mercredi 8 novembre 2017

L’urbanisme stalinien et la démolition de l’église du Saint Sauveur



On casse du sucre sur le dos de Joseph sur le dynamitage de la cathédrale du Saint Sauveur. Mais, en fait, le tsar avait déjà démoli un couvent pour y mettre sa cathédrale. Et la reconstruction à une vitesse en 1995 a été faite au mépris de toutes les règles de conservation du patrimoine. Dans ce blog j’essaye de faire le point sur cette église emblématique.

Une cathédrale en signe de gratitude à la Providence Divine, qui permit à la Russie d'être sauvée de la destruction

En décembre 1812, au moment où l'armée napoléonienne quitte la Russie et repasse le Niémen, l'empereur Alexandre Ier ordonna la construction, à Moscou, d'une cathédrale dédiée au Saint Sauveur, « en signe de gratitude à la Providence Divine, qui permit à la Russie d'être sauvée de la destruction qui la menaçait ».
Plein de projets architecturaux sont proposés. Initialement, le projet de l'architecte Alexandre Vitberg fut retenu et la première pierre fut posée le 12 octobre 1817, jour du cinquième anniversaire du départ des troupes françaises de Moscou, sur la colline aux moineaux. Ce site offre le meilleur panorama de Moscou. Aujourd’hui s’y trouve l'Université Lomonossov, 236 mètres, un des 7 gratte-ciel baptisés "les sept soeurs de Staline". Mais Alexandre Ier meurt en 1825, et Vitberg, accusé de dilapidation des fonds de l'État, fut exilé.
Le tsar Nicolas Ier organisa un nouveau concours en 1829, qui fut remporté par Konstantin Thon, déjà réalisateur du Grand Palais du Kremlin, en style « russo-byzantin ». Thon proposa un nouvel emplacement: la colline Alexeïevski, située au bord de la Moskova et faisant face au Kremlin. Il est vrai que ce site domine vraiment le centre de Moscou. Un petit problème : il y avait là le couvent féminin Saint-Alexis. No problemo : on le rase en 1837 pour faire place à la cathédrale. Une légende dit qu’une nonne a maudit cette construction et a prédit qu’elle ne resterait pas plus de 50 ans.  Les bolchéviques réaliseront la malédiction de la nonne. Ils imiteront donc Nicolas I en rasant à leur tour le bâtiment de Thon… Ils

Inauguration avec l'ouverture solennelle 1812 de Tchaïkovski

La construction du temple dura 44 ans. Nicolas I meurt en 1855, et l'architecte Thon aussi mourut deux ans avant la consécration, ainsi que Alexandre II qui laisse la vie dans un attentat le 1er mars 1881. L’inauguration est repoussée au 26 mai 1883, date du sacre d'Alexandre III. L'ouverture solennelle 1812 de Tchaïkovski fut écrite spécialement pour cette occasion. Voici pourquoi il a repris des canons dans sa partition: The story of Tchaikovsky's 1812 overture
Ou ici avec des canons (à 9’50)
Un arrangement des Bravo Battery Bulldogs 1-9 FA (à 1’01)
Et ici en 2012 avec les canons du HMS Belfast (moins réussi)
En 1913, l'édifice obtint le statut de siège du patriarcat, centre de l'Orthodoxie russe.

