Cet été avons fait du
vélo dans le Ruhr. Nous avons quitté le Ruhr à Hattingen pour monter sur
Wuppertal. Comme à Liège, l’industrialisation dans le Ruhr est partie de
l’industrie textile qui s’est développé à Wuppertal, le long d’une petite
rivière, le Wupper. A quelques kilomètres, il y avait, comme à Liège, des
veines de charbon apparentes. Sprockhövel
met en valeur ce patrimoine préindustriel
d’une manière intéressante. Voir mon blog http://hachhachhh.blogspot.be/2016/12/la-sauvegarde-du-patrimoine-charbonnier.html
Un monorail qui remonte à 1901
La piste cyclable Nordbahntrasse à Wuppertal passe devant la gare Bahnhof Mirke, aujourd’hui
transformé en centre culturel « Utopiastadt«.https://www.clownfisch.eu/utopia-stadt/
Wuppertal est aussi
connu pour son "Schwebebahn", un monorail suspendu ouvert en 1901, et toujours en activité. 20 stations sur
un parcours de 13,3 km, empruntée chaque jour par 82.000 passagers. Douze
mètres au-dessus de la rivière Wupper entre Oberbarmen et Sonnborner Straße. Sur
plus d’un siècle, la ligne a connu peu d’incidents. Et encore : certains
l’ont cherché : un cirque en tournée en 1950 a fait voyager un éléphant
dans le Kaiserwagen. Pris de panique, celui-ci a sauté dans le vide ; il y
a eu quelques blessés légers, mais l'éléphant était à peine blessé. Le seul
accident mortel a eu lieu en 1999: à l'occasion de travaux sur la ligne, un
serre-joint a été oublié avant la remise en service, provoquant la chute d'une
rame entière dans la Wupper. Il y eut 5 morts et 47 blessés. Le monorail a
transporté un milliard et demi de personnes.
Friedrich Engels, ami de Karl Marx
Trèves veut faire du city
marketing avec Karl Marx. Wuppertal le fait avec Friedrich Engels. Un exercice
délicat avec une marchandise explosive. Pour ‘vendre’ Marx et Engels, il faut
se lever tôt ! La ville a voulu une statue pour faire venir chez eux les
Chinois qui viennent en pèlerinage au Marx Haus à Trèves. Ces citymarketeers
ont frôlé la crise cardiaque: ils ont sollicité le sculpteur autrichien
Alfred
Hrdlicka. Ils auraient du savoir que celui-ci s’appelait le dernier Staliniste.
Il est venu avec ‘La Gauche Forte’,
une allégorie directe au Manifeste communiste, où les prolétaires n’ont que
leurs chaines à perdre.
Friedrich Engels, le meilleur ami de Karl Marx, est né à
Barmen, aujourd’hui un quartier de Wuppertal. Les maisons de la famille Engels se
situaient à côté de leurs usines et des maisons ouvrières. Dans ses ‘Lettres de Wuppertal’ il dénonce la
condition des ouvriers et des artisans : « Dans
les classes inférieures règne une terrible misère, surtout parmi les ouvriers
des fabriques de Wuppertal ; la syphilis et les maladies pulmonaires sont si
répandues qu’on à peine à y croire. Rien qu’à Eberfeld, sur 2500 enfants d’âge
scolaire, 1200 n’ont pas la possibilité d’étudier et grandissent à la fabrique…
».
Le père d'Engels, un
homme très religieux et conservateur, a obligé en 1837 son fils Friedrich à arrêter
ses études, pour en faire un commerçant. Face au peu d'appétit de Friedrich
pour cette carrière, son père l'envoie chez un pasteur protestant à Brême.
C'est précisément dans ce cadre que le jeune Friedrich est assailli de doutes
quant à la religion.
En 1841 Engels se rend
à Berlin pour s'acquitter du service militaire obligatoire, et s'engage
volontairement dans une brigade d'artillerie. Pendant son temps libre, il suit
des cours de philosophie à l'Université de Berlin et y rencontre le mouvement
"jeune hégélien". Marx qui a
fait partie de ce groupe avait, à cette époque, déjà quitté la ville.
En 1844, Engels publie
une "Esquisse d’une critique de l'économie politique" pour les Annales franco-allemandes, publiées à
Paris par Arnold Ruge et par Karl Marx. Par son article, Engels ouvre les yeux
de Marx sur la nature du système capitaliste. En 1845, Engels écrit ‘La situation de la classe laborieuse en
Angleterre’, où il est le premier à formuler, avant Marx, l'idée que le
prolétariat n'est pas qu'une classe qui souffre, mais aussi une classe dont la
situation économique intolérable l'oblige à lutter pour son émancipation.
En 1847, il écrit les ‘Principes du communisme’, qui serviront de canevas au Manifeste du parti communiste. Marx et Engels font
connaissance à Paris en 1844. Dès lors s'engage entre les deux hommes une
collaboration de toute une vie. Leur célèbre Manifeste(1847) se veut le
programme de la Ligue des communistes.
En 1848, Engels, comme
Marx, participe activement aux révolutions bourgeoises. Engels s'engage dans
les troupes révolutionnaires dans le pays de Bade. Après l'échec de la vague
révolutionnaire, Engels et Marx s'exilent à Londres. Engels travaille, jusqu'en
1870, dans l'usine de sa famille à Manchester.
