En résumé
Le collectif « Un air de Chartreuse » vient d'arracher une belle victoire dans son opposition au permis d’urbanisme demandé par Matexi pour 74 logements. Ce projet n’est que la première phase d’un plan plus large prévoyant la construction de plus de 400 logements sur 20 ans. Ce projet est en quelque sorte la faillite d’une approche PPP (Partenariat Public-Privé).
Le plan de secteur de Liège affecte en 1989 14,67
ha du site en Zone d’Aménagement Communal Concerté (ZACC). En 1993 on envisage encore une fondation,
avec la Défense nationale, ville de Liège, Région wallonne, Fondation Roi
Baudouin et ASBL d'horizons divers (Éducation-Environnement, Aves, la Chartreuse,
parc des Oblats...), pour un plan d'aménagement global. Un premier projet de
schéma directeur est approuvé par le Conseil communal en 1994. William Ancion,
échevin de l'urbanisme, annonce la recherche de partenaires privés. Et c’est
ici que ça se corse. Immo Gérardrie achète une partie en vente publique, il n’y
a pas un plan communal d'aménagement; mais
« il faut aider les promoteurs à réussir leur projet’, plaide
l'échevin. En 2004 la ville lance un ‘nouveau’ schéma directeur pour la
globalité du site (« un travail
pluridisciplinaire pour faciliter la communication entre les partenaires et de
les fédérer autour d’un projet partagé"). Très vite on le baptise "charrette
urbanistique » : « Ni
soldat, ni char pour attaquer l’urbanisation du Fort de la Chartreuse, mais une
‘Charrette’. Lors de la création d’un projet d’urbanisation, le plus difficile
est de réaliser un consensus entre les différents décideurs. Ils étaient
tellement nombreux pour le site de la Chartreuse qu’il apparaissait impossible
d’y arriver par les voies dites classiques » (Cahiers de l’Urbanisme
N° 66).
Pour mettre en œuvre une ZACC, un Rapport
Urbanistique Environnemental est obligatoire. Ce RUE est un document
d’orientation, non contraignant. Le rapport pointe des problèmes clefs: le
principal accès routier de la Chartreuse se fait par la N3 souvent saturée. Il faudra
obligatoirement un aménagement avant la mise en œuvre de la ZACC. La part
modale des Transports en Commun restera faible sans amélioration de la desserte.
Risque de transit via les nouvelles voiries du site. L’enclavement risque de
créer un ghetto privatisé. On cite aussi un problème urgent d’égouttage :
déjà aujourd’hui les caves en bas du site sont inondées lors d’un orage.
Le rapport suggère même de demander le statut
de Site A Réaménager qui ouvre le droit à des subsides régionaux mais « un tel projet n’est pas intéressant pour un
promoteur privé: la rénovation lourde du fort ne permet pas un bénéfice
important. Qui plus est, une part importante du terrain est consacrée à des
espaces publics et communautaires qui apportent une plus-value à un périmètre
bien plus large que celui du projet mais ne rapportent pas d’argent au
promoteur. Enfin, en évitant de construire dans la cour centrale des immeubles de
taille supérieure à celle des corps de garde, on se prive de l’apport financier
que représentent des immeubles neufs. Les mécanismes de subventionnement
destinés à favoriser l’investissement privé dans des projets de réhabilitation
et revitalisation ne sont ici pas suffisants au vu des surcoûts engendrés par
le contexte très particulier du site ».
Le RUE point ainsi du doigt un des
problèmes-clé de l’aménagement du site : qui est le charettier de cette
‘charrette urbanistique’ ? Dix ans plus tard, le problème se pose dans
toute son acuité : Demandera-t-on à Matexi de prendre en charge
l’aménagement global du site, à tartiner sur les 74 logements prévus ? Et
si on ne le demande pas à Matexi, le demandera-t-on au prochain projet ?
C’est pourquoi on doit bloquer ce permis aujourd’hui. Le Conseil Communal doit
prendre ce problème à bras ; il y a trop de problèmes non résolus pour
laisser filer le dossier au Fonctionnaire Délégué qui tranchera comme un Louis
XIV. Il faut un plan global d’aménagement, et ce plan doit être élaboré d’une
manière participative ! Voici un historique qui remonte loin : aux
Prémontrés !
Un fort, au départ d’un couvent
Au XIIe siècle, des moines Prémontrés fondèrent un couvent sur le versant droit de la Meuse liégeoise. Quand ils
partent au Beaurepart-en-Île (l’actuel séminaire) les Chartreux leur succèdent au XIVe siècle. Ce couvent se trouvait un peu plus bas
dans le thier de la Chartreuse. Son « centre » se trouvait dans ce qui fût
jusqu’en 2004 la maison de repos des petites sœurs des pauvres.
