La victoire du
collectif «Un air de Chartreuse » sur le promoteur Matexi est l’aboutissement
de décennies de combat, non seulement urbanistique, mais aussi pour la
protection du patrimoine et de la diversité biologique. Dans http://hachhachhh.blogspot.be/2017/12/le-patrimoine-minier-de-la-chartreuse.html
j’ai décrit la galerie minière, Site de Grand Intérêt Biologique (SGIB), ‘cavité souterraine d’intérêt Scientifique
et un élément important de notre
patrimoine minier. Voici un aperçu du patrimoine religieux immatériel et
spirituel de la Chartreuse. Les Chartreux ont donné leur nom au site, mais ils
n’étaient pas les premiers ni les derniers. L’oratoire des Douze Apôtres a
hébergé la dépouille d’un empereur ! Et dans un des quatre couvents du
Cornillon a séjourné une sainte qui a certes dû s’exiler en dehors de la
principauté, mais dont le projet a inspiré
un autre pape.
L’oratoire des Douze Apôtres et un pape excommunié
Au départ il y avait un oratoire, dédié en 1116 par l’évêque Otbert aux Douze
Apôtres. Une chapelle qui a hébergé la dépouille d’un empereur ! Un
empereur excommunié, certes, mais quand même. La dépouille de Henri IV y fut déposée en attendant la levée de
l'excommunication qui permit l'ensevelissement définitif. Ce n’est pas du tout
un fait-divers, mais un évènement majeur dans la querelle des
investitures dans l’Empire Germanique. C’est l’époque où les empereurs
essayaient d’imposer leur système d’église impériale, contre le pape qui se bat
bec et ongles pour garder le droit de nommer ses évêques, au nom du principe
‘démocratique ‘ clero et populo. Dans cette gigantesque foire d’empoigne, entre
1075 et 1125, les évêques liégeois Henri de Verdun (1075-1091) et le bouillant
Otbert (1091-1119) se rangent dans le camp impérial. Les papes se défendent
avec les armes à leur disposition: en 1076, le pape Grégoire VII excommunie
l’empereur Henri IV qui revendiquait, au nom de la "liberté de
l'Eglise", la nomination des évêques par le souverain. L'empereur
remettait l'évêché à son candidat avec deux objets symboliques: l'anneau et la
crosse.
L’expression « Aller
à Canossa « vient de Henri IV : il y demande pardon au pape en
1077. En vain, le pape dépose Henri IV
en 1080 avec une nouvelle excommunication. Henri s’empare alors de Rome en
1084, fait élire un nouveau pape, Clément III, et se fait couronner empereur.
On aurait eu déjà un
premier schisme à cette époque là, si en 1104, le futur Henri V n’avait pas
pris parti contre son père, soutenu par le pape Pascal II qui le délie du
serment fait à son père. Henri V fait incarcérer son père et le force à
abdiquer. Henri IV parvient à fuir, et se rend en 1106 à Liège sous la
protection de son vassal, le prince-évêque Otbert. C’est là qu’il tombe malade
et meurt le 7 août 1106, dans oratoire des Douze Apôtres. Plus dans
http://hachhachhh.blogspot.be/2008/08/notger-le-souabe.html
Un peu plus tard, en
1124, l'évêque Albéron remet l’oratoire
aux Prémontrés. Ils y vénéraient saint Corneille, qui est sans doute à
l'origine du toponyme Cornillon. Il y a cinq saints de ce nom, mais je
suppose
qu’il s’agit du centurion romain Corneille, qui avait fait
mander Pierre pour être baptisé. La scène qui est reprise sur les fonts
baptismaux qui se trouvent aujourd’hui à Saint Barth.
La chapelle des Douze
Apôtres, outre diverses invasions de malfaiteurs, eut à subir les attaques
incessantes du Duc de Limbourg. C’est pourquoi les Prémontrés abandonnèrent en
1288 leur maison de Cornillon. Ils sont partis au Beaurepart-en-Île,
l’actuel séminaire.