La maison Engels (Engelshaus)
La maison natale de
Friedrich Engels a été détruite lors de la deuxième guerre mondiale, en 1943. Le
musée Engels-Haus a été installé dans une des maisons familiales. En 1983 on y
a installé le Museum für Frühindustrialisierung (1750- 1850), le "Musée
des débuts de l'Industrialisation", qui donne un aperçu de
l'évolution technique, sociale et politique dans la région de Wuppertal à l'époque
des débuts de l'industrialisation, au travers de documents historiques, d'outils, de machines,
de maquettes et de différentes bornes informatives.
À côté de l’Engelshaus
il y a aussi un Engelsgarten, un jardin avec un érable, trois hêtres et un marronnier
qui proviennent du jardin de la famille Engels.
Une statue "la gauche forte"
En 1975 Wuppertal décide de se payer une statue dans le
cadre d’un programme d’embellissement du paysage urbain. Une statue d’Engels
pour l’Engelsgarten. Johannes Rau, Ministre-président et ancien maire de
Wuppertal a dû montrer beaucoup de persuasion
devant des gens qui craignaient que la ville allait devenir un "Mecque des
radicaux de gauche ». Le budget était
130.000 DM. Wuppertal engage le sculpteur autrichien de niveau mondial Alfred Hrdlicka. Celui-ci était né en 1928 au sein d'une famille communiste de Vienne. Il avait accompagné son père dans la clandestinité
quand le nazisme a déferlé sur l'Autriche, après l'Anschluss de 1938. Toute sa
vie, il a revendiqué des idées marxistes, et il avait été candidat pour le
petit Parti communiste autrichien lors des élections législatives de 1999.
En 1964, il avait percé lorsqu’il a représenté
l'Autriche à la Biennale de Venise. Mais lorsque trois ans plus tard, il fait le
buste du premier président de l'Autriche au lendemain du nazisme, le
social-démocrate Karl Renner, une "Ligue contre l'art dégénéré" lance
une virulente campagne. Lorsque, en 1986, éclate l'affaire Kurt Waldheim, du
nom du président autrichien qui avait justifié son adhésion à une organisation
nazie par le désir de pratiquer l'équitation, Hrdlicka construit un grand
cheval de bois, monté sur des roulettes, avec Waldheim au-dessus.
Nouvelle polémique, en 1991, avec
l'inauguration à Vienne du Mémorial contre la guerre et le fascisme, installé
juste en face du Musée de l'Albertina : un juif contraint de nettoyer à quatre
pattes la chaussée - d'après des photographies prises juste après l'Anschluss,
au moment où s'est déchaîné l'antisémitisme des Viennois.
A Wuppertal ils auraient pu s’informer un peu
plus sur ce sculpteur qui s’appelait le dernier Staliniste.
Ceci dit, le premier projet présenté par
Hrdlicka était assez innocent: un livre ouvert, d’où marchaient des gens vers
la lumière. Mais L’œuvre n’avançait pas et on se rendait compte que notre
artiste était sur une autre piste: "eine unheimlich starke Hand, eine
unheimliche Linke" (un bras incroyablement fort, un gauche incroyable). Hrdlicka
avait fait une allégorie sur le Manifeste Communiste, où les prolétaires n’ont
que leurs chaines à perdre. Un bras gauche essaye de rompre les chaînes, un symbole
de la liberté pour le prolétariat.
"Muckertal", comme Engels appelait
sa ville natale, (mucken = râler) râlait sec: ils avaient commandé une statue,
mais pas une statue de gauche. Pour le CDU local Engels était un "précurseur
de Goebbels". S’ajoutait
une question financière. Les carrières de Carrare avaient déjà fait l’ébauche du
premier projet de statue, comme elles font d’habitude, et Hrdlicka avait sans
avertir la ville commandé un nouveau bloc de marbre, et demandait pour cela 70.000
DM au dessus de 130 000 Mark convenus.
Quand la ville voulait lui faire payer le
transport et le socle, Hrdlicka voyait
rouge et exigeait 300.000 Mark pour le premier ébauche: „Si Richard Serra peut
faire une œuvre d’art d’un slab, mon ébauche l’est aussi et je me fais cadeau de ma statue Engels à
moi-même ". La ville le traitait de "communiste"; ce qui est le
pire des insultes en RFA. L’artiste a finalement été payé en 1981.
Une seconde statue offerte par la république Populaire de Chine
Et malgré ces avatars la ville a finalement réussi à se glisser dans le circuit
européen des cadres politiques chinois. Certes, en développant une approche
bien originale: Engels a dirigé une usine à Manchester, et a même spéculé avec
succès sur les stocks de coton américains, lors de la guerre d’indépendance.
Et, cerise sur le gateau, trente ans après
l’expérience un peu rude avec Die Starke Linke, la république Populaire de Chine offre une statue d’Engels à Wuppertal La statue de Zeng Chenggang a été installé en juin 2014: pas
de socle, ce qui fait que la statue est presqu’au niveau du spectateur.
Presque, puisqu’elle fait quand même presque 4 mètres. Il porte une citation d’Engels:
C’est les premières phrases du texte d’Engels LE RÔLE DU TRAVAIL DANS LA TRANSFORMATION DU SINGE EN HOMME« Le travail, disent les économistes, est la source de toute richesse. Il l'est effectivement ...conjointement avec la nature qui lui fournit la matière qu'il transforme en richesse. Mais il est infiniment plus encore. Il est la condition fondamentale première de toute vie humaine, et il l'est à un point tel que, dans un certain sens, il nous faut dire: le travail a créé l'homme lui-même ».
Déclin de l'industrie - dessin Engelshaus |
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