Le tout frais Guillaume d’Orange Ier, roi du royaume-Uni
des Pays-Bas créé au congrès de Vienne, construit un nouveau fort, un peu plus
haut, sur le hameau de Péville. De nombreuses pierres utilisées proviennent de
la cathédrale Saint Lambert, détruite par les Liégeois lors de la révolution
liégeoise.
Après la construction de la nouvelle ceinture
des forts Brialmont, la Chartreuse est déclassé comme fort en 1891 et converti
en simple caserne. Un domaine non aedificandi
avait été déterminé autour des ouvrages de défense. Après le
déclassement, au pied des glacis, les rues du quartier de Cornillon se
développent dans un maillage orthogonal caractéristique.
Les deux niveaux du fort hollandais sont
exhaussés. Au cours de la Première
Guerre mondiale, les Allemands transforment le fort en prison pour résistants. Une stèle
placée dans le bastion des Fusillés évoque l’exécution de 49 patriotes.
La caserne est déclassée en 1981. Les
militaires la quitteront définitivement sept ans plus tard.
1983 138 modifications au plan de secteur ‘pour éviter le dépeçage du site’ ?
En septembre 1983, l'échevin de l'urbanisme de
Liège proposa 138 modifications à son plan de secteur, soi-disant pour éviter le dépeçage du site par les promoteurs. En vain, comme
on le verra quatre décennies plus tard. Devant les menaces toujours plus
pesantes, des activistes créent en 86
l'ASBL "La Chartreuse”, qui a commencé
le combat pour la sauvegarde du domaine. Elle est toujours dans l'arvô qui
surplombe le chemin d'accès au domaine. Son site http://lachartreuse.skynetblogs.be/
reste une référence pour l’historique du site.
Les écolos s’y mettent aussi. En 1988, Raymond
Yans proposa la préservation du domaine boisé, mais il l’assortit de l'offre à
la promotion privée de 70.500 m2 constructibles en bordure du domaine. Il
espérait recueillir des demandes d'implantation de petites et moyennes
entreprises, spécialement d'entreprises spécialisées dans les loisirs. En
décembre 1988, l'échevine Ernst créa en collaboration avec des associations
volontaires une réserve éducative confiée à Éducation-Environnement par contrat
signé en 1989 par l'échevin PSC Firket pour une durée de dix ans. C'était mieux
que Yans, mais ce contrat s’avérera léger face aux risques de spéculation.
Le plan de secteur de 1989
Au niveau urbanisme, les plans de secteur sont
pratiquement les seules décisions ayant valeur réglementaire. On ne peut y
déroger que selon les procédures prévues par le Code wallon de l'Aménagement du
territoire, de l'urbanisme et du patrimoine (CWATUP), remplacé aujourd’hui par
le Code du Développement Territorial - CoDT.
En 1989 le plan de secteur de Liège affecte
14,67 ha du plateau en Zone d’Aménagement Communal Concerté (ZACC). Dans les 26 ZACC que compte le territoire
communal, la Chartreuse est l’une des 5 désignées comme prioritaires. Du fait
qu’il s’agit d’un site classé et non d’un monument, un certificat du Patrimoine
n’est pas réclamé pour la réalisation des travaux. Néanmoins, plusieurs
éléments ponctuels sont classés dont le monument du premier régiment de ligne,
face à l’entrée et la croix, l’autel et le monument du Bastion des Fusillés.
Heureusement, deux ans plus tard, en 1991, le site est classé pour son intérêt patrimonial et
environnemental, censé freiner un peu l’appétit de promoteurs immobiliers.
1993 Une fondation ?
En 1993 on envisage même une fondation, avec les nombreuses parties intéressées
au projet: Défense nationale, ville de Liège, Région wallonne, Fondation Roi
Baudouin et ASBL d'horizons divers (Éducation-Environnement, Aves, la
Chartreuse, parc des Oblats...), devant la volonté de l’armée de vendre pour
quelque 35 millions. Dans les sources de financement envisagées, la cession des
zones d'extension d'habitat à un promoteur immobilier est envisagé :15 à
20 millions; la récupération des matériaux dans l'ensemble des bâtiments
postérieurs à l'occupation hollandaise est évaluée à une dizaine de millions; l'acquisition
des zones vertes par la Région wallonne (7 millions); et pour boucler le
budget, un appel de dons avec recours éventuel au crédit. Mis au point par
l'ensemble des acteurs du dossier, un plan d'aménagement global a été mis au
point. Mais le maître-mot est un Partenariat Public-Privé.