La cathédrale dynamitée en 1931

En juillet 1925, Igor Grabar explique dans la revue «La Construction de Moscou» qu'il faut démolir Moscou «afin que l'Ancien fasse place au Nouveau». L'Ancien, ce sont toutes ces églises, ces couvents, ces chapelles, ces clochers qui font de Moscou «un musée du passé». Le 18 juillet 1931, un communiqué du gouvernement soviétique dans la Pravda annonce l'édification à Moscou d'un palais des Soviets.
On présente très souvent le dynamitage du Saint Sauveur comme une lubie de Staline, et, dans le meilleur des cas, comme le résultat d’une politique athéiste. Il a bon dos, Joseph. Comme je l’ai déjà dit, l’ordre de démolition a été signé par Lazare Kaganovitch.
Cette décision est prise dans le cadre du premier plan quinquennal qui avait aussi un volet urbanistique. J’aborderai les motivations anti-religieuses plus loin. Les soviets s’inscrivent dans un large courant international qui se cristallisera à partir de 1928 dans les congrès internationaux d'architecture moderne. La Charte d’Athènes des CIAM deviendra l’évangile pour des décennies. Des architectes russes y joueront un rôle important (à côté de belges comme Victor Bourgeois e.a.)
Ernst May forme avec dix-sept architectes la «brigade May» pour le premier plan quinquennal de l’URSS. On crédite au groupe de May la construction de vingt villes en trois ans. May est, à cette époque, fort proche de Victor Bourgeois.
En 1929 le CIAM avaient présenté un projet de ‘villes radieuse’ pour Buenos Aires. En 1930 les soviets consultent Le Corbusier, un des architectes-phares des CIAM, pour l’aménagement de leur capitale. Déjà en 1922 le publiciste russe Ilija Ehrenburg avait publié à Berlin ‘Vesc, l’objet’, qui reprenait déjà un texte du jeune Corbusier sur ‘L’état actuel de l’architecture’. Corbu développe un ‘schéma organique’ pour Moscou. Une version plus élaborée est présenté dans sa ‘Réponse à Moscou’ au CIAM qui s’organise à Bruxelles en 1930: 66 pages, 21 planches de plans. Son plan est une transposition directe de son schéma de la Ville contemporaine de trois millions d’habitants de 1922. Corbu veut faire table rase des centres historiques des vieilles villes. Son "Plan Voisin" pour Paris de 1922 épargnait seulement Notre Dame et quelques autres bâtiments historiques.
Dix ans plus tard, Victor Bourgeois se réfère explicitement à ce plan ‘Voisin’ dans son plan Le nouveau Bruxelles’,  dans le cadre du plan pour la jonction ferroviaire Nord-Midi. Bourgeois continuera sur sa lancée avec Charleroi, au quatrième CIAM de 1933, où son collègue Huib Hoste y présente un plan pour la rive gauche d’Anvers.
Tout à fait dans la ligne de son plan Voisin, Corbu juge qu’à Moscou «il est impossible de rêver à faire concorder la ville présente ou future».

Le centre de Moscou n’est pas fossile

En 1926, dans sa première (et dernière) publication Izvestia ASNOVAEl Lissitzky avait encore proposé des Wolkenbügel, avec des formes qui rappellent les porte-à-faux d’aujourd’hui.
Mais vers la fin des années 20 le Parti Communiste essaye de remettre de l’ordre dans ce foisonnement d’idées qui frisait souvent le sectarisme. Les architectes russes ne suivent pas Corbu dans sa rage contre le cœur historique des villes. Pour l’architecte russe Gornyi «les panacées proposées par le Corbusier ne sont qu’une réaction contre l’état dans lequel se trouvent aujourd’hui les grandes cités capitalistes ». Gornyi est pourtant un fan de Corbu : il traduit et édite ‘L’urbanisme’, une de ses œuvres majeures.
Pour un autre architecte russe,  Semenov, « le centre de Moscou n’est pas fossile, et, cerveau principal de la capitale, il se développera encore avec elle ».
Cela ne déstabilise pas Corbu qui approuve ces critiques sur la désurbanisation : « Le pierrier atroce des villes: étouffement, écrasement, est une pure manifestation capitaliste. Pourtant, à Moscou aussi, en 1930, l’engouement a été à la désurbanisation. On a voulu briser la ville en 10.000 morceaux, créer les routes qu’il faudra pour conduire à toutes ces maisons dispersées partout. Et chacun son auto. Un beau jour, l’autorité qui est à la porte de la raison où viennent frapper les rêves justes ou chimériques a dit en URSS : ‘assez ! Ca va ! Cessez de rigoler!’ La mystique de la désurbanisation s’était cassé le nez ».
Le Corbusier ne comprend pas que la critique soviétique de la désurbanisation vise son approche aussi, trop coupée des préoccupations des gens, et trop irrespectueux de l’histoire.
En URSS, le parti communiste remet un peu de l’ordre dans ce bouillonnement artistique. Le rapport de Lazar Kaganovitch (celui qui signe la démolition de la cathédrale) au Comité Central de juin 1931
(sur la construction du métro) marque l’échec définitif des thèses désurbanistes. Et en avril 1932 le CC décrète la réorganisation des organisations artistiques. L’Union des Architectes efface tous les groupements antérieurs et lance en 1933 son ‘organe de lutte pour une architecture socialiste’, Arhitektura SSSR. Là aussi la page de couverture est de Lissitzky.

