Théroigne de Méricourt dans la révolution brabançonne et liégeoise
En
2013-2014 j’ai organisé à la Braise un cycle sur la révolution liégeoise. Jules
Pirlot a clôturé avec verve le cycle avec la révolution brabançonne et ses
rapports avec la révolution liégeoise. Ce qui m’a incité à commencer ce blog.Je ne l’aurais
probablement jamais terminé si ma curiosité n’avait pas été avivée par
l’implication de Théroigne de Méricourt dans ces révolutions. La nouvelle
passerelle de la Boverie s’appelle La Belle Liégeoise,
surnom de Théroigne. En 1789 elle
est sur les barricades dans le Paris révolutionnaire,
mais fin 1790 elle rentre dans son pays natal. Ce n’est pas clair si elle vient
pour jeter de l’huile sur le feu de la révolution liégeoise, ou si elle fuit
ses créanciers. Mais elle s’y fait arrêter en février 1791 par les autrichiens suite
à une dénonciation de noblions émigrés français qui la considèrent comme une
révolutionnaire dangereuse. Un certain La Valette l’interroge puis rédige de sa main des Aveux qu'il lui
attribue et qui l’accablent. Heureusement pour elle, le nouvel empereur
autrichien Leopold II et son chancelier Kaunitz ne prennent pas ces ‘Aveux’ au
sérieux ; au contraire, ils gèrent cette arrestation comme une affaire
d’état. Ils la transfèrent dans le fort de Kufstein et l'empereur charge son conseiller aulique François de Blanc d'instruire
son dossier. Dans le Saint-Empire romain germanique un conseiller aulique est un conseil particulier de la cour (en
allemand : Reichshofrat). De Blanc est un homme des lumières qui cherche la
vérité dans les faits. De Blanc invite Théroigne à écrire sa version et organise
même une confrontation avec le texte de La
Valette qui s’avère faux du début à
la fin. Strohl-Ravelsberg publie en 1892 ‘Les Confessions de Théroigne de Méricourt,
la belle Liégeoise’, sur base du procès-verbal de ces interrogatoires, et de
l’autobiographie écrite au crayon par Théroigne et reposant aux Archives de
Vienne. Léopold II la libère. On pourrait penser qu’ils la jugeaient inoffensive, voire déréglée. Mais pourquoi lui remettre un beau viatique ? Cela n’est compréhensible que dans l’hypothèse où ils espèrent un résultat politique. Au niveau de la révolution française, on peut supposer que l’Autriche était intéressé à soutenir ainsi la fraction belliciste de Danton… Théroigne se faisait entretenir à Paris par Brissot, dénoncé par Camille Desmoulins qui accusait Brissot et la Gironde de Danton d'entretenir une entente secrète avec les puissances étrangères. Brissot appartenait effectivement au comité anglo-prussien qui avait fait place au comité autrichien créé par Marie-Antoinette d'Autriche en 1791.
Certes, c’est
Machiavellique, et cette hypothèse suppose que notre ‘aventurière’ avait quand
même une influence certaine, du moins dans l’esprit de Léopold et de Kaunitz. Marie-Christine, la soeur de l’empereur, a même difficile à saisir la finesse
de la manœuvre. Elle écrit à son frère l'empereur que les idées subversives se
répandent, et que la fameuse Théroigne de Méricourt, qui y passe au mois de décembre 1791, s'y vante tapageusement d'avoir vu l'empereur à Vienne et prétend même qu'il applaudit « à ses principes etsentiments (Schlitter, Briefe der Erzherzôgin Marie-Christine an
Leopold IL, p. 211, Vienne, 1896, cité dans HISTOIRE DE Belgique de H. PIRENNE). Olympe de Gouges décrit dans ses mémoires
comment Théroigne arrive le
26 janvier 1792 à Paris « porteuse
de la révolution du Brabant ». Elle y fait une entrée triomphale. Favorable à la guerre, comme
Danton et les Girondins, elle tente de créer une « phalange d'amazones ». Les Montagnards de Robespierre s’opposent à
cette guerre qui ne saurait que de plonger la jeune république dans la défaite
et la restauration.