Le schéma directeur de la Chartreuse approuvé par le Conseil communal en juin 1994.
Vers 1994 un promoteur se pointe avec un projet d’hôtel et de golf à 9 trous. C’est
vert, reconnaissons-le. Mais surtout : le projet relance le débat sur une
vente éventuelle. La Région propose à la Défense nationale 7 millions de FB pour
la zone verte non encore propriété publique (la Ville avait déjà racheté le
parc des Oblats). Mais pour l’échevin des de l'urbanisme William Ancion la
préservation de la zone verte n’est pas prioritaire, mais bien de ‘rendre l'habitat
urbain plus attractif’. Il propose au conseil communal un schéma directeur. « Notre stratégie est ici comparable à celle
que nous avons suivie pour obtenir à prix abordable, au bénéfice de la
population, le site de Saint-Léonard », explique Michel Firket,
échevin de l'environnement (notamment les parcs communaux). Il est vrai que la reconversion
de la prison (les 100.000 briques) et des Coteaux est une réussite, même si cela a pris des décennies… (Le Soir 25/06/1994)
La Maison Lambinon |
Mais selon lui Liège ne dispose pas des 30 à
40 millions demandés par la Défense nationale; d'autant qu'une fois
propriétaire elle devrait assumer des charges d'entretien élevées. Liège devra
donc trouver un ou plusieurs partenaires privés désireux d'implanter des
constructions le long de la rue des Fusillés, des activités socio-culturelles
et touristiques sur une vaste superficie pourvue déjà d'un espace de parcage et
trouver quelqu'un qui restaurerait les étages inférieurs du fort hollandais,
les deux manèges, écuries, la maison Lambinon, le hangar aux affûts de canons.
En sauvant au passage les remparts-promenades...
Le programme est intéressant. Mais l’argument
pour développer un PPP est cousu de fil blanc. Au contraire : je ne vois
pas ce qui pourrait empêcher la ville d’acquérir le terrain au prix d’une
friche militaire, de le viabiliser, et de récupérer largement sa mise en
empochant la plus-value immobilière du fait que une partie des terrains
deviennent constructibles, une décision régalienne par excellence.
En 2003, Immo Gérardrie achète une partie en vente publique, et embarque Matexi en 2004
En 2003, Immo Gérardrie achète une partie en
vente publique, pour 2,5 millions €. Les 40 hectares qui l'entourent sont
achetés par la Ville et classés en zone verte.
Un peu plus tard Immo Gérardrie la divise en trois lots. Le premier lot
comprend BM18 (cuisine), les BM 19 et 20 (blocs "1939") ainsi que
l'héliport. Le deuxième lot comprend le BM22 (Maison Lambinon), le BM23 (salle
de gymnastique), le BM24 (cuisines), le BM25 (mess troupes), le BM32a (poste à
essence), les BM 33 et 37 (manèges) y compris les dalles bétonnées entre la
partie plate du Thier de la Chartreuse et les remparts. Le troisième lot est
constitué des bâtiments du réduit, à l'exception de la poudrière.
Les remparts, les terrains le long de la rue
des Fusillés et le parc des oblats restent propriété de la Ville de Liège.
J’ai difficile de situer le premier et
troisième lot dans le contexte d’aujourd’hui. Le deuxième lot est acheté par
MATEXI qui fait assainir sa zone. Les manèges sont démolis. Dans l’immédiat,
les lots 1 et 3 ne trouvant pas d'acheteur sérieux, MATEXI n'a aucun intérêt à
commencer les constructions à l'intérieur du corps de place tant qu'une
solution n'aura pas été trouvée pour le reste. MATEXI essayera d’urbaniser le Thier
de la Chartreuse, plus facile à vendre puisque ne dépendant géographiquement
pas des autres lots.
Matexi arrive finalement à revendre les
bâtiments classés à Infinéa Invest. Cette société hennuyère promet de rénover
les bâtiments datant d'avant la dernière guerre mondiale et y érigera 130
logements loués de 400 à 700 euros le mois pour 100 à 150 m2. Immo Gérardrie
s'occupera des bâtiments postérieurs à la dernière guerre pour 60 à 70
appartements de standing.
