" Un air de Chartreuse », c’est aussi un air de charbon et deux galeries
minières. J’ai eu l’occasion de visiter l’areine de Benoit Mahaux en-dessous de la ferme de la Chartreuse. Elle
appartenait anciennement aux Petites Sœurs des Pauvres et je suppose que c’est
ce nom qui restera dans les mémoires. La confusion est aisée avec la galerie de la Chartreuse
(beaucoup plus grande et qui passe sous Robermont). Cette galerie servait à
amener le charbon au chemin de fer. Cfr mon blog http://hachhachhh.blogspot.be/2017/12/le-patrimoine-minier-de-la-chartreuse.html
M. Mahaux en est le
propriétaire : c’est ce que lui a appris le promoteur Coenen qui lui a
vendu la ferme. Il est le seul areinier dans le coin. Attention : ça n’a
pas toujours été ainsi. Les Dames de
Robermont avaient une areine aussi. Et quatre xhorres (synomyme pour araine ou
exhaure) s’échelonnaient de Grivegnée à Robermont. L’Avenue de la Grande Rôtisse de Belvaux réfère aussi à une
mer d’areine.
Et un œil d’areine du 16ième
siècle passait sous la chaussée dans le biez de Wez qui longeait à cet endroit
la route de Liège à Chênée (R. Dumoulin Si Grivegnée m’était conté, p.168 et p.5 Noir Dessoin productions). Je
ne sais pas où est partie la communauté de Robermont. En 1796 l'abbaye de
Robermont a été vendue dans le cadre de la suppression des communautés
religieuses et la nationalisation de leurs biens.
Une areine pour xhorrer ou exhaurer l’eau des charbonnages
l'areine en dessous du Musée de la Vie wallonne |
L’ areine des Petites
Sœurs des Pauvres a approvisionné le couvent en eau potable, mais a été creusé
en premier lieu pour écouler (xhorrer, exhaurer) l’eau des charbonnages. Elle
couvre aujourd’hui tous les besoins en eau de la ferme, ainsi qu’une citerne
bien plus grande sous la cour de l’ancienne abbaye.
Quand le promoteur Laurent Minguet a creusé au dessus de la ferme pour des
garages, il a bouché une galerie. Benoit Mahaux a eu peur, parce qu’il utilise
l’eau de l’areine. Mais finalement il a toujours un débit suffisant.
Mais en tant
qu’areinier, il aurait pu lui intenter un procès, et il avait à mon avis des
bonnes chances de le gagner. J’expliquerai plus loin sur quelles bases. Je le
résume en quelques mots ici: l’areinier est propriétaire de la mer desservie
par l’areine. Cette mer, c’est tous les vides laissés par l’exploitation
charbonnière qui se sont remplis d’eau ou qui auraient pu l’être si cette
areine n’avait pas existé.
Une areine qui bloque la SPI
Je ne suis pas
juriste, et c’est pour moi en quelque sorte un jeu d’esprit. Mais je signale
quand même que j’ai pu ainsi aider les riverains du zoning des Hauts-Sarts dans
leur un recours contre l’extension du zoning sur 60 hectares. La SPI a dû geler
le projet sur la moitié, parce que dans ces 30 hectares se trouvent la 4ième,
la 5ième, la 6ième et la huitième bure
de xhorre, tous de +- 60m de profondeur, mais on ne sait pas où. C'est des
bures techniques ont servi d'aération et d’évacuation des débris à l’areinier Jean
Nopis lors du creusement de son areine en 1622.
Son oeil était situé au hameau de Wérihet à Vivegnis. Elle drainait une partie des charbonnages de
Vivegnis, d'Oupeye et des Hauts Sarts. Lorsque
le tout jeune état belge impose le système des concessions, ces puits de
service n’ont pas été inventoriés. Et comme le fermier interdit l’accès à ses
terres, la SPI a dû geler 30 hectares…
Une visite à cette areine
Araine Biquet-Gorée Wérihet photo xhorre Nopis |
Mais, pour commencer,
des larges extraits d’une visite à l’areine Mahaux, sur base d’un beau compte-rendu de Vincent Gerber, avec Jack London, Renaud Bay, Véronique
Korosmezey et Benoît Mahaux, le
propriétaire des lieux.
« Une taque a été aménagée dans la cour,
pour remplacer l’ancien accès (une trappe à même le sol du salon !). L’areine
remplit une citerne qui couvre tous les besoins en eau de la maison. Des
analyses ont été jugées bonnes, et puis, si des moines ont bu de cette eau
durant sept siècles, la qualité doit être assez constante... Les Liégeois ont bu jusque dans les années 80 l’eau
de l’areine de Richonfontaine récupéré par la CILE.