Le monastère des prémontrés est transformé en forteresse. L’occupation
militaire dure jusqu’en 1336, date de la prise de la forteresse par les
liégeois eux-mêmes, en lutte contre leur prince-évêque Adolphe de La Marck.
Elle est alors détruite. Le fil est repris un siècle plus tard par les Chartreux. C’est le sujet d’un
prochain blog. Les Prémontrés n’ont pas laissé des vestiges matériels. Et nous
restons dans le patrimoine spirituel avec les 4 couvents du Cornillon.
La léproserie des "quatre couvents de Cornillon" et la Sainte Julienne
Mont Cornillon 1649 la Chartreuse, et à ses pieds, les quatre couvents |
A côté des Prémontrés,
il y avait aussi une léproserie, composés de quatre bâtiments, un pour les
lépreux, un pour les frères qui les soignaient, un pour les lépreuses et un
pour les sœurs attachées à leur service. Les pensionnaires des
modestes cabanes abritant des lépreux disposaient de leur cimetière – la peur
de la contagion - et de leur église, le desservant étant élu par eux-mêmes.
Placé sous la protection d'Urbain III, pape de 1183 à 1185, l'hospice était
connu sous le nom des quatre couvents du Cornillon. Réservé aux Liégeois ayant
reçu le baptême dans une des trois églises de Liège ( Notre-Dame-aux-Fonts, Saint-Adalbert, Saint-Jean Baptiste), les
autres malades devant se rendre à Sainte-Walburge.
L'hospice possédait
une vacherie où Sainte Julienne passa les premières années de sa vie
religieuse. Elle avait perdu ses parents à l'âge de 5 ans et fut confiée au
couvent des sœurs augustiniennes du mont Cornillon qui dirigeaient la
léproserie, mentionnée déjà dans un document de 1176. À 14 ans, Julienne fut
admise au nombre des sœurs et en 1222 elle fut élue prieure. Elle s'efforça
d'établir une meilleures discipline ce qui entraina de nombreux désordres et un
premier sac du couvent. Avec l'appui de l'évêque Robert de Thourotte, elle établit
un nouveau règlement, mais à la mort de celui-ci le couvent fut une seconde
fois mis à sac et Julienne fut l'objet de violence. Il m’est difficile de
savoir si c’était son règlement haï qui a été déterminant, ou les visées de
certains bourgeois de Liège qui cherchaient ainsi à en accaparer les charges.
Elle eut de fréquentes
visions mystiques dont une lune échancrée, « la lune en sa splendeur, avec quelque fracture ou défect en sa rondeur
corporelle ». Sur les gravures les plus anciennes ont voit la lune avec une
espèce d’échancrure ou de tache, tandis que sur les plus récentes les artistes
ont plutôt figuré une barre obscure qui la traverse dans tout son diamètre. Au
cours d’une extase, Soeur Julienne entendit une voix lui révéler l’explication:
« Le globe de la lune figurait l’Eglise
militante et l’opacité, cachant une partie de sa clarté, signifiait qu’il y
avait une ombre dans le cycle liturgique, parce qu’il y manquait une fête:
celle du Saint Sacrement. La Providence voulait une fête triomphale pour le
plus grand des sacrements. Ce jour devait être uniquement consacré à honorer la
Présence réelle de Jésus-Christ dans l’Hostie pour fortifier la foi affaiblie
par les hérésies» (Lambert de Ruyte, recteur de Cornillon, in « Histoire mémorable de
Sainte Julienne, vierge, jadis prieure de la maison de Cornillon », publié en
1598 – cet ouvrage traduit la Vita Julianae du
XIIIe s. qu’il trouva dans les archives du monastère).