Arhitektura appelle à ‘rejeter énergiquement les recettes fonctionnalistes et l’approche fonctionnaliste de ses programmes, et de faire une assimilation critique de l’héritage du passé’.
Ces deux éléments sont pour beaucoup d’artistes occidentaux difficiles à digérer. La décision du CC de 1931 est un appel aux artistes pour partir de ce que le peuple veut, au lieu de surfer sur un sentiment artistique individualiste. Et la dissolution des groupements antérieurs signifie la fin des chapelles qui s’excluaient mutuellement et se perdaient dans des disputes gauchistes stériles et interminables.
Ce qui ne veut pas dire que la gauchisme disparait… Un journaliste soviétique jette encore de l’huile sur le feu : « La croissance du chômage parmi les architectes pousse ceux-ci vers le fascisme et parmi eux Le Corbusier qui est devenu le rédacteur d’une revue d’orientation ostensiblement fasciste. Ceci n’a rien pour surprendre, si l’on se souvient combien Le Corbusier avait pris au cours de ces dernières années ses distances vis-à-vis de toute politique, en déclarant avec fierté qu’il ne s’occupait que d’architecture pure».
On serait fasciste parce qu’on prend ses distances vis-à-vis de toute politique ? C’est un peu court…
En 1932 Léon Moussinac critique dans l’Huma, le journal du Parti Communiste Français Corbu pour qui « les terrains libres de l’URSS apporteront le plan libre»: « Le Corbusier ne veut pas savoir que, seule, la révolution socialiste a crée les conditions d’une telle liberté. Traitant de l’urbanisme de Moscou, il propose des solutions sans tenir compte d’un fait révolutionnaire : la mainmise des ouvriers sur l’économie municipale ».
Cette critique n’empêche pas Corbu de s’engager en 1935 dans la mouvance du Front Populaire. Il participe notamment aux activités de « l’union des architectes », crée par Louis Aragon et André Malraux. Et Vaillant-Couturier déclare regretter les attaques de Moussinac dans l’Huma.

Un  4°CIAM à Moscou en 1932.

Le  4°CIAM devait originellement avoir lieu à Moscou en 1932. Cette décision montre l’intérêt réel des CIAM pour ce qui se passait là-bas. Mais l’enthousiasme n’y est plus, des deux côtés. Intourist traine en longueur et impose même un changement de lieu si les organisateurs veulent éviter un report des séances à l'année suivante.
Finalement, le 4° congrès s’organise autour d’une croisière de Marseille à Athènes fin Juillet-Août 1933. Cette croisière est en quelque sorte symptomatique pour une certaine perte de contact avec le sol, réalité de base de tout architecte. Et, si ce n’est pas une rupture officielle avec l’URSS, c’est incontestablement pour certains un décrochage avec un ensemble d’expériences fascinantes dans le cadre des plans quinquennaux en URSS…
Joseph a donc en quelque sorte freiné l’ardeur des urbanistes qui voulaient faire table rase des centres historiques des vieilles villes.

Le palais des Soviets sur le site de la cathédrale du Christ-Sauveur

C’est donc dans ce cadre que nait le projet d’un palais des soviets. Ceci dit, la Ligue des militants athées ou Société des Sans-Dieu)
a sans doute influencé aussi cette décision. Même si à cette époque le Comité Central dénonce déjà «les déviations inadmissibles dans la luttecontre les préjugés religieux, en particulier la fermeture administrative des églises sans le consentement de la majorité écrasante des habitants » dans une résolution du 14 mars 1930 «Sur la lutte contre les déviations de la ligne du Parti ». Le «Rapport de la section Information du Commissariat du peuple à l'intérieur sur les déviations et abus en matière de politique religieuse » décrit une situation confuse qui régnait sur le front anti-et annonce la réouverture des églises.  Ce texte, comme un grand nombre d'autres rapports de cette période révèle crûment l'anticléricalisme primaire et violent des « activistes » au cours de la collectivisation, mais aussi l'ampleur des troubles liés au refus des autorités locales de rouvrir les églises.
En 1932 le Comité central du Parti communiste de l'Union soviétique annula les mesures administratives contre la religion prises entre 1930 à 1931, mais une autre directive en septembre 1931 réinstaura une éducation anti-religieuse active.
Ceci dit, l'ordre de Lazare Kaganovitch sur la démolition est du 5 décembre 1931. Mais cela soutient la thèse que cette démolition est basé sur des arguments urbanistiques.
Toujours est-il qu’indépendamment d’un certain gauchisme chez les athées, cette cathédrale était avec ses 6800 mètres carrés et sa capacité de 10.000 personnes une menace potentielle. Les autres églises (comme ceux du Kremlin) étaient somme toute des églises privées, qui pouvaient acceuillir une centaine de personnes. En rasant le bâtiment, on enlève la possibilité aux popes d’organiser des grands rassemblements au centre de Moscou.

Liège aussi a démoli sa cathédrale, vestige de la tyrannie ecclésiastique

Et puis, il y a évidemment la nécessité pour tout régime révolutionnaire de détruire au moins quelques symboles de l’ancien pouvoir. En tant que Liégeois nous sommes bien placés. Un de nos
grand peintres, Léonard Defrance, qui a joué un rôle important dans la révolution liégeoise de 1797, est pour Théodore Gobert “le pire des Liégeois que la terre ait jamais porté”.  Defrance a détruit un des édifices religieux les plus prestigieux de l’occident.
Gobert se trompe : ce n’est pas l’individu Defrance, mais les révolutionnaires Liégeois qui décident en février 1793 de démonter sa cathédrale. Une commission s’occupe de la démolition, avec Defrance comme président. « La proposition d’abattre la cathédrale, pour effacer tout vestige de la tyrannie ecclésiastique dont le pays a tant souffert, est acceuillie avec la joie la plus vive et décrétée à l’unanimité » (Bulletin du département du pays de Liège et de la Belgique, 1793, N°7, p.33).
A la même époque on vend des dizaines de bâtiments tout à fait comparables à Saint Lambert,  pour récupérer des matériaux, simplement parce que ces bâtiments étaient devenus d’inutiles témoins d’une époque révolue. Dans la principauté liégeoise, l’abbaye  de Saint Trond, une des plus vieilles et plus puissantes des Pays Bas, fut ravagée en 1796. Napoléon a empêché la démolition de la cathédrale Notre-Dame d’Anvers. A Bruges la cathédrale Saint Donat a été vendue comme 'bien national’ et complètement démolie. En France des dizaines d'églises et de monastères ont partagé le même sort. Plus dans http://hachhachhh.blogspot.be/2013/09/leonard-defrance-et-saint-lambert.html

Du monument à la troisième internationale de Tatline de 1922 au palais des soviets

Le projet du palais des soviets reprend le projet du monument à la troisième internationale de Tatline de 1922. Tatline voulait une salle de 15000 places et un foyer pour 15000 personnes, une salle pour les plénums de la troisième internationale de 6000 places des salles et bibliothèques secondaires et une esplanade permettant des défilés de masse.  
Des architectes étrangers " d'avant garde" (Le Corbusier, Gropius) participent au concours de 1930 à côté des "modernes" (Perret, Mendelson, Poeltzig, Lubetkin) et des "académiques" (Brasini). Il y a trois participants soviétiques : le palladien Joltovski, l'indécis Iofan et le moderne Krassine. Un  nouveau concours fut même ouvert aux amateurs en 1931. 160 projets furent présentés. Les trois nominés furent un projet  classique de Joltosvki,  un projet babylonien de Iofan et un projet dans le style des bâtiments de Washington des années 30 par un architecte américain inconnu, Hamilton.
Le Corbusier et Sigfried Giedion, à l'origine des CIAM, se plaignirent auprès de Staline de cette décision, « une insulte directe adressée à l'esprit de la Révolution et au plan quinquennal».
Une troisième session du concours invite en mars 1932 quinze équipes à concourir.
Dans  une note à Kaganovich, Molotov et Voroshilov Staline juge le projet d'Iofane comme le meilleur, mais propose d’allonger la tour principale, comme une colonne, aussi grande, voire plus haute encore, que la tour Eiffel,  couronnée d’une faucille et un marteau nimbés de lumière. Iofane avait dessiné une statue relativement petite du Prolétarien libre.
La quatrième session (juillet 1932 - février 1933) n'invita que cinq lauréats. Le 10 mai 1933, Iofane fut le gagnant final  mais son projet n’atteignait que 180m de haut et décomposait encore les différentes fonctions du programme en plusieurs bâtiments.
Le comité directeur remet tout sur le métier: plus question de solutions d'avant-garde ; un bâtiment unique. Les manifestations populaires ne traverseront plus les salles, il suffira que les délégués puissent saluer de loin les défilés;  l'égalité prolétarienne de la conception en amphithéâtre est remplacée par une ségrégation entre les différentes catégories de spectateurs et le retour des balcons. Mais il faut surtout refléter "la grandeur de notre édification socialiste". Une très haute tour et une statue de Lénine apparurent en réponse à un discours de Staline : « Le palais des Soviets est un monument dédié à Lénine. N'ayez pas peur de la hauteur, recherchez-la».
Iofane fut désigné définitivement en 1933 avec l’obligation de couronner le projet d'une statue de Lénine de 50 à 70m de haut. Le projet enfle encore un peu: la grande salle passe à 21.000 places avec une hauteur sous plafond de 100 m.
La hauteur passa ainsi de 260 à 415 mètres. En 1937, Frank Lloyd Wright s'adressant au congrès des architectes soviétiques fit cette remarque : « cette structure — juste une proposition j'espère — serait bonne si on la prenait pour une version moderne de saint Georges terrassant le dragon ».
Perpective triomphale Position du palais des soviets dans le plan de Moscou
Le chantier débuta en 1937. La fondation circulaire fut réalisée en 1939.
Ce projet abandonnée était la huitième ‘sœur’. En 2005 on pouvait voir dans le cadre d’Europalia «Les 7 Tours de Moscou (1935-1950)», au Botanique à Bruxelles.

La piscine Moskva, la plus grande du monde.

Des fondations du Palais des Soviets ancraient le bâtiment à 28 mètres de profondeur, dans la couche rocheuse, avec des pieux en acier. En juin 1941, la guerre arrêta le chantier. Les poutrelles ont servi pour des barrages anti-chars.
Après la guerre, Iofane proposera encore une autre version, incluant cette fois le thème de la Victoire, mais la reconstruction du pays impose d’autres priorités. La station de métro Palais des Soviets, aménagée en 1935 par Alexeï Douchkine, fut rebaptisée Kropotkinskaïa en 1957. Cela signifiait en quelque sorte l’abandon officiel du projet.
En 1958, Nikita Khrouchtchev transforme le vide laissé par les fondations du palais en une piscine géante à ciel ouvert d'un diamètre de 129,5 mètres. Les plans de la structure sont confiés au célèbre architecte moscovite Dmitri Tchetchouline.
La piscine Moskva était la plus grande du monde. Elle était chauffée, même au plus fort de l'hiver.
C’est du Khroutchev tout craché : Boris Eltsine n’est pas une rupture avec son bling bling. Il annonce en 1994 la reconstruction à l'identique de la cathédrale du Christ-Sauveur à son emplacement initial. La piscine est en conséquence démolie. Entre temps Nikita Khrouchtchev aussi n’était qu’un (mauvais) souvenir. Nous avons cherché (en vain) sa tombe au cimetière de Novodevitchi
Tombe de Nikita Khrouchtchev

2000 : une nouvelle cathédrale du Christ-Sauveur

Eltsine veut aller vite, et ça se voit. En 1995, la première pierre de la nouvelle cathédrale est posée. Le monument est consacré le 19 août 2000. Fureur mal contenue de milliers de gens appauvris par le chaos postcommuniste. Colère de nombreux popes qui n'ont pas de quoi restaurer leurs propres églises... Cette reconstruction fut le précédent qui donna l'impulsion pour le "remodelage" du patrimoine historique. Les architectes et les constructeurs travaillent rapidement et ne possèdent aucune connaissance scientifique particulière. Ils se sont révélés utiles pour la réalisation de projets bling bling et de programmes idéologiques. Seule la forme «historique» externe du bâtiment est maintenue, sans le processus complexe de restauration scientifique qui assurerait l'intégrité et l'exhaustivité du phénomène que nous appelons «culture». Pour le maire de Moscou «  la culture de Moscou le concept de la copie n'est parfois pas moins significatif que celui de l'original ".Le ministre russe de la Culture a décrit la situation comme « une bacchanale de la construction chaotique Au cours des dernières années, plus de trois cents bâtiments historiques ont été démolis. Mais cela fera partie d’un blog à part.

le Centrosoyouz  dû à Le Corbusier menacé en 2017

Ironie de l’histoire, le Centrosoyouz, première grande commande publique reçue par Le Corbusier, est menacé. Le "Centrosoyouz" est un symbole du modernisme, construit entre 1928 et 1936 pour héberger le ministère soviétique de l'Industrie légère. Ce monument historique classé venait d’être rénové en 2013. Le Centrosoyouz, avec sa rotonde sur pilotis à l'entrée et ses façades entièrement vitrées, faites de fenêtres en bandeau, reprend plusieurs codes du "Mouvement moderne" définis par Le Corbusier. En dépit de ses surprenants murs en tuf rouge -une roche volcanique tendre, ce bâtiment imposant qui allie les courbes et les angles s'intègre parfaitement dans l'architecture néo-classique du centre-ville de Moscou.
Antoine Picon, président de la Fondation Le Corbusier, s'en est inquiété dans une lettre adressée au maire de Moscou et au ministre russe de la Culture. Konstantin Mikhaïlov, coordinateur d'Arkhnadzor, qui lutte pour la préservation des bâtiments historiques, regrette une "altération de l'idée de Le Corbusier". Il estime que la construction d'un centre d'affaires qui serait accolé au bâtiment classé éloignerait les chances de voir le Centrosoyouz intégré au Patrimoine mondial de l'Unesco (17 réalisations de Le Corbusier dans sept pays ont été sélectionnées par l'Unesco en 2016 et le Centrosoyouz, "bâtiment très important pour l'héritage moderne  est souvent cité comme un candidat susceptible de rejoindre cette liste). Une réalisation de celui qui voulait faire table rase des centres historiques des vieilles villes à son tour menacé par l’urbanisme capitaliste débridé !

Le Corbusier en 1930 : mes plans répondent aux nécessités de défense contre la guerre aérienne. 

Un peu étonnant, même si le rapport avec le plan d’urbanisme pour Moscou est mince, cette remarque de Le Corbusier en 1930, sur son plan pour la capitale de l’URSS: «.j’ai établi depuis dix années des plans d’urbanisation et d’habitation qui répondent en grande partie aux nécessités de
défense contre la guerre aérienne. Un rapport militaire français examinant récemment les diverses solutions d’urbanisation proposées pour l’aménagement de Paris démontre que mes études se trouvent être les seules répondant aux nécessités de la défense aérienne». Prophétique : cela servira une décennie plus tard lors de la bataille de Moscou contre les nazis… (Le Corbusier, «Commentaires relatifs à Moscou et à la ville verte» 12/03/1930, doc. dactyl. FLC –Fondation Le Corbusier –A3(1)65, cité par J-L Cohen, 2011, p.22).


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