Le 9 septembre 2003 l'Echevin
de l'Urbanisme Wiliam Ancion (CDH) n'a
pas encore reçu de demande de permis. Mais Infinéa pourrait commencer :
elle a reçu de la Région wallonne une dispense du permis pour travaux de
rénovation si ses plans ne modifient pas le toit et les châssis des bâtiments.
Infinéa ne fera pas usage de cette dispense (La Libre Belgique 9/9/2003).
Ancion demande au conseil communal de Liège de
reprendre la Chartreuse dans les cinq ZACC
(zones d'aménagement) prioritaires. Puis, le dossier de la Chartreuse passe à
la Région wallonne pour recevoir l'avis du Ministre - il devrait le rendre bien
avant fin 2003. Enfin suivra l'élaboration du PCA. Fin 2003, face à une salle comble, l'échevin défend le
projet immobilier d’Immo Gérardrie. Le projet de lotissement doit passer le cap
du plan communal d'aménagement soumis à une étude d'incidences avec enquête
publique. Ce sera du logement moyen ou supérieur, rassure l'échevin. Il faut
aider les promoteurs à réussir leur projet, plaide l'échevin qui propose au
comité de quartier de rejoindre un futur comité d'accompagnement.
Quant aux remparts, les promoteurs veulent
qu'ils soient refaits. L'intérieur leur appartient, l'extérieur est à la Ville
mais ils prétendent n'avoir pas les moyens de les rénover. Ils refusent de de
prendre de engagements fermes de leur côté, mais ils demandent aux pouvoirs
publics de rendre leurs terrains attrayants.
2004 la ville lance un schéma directeur ou « charrette urbanistique ».
A la demande de MATEXI, un groupement
international d'architectes s'est regroupé pendant deux semaines pour un plan
d'aménagement global du domaine (sauf le parc), « un travail pluridisciplinaire destiné à réaliser un schéma directeur
pour la globalité du site, faciliter la communication entre les partenaires et
de les fédérer autour d’un projet partagé". C’est flou, c’est peu
contraignant, et on a vite fait de baptiser le schéma "charrette
urbanistique ». Je n’ai pas réussi à savoir qui a payé cette étude. Joël
Ackaert, Responsable Cellule
développement du promoteur immobilier SIMFI faisait partie du groupe.
Toujours est-il que le terme’charrette’ que j’ai retrouvé dans les Cahiers de
l’Urbanisme (N° 66 de Décembre 2007) provient tout droit de la boîteà outils de Matexi:
« Nous impliquons tous les intervenants dans le processus de
développement. Nous prévoyons un moment de concertation spécifique que nous
choisissons en fonction du groupe cible et de la situation : une réunion de
lancement, une journée thématique, une soirée de rencontre, un atelier de
conception ouvert ou fermé, une structure de concertation régulière, une
structure de validation, une cellule de qualité, une soirée d’information et
enfin une « charrette ». Depuis 1998, Matexi a organisé ces processus de «
charrette » plus de vingt fois pour des développements de quartier complexes.
Ces processus sont exigeants, et Matexi y voit un investissement durable.
Depuis 2011, le processus de « charrette » est plus progressif, ce qui permet
d’encore mieux l’intégrer dans les processus d’aménagement du territoire. De
cette manière, nous parvenons à anticiper et à faire évoluer les conceptions.
Voici
l’extrait des Cahiers de l’Urbanisme: « Ni soldat, ni char pour attaquer l’urbanisation du Fort de la Chartreuse,
mais une ‘Charrette’. Lors de la création d’un projet d’urbanisation, le plus
difficile, pour un promoteur, est de réaliser dans un laps de temps
raisonnable, un consensus entre les différents décideurs. Ils étaient tellement
nombreux pour le site de la Chartreuse qu’il apparaissait impossible d’y
arriver par les voies dites classiques ». Le mot se réfère à l’effort intense fourni
par les architectes afin de soumettre leur projet à une date fixée. Les
assistants circulaient avec des petites charrettes pour recueillir les derniers
dessins des étudiants qui sautaient dans la charrette afin d’ajouter la touche
finale à leurs plans avant la présentation ». Je Je croyais que ce
terme’charrette’ était un mot péjoratif collé sur un processus qui s’est avéré
assez opaque. Neni, valet : c’est une marque d’usine de Matexi !
D’ailleurs,
en toute logique, on retrouve Joël Ackaert de Matexi, déjà cité, dans les
collaborateurs de ce Cahier d’Urbanisme de 2009, à côté de Philippe
Destinay, Conseiller en environnement, Jean-Paul Gomez, Pierre J. Bricteux et
Laurent Brück, du Département de l’Urbanisme de Ville de Liège.
L’asbl La Chartreuse remarque judicieusement
que la réalisation de ce projet est surtributaire du fait que des promoteurs
sérieux s'intéressent aux lots 1 et 3. Le réduit étant le cadeau empoisonné,
comme l’asbl le dit depuis vingt ans, ces promoteurs « pensent que les pouvoirs publics devront
s'impliquer si ils veulent vraiment, comme ils le prétendent, un avenir pour le
domaine ».
Nous verrons que malgré la présence des pouvoirs
publics leur impact sera faible.
En 2004 le conseil communal de Liège reprend
la Chartreuse dans les cinq zones d'aménagement prioritaire, comme demandé un
peu auparavant par l’échevin Ancion. Le dossier de la Chartreuse passe à la
Région wallonne.
En 2006 la maison LAMBINON qui était
déjà bien mal en point, connait un énième incendie. Ce qui restait du toit est
effondrée. C’était le seul bâtiment civil du hameau de Péville a avoir survécu
à la construction du fort. Sur les autres dégradations voir http://lachartreuse.skynetblogs.be/tag/Chartreuse
Fin 2008 le conseil adopte à l'unanimité le rapport urbanistique et environnemental (R.U.E.)
Pour mettre en œuvre un ZACC, un projet de
lotissement doit passer le cap du plan communal d'aménagement soumis à une
étude d'incidences avec enquête publique. Fin
2008 le conseil adopte à l'unanimité le rapport urbanistique et
environnemental (R.U.E.). Tout en étant non contraignant, le rapport pointe des
problèmes clefs: le principal accès routier de la Chartreuse se fait par la N3
souvent saturée. Il faudra obligatoirement un aménagement avant la mise en
œuvre de la ZACC. La part modale des Transports en Commun risquant de
rester faible sans amélioration de la desserte. Il y a un risque de transit via
les nouvelles voiries du site. L’enclavement du site risque de créer un ghetto
privatisé. On cite aussi un problème urgent d’égouttage : déjà aujourd’hui
les caves en bas du site sont inondées lors d’un orage. Qui va prendre en
charge un plan global d’égouttage des espaces à urbaniser ?
Il y a aussi des recommandations concernant le
patrimoine – même si le patrimoine concerne directement un promoteur - les
espaces verts, et la mixité fonctionnelle.
Comment
faire respecter ces contraintes à plusieurs propriétaires privés ?
Le Pt 1.8 signale que les parcelles
cadastrales du site de la ZACC sont réparties entre deux propriétaires privés
principaux (voir la planche 7 – cadastre). « Des transactions ont encore eu lieu récemment sur certaines parties,
témoignant d’une certaine spéculation autour de l’avenir du site ».
Idem point 1.1.4 : « le nombre de propriétaires et l’imbrication
de leurs propriétés pourraient compliquer la mise en œuvre du site et en
particulier son phasage ».
Une carte montre la limite des lots des
propriétaires privés, basée sur Schéma directeur de Simfi et Gerardrie de 2004.
Le rapport suggère même de demander le statut
de périmètre SAR ou Site A Réaménager qui ouvre le droit à des subsides
régionaux mais « un tel projet n’est
pas intéressant pour un promoteur privé dans les conditions actuelles de
subventionnement : la rénovation lourde du fort ne permet pas un bénéfice
important. Qui plus est, une part importante du terrain est consacrée à des
espaces publics et communautaires qui apportent une plus-value à un périmètre
bien plus large que celui du projet mais ne rapportent pas d’argent au
promoteur. Enfin, en évitant de construire dans la cour centrale des immeubles
de taille supérieure à celle des corps de garde, on se prive de l’apport
financier que représentent des immeubles neufs. Les mécanismes de
subventionnement destinés à favoriser l’investissement privé dans des projets
de réhabilitation et revitalisation ne sont ici pas suffisants au vu des
surcoûts engendrés par le contexte très particulier du site ».
Il suggère encore une opération de
revitalisation urbaine (Pt 4.2 : CWATUP article 172), une action visant, à
l’intérieur d’un périmètre défini, l’amélioration et le développement intégré
de l’habitat, en ce compris les fonctions de commerce et de service, par la
mise en oeuvre de conventions associant la commune et le secteur privé :
« l’aménagement et la mise en valeur
des espaces verts et du patrimoine historique du fort s’adresse à une
population qui va bien au-delà des environs immédiats du site et constitue une
plus-value pour toute la population liégeoise ».
Le rapport conseille, pour trouver un
partenaire privé prêt à se lancer dans le projet, d’envisager d’élargir la zone
concernée. « Le couplage du
réaménagement de la zone centrale à celui de la zone sud et de la zone nord,
principalement destinées à la construction de logements neufs et donc bien plus
rentables, permettrait d’équilibrer le déficit de la zone centrale par les
bénéfices sur les deux autres zones. Afin de garantir le réaménagement de la
zone centrale, un phasage devra être mis en place. L’aménagement de la zone
centrale pourrait se faire simultanément à celui de la zone sud (ou de la zone
nord) pour limiter le portage financier de l’investisseur privé sur la zone
centrale tout en évitant que la dégradation du fort se poursuive et que
celui-ci exerce un effet répulsif sur les acheteurs éventuels. L’urbanisation
de la dernière zone (nord ou sud) ne serait autorisée qu’une fois le fort
réaménagé. Ceci suppose toutefois un partenaire privé ayant les reins assez
solides pour mener à bien le réaménagement de l’ensemble du site ».
Au lieu d’un couplage on aura un saucisonnage…
C’est en quelque sorte l’abandon un plan global pour le site. Dix ans plus tard
l’échevin Hupkens doit constaer que cette zone centrale est irrécupérable ou
déjà démolie à moitié.
Immo Chartreuse et la perte de la partie historique du fort
En 2005 encore, Gérardrie Immo et le groupe
immobilier SIMFI, qui possèdent chacun une moitié du site, cherchent un
troisième partenaire pour créer un projet ‘cohérent’
(lisez plutôt : rentable) entre les trois acteurs. Gérardrie Immo prétend
des tractations pour céder la partie historique du site, autrement dit le
" croissant", et devrait se décider entre d'une part un groupe
anversois, et d'autre part un groupe liégeois. «Aujourd'hui nous avons notre projet d'aménagement en lofts prévu sur
notre partie de terrain mais nous attendons de pouvoir avoir tous les
intervenants autour de la table afin d'élaborer un projet cohérent entre
chacun. Ce sera la meilleure façon de rentabiliser au mieux cet espace fabuleux
verdoyant et historique situé au coeur de la ville", expliquent les
responsables de Gérardrie.
SIMFI conserve son projet de logements de type
unifamilial de moyen et de haut de gamme qui couvriraient la moitié du domaine (L'Avenir 01 avril 2005).
Finalement Gérardrie Immo est racheté par un
groupe d'investisseurs italiens qui constituent Immo Chartreuse. Je suppose
qu’à cette époque le promoteur immobilier flamand Matexi, opérant sous la
marque Habitus a racheté SIMFI, mais je n’ai pas retrouvé une trace dans la
presse. A moins que Matexi soit le troisième larron, à côté de SIMFI et Immo
Chartreuse. Cette dernière montre un peu d’activité en 2009-2010, sans
autorisation.
En novembre 2009, les cachots, où étaient retenus par les allemands les
condamnés à mort durant la première guerre mondiale, sont détruits. L’ancienne
infirmerie, et les « nouveaux » cachots subissent rapidement le même
sort. En 2010 elle abat plusieurs arbres, sans autorisation, et autorise des activités
de type "paramilitaires”, genre paintball ou d'airsoft.
Firket rassure les riverains, en assurant
qu'"il n'est pas question d'une
quelconque modification du plan de secteur ou de la Zacc, et que le RUE reste
bel et bien le document de référence en la matière”. Mais il est obligé de
reconnaître que la société Immo Chartreuse serait en infraction à plusieurs
niveaux, précisant que "différents
services ont procédé la semaine dernière à une descente sur les lieux” (Llb 6 Mai 2010).
2011 Le CWEDD sur l'étude incidence
En mars 2011 la moutarde monte aux nez des
riverains, dégoûtés par la dégradation inéluctable du site. L’échevin Firket constate
"d'importantes réserves d'habitants sur
les Zacc en général et celle de la Chartreuse en particulier” (Llb 4 mars 2011).
Le Conseil wallon de l´Environnement pour le Développement durable publie son évaluation sur l’étude d’incidences commune aux 2 projets d’urbanisation distincts (Matexi et
Immo Chartreuse) Mais « le
Conseil devant se prononcer sur une
seule demande de permis (Matexi), son avis sur la qualité de l’étude est rendu
sur cette dernière uniquement ».