Le paien que je suis
n’y pige rien – mais je ne suis apparemment pas le seul à me poser des
questions. Huit siècles plus tard, en 2010, Benoît XVI explique: "La lune symbolisait la vie de l’Église sur
terre, la ligne opaque représentait en revanche l’absence d’une fête
liturgique, pour l’institution de laquelle il était demandé à Julienne de créer
une fête dans laquelle les croyants pouvaient adorer l’Eucharistie pour réparer
les offenses au Très Saint Sacrement."
Julienne se mit à
œuvrer pour cette fête. La première personne à qui elle osa parler de son
projet fut la Bienheureuse Ève de Liège, recluse. Ce qui n’était probablement
pas d’une grande aide. Elle ne serait probablement arrivée à rien, comme la
plupart de ces mystiques visionnaires, si elle n’avait pas trouvé une oreille
attentive chez Jacques Pantaléon, archidiacre de Liège et futur Pape Urbain IV.
Le prince-évêque Robert de Thourotte s'engagea à officialiser le culte
eucharistique dans son diocèse, l’année de son décès, en 1246. Les bourgeois de
Liège s'opposaient à la fête car cela signifiait un jour de jeûne en plus.
L'opposition devenant persécution, Julienne et quelques compagnes quittèrent
leur couvent pour l'Abbaye de Salzinnes, hors de la Principauté.
Jacques Pantaléon
devenu pape sous le nom de Urbain IV voyait dans la Fête Dieu une bonne arme contre les
cathares qui remettaient (entre autres) en question la « présence réelle » du corps et du sang du Christ. Il sort sa bulle
Transiturus de hoc mundo le 11 août 1264. Vingt ans avant, le 16 mars 1244, au pied de la forteresse de Montségur, 200
hérétiques qui avaient refusé de renier la foi cathare étaient montés sur le
bûcher. Leur martyre marque la fin de la croisade contre les Albigeois. Mais
avec ce bucher leurs idées n’étaient pas éradiquées. D’où l’idée d’une fête
Dieu pour consolider cette victoire sur l’hérésie dans les cœurs…
Un patrimoine matériel bien vivant, où des Clarisses remplacent les Carmélites
En 2017, Mgr
Jean-Pierre Delville, évêque de Liège ne pouvait pas demeurer en
reste avec Benoît XVI. Lors d’une conférence de presse, le 7 juin 2017, au Sanctuaire de sainte Julienne de Cornillon, à l’occasion de la 771ème Fête-Dieu, il se
réjouit « de l’intérêt croissant de tant de liégeois et d’ailleurs pour ce
trésor patrimonial immatériel et spirituel de notre cité, l’une des plus
anciennes fêtes liégeoises célébrée à Rome et dans tous les diocèses du monde.
Mais qu’en est-il du
patrimoine matériel ? Le nombre de lépreux diminuant, l'hospice avait
accueilli dès la fin du XIIIe siècle d'autres malades et parfois même des non
malades. Si à ma connaissance il ne reste plus de traces de ces 4 couvents, il
y a un vestige important de ces hospices de l’autre côté du chemin de fer qui a
coupé le site en deux en deux : la Valdor. Je reviendrai sur le
sujet.
Les Carmélites de
Cornillon s’étaient installées au sanctuaire de sainte Julienne de Cornillon en
1860. Après 157 années de présence
contemplative, elles cèdent leur monastère aux Clarisses: trop de différences
d’âges et de soucis de santé, combinés à un manque de vocations. Elles vont
rejoindre d’autres carmels ou des maisons de repos. Les clarisses du monastère
de «Hannut-Bujumbura» les remplacent. La plupart de ces religieuses
belgo-burundaises habitent en Belgique depuis les
évènements de 1994 et leur
couvent de Bujumbura fut co-fondé par deux clarisses liégeoises. Elles viennent
avec des projets : le sanctuaire va développer un nouveau béguinage
contemporain, un projet immobilier qui « va contribuer à la revitalisation
des quartiers d’Amercoeur et de la Chartreuse ». futurs-du-sanctuaire-de-cornillon/ Le futur sanctuaire aura trois pôles
(monastère, sanctuaire ouvert et pèlerinage qui réfèrent aux fondamentaux de
l’époque de sainte Julienne : 1’Eglise, la léproserie, accueil des
pauvres, et agriculture et boverie,
confiée aux clarisses. Une petite hôtellerie de 4 chambres accueillera les
pèlerins du chemin de saint Jacques de Compostelle ou de la Via Mosana. Le pôle
« béguinage contemporain » pourra accueillir 18 laïcs répartis dans huit unités
autonomes de logement. Il est vrai que Liège est un berceau des béguinages, avec
leur curé Lambert le Bègue. Les Clarisses savent-elles que ce curé des béguinages a été condamné en 1177 commehérétique par le concile de Venise parce qu’il préconisait la pauvreté dans
l’Eglise ?