La progression dans la galerie n’est pas
toujours reposante pour les grands formats, malgré des portions joliment
maçonnées de gros moellons de calcaire. Un premier départ de galerie murée et
remblayée s’ouvre à droite. Ensuite, nous croisons deux élargissements
successifs formant comme des portes, probablement des veines exploitées.
Après avoir dépassé deux autres départs de
galeries comblées et à moitié murées, on arrive à un carrefour au niveau du
petit barrage de captage d’eau. Vers la gauche, on découvre un puits
remontant d’environ 4 m en pleine roche, fermé
par un mur de briques rouges dans lequel on peut voir une cheminée qui poursuit
vers la surface, fermée au-dessus par une plaque métallique. Une échelle en
bois pourri gît encore au sol.
On arrive ensuite à un carrefour. Une galerie
remblayée jusqu’à mi-hauteur part sur la gauche, après quelques mètres elle se
subdivise encore avec arrêt sur remplissage de chaque côté.
De l’autre côté, la pente s’accentue légèrement
et le petit ruisseau fait un joli bruit de cascatelles. Nous voyons apparaître
les premières veines de charbon, d’abord très fines, puis de plus en plus
larges.
Nous atteignons une veine de charbon beaucoup
plus importante, traversée par d’innombrables racines. Elle a visiblement été
exploitée sur une certaine distance, formant une galerie sombre encombrée de
ces guirlandes végétales. Trois petits
murets pourraient cacher d’autres
galeries. Un peu plus loin, une cheminée au plafond est barrée par un mur : ancien accès ou
éboulement ?
Après une belle portion de galerie avec
banquettes le long du ruisseau, nouveau
départ à gauche, beaucoup plus bas de plafond. La galerie mène à un superbe
puits en gros moellons calcaires de 1,5
m de diamètre. On peut juste y passer la tête entre deux blocs, mais il y a
visiblement de la profondeur, et il remonte sur 6 m avant d’être fermé par une
voûte en poutres et briques. Plus loin, on arrive à une fourche terminale, les
deux côtés étant comblés par un mélange d’éboulis et de boue. Des spéléos sont
venus creuser il y a quelques années, mais la boue a regagné du terrain depuis.
Nous respirons assez mal, il doit y avoir du CO2, nous décidons de nous en
tenir là pour l’instant ».
On peut lire le compte-rendu d’un autre visiteur Christophe Cattelain, avec Vincent Duseigne
alias Tchorski.
Enfin, R. Levêque du
C7-CASA avait été contacté par la propriétaire du car-wash de Cornillon en bas
de la colline pour récupérer l’eau en vue d’alimenter son commerce (Regards N° 82 – 2016).
Le cens d’areine
En fait, une areine
est beaucoup plus qu’une galerie. C’est tout un système. C’est ce que nous
apprend le 'Traité des Arènes,
construites au Pays de Liége, pour l'écoulement et l'épuisement des eaux dans
les ouvrages souterrains des exploitations de mines de houille' de Mr De
Crassier, membre des états de Liège. Il a écrit son traité en 1827, pour
justifier le cens de l’areine. Les propriétaires d’une areine avaient droit à
+- 1/80ième du charbon exploité dans toutes les veines qui sans
cette galerie se seraient remplis d’eau. Quand au 19ième siècle les
charbonnages installent des puissantes pompes à vapeur ils contestent ce cens.
Les tribunaux ont donné raison à M. Crassier, et ont condamné les charbonnages
à continuer à payer cette taxe.
Crassier a invoqué une juridiction réactionnaire,
surannée, que le Royaume de Belgique a décidé de garder, en minimisant le
principe de la révolution française que le sous-sol appartient à la nation.
Voici un peu plus d’explications sur cette
juridiction qui était très familière à des dizaines de générations de
houilleurs, mais que nous ne comprenons plus, avec des larges extraits de ce
Traité, publié en 1827 chez C.A.
Bassompierre, imprimeur de la Régence. Pour faciliter la lecture j’ai fait des
coupures sans mettre des guillemets, mais j’ai laissé l’orthographe d’époque.
Areine, araine, 'arènes, Arhaine, xhorre, steppement et Mahais
Areine, araine, arènes,
arhaine, xhorre : la pensée de Mr De Crassier ‘éprouve un vide immense, lorsqu'embrassant le mot arène dans toute
l'étendue de l'acception, on le remplace par celui de galerie d'écoulement’.
Celui-ci n'est propre qu'à la partie de l'arène, depuis son oeil jusque aux
points où elle pénètre dans les couches des mines; cette partie est celle que
le mineur liégeois, appelle 'Mahais' de l'arène.
La construction des arènes a exigé des
capitaux qui aux treizième, quatorzième et quinzième siècles n'étaient point à
la disposition du commun des hommes. Commencée à son oeil (embouchure), l'arène
est poussée jusqu'à la mine qui se présente la première, en observant
l'inclinaison nécessaire à l'écoulement des eaux. Ce point de rencontre, s'appelle
'Steppement'.
