qui
n’est jamais mis en œuvre, parce que le promoteur lie la réalisation à
l’avancement des travaux chez les investisseurs voisins avec qui, selon l’échevin
Hupkens, il n’y a plus aucun contact. En 2017 l’enquête publique sur un avis
d’urbanisme de MATEXI pour 74 logements suscite 5.000 réclamations: la palme de
la mobilisation citoyenne! Fin novembre 2017, le lendemain de deux
interpellations au Conseil Communal, Matexi retire sa demande de permis.
Un Air de Chartreuse demande à juste titre la
révision de la RUE de 2008.
Depuis le départ de la
Défense et surtout depuis la vente de 2003 les
PPP se sont montrés une voie sans issu. Il faut dénouer ces partenariats.
D’autant plus que le saucissonnage du site en trois lots a rendu toute
solidarisation des coûts d’un aménagement global impossible.
L’ensemble du site est classé depuis 1991 par
arrêté ministériel pour son intérêt patrimonial et environnemental. C’est la
plus grande zone verte de la ville, le quartier est incapable d’absorber
l’augmentation de volume de trafic lié à une urbanisation. Or, le projet Matexi
n’est que la première phase d’un plan plus large prévoyant la construction de
plus de 400 logements sur 20 ans ! Or si Liège manque cruellement de logements
publics et sociaux, il ne s'agit pas de cela ici et maintenant ... mais bien de
logements privés.
photo guilleaume mora-dieu |
Mes autres blogs sur la Chartreuse
http://hachhachhh.blogspot.be/2018/02/37ieme-balade-sante-mplp-la-chartreuse.html
http://hachhachhh.blogspot.be/2017/12/la-chartreuse-et-les-liens-avec-longdoz.html
http://hachhachhh.blogspot.be/2017/12/la-chartreuse-et-son-patrimoine_23.html
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