Le Sanctuaire de
Cornillon a même son commissaire apostolique (politique ?), le père
Patrick Bonte, osc. Il a aussi son
ange-gardien. Un « business angel » est sur le projet et on commencerait à
flairer de la spéculation immobilière… Jacques Galloy est un Be Angel, un investisseur privé
individuel qui apportedes fonds, comme un investisseur privé, et de
l’accompagnement stratégique, comme un coach. On se situe très clairement dans
le registre du capital à risque. Ça peut donc être (très) rentable, comme on
peut y perdre beaucoup. Le business
angel peut dégager des « taux de rendement internes » (TRI) compris entre 22 et
27 % par an sur un portefeuille diversifié.
Mais notre ange
Jacques Galloy est apparemment motivé par des profonds sentiments
religieux : il présente notamment God's talents sur une radio catholique
locale. Ce plan ci-contre illustre le domaine de
1.2 Ha. Le périmètre jaune est la limite du domaine et la partie supérieure est
le monastère des clarisses avec des potagers, enclos d’élevage et cloître. La
chapelle médiévale « Ch » est le centre de gravité. Le béguinage contemporain
(de « P » à « B2 ») sera dans l’axe perpendiculaire aux coteaux.
Selon Jacques Galloy, ce projet a pour ambition de contribuer au renouveau de la porte orientale de la ville, dans le quartier d’Amercoeur. En
outre le monastère va poursuivre la fabrication de plus de 2.000.000 d’hosties
par an. La chapelle médiévale où pria sainte Julienne restera un grand poumon
spirituel au cœur de la ville et un petit vignoble sera replanté sur les
coteaux pour illustrer l’attachement du sanctuaire à la célèbre fête du corps
–hosties – et du sang – le vin –du
Christ.
On est loin de la
léproserie isolé. Ce site s’étend sur un hectare rue de Robermont N°2. Le
couvent du 14e siècle abrite aujourd’hui le hall d’accueil et le salon de la
résidence-services MRS, 31 logements à
assistance, reliés au couvent par un magnifique couloir voûté.
Dans un prochain blog
je décrirai l’existence mouvementée des Chartreux. La présence religieuse y est
interrompue pendant 50 ans par la révolution liégeoise et français, pour
reprendre en 1853, avec une communauté
de Petites sœurs
des pauvres qui
y accueillirent jusqu’en 2003 250 vieillards. Ce qui reste de l'ancienne
chartreuse est vendue au groupe immobilier Coenen specialisé dans le ‘temporary
housing ‘. Une centaine de meublés occuperaient le bâtiment principal. La
chapelle serait remplacée par un parking. Il y aurait une taverne dans la ferme
classée (XVIe - XVIIe siècle). Quant au petit lavoir, il pourrait se
transformer en logement pour des groupes. Tout ça au conditionnel, parce que 14
ans plus tard ce groupe est sous le radar.
Voir aussi mes autres blogs sur le sujet
Voir aussi mes autres blogs sur le sujet
http://hachhachhh.blogspot.be/2017/12/chartreuse-une-nebuleuse-autour-de.html
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