Avec Gustave Marissiaux, je découvre un gardien monumental de notre patrimoine minier.
En 1905 le Syndicat des charbonnages liégeois commande
150 vues à Gustave Marissiaux. Elles serviront de vitrine de l’industrie
minière à l’exposition universelle de Liège de 1905. En guise de mise en bouche sa belle hiercheuse.
Bien sûr, c’est une image romantisée. Les hiercheuses poussaient de lourds
wagonnets sur des rails et qui chargeaient des wagons à la pelle. Mais la
dureté des conditions de travail aussi est présente dans ses photos, malgré les
contraintes d’une commande patronale, avec le travail des enfants qui trient le
charbon à la main dans des hangars froids, sombres et poussiéreux.
Merci à Christian Guilleaume, natif de la
Préalle qui a pu, dans le cadre d’un projet avec ses gamins l'école du
Laveu, où il était instit, recopier des plaques de Marissiaux. La plupart des
photos reprises dans ce blog viennent de lui.
Les lucarnes de l’infini
Quand le Syndicat des charbonnages lui
commande ces photos qui doivent illustrer, sans les déformer, toutes les phases
du travail exécutées dans les 27 charbonnages liégeois, il est déjà reconnu
comme le chef de file de l’école pictorialiste en Belgique. Cette commande demandera
à Marissiaux et ses deux assistants tout l’hiver 1904-1905.
Marissiaux y pratique pour la première fois la
stéréoscopie. La stéréoscopie vient de
faire fait l’objet de perfectionnements optiques qui accentuent les effets
d’illusion d’un espace en trois dimensions. Le spectateur regardant à travers
les « lucarnes de l’infini »
(célèbre expression de Baudelaire ) se sent complètement immergé dans
l’espace représenté. La houillère y est présentée dans dix bornes
stéréoscopiques et obtient le grand prix de la section
« photographie ».
Marissiaux ne se contente pas de produire un document destiné à
ce qu’on appellerait aujourd’hui de la communication d’entreprise. Il tire en
diapositives une série de quatre-vingts vues qui sont présentées lors de la
séance publique annuelle de projections lumineuses organisée par la section
liégeoise de l’Association belge de Photographie. La séance n’est pas
accompagnée d’une musique orchestrale, mais par un pianiste anonyme caché
derrière l’écran.
Il tire des épreuves sur papier pour le Salon d’art
photographique au Palais des Beaux-Arts dont le règlement stipule que les vues
stéréoscopiques sont interdites.
Il n’y a pas que les effets stéréo. Il
exploite ingénieusement les possibilités de la profondeur de champ. Une lanterne
de sécurité permet de photographier les travaux souterrains à la lumière
artificielle sans craindre un coup de grisou. En plaçant cette lanterne sur un
axe différent de celui de la prise de vue, Marissiaux obtient de saisissants
jeux d’ombres comme on n’en avait jamais obtenus, avec une si grande netteté,
dans les rares photographies de mines antérieures. La Houillère est un vrai
succès, couronné par un Grand Prix de l’Exposition de 1905.
Il travaille aussi sur la photographie en
couleur à partir de 1911 à partir de la méthode de l’Anversois Joseph Sury.
Jusqu’en 1922, en plus d’exposer dans des
salons d’art photographique, Marissiaux présentera régulièrement La Houillère à
travers l’Europe. Ses soirées de projection « Marissiaux » s’imposent comme des
rendez-vous mondains.
La subjectivité au cœur des débats.
Marissiaux a rallié le pictorialisme (pictorial photography), parti d’Angleterre. La subjectivité est au
cœur des débats. Les épreuves exposées sont appréciées pour la sensibilité,
l’inspiration et le goût artistique du photographe dont la personnalité doit
s'exprimer à travers ses images. Marissiaux écrit: «Ce qui fait le charme de l'œuvre de l'artiste, c’est qu'il ajoute à la
caractéristique du sujet son idée propre, son âme même. C'est cette âme qui
vibre, c'est elle qui nous attire, c'est elle qui nous émeut ».
Marissiaux n’est pas insensible aux conditions de travail dans les mines
Dans la perspective industrielle qui est demandée au
photographe, le mineur n’est qu’un instrument occupant une fonction précise
dans l’organisation du charbonnage. Le personnage principal du documentaire
photographique n’est pas l’homme, c’est le charbon. Néanmoins, Marissiaux n’est
pas insensible aux conditions de travail des ouvriers qui défournent le coke
dans les vapeurs toxiques, des hercheuses qui poussent de lourds wagonnets sur
des rails et qui chargent des wagons à la pelle, des enfants qui trient le
charbon à la main dans des hangars froids, sombres et poussiéreux. Alors que
les consignes de ses commanditaires ne lui permettent pas de représenter la vie
quotidienne des mineurs en dehors de la mine (il ne va pas dans les corons), il
photographie à plusieurs reprises les glaneuses qui, sur le terril, récoltent
les derniers morceaux de charbon qui ont échappé au triage et les emportent
dans de lourds sacs portés sur le dos.
Bien sûr, ce que nous interprétons aujourd’hui comme une
dénonciation des conditions de travail a passé à l’époque la ‘censure’
patronale parce que ces situations étaient pour eux l’évidence… Voici par
exemple une « paraphrase »
pontifiante déclamée par le président du Club d’amateurs photographes de
Bruxelles à la séance de projection
organisée par l’Association belge de Photographie. Ca en dit long sur
l’aveuglement de la bourgeoisie belge à l’égard d’une réalité aussi éloignée de
ses préoccupations. « Hiercheuse ! Tu es la volonté faite femme, la grâce
frémissante vêtue de loques, le courage dans le geste du labeur ! Tu es la
synthèse de ce que la mine a de sentiment, de sympathie, d’attirance !
Hiercheuse ! Debout, fière, le regard franc, rompant le ciel et la terre
de tes formes sombres serties d’une caresse de soleil flamboyant, tu es le
profil géant du symbole de la mine ».
Le cinéma et les séances publiques de projections d’images photographiques
En 1895, à l’âge de 23 ans,
Marissiaux adhère à la section de Liège de la puissante Association belge de
photographie (ABP). Il s’installe comme photographe professionnel en 1900.
Le cinéma se propage sur les champs de foire. D’un autre côté, des séances
publiques de projections d’images photographiques connaissent une vive
expansion. Marissiaux crée des oeuvres
artistiques spécifiquement conçues pour ce dispositif. Il y a le réalisme
photographique du documentaire industriel et il y a le réalisme social du drame
cinématographique. Pathé sort en 1905 un film « Au pays noir », de Lucien Nonguet et Ferdinand Zecca. Dans le cinéma minier il y aura en 1913 Germinal d’André Capellani.
Chaque année, la section liégeoise de l’ABP
organise des séances publiques de projection au nouveau Conservatoire royal
(1500 places), accompagnées d’une musique originale composée par Charles
Radoux, professeur au même Conservatoire (deux solistes, un choeur de quatorze
interprètes et un orchestre comprenant un piano, deux violons, un alto, deux
violoncelles et le grand orgue) et d’un ‘poème dramatique’ écrit par
Richard Ledent et déclamé par Marguerite Radoux, l’épouse du compositeur. Une
nouvelle forme d’« art total » :
ces projections deviennent des spectacles à part entière.
Les bénefs de ces soirées mondaines sont
offerts à des sociétés caritatives telles que « les Pauvres honteux », « les Chauffoirs publics » ou encore « l’Oeuvre des enfants moralement abandonnés ». Ils proviennent
principalement de la vente des programmes luxueux conçus par Marissiaux et
illustrés de reproductions de ses oeuvres en photogravures. Ces programmes
étaient vendus au prix de vingt francs pièce.
Marissiaux bien vivant
Cette œuvre exceptionnelle ne sera
redécouverte qu’à la fin du XXe siècle. Henri Delrée, ingénieur civil des Mines de
l'Université de Liège, évoque ces photos dans ses riches souvenirs professionnels:
« J’ai toute une série de photos de
Marissiaux où l’on voit des femmes qui transportaient, manne après manne. Il
fallait que le charbon - du 10/20 ou du 20/30, qui était utilisé dans les
foyers domestiques - arrive sans fines et sans destruction dans les caves des
particuliers. On déposait les morceaux de charbon dans des mannes et on
chargeait manne après manne, les bateaux et également les charrettes de charbon
- ce que l’on appelait en wallon des «clitchèts»
Les
archives du Corps des mines sont d’une richesse invraisemblable, elles datent
de la loi de 1810 sur les mines. Elles sont aux Archives Générales du Royaume.
Celles du régime français sont restées à Paris, celles du régime hollandais
sont restées à La Haye et ne sont revenues en Belgique qu’en 1842. Et
maintenant, je les reclasse parce que je crois que je suis le premier qui dépouille
ces dossiers-là .... J’ai fait tous les dossiers de demandes de concessions du
bassin de Liège ».
Le 29 octobre 1986 René Leboutte,
conservateur au Musée de la Vie Wallonne, fait un exposé sur "la condition ouvrière au 19e siècle"
lors un colloque sur les grèves de mars 1886 en Wallonie. Yves Moreau,
conservateur au Musée de la Vie Wallonne, y a présenté l'œuvre photographique
de Gustave Marissiaux, "premier reporter" des conditions de travaildes mineurs liégeois, avec quelques diapositives particulièrement
significatives.
Le Fonds du Musée de la Vie wallonne a des Marissiaux.Le fonds « La Houillère » des Archives de Wallonie, détenu par le Musée dela photographie à Charleroi, comprend 68 dias stéréoscopiques verre, 2 dias verre et 53 tirages. Le fonds des photographies stéréoscopiques comprend 450 vues.
Je termine par un appel à mes amis photographes (il y en a un paquet qui font des merveiles) : cela ne vaudrait-il pas la peine de reprendre ces dias stéréoscopiques par des méthodesstéréoscopiques modernes, en séparant les vues gauche et droite par les couleurs (anaglyphes), en lumière polarisée ou par filtres Infitec ?
Biblio
Marc-Emmanuel MELON, Gustave Marissiaux. La
possibilité de l’art, Charleroi, Musée de la Photographie, 1997
Marc-Emmanuel MELON, Paradoxe esthétique et
ambiguïtés sociales d’un documentaire photographique : La Houillère de Gustave
Marissiaux (1904-1905), dans Art et industrie, Art&Fact, numéro 30, Liège,
2011, p. 146-156
Yves MOREAU, dans Nouvelle Biographie
nationale, t. II, p. 270-271 Gustave Marissiaux, l' un des premiers
photographes miniers. ce cliché de lampisterie.
https://i.skyrock.net/5136/40685136/pics/3018039799_1_3_K9etZcWJ.jpg
https://i.pinimg.com/564x/d5/58/07/d558079f73bf91e7585a7a94a64408aa.jpg
sous le triage
http://www.wittert.ulg.ac.be/fr/images/i_35/b35475z.jpg
le terril
http://www.wittert.ulg.ac.be/fr/images/i_35/b35476z.jpg
retour au coron
http://www.numeriques.cfwb.be/index.php?id=6&no_cache=1&tx_cfwbparcourspeps_pi1[uid]=65
pas copiable diapositive stéréoscopique
sur verre.
https://www.google.be/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=12&ved=0ahUKEwi84-rIoYLZAhWRXMAKHbflA9UQFghUMAs&url=https%3A%2F%2Forbi.ulg.ac.be%2Fbitstream%2F2268%2F62102%2F1%2FMarissiaux1%253AChap.%25201%2520%2526%25202.pdf&usg=AOvVaw1lvNPVyn4YymYvsmsWnUx3
https://orbi.uliege.be/handle/2268/183961
Projections photographiques et cinéma des
premiers temps : La houillère de Gustave Marissiaux et les origines du cinéma
minier Mélon, Marc-Emmanuel ulg, Revue Intermédialités 24+25 2014- 2015.
https://orbi.uliege.be/handle/2268/62102
Gustave Marissiaux. La possibilité de l’art.
L'oeuvre photographique de Gustave Marissiaux
: du pictorialisme au documentaire industriel. Mélon, Marc-Emmanuel Musée de la
Photographie Poétique du regard dans un
monde indiscernable. L'art de la stéréoscopie. Pictorialisme et société.
Eléments de biographie de Gustave Marissiaux (1872-1929).
1 commentaire:
https://www.flickr.com/photos/184133722@N04/albums/72157710840020987
Cordialement
peppin
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