L'arène étant construite depuis son oeil
jusqu'au 'Steppement', l'arènier avait rempli sa tâche et se trouvait 'ipso facto' en titre de jouir des
droits, prérogatives et privilèges de priorité que lui avaient promis les lois
du pays.
Un district circonscrit par les failles ou serres et une mer d’eau
Chaque arène avait son district circonscrit,
soit par les 'failles' (roches qui,
de la profondeur s'élançant à la superficie, coupent toutes les couches et
rompent leurs marches), soit par les serres que les arèniers mettaient en
réserve sous la Sauve-Garde des Lois, pour la conservation des arènes. La Paix
de St. Jacques les assurait à l'extrême limite de leur arène, ou bien, 'à la dernière pièce de leur acquet',
des massifs de houille auxquels il était sévèrement interdit de toucher.
L'arène poussée au Steppement, c'est-à-dire,
jusqu'à la mine où s'établit son niveau, se poursuit dès lors en oeuvre de
veine et est progressivement conduite d'un bure à l'autre, soit par des xhorres
soit par les vides des extractions mêmes. Toutes les eaux qui inondaient la
mine ont dû au fur et à mesure qu'on leur donnait ouverture, se précipiter sur
l'arène.
C'est ainsi que s'est établi progressivement
pour tout le district houiller d'une arène, un seul et unique niveau. Ce niveau
est appelé par les mineurs, 'mer d'eau'.
Cette mer d'eau s'étend au fur et à mesure que
les extractions avancent. On pourrait croire peut-être que le domaine de l'areinier
finit là où son Steppement commence; nenni valet ! Mais avant de parler de
ses droits et de ses prérogatives, il est indispensable d'exposer ce qu'on
entend par 'pourchasses et rotices
d'arène'.
Pourchasses et rotices d'arène, xhorres et percemens
photo F. Muller |
La Paix de St-Jacques de 1487 adjuge 'toute l'arène' à celui qui l'a
commencée. Elle tient pour arène 'toutes
ses eaux pourchasses et rotices'. Un record de la cour du charbonnage de
1607 stipule que ‘les vuids ouvrés et vacuité avec tous les ouvrages faits par le moyen
et bénéfice d'aucune arène, sont réputés pour limites, pourchasses et rotices
d'icelle arène, laquelle sert de la cause mouvante les dits ouvrages et vuids.
sans laquelle arène, tels vuids et vacuités n'auraient pas été faits."
Donc tous les ouvrages souterrains exécutés
pour l'extraction de la couche de houille où gît la mer d'eau, sont devenus la
propriété de l'areinier; ces vides forment le plateau dominant l'arène. Ce n'est
pas seulement en poursuivant les travaux qui ont commencé au Steppement que le
domaine de l'arène s'accroit, mais bien aussi lorsque des travaux sont mis en
communication avec elle par des 'xhorres'
ou même par de simples percemens.
Cette disposition est bien en harmonie avec l'article 546 du
Code civil : "La propriété
d'une chose donne droit sur tout ce qu'elle produit et sur ce qui s'y unit
". Ici le droit d'accession est une conséquence nécessaire des avantages
que la communication à l'arène va procurer aux exploitants.
Pour donner à la mer d'eau tout son
développement, on pratique dans les bancs de pierre des 'bacnures' ou petits aqueducs au moyen desquels le niveau ou la mer
d'eau se communique d'une couche à l'autre. Ces bacnures constituent ce que
l'on appelle 'Rotices de l'arène'.
Depuis l'oeil de l'arène jusqu'à 'la dernière pièce des acquets de l'arène, (ainsi s'exprime l'art. 2 de la Paix de St.
Jacques) et jusqu'aux parages de
l'arène voisine, les vuids ouvrés, les vacuités, les pourchasses et rotices,
constituent l'arène proprement dite.
Donc, notre propriétaire d’areine Benoit
Mahaux l’est jusqu’aux parages de l’arène voisine. Si je peux me baser sur la
concession accordée à M. Le Coultreux, ça fait 12 km2 !
La serre
La 'Serre'
était cette portion de veine à laquelle il était sévèrement interdit de
toucher, afin que les eaux ne fussent abattues d'une arène à l'autre. L'art. 2
de la paix de St. Jacques dit "que
quiconque a, ou aura ses arènes menées d'ici à la dernière pièce de ses acquets,
il peut, pour la dite arène sauver, retenir tant de charbon que la dite arène
soit sauvée." Ces serres sont à la mer d'eau de l'arène, ce qu'est une
digue à la superficie : c'est à cette digue que l'arène se termine, c'est
jusque là que s'étend son domaine. Dans loi de 1810, serre est remplacé par 'Desponte'.
Le niveau ou mer d'eau était alors un moyen
physique de constater le district d'une areine.
Les ouvrages, entrepris, abandonnés, repris,
pour être abandonné encore, ont laissé dans la profondeur des vides qui
renferment aujourd'hui des amas d'eau immenses. Le domaine de ces eaux s'est
accru au fur et à mesure que se sont multipliées les communications avec les
ouvrages inondés.
Les premières pompes à vapeur parurent vers
1727. Elles remplacèrent les moyens d'épuisement qui s'exécutaient à bras
d'hommes ou à l'aide de chevaux. Selon M. Crassier, loin de cesser d'être
utiles, les arènes devinrent plus nécessaires encore, car elles reçurent les
eaux des nouvelles pompes qui, alors comme aujourd'hui, furent dispensées de
les élever à la superficie.
Donc, et
c’est le blogger que je suis qui reprend la parole, on peut déterminer les
droits de propriété de notre areinier Mahaux en fonction du niveau de sa mer.
Et si au temps des charbonnages les exploitants étaient surtout intéressé par
une bonne évacuation des eaux de leurs ouvrages, notre areinier moderne
pourrait être intéressé par l’effet contraire : remplir au maximum cette
mer pour produire de l’électricité hydraulique au moment où solaire ou éolien
donnent forfait, par exemple. Or, le promoteur immobilier Minguet lui a, en
bouchant une galerie, soustrait une partie de ce capital… Notons que Minguet
risque un procès si suite à la montée des eaux souterrains suite à ce bouchage des
riverains verraient leur cave noyée.
Pourquoi les droits des areiniers le cèderaient-ils à celui d'un prêteur de fond ou de tout autre créancier?
Mais revenons à notre M. Crassier qui
développe (p.73) les titres d'exploitants après l’instauration des concessions
de mines de houille lancées par Napoléon. Ne sont-ce pas ceux qu'ils tenaient
de l'ancienne législation? Tous les ouvrages actuels ne doivent leur existence
qu'aux arènes sur lesquelles reposent toutes les entreprises et desquelles
dérivent, en seconde ligne, tous les droits des exploitants. Je dis 'en seconde ligne', car le titre
primitif de concessionnaire appartient à l'areinier. Si les mines, aujourd'hui
concédées par le Gouvernement, sont d'après la Loi du 21 avril 1810, titre 2,
art. 7, considérées comme propriété perpétuelle, dont les concessionnaires 'peuvent être expropriés dans les cas et
selon les formes prescrites pour les autres propriétés', pourquoi les
droits des areiniers le cèderaient-ils à celui d'un prêteur de fond ou de tout
autre créancier?
Le droit d’un areinier face à une promoteur immobilier
areine Richonfontaine Photo Guy De Block |
En 2009, lors du
creusement du parking du lotissement de
M. Minguet au-dessus de sa ferme, det de son areine, M. Mahaux voit la
continuation de sa galerie et une autre. Il essaye de faire arrêter le
chantier, craignant qu’ils ne bouchent toute l’areine, mais sans succès.
Si vous avez suivi mon
raisonnement basé sur le Traité des Arènes, l’areinier Mahaux a à mon avis
toujours des droits sur le sous-sol. Ces promoteurs ne peuvent donc pas faire
dans le sous-sol ce qu’ils veulent, et certainement pas démolir ce système
séculaire. Pour deux raisons : cela peut faire des dégâts insoupçonnables
en amont de ce bouchon, en causant une remontée des eaux, dans les caves etc.
Ensuite, un argument positif, demain on pourra utiliser la ‘mer’ de l’areine comme réservoir pour
produire du courant hydraulique quand l’éolien ou le solaire font défaut. Et
puis, comme c’est le cas à la Chartreuse, les gens qui utilisent cette eau pour
des buts sanitaires ont des droits.
Je ne veux pas être un procédurier maladif (un
« quérulent processif », dans le jargon juridique). Et cette areine est par sa
nature même la partie la moins visible du patrimoine de la Chartreuse. Mais si
avec ce petit blog j’aurais réussi à faire réfléchir un peu l’un ou l’autre
promoteur, avant d’envoyer pelle et bulldozer, je serais un homme heureux !
Le site "Les areines de Liège" fait le point sur les areines de Liège.
Mes autres blogs sur La Chartreuse
http://hachhachhh.blogspot.be/2018/02/37ieme-balade-sante-mplp-la-chartreuse.html
http://hachhachhh.blogspot.be/2017/12/la-chartreuse-et-les-liens-avec-longdoz.html
http://hachhachhh.blogspot.be/2017/12/la-chartreuse-et-son-patrimoine_23.html
http://hachhachhh.blogspot.be/2017/12/chartreuse-une-nebuleuse-autour-de.html
http://hachhachhh.blogspot.be/2017/12/le-patrimoine-religieux-immateriel-et.html
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