Le saucisonnage est en marche! Je n’ai pas
retrouvé une trace de cette demande de Matexi de 2011. Quant à Immo Chartreuse,
elle demandera encore le 14/01/2015 un Avis urbanisme pour 84
logements, dans l'ancien bâtiment principal. La demande est introduite par
Jean-Luc Marrini du bureau Audex, rue Muraille à Herstal. C’est tout près de
chez moi. Selon Hupkens, « il semble
qu'il y ait bien eu un frémissement du côté de ce projet qui est, il est vrai,
moins avancé" . Ce frémissement, c'est une demande introduite auprès
de la Région wallonne, relativement à la création d'une voirie (DH 10 avr. 2015). Depuis
2015 Immo Chartreuse a disparu des radars…
Le CWEDD apprécie que le RUE traite de
l’entièreté du développement de la ZACC en y incluant le périmètre PCAR
adjacent, et loue ‘la qualité de l’analyse de la mobilité’. Cependant, le CWEDD
regrette l’absence d’information claire sur l’égouttage de la partie 1 du
projet et le dimensionnement du bassin
d’orage (capacité, ajutage). Pour eux, le jugement de la RUE sur la
compatibilité entre les fonctions prévues par le RUE et les fonctions prévues par
le projet est « peu nuancé ».
Au niveau de la forme le CWEDD apprécie la présence d’un point synthétisant les
discordances (lesquelles ???) du projet par rapport au RUE. On est ici
dans la langue de bois…
Dans ses remarques complémentaires (qui pour
moi sont importants) le CWEDD regrette l’absence d’investigation du
sous-sol afin de vérifier la présence ou
non d’une araine (cela fera partie d’un prochain blog) et de citernes à mazout.
Il demande d’être attentif lors des travaux de génie civil pour le bassin
d’orage afin de ne pas endommager l’araine des Petites Sœurs des Pauvres qui
alimente plusieurs habitations en eau potable (ce qui n’est quand même pas un
détail). Selon l’Étude d'incidences sur l'environnement «l'araine
des «Petites Sœurs des Pauvres» débute dans la cour de la ferme de l'ancien
couvent du même nom. Cette araine, longue d'environ 200 m pour une hauteur
moyenne d'environ 1,5 m, est orientée NO-SE et est taillée dans les grès
houillers. Elle recoupe également diverses veines de houille ».
Lors de
la visite du CWEDD, le demandeur a précisé qu’une seule citerne à mazout était
présente sur le site. Sur l’absence
d’inventaire amiante, lors de la visite, le demandeur a précisé que les
bâtiments ne contenaient pas d’amiante à l’exception d’un local du bâtiment de
l’ancienne cuisine. Le CWEDD demande de créer des liaisons attractives entre le
site et les arrêts de bus les plus proches et de mettre en œuvre les aménagements
au niveau de la mobilité dès la fin de la première phase: la sécurisation de carrefours
par feux lumineux (carrefour N3/Cornillon/Thier
de la Chartreuse et carrefour N3/Fusillés/Fortification ;
l’interdiction de tourne-à-gauche (carrefour N3/Lamarche et carrefour
N3/Cardijn). Ici le CWEDD est en retrait par rapport au RUE qui demandait un aménagement
avant la mise en œuvre de la ZACC.
2011 Urbagora critique une dérive en communauté fermée
Urbagora critique en 2011 le risque de dérive
en communauté fermée, danger déjà signalé en 2008 dans le RUE: « La présentation des premiers
bâtiments sortis de terre au sein du quartier du Thier de la Chartreuse fait
apparaître une pré-sélection sociale des futurs habitants: derrière une mise
sur le marché de lofts «éco-performants» les classes aisées de la population
sont nettement ciblées. Aucune réflexion en terme de mixité de lʼhabitat nʼest
à lʼordre du jour des investisseurs et –plus inquiétant – des pouvoirs
communaux. une «gated community» qui ne dit pas son nom ; une communauté
fermée. Nous ne voulons pas de ghetto à bobo. On pourrait prévoir des logements
sociaux ou une crèche pour avoir plus de mixité sociale”.
2013 Matexi dépose une nouvelle demande de permis d’urbanisme
En 2013 Matexi sort du bois et dépose une
demande de permis pour la construction d’une vingtaine de logements. Le permis
n’est jamais mis en œuvre, parce que Matexi lie la réalisation à l’avancement
des travaux chez les investisseurs italiens, avec qui, selon l’échevin Hupkens,
il n’y a plus aucun contact. A mon avis cette demande sert à tâter le terrain
pour contourner une approche globale, créer un précédent pour un grignotage par
parcelles, et en même temps commencer à engranger du cash .
2017
Nous voilà en 2017 avec l’enquête publique sur
l’avis d’urbanisme de MATEXI « relatif
au projet de construction d’un ensemble de 74 logements au Thier de la
Chartreuse » (PU/85689-D).