Je me rends bien
compte que mes données sur Théroigne sont un peu maigres. Cela n’empêche que l’hypothèse
que l’empereur Leopold II et Kaunitz, qui étaient loin d’être des imbéciles,
tablaient sur Théroigne pour influencer certains dirigeants de la révolution
liégeoise et brabançonne mérite un examen un peu plus approfondie. Tout compte
fait, Kaunitz avait acceuilli aussi dans ses Etats de Brabant le
révolutionnaire liégeois Gosuin, après la restauration du Prince-Evêque. La figure centrale de ce blog n’est pas Théroigne.
Mais j’essayerai de situer dans quel sens elle aurait pu intervenir.Révolutions de l'Atlantique ou révolutions bourgeoises
J-P de Ransonnet |
On cadre parfois ces
deux révolutions (brabançonne et liégeoise) dans les Révolutions de l'Atlantique, un terme sensé couvrir l’ensemble des révolutions associées au siècle des
Lumières. Je trouve que le terme 'Atlantique’
donne trop de poids à la Révolution américaine (1775-1783). Celle-ci a certes a
inspiré De La Fayette qui s’engage dans la guerre d'indépendance des États-Unis, avant de devenir une
personnalité de la Révolution française. Le liégeois Jean-Pierre Ransonnet aussi
met son courage au service du
gouvernement insurrectionnel américain (1778). « Exalté d'américanisme »,
il propose dès 1787 déjà de régler à sa façon le sort du prince-évêque de Liège:
«Des procès! Des enquêtes! C'est la
guerre des lâches. Qu'on abandonne la sainte écriture et les plaideurs à leurs
rêveries, ce sont des armes rouillées.» Son ami Gosuin fait des bonnes
affaires en vendant des armes (aux deux camps).
Mais je préfère les situer
dans le cadre des révolutions bourgeoises qui ont commencé avec la première
République bourgeoise aux Pays Bas, suivi de celle Cromwell en Angleterre pour
se terminer avec Garibaldi en Italie. Après, la bourgeoisie prend peur des
mouvements révolutionnaires, et on rentre dans l’ère des révolutions
prolétariennes avec la Commune de Paris en 1871.
La révolution Brabançonne
– que j’appelerai aussi révolution Belgique, le terme étant utilisé à l’époque
comme adjectif - est une révolution bourgeoise. Si on la regarde comme un fait
isolé, on la taxerait de mouvement réactionnaire. Mais elle est liée à la naissance
d’un des pays capitalistes les plus développés du Continent.
A à la veille de la
révolution Brabançonne les révolutionnaires se trouvent divisés dans deux fractions.
La noblesse et clergé, dont les privilèges sont menacés par l’Empire, trouvent
dans l’avocat Henri van der Noot leur défenseur. On les appelera Statistes
parce qu’ils défendent le maintien des trois Etats. Une partie du Tiers Etat,
les négociants et professions intellectuelles roturiers, sans quarts de
noblesse, soutiennent Vonck. On les qualifiera de démocrates, ce qui n’est pas
tout à fait faux, même s’ils font peu de cas de la démocratie pour l’écrasante
majorité du peuple travailleur…
La Révolution
française de 1789 a des liens avec la révolution liégeoise et brabançonne. Les
Liégeois font leur révolution un mois après la prise de la Bastille ; ils
se rendent compte qu’isolés ils ne sauraient tenir tête à la réaction et
revendiqueront ensuite l’adhésion à la nouvelle République française. Même la
fraction ‘réactionnaire’ de la révolution
brabançonne se réfère aux Lumières. La souveraineté ne doit plus appartenir au
roi mais à la nation. Maintenant, c’est quoi une nation ? Les Statistes de
Van der Noot ont une conception singulière de leur nation, avec les trois états….
Et dans l’autre sens
aussi, les révolutionnaires français suivent avec attention les évènements au
Brabant. Camille Desmoulins appelle en 1790 sa gazette ‘Révolutions de France et de Brabant’. Son journal gardera son titre
jusqu'en juillet 1792 ( Desmoulins gardera sa tête jusqu’au 5 avril 1794), mais
il sera très vite déçu et parlera "d’une
sorte absurde de peuple oriental dont la raison sommeillante ne progresse
jamais et dont l'esprit comme la bière restaient exactement les mêmes d'année
en année".
D’autres révolutionnaires
jouent carrément dans les deux pièces. Le comte
français de la Marck militait en France pour un gouvernement monarchique
constitutionnel. Mais il offre ses services militaires aux États de Flandre. Il
faut dire qu’il y avait des terres… Dans ce cadre il donne ses conseils au
comité de Gand, le 10 décembre 1789 : « Si c'est une constitution entièrement républicaine, et par conséquent
la guerre que vous voulez, il faut employer tous les moments de l'armistice qui
vient d'être signé à se procurer avec abondance des armes et des munitions, et
organiser très rapidement une force militaire. Si ce n'est que pour regagner
sur l'Empereur les avantages que vous avez perdus, il faut encore et la coalition
des provinces, et l'intervention paisible et la garantie efficace des
puissances voisines, mais par d'autres procédés, et avec des préparatifs d'une
autre nature. »
De la Marck alias
d’Arenberg s’engage très loin dans l’arène politique belge, et signe par
exemple l’adresse que Vonck présenta, le 15 mars 1790, aux états de Brabant
pour obtenir une représentation plus équitable des trois ordres. Il protesta
ensuite, avec énergie, contre les violences dont furent victimes les adhérents
de Vonck, signataires de cette adresse.
Dans la révolution
française il joue un rôle trouble : il fut dépositaire du million queLouis XVI avait promis à Mirabeau, un des leaders les plus écoutés du Tiers Etat. Celui-ci mourut, le 2 avril
1791, dans les bras du comte de la Marck qu’il avait nommé son exécuteur
testamentaire.
De la Marck tournera
casaque après la défaite de la révolution Brabançonne et fait valoir sa qualité
d’officier général au service de France pour échapper à la rage du parti
victorieux: «Cette révolution ne
convenait point à mes sentiments et n’était pas d’accord avec mes principes.» Il offre alors ses services à ambassadeur
d'Autriche, de Mercy-Argenteau. En août 1792, le nouvel empereur François II le
rappela au service de l’Autriche avec le grade de Général-major. Il fait encore
des démarches incessantes mais vaines pour sauver la reine Marie-Antoinette.
Important aussi :
les sympathisants français de la révolution brabançonne ont parfois des arrière-pensées
sordides : les royalistes jouent à fond la carte de la guerre et cherchent
à provoquer une intervention de l’Autriche contre la France révolutionnaire.
Ils jettent donc allégrement de l’huile sur le feu brabançon… D’Arenberg – De
la Marck est ainsi à la base d’une véritable provocation : la distribution
de cocardes républicaines à Bruxelles, que je raconte plus loin.
Il n’est certainement pas
le seul aventurier sans principes. Toute situation révolutionnaire attire ce
genre de personnalités.
Le développement capitaliste du Brabant sous l’Ancien Régime
Toutes ces révolutions
traduisent l’évolution des forces productives, avec la montée du capitalisme freiné
dans son élan par la féodalité. Beaucoup d’historiens belges ont sous-estimé le
développement capitaliste du Brabant sous l’Ancien Régime, et ont souvent
présenté l’économie des Pays Bas Autrichiens comme sous-développé.
L’historienne américaine Janet POLASKY s’est penché sur ce bond miraculeux dans la technologie
industrielle en Belgique vers la fin du 18° siècle. Elle a continué sur la
lancée de Jan Craeybeckx qui se demandait en 1967 comment une révolution conservatrice a pu se produite dans une des régions les
plus précoces dans la révolution industrielle en Europe. lle aurait pu remonter à Henri Pirenne qui refusait à juste titre d’expliquer les
divergences entre Liège et le Brabant à partir d’un conservatisme flamand face
au libéralisme wallon: lors de la révolution Brabançonne les wallons du Hainaut
et du Namurois sont beaucoup plus conservateurs que les Flandriens qui
fournissent les sympathisants Vonckistes. Pirenne cherche une explication dans
les rapports des classes et le développement industriel de la principauté qui a
créé des parvenus qui se foutent des
privilèges. Dans les Pays-Bas catholiques par contre il y a une
prépondérance des grands propriétaires fonciers qui sont conservateurs.
A mon avis Pirenne sous-estime
le développement capitaliste dans les villes belgiques et passe aussi de côté
des contradictions entre paysans capitalistes et propriétaires fonciers issus
de la noblesse. Jaurès a fait un travail remarquable de sur l’impact des
paysans dans la révolution. La revendication ‘la terre à ceux qui la travaillent’ était portée par les petits paysans et explique leur soutien à la
révolution. Les tendances révolutionnaires radicales ont essayé, en vain, de faire profiter ces petits paysans des
expropriations des biens de l’église et des nobles. C’est les capitalistes qui
se jettent sur les domaines expropriés. Une partie de ces gens-là étaient déjà
présents à la campagne avant, et exploitaient leurs terres via des méthodes
capitalistes. Dans les pays belgiques aussi la vente des biens nationaux
connaîtra un grand succès, et est à la base de certaines fortunes capitalistes encore
aujourd’hui.
Une opposition décennale aux privilèges des métiers
combat dans les rues de Gand |
POLASKY prétend donc qu’au
moment de leur révolution les Pays Bas Autrichiens étaient probablement une des
régions les plus avancées industriellement de toute l’Europe continentale. Ces
industriels se heurtaient au carcan des corporations ou Métiers. Ce qui explique
que les mêmes hommes qu’on retrouvera comme Vonckistes et Vandernootistes en
1789 s’étaient déjà opposés pendant une décennie sur les privilèges des métiers
et guildes et sur la question du libre échange. La Révolution Brabançonne
n’était qu’une bataille dans la longue lutte de la bourgeoisie commerciale belgique
pour se libérer des contraintes de l’Ancien Régime.
Dans les années 1880
beaucoup de négociants lancent des affaires en justice, et soutiennent en
quelque sorte les réformes imposées par l’empereur Joseph II. Un fabricant de
porcelaine demande ainsi en 1788 l’aide
de l’Empereur pour un nouveau procédé qui permet de fabriquer une porcelaine de
la même qualité que les Métiers pour deux tiers du prix. Comme il n’était pas
membre de la guilde, on l’interdisait de produire et de vendre à Bruxelles:
"Permettre à une seule Société de
faire valoir de talens dans un certain genre d'ouvrage, c'est ôter au personne
qui ait fait une nouvelle invention ou qu'il ait introduit une nouvelle
manufacture, en ce cas de jouir du fruit de son travail".
Un autre manufacturier
veut fabriquer des draperies style anglais: "le corps de métier de tondeurs, sans considérer l'utilité publique, ni
le bien général, pourroit y porter quelque obstacle...en vertu de leurs
privilèges."
Le banquier Herries
argumente en 1783 que "les corps de
métiers avec tous leurs privilèges et leurs droits font une barrière
insurmontable à l'agrandissement des manufactures et à toute espèce
d'industrie." Il sera Vonckiste en 1789.
Guillaume Chapel, un
drapier qui fera banqueroute plus tard, intente procès sur procès aux Métiers. Au
point où ceux-ci menacent de saisir ses machines. Chapel dénonce leur monopole commercial
qui viole "la liberté naturelle."
Lui aussi sera Vonckiste.
Chapel refusait
l’obligation de recruter exclusivement des artisans formés par les guildes.
Cela les rendait non compétitifs face à l’Angleterre sur les marchés d’exportation :
"il faut qu'elle soit affranchie de
toute gêne extérieure et que le fabricant jouisse de la liberté la plus
illimitée." Pour Herries, "le
négociant est l'esclave de ces corporations."Et pour un autre, "les Arts et Métiers qui sont le patrimoine
naturel du peuple, devinrent la proie de quelques hommes privilégiés qui les
vendirent au prix qu'ils voulurent à leurs concitoyens."
De la Marck alias
d’Arenberg décrit les possibilités intéressantes de commerce en Amérique qui
n’aboutissent pas faute de capital à risque, et il demande un prêt au
gouvernement Autrichien.
Les guildes ont les
reins solides pour soutenir des procès interminables et poussent ainsi à la banqueroute
pas mal d’industriels. Les négociants
proposent alors fin des années 1780 à Joseph II une chambre de commerce à Bruxelles,
pour contrer la réglementation archaïque qui freine plutôt que de garantir une justice :
"Des longueurs de la procédure et
des chicanes qu'ils essuient constamment tendent naturellement à empêcher l'accroissement
du commerce. Sire, ils n'ont besoin que de la liberté civile pour mettre en
activité leur industrie." Celui-ci répond : « Quant au commerce interne, laissez agir les
Belges". "
Sa mère Marie Thérèse
avait déjà diminué des taxes et construit routes et canaux entre les centres industriels. Elle avait même envisagé une
limitation du pouvoir des privilèges des Métiers. Joseph demande en 1784 "une liste exacte et classifiée" des
régulations et privilèges des guildes. Un négociant lui dit :"l'on a trouvé qu'il ne convient pas de
soumettre les marchands en gros à la moindre gêne ni corporation," Et
un autre: « les privilèges des guildes
forment un obstacle au progrès et au développement de l'industrie et blessent
la liberté des citoyens."
En 1786 Joseph II,
"voulant accorder aux négociants de
ce pays des preuves de notre désir de seconder leurs vues pour l'expédition des
affaires qui concernent le commerce," propose d’étudier l’établissement
de chambres de commerce avec des juges choisis par les négociants. Il fait
savoir aux négociants qu’il envisage un projet d'édit pour la suppression des
Métiers. Mais aucune de ces réformes majeures
n’aboutit, et son indécision énerve les deux parties, les négociants et les
Métiers.
Les négociants
essayent de mobiliser les pauvres qui ne pouvaient se payer ces apprentissages
longs et coûteux. Il y a d’ailleurs des pétitions d’apprentis pour demander des
reports dans les paiements des apprentissages. Mais ils ne réussiront pas à
entrainer les travailleurs, qui resteront sous la coupe des Statistes.
Ceci dit, cette
cristallisation du conflit avec les Métiers représente un handicap politique
pour les Vonckistes et la classe capitaliste qu’ils représentent. En France
c’est l’Ancien Régime qui a balayé les corporations. Les révolutionnaires français
trouvent un terrain préparé. Turgot, contrôleur général des finances, obtint du roi Louis XVI la suppression des corporations en février 1776. Son édit souleva de très fortes résistances,
et la lutte engagée par les corporations contribua à la disgrâce de Turgot. Un
nouvel édit d’août 1776 rétablissait les corporations, mais il en réduisait le
nombre et imposait des règles nouvelles. Cela a préparé le terrain pour le
décret révolutionnaire d’Allarde qui supprima les corporations en 1791. Ce décret sera suivi quelques mois plus tard
par la loi Chapelier
qui servira jusque 1884 à interdire les syndicats… En France, le Tiers Etat
s’est très vite démarqué des deux premiers états. Les métiers sont pratiquement
absents comme force politique.
A Liège, c’est le
prince évêque qui avait pratiquement détruit les Métiers, et c’est le capitaine
d’industrie Gosuin qui réussit à attirer ses ouvriers dans la Révolution, ce
qui explique le rapport de force différent : les tendances radicales et
démocratiques ont eu le dessus.
Une révolution
bourgeoise doit détruire tout lien des travailleurs avec leurs corporations,
pour les retrouver tout nu, propriétaires seulement de leur force de travail
(et de leurs enfants, les proles). Là où l’Ancien Régime a détruit les Métiers le
Capital part avec une longueur d’avance.
Je soupçonne néanmoins
l’historiographie belge d’avoir mis exagérément l’accent sur ce conflit avec
les Métiers, sous l’influence des cathos qui ont préconisé jusque fort tard
dans le XXième siècle un système corporatiste. Rerum Novarum est corporatiste.
Toujours est-il que les
débats politiques entre Vander Noot et Vonck sont le prolongement de ces disputes juridiques et économiques. Jean-Jacques Heirwegh voit à juste titre en Vonck le porte-parole « des grands propriétaires, des capitalistes,
des négociants, des lettrés et du bas clergé séculier surtout désireux de
mettre fin au monopole archaïque du
pouvoir détenu par les corporations
urbaines, le haut clergé, les grosses abbayes et une
fraction de la noblesse».
Vonckistes et Staistes
voyaient dans la Révolution Brabançonne
une chance d’atteindre leurs objectifs pourtant profondément opposés. Cette Révolution
était pour eux la continuation du débat entre corporations et liberté du
commerce.
Des monarques éclairés
comme Joseph II ou le prince-évêque Velbruck tentent de ménager la chèvre et la
chou. Ces tentatives sont vouées à l’échec puisqu’ils n’osent pas toucher aux
privilèges des classes menacées – noblesse et clergé - qui raidissent leurs
positions.
La révolution
brabançonne cherche une légitimité dans la passé: la Joyeuse entrée de 1356! Les Liégeois aussi remontent à la Paix de Fexhe de 1316! Mais tout le monde ne parle pas du même passé. Tous ne sont pas de
réactionnaires qui rêvent d’un retour aux privilèges du Moyen-Age. Yvan Van Den
Berghe décrit très bien comment les doyens des métiers mettaient en avant les
privilèges du 17ième, tandis que les travailleurs référaient au
13ième où la démocratie primitive était plus développée (Jacobijnen en
traditionalisten. De reacties van de Bruggelingen in de revolutietijd (1780-1794), Brussel 1972).
Les Lumières de Joseph II
Leur adversaire Joseph
II est une figure tragi-comique. Il s’inspire du roi de Prusse Fréderic le Grand,
qui avait raflé la Silésie à sa mère Marie Thérèse. Joseph essaye de remédier
aux causes de cette défaite, mais se perd dans des détails, parce qu’il n’ose
pas aller à l’encontre de sa noblesse et clergé, et il n’a pas la souplesse
politique des rois de Prusse.
Son Empire Autrichien
a des bases financières très faibles. Les rois, princes et ducs allemands se
sont toujours arrangés pour limiter les moyens de leur Empire au strict
minimum. Ce qui explique qu’au niveau militaire l’Empire n’est pas capable de
gérer deux théâtres de guerre à la fois. Quand la révolution brabançonne se
déclenchera, il n’a pas des moyens à sa disposition pour renforcer les 13.000
mercenaires, en fait une grosse gendarmerie, parce qu’il est impliqué dans une
guerre avec les Turcs.
L’Empire est obligé de
s’appuyer sur les cercles impériaux. Liège dépendait du cercle de Westphalie,
le Brabant du cercle de Bourgogne. Ces cercles étaient censés exécuter des
ordres de l’Empire. En réalité ils mènent leur barque comme bon leur semble,
souvent au détriment de l’Empereur. Le cercle de Westphalie était chargé de
rappeler à l’ordre les révolutionnaires liégeois. La Prusse qui y faisait la
pluie et le beau temps continue avec un
peu moins de verve mais autant de mordant une stratégie d’affaiblissement de
l’Empire inaugurée par Fréderic le Grand. La Prusse ne fait rien contre la Révolution
liégeoise, et soutenait de manière indirecte la révolution Brabançonne.
Joseph II essaye de se
libérer de cette emprise des rois, princes et ducs germaniques en renforçant
les assises financières de son état.
Sa première tentative
de consolider les finances de son Empire lui réussit plus ou moins. L’empereur
autrichien s’attaque en 1774 aux biens des Jésuites, qui dépendent à son goût
trop du Vatican. Avec ça il ne fait que d’imiter une politique séculaire des
rois français, qui avaient visé bien plus large pour imposer leur église
nationale. Un effet collatéral est la sécularisation de 2500 tableaux de grands
maîtres comme Rubens etc.. La création d’un musée à Bruxelles échoue, mais dans
la principauté Velbruck finance une académie de peinture avec les revenus des
jésuites. Une partie des Rubens et
Van Dijck arrive chez Louis XVI qui complète via un homme de paille les 24
Rubens commandés à l’époque par sa mère Marie de Medicis. La dernière vente des
tableaux jésuites a lieu en 1779. Un ‘Comité
de la Caisse de Religion’ gère 22.000 œuvres sécularisés. La vente ne
rapporte pas parce que les bourgeois n’arrivent pas à accrocher ces grands
formats décrochés dans les églises. Marie Thérèse et son fils Joseph II
utilisent un droit de préemption pour le Belvédère de Vienne. Le ministre
plénipotentiaire autrichien Belgiojoso transmet le catalogue de vente à
Vienne qui complète sa collection.
Dans les Pays Bas
Autrichiens et au Pays de Liège cette expropriation va valoir à Joseph II la
haine du Jésuite Feller dont le Collège des Anglais, à Liège, est aboli. Le Roi
de Prusse par contre maintiendra les Jésuites (d’une manière très cynique) :
«Je garde mes Jésuites et vous direz au
Saint Père que puisque j’appartiens à la classe des hérétiques, le Saint Père
ne saura pas me dispenser de l’obligation de tenir ma parole »). Ce
qui explique que Feller et ses Statistes suivent une stratégie pro-Prusse.
Le ‘Comité jésuitique’ se charge de la
gestion de ce patrimoine exproprié. Joseph II espère de financer le culte
avec le produit de ces biens confisqués.
Comme il arrive loin du compte il poursuit avec la suppression en 1783
de 163 couvents et abbayes inutiles des ordres contemplatifs. L’idée de
base est une église moins chère.
Ici il a plus de
résistance, même si Joseph II laisse des échappatoires. Il suffit qu’une abbaye
crée une école ou un hospice pour ne plus être considéré comme contemplative.
Toujours est-il que les Capucins par exemple que nous retrouverons quelques
années plus tard dans les pogroms contre les Vonckistes sont menacés
d’expropriation. Idem pour Tongerlo : pour financer les Statistes l’abbé
hypothéque son abbaye qui allait de toute façon être expropriée. En cas de
défaite de la révolution, il n’avait rien à perdre : il avait déjà tout
perdu !
Certains historiens
casent l’abbé de Tongerlo chez les Vonckistes. Ce qui est à mon avis
faux : Tongerlo avait repris les bibliothèques des Jésuites, et l’abbaye
était Bollandiste.
Et puis, n’oublions
pas qu’en visant les abbayes Joseph II touchait aussi la noblesse qui ‘casait’ ses enfants dans ces ordres
contemplatifs afin de ne pas disperser le patrimoine familial dans les
héritages.
Ceci dit, la
Révolution française aussi expropriera les contemplatifs, et obtiendra pour ça
le soutien des trois états.
Pour Joseph II s’attaque
aussi à l’annulation des mariages religieux via le droit canon, activité très
lucrative pour l’Eglise. Pour lui, le mariage est un acte civil. Notre empereur
sacristain interdit en 1784 d’enterrer dans les églises et même dans la ville
(Napoléon l’imposera). Les enterrements dans l’église rapportaient aussi beaucoup
aux églises.
Il abolit la notion de
crime d'hérésie.
L’édit de tolérance de Joseph II reconnaît la
liberté de culte et permet aux protestants et aux juifs d'accéder aux fonctions
publiques. En utilisant les compétences des juifs et des protestants, il essaye
d’imiter le roi de Prusse qui s’était attiré avec succès tous les exilés des
pays environnants. Il ruinait ainsi dans les Pays Bas Catholiques un monopole
que l’église catholique avait chèrement acquis avec l’Inquisition. L’ex-jésuite
Feller parle de l’exécrable tolérantisme.
Joseph supprime les
corvées féodales. Ca passe encore dans la mesure où dans les faits ces corvées
avaient presque partout été rachetées et que lui-même propose un rachat.
Il veut des juristes
professionnels, et heurte ainsi les noblions qui ont acheté leur ‘charge’. Les juridictions existantes
(seigneuriales, urbaines et ecclésiastiques) sont supprimées et remplacées par
une organisation hiérarchisée: des tribunaux de première instance dans les provinces
(Cercles ou Kreis) et deux cours d'appel, l’une à Bruxelles et l’autre à
Luxembourg, le tout étant chapeauté par un Conseil souverain de justice, à
Bruxelles.
Bref, il provoque la
résistance chez les deux Etats qui sont la base de son Empire. Mais il n’ose et
ne saurait pas s’appuyer sur le peuple pour briser cette résistance, comme la
Révolution française le fera.
La consolidation des assises financières de l’Empire en cassant les anciennes provinces belges
L’étape suivante
touche le nerf de la guerre : les taxes. Joseph II s’attaque enfin aux bases financières et fiscales de son Empire. Il veut supprimer l’accord des
différents états qui composent son Empire pour la levée des taxes, condition
indispensable pour – entre autres - la constitