Lors de ManiFiesta 2017,
j’ai guidé quelques visites à l’expo « Résistance: Les artistes de Forces
murales ». En 1947, Louis Deltour, Edmond Dubrunfaut et Roger Somville
écrivent un manifeste qui sera le fondement du mouvement “Forces murales”, entre
1947 et 1959. Cette exposition est une initiative conjointe de ManiFiesta et
des enfants des 3 artistes. Elle est encore accessible au public jusqu’au 1er
octobre, pendant les heures d’ouverture du Centre Staf Versluys. J’aime
particulièrement douze dessins de Dubrunfaut illustrant les douze strophes d’un
poème qui s’intitule ‘Les Douze’. Douze quoi ? Douze bolcheviques, parbleu !
Douze dessins au lavis d’Edmond Dubrunfaut sur le poème
"Les Douze" d'Alexandre Blok.
Les douze dessins au lavis d’Edmond Dubrunfaut
sur le poème "Les Douze" d'Alexandre Blok datent de 2003. Se
pourrait-il que l’artiste les ait faits en préparation d’un festival Alexandre
Blok qui a eu lieu à Mons dans le cadre d'Europalia Russie, en 2005 ?
Le poète russe Alexandre Blok est né à Saint-Pétersbourg en 1880 et y meurt le 7 août 1921. En 1916-1917 Blok est au front. Il accueille Octobre avec joie. Le 19 octobre
1917 il écrit: «Lénine est le seul à
croire que la prise du pouvoir par la démocratie mettra véritablement fin à la
guerre et arrangera les choses dans le pays... Lénine c'est la prévision du
bien.»
A la question «L'intelligentsia peut-elle coopérer avec les bolcheviks?» posée par
un journal, le poète répond: «Elle peut
et elle le doit». Le 9 janvier 1918 il écrit un article «L'intelligentsia et la révolution» qui
s'achève par cet appel: «De tout votre
corps, de tout votre cœur, de toute votre conscience écoutez la révolution.» Blok proclame au
Smolny avec d'autres intellectuels savolonté de
collaborer avec les Soviets. Il
fait partie d’une commission gouvernementale chargée de préparer l'édition de
classiques russes. En 1919 Blok est nomme président de la Direction du Grand
Théâtre dramatique. En 1920 on l'élit président de la section de Petrograd de
l'Union des poètes de Russie.
Le 29 janvier, Blok termine le brouillon de
son poème «des Douze: « L'écriture, violemment secouée de syncopes et de
ruptures, de sautes métriques, d'âpres dissonances (sifflements, aboiements du
vent, piétinement, balles qui crépitent), mêle dans une pâte lexicale insolite
des slogans d'affiche politique et des formules de prière, des constructions
d'odes solennelles et des injures des rues, les termes grossiers du slang
prolétarien et des accents de romance. »
Les bolcheviques font de Douze leur étendard. Dans
les rues de Petrograd, les murs sont placardés d’affiches où figure un vers du
poème : “Marquez le pas révolutionnaire !”
Alexandre Blok LES DOUZE (Блок Александр Александрович Двенадцать).
Liberté, liberté,
Eh, eh, sans croix !
Tra-ta-ta !
Partout des feux, des feux, des feux...
Enlevez les bretelles des épaules !...
Au pas révolutionnaire, marchez !
L’ennemi inlassable veille !
Camarade, tiens le fusil sans peur !
Flanquons une balle à la sainte Russie,
La matoise,
La Russie des isbas,
Au gros cul !
Eh, eh, la sans croix !
Son rythme novateur crée le vers tonique libre en russe : la distinction entre
la cadence du vers et celle de la langue parlée s’efface. Les poèmes, au nombre
de douze, n’en forment qu’un, liés entre eux par la continuité narrative de
l’avancée des douze soldats dans la tempête de neige. C’est pourquoi ça en vaut
la peine d’écouter quelques versions en russe
https://www.youtube.com/watch?v=gZDnNsoAjTI
Et voici un film d'animation basé sur le poème, à
l’occasion du 70ème anniversaire de la Révolution d'Octobre.
https://www.youtube.com/watch?v=ovlma1_8zuA
À leur tête s’avance Jésus-Christ.
Blok a dû s’expliquer bien souvent à propos de
la chute de son poème : «À leur tête
s’avance
Jésus-Christ ». C’est idéalisation religieuse du brigandage.
Pour lui, dans la lutte qui a opposé l'empire
romain aux barbares, la victoire est revenue à une «troisième
force » : au christianisme. De
même le duel du capitalisme
bourgeois et de la révolution bolchevique doit se terminer par l'avènement
d'une religion nouvelle, d'un Christ populaire qui abolira la vieille religion décadente. Ce Christ se profile au-dessus des masses humaines déchaînées comme
l'étoile au-dessus des marécages, comme le prestigieux ataman d'un messianisme
cosaque : la légende nékrasovienne de l'ataman Kudejar, avec ses douze
razbojniki (brigands).
Ainsi, ils marchent, d’un pas souverain.
Derrière eux, un chien affamé.
Devant eux, avec un drapeau ensanglanté,
Invisible dans la tempête,
Invincible sous les balles,
Cheminant léger dans le tourbillon,
D’un pas plané, en cadence,
Couronné de roses blanches,
À leur tête s’avance
Jésus-Christ.
Dubrunfaut choisit l'encre de Chine pour avoir une forme
sobre au service des idées qu’il défend
Celui qui connaît un tant soit peu les
convictions de Dubrunfaut comprend pourquoi il s’est laissé inspirer par ce
poème. Ces dessins font partie du Fonds Edmond Dubrunfaut.
Mais l’oeuvre est aussi une prolongation logique d’autres séries de lavis à l'encre de Chine : "50 témoignages", une série réalisée dans la
clandestinité entre 1943 et 1945, et ensuite, les «150 cris du monde» inspirés
par les horreurs de l'histoire récente. Ses dessins des années de guerre
paraissent pris
sur le vif. «
J'ai pu m'appuyer notamment sur les
photographies que je réalisais pour les Archives centrales des laboratoires
nationaux (ACL), devenues depuis l'Irpa. On faisait le relevé des oeuvres d'art
ou des cloches d'églises que les Allemands emportaient. Plus j'avançais, plus
je voyais se répéter ce qui se trouve dans les cinquante témoignages dessinés
pendant la Deuxième Guerre mondiale. Un des dessins dit: «Plus jamais ça!»
Il dira plus tard : « Ces dessins
sont plus qu'une parenthèse, c'est quelque chose qui a toujours compté pour
moi. J'avais fait le choix de l'encre de Chine, du noir et blanc, pour avoir
une forme sobre au service des idées que je défends ».
Dubrunfaut a fait une donation de ces deux cents dessins à l'Etat belge et au Musée royal de l'Armée, dans le cadre de
l'aménagement en son sein d'un Mémorial des conflits contemporains. On peut espérer
que ce projet aboutit, vu les difficultés que rencontrent toutes les
institutions culturelles fédérales. Le ministre de la Défense Flahaut a exprimé
le souhait que «les expositions de cette collection contribueront au
nécessaire travail quotidien de sensibilisation de notre jeunesse». En février
1998 les Liégeois ont eu la chance de voir ces deux séries lors d’une exposition
à l'ancienne Église Saint-André.
Dubrunfaut dans le métro « Louise »
Nos trois muralistes ont continué, tout au
long de leur carrière artistique, à décorer des murs, de préférence dans des
lieux de grand passage, comme le métro ou les gares. En 1985 Dubrunfaut a
l’occasion d’installer à la station de métro Louise «La terre en fleur», une
tapisserie, céramique et tôle d’acier émaillée vitrifiée.
C’est un œuvre prophétique. Des décennies
avant l’appel d’Al Gore, l’artiste part d’une recommandation de l’UNESCO: «Sauvons les espèces, une grande menace plane
sur la nature, les animaux, les arbres, les plantes,...». Il déploie une
riche décoration végétale et florale qui intègre l’homme et l’animal en liant
tendrement tous les signes de vie entre eux.
En
1988 Dubrunfaut décore le passage souterrain de la gare de Tournai : un
revêtement mural de carreaux de grès et d'un décor du plafond réalisé à la
peinture. En 2008 la SNCB Holding a entamé une rénovation complète de la gare
de Tournai pour redonner à cet édifice sa « splendeur originelle ».
En
2008, cette oeuvre a subi d'importantes dégradations lors d'une opération de
nettoyage. Lors de la réalisation de cette oeuvre, l'artiste préconisait pour
la peinture du plafond, un nettoyage à l'eau avec un peu d'ammoniaque, tous les
dix à quinze ans. Or, selon le règlement général pour la protection du travail,
les agents ne peuvent pas utiliser d'ammoniaque et il est impossible d'enlever
des graffitis à l'eau claire.Les travaux ayant été commandés par les services
de la direction Patrimoine et réalisés par le personnel de la gare, il n'y a d
pas eu de cahier des charges. Selon la SNCB Holding, la restauration de la
peinture de Dubrunfaut n'était pas envisageable vu son état et sa localisation.
Quant aux faïences murales qui constituent la partie principale de l'oeuvre,
celles-ci sont intactes.
Dubrunfaut avait visité en 1951, comme moi en
septembre 2017, le métro de Moscou. Pour un muraliste, c’est le pied : «n’est-ce pas la plus haute élévation de
pensée que cette décision de mettre tant de belles œuvres, tant de richesses,
dans ces palais souterrains. Tout cela à portée des masses, là où vivent et
passent les masses. Quelle belle et noble école ! Ne prépare-t-elle pas la
citoyen soviétique à la compréhension de la beauté ? ».
En 2001
encore il réalise en 2001 une immense toile peinte (3m15 x 5m) dans son atelier
à Furnes : « Les cinq continents ou Les
langues, ouverture sur le monde »
pour la bibliothèque des Langues Etrangères à Moscou.
sources
http://www.notele.be/list21-le-temps-pour-le-dire-media29615-dubrunfaut--l-humanisme-au-bout-du-pinceau-08-04-14.html
Dubrunfaut, l'humanisme au bout du pinceau - émission tv sur Edmond Dubrunfaut
en 2006.
En 1958 paraissait «Alexandre Blok» par Sophie
Laffitte, chez Seghers, dans la collection «Poètes d'aujourd'hui».
Michel-Jean Bélanger, collectionneur d’ un bon
millier des oeuvres les plus rares De Blok, les a exposés à l'occasion
d'Europalia Russie. Dans les vitrines: «Les Douze» qui ont provoqué tant d'artistes,
dont Edmond Dubrunfaut. A cette occasion l'Orchestre royal de chambre de Wallonie a
fait un hommage au poète.
Jacqueline Guisset, qui a collaboré au
catalogue de l’expo ‘Forces Murales’ y a fait deux conférences: «Les Douze»
dans les arts graphiques, 1918-2005. Et «Blok et les artistes russes. Du symbolisme
aux premières années de la révolution».
http://galerie-albert1er.be/fr/edmond-dubrunfaut/
Edmond Dubrunfaut « Au fil de la vie »
La terre en fleurs, notre espoir, tapisserie de la station de métro Passage
Louise à Bruxelles tissée entre 1981 et 1984, Jacqueline Guisset – Docteur en
Histoire de l’Art, Bruxelles, octobre 2008. Edmond Dubrunfaut Métamorphoses du
dessin, Bruxelles, Eder, 2002, p. 5.
http://www.stib.be/irj/go/km/docs/STIB-MIVB/INTERNET/attachments/artMetro_F.pdf
Dubrunfaut et la gare de Tournai http://patrimoine-culture2tournai.publicoton.fr/dubrunfaut-et-l-art-urbain-a-tournai-195070
Biographie Dubrunfaut
Denain (France) 21/04/1920 – Furnes (Belgique)
13/07/2007
Peintre, dessinateur, aquarelliste,
lithographe, céramiste, créateur de tapisseries. Formation à l’Académie de
Tournai (1935-1938), à La Cambre (1940-1943) à Bruxelles chez Charles Counhaye.
Participe à la campagne des 18 jours en mai 1940, peint et dessine
clandestinement pendant l’occupation allemande. Après la libération, rédige en
1945 Le Manifeste pour l’art mural et Pour la rénovation de la tapisserie de
haute et basse lisse en Belgique.
En 1947, crée Forces murales avec Louis
Deltour et Roger Somville.
Professeur à l’Académie royale des Beaux-Arts
de Mons (1948-1978). Membre fondateur du groupe Art et Réalité en 1954.
Dubrunfaut s’affirme comme le rénovateur de la
tapisserie en Belgique : pendant sa carrière, il dessine entre 1937 et 2006
quelques 800 cartons pour plus de 5000 m2 de tapisseries tissées, dont 60
forment le cycle « Les temps de l’homme ».
En 1968, il fonde le groupe Cuesmes 68 avec
ses étudiants, leur objectif est de peindre sur des murs. Dubrunfaut réalisera
seul ou avec ses collaborateurs plus de 12 000 m2 d’interventions murales aux
techniques diverses : fresques, peintures acryliques sur différents supports,
polyester sur aluminium, voiles de polyester, mosaïques, céramiques, émaux de
grand feu sur acier… Crée avec Norbert Gadenne en 1979-80 la Fondation de la
Tapisserie, des Arts du Tissu et des Arts muraux de la Communauté française de Belgique ;
membre fondateur du Domaine de la Lice en 1981.
En parallèle à sa peinture de chevalet, à
l’art mural et à la tapisserie qu’il défend avec insistance, voulant placer
l’art « là où passent et vivent les hommes », sa vie de créateur sera consacrée
au lavis à l’encre de Chine. Ses oeuvres sont conservées et exposées aux Musées
royaux d’Art et d’Histoire et au Musée royal de l’Armée et d’Histoire militaire
à Bruxelles, aux Musées des Universités
de Louvain-la-Neuve et de Bruxelles (ULB), aux Musées d’Ixelles, Mons,
Tournai, Verviers, Binche, La Louvière, Malines, au Centre Culturel de Tournai,
d’ Antoing, à l’Institut d’Histoire ouvrière, économique et sociale de Seraing
(IHOES), au Bois du Cazier à Marcinelle, etc.
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