Un Air de Chartreuse se mobilise : une lettre ouverte
au Bourgmestre et aux Echevins avec 5.000 signatures: la palme de la
mobilisation citoyenne! Et le comité comprend très vite qu’il fau ramener le
débat au niveau du Conseil Communal qui avait voté, à l’unanimité, le RUE en
2008. Il est vrai qu’il y souffle un vent nouveau depuis les élections de 2012.
Lise Bachelet, d’Un air de Chartreuse, déclare à la rtbf: " On demande très clairement un plan global
appréhendant la question de la mobilité, du respect du site classé dans un
premier temps, et puis d'accès au logement aussi. Nous ne sommes pas contre un
plan d'investissement mais nous souhaitons mettre des balises ».
Un Air de Chartreuse demande la révision de l’entièreté du RUE de 2008
Lorsque le 29 novembre 2017, le lendemain de
deux interpellations au Conseil Communal, Un Air de Chartreuse apprend que Matexi a préféré retirer sa demande de permis d’urbanisme, plutôt
que d’essuyer un refus, le comité déclare être conscient des problèmes de
logement en devenir à Liège. « Nous
sommes également conscients de la position stratégique de la Chartreuse dans
l’agglomération liégeoise. La reconversion de la partie privée du site est
évidente. Mais celle-ci doit se faire:
dans le respect du contexte bâti proche ;
dans le respect de la paisibilité du
quartier ;
dans le respect du double classement
(patrimonial et environnemental) du site ;
dans une vision d'avenir globale et
concertée;
avec un plan de mobilité fort.
« Nous
demandons donc la révision de l’entièreté du RUE de 2008, document qui oriente
l’urbanisation de la Chartreuse. Pour nous, le RUE doit être contraignant, et
pas seulement un document d’orientation; doit prendre en considération, de
manière plus forte, les préoccupations exprimées par les citoyens lors de
l’enquête publique; doit porter des options d’aménagement concrètes, fermant
ainsi la porte à des projets qui interprètent ces options à leur manière; doit
prendre en compte les transformations dont le site est témoin depuis 30 ans;
doit être en accord avec les problématiques de notre temps (qualité de l’air,
accès pour tous à un espace vert à proximité, rebâtir la ville sur la ville,
etc). Et tant qu’à revoir le RUE, faisons-le en concertation!).
Avec cette victoire de la mobilisation
citoyenne s’ouvre une nouvelle phase dans le réaménagement de la Chartreuse,
sur des bonnes bases. Dans un prochain blog j’explique qui est Matexi, et
j’essaye d’approfondir certains aspects qui, tout en n’étant pas au cœur du
débat, peuvent l’enrichir. Comme les réflexions d’Urb-Agora de 2011 pour relier
le Longdoz au parc, avec une nouvelle entrée donnant dans la rue Basse-Wez et lʼextension
dʼune trame verte jusqu'à la rue Grétry. Dans leurs configurations actuelles,
le parc et le quartier du Longdoz se tournent le dos, alors même que le
Longdoz
manque cruellement d'espaces verts. Ou la réouverture d'une halte ferroviaire à
Cornillon, une desserte locale sur la ligne 40 (dans le cadre du RER), Ou celle
de donner accès au parc des Oblats depuis l'hôpital du Valdor, éventuellement
par un ascenseur. Des propositions qui sortent un peu du cadre, mais qui sont dans
la réflexion en cours de la Commission de Rénovation d’Amercoeur. Les synergies
sont toujours utiles, à ce niveau-là. Et je compte travailler un peu aussi sur
des problèmes pointus, mais qui sont parfois treès important pour certaines
personnes, comme cette araine sur le site, ou les problème d’égoûttage du site.Sources
www.chartreuse-liege.be
L'ASBL la Chartreuse a édité un ouvrage,
"Le hameau de Péville", écrit par Jacques LIENARD, qui retrace
l'histoire du lieu du Xème siècle à 1818
étude LEMA 2008/2009 (ULg) : http://www.lema.ulg.ac.be/urba/Cours/Projet/0809/rapportjc.pdf
dans cette étude, la trame constructive du
fort. en 1986, par Paeme Serge
http://www.liege.be/telechargements/pdf/liege-avec-vous/appel-projet/etude-incidences-environnement-complete-chartreuse.pdf Demande de permis d'urbanisme de constructions
groupées «Chartreuse» Étude d'incidences sur l'environnement MATEXI S.A. juin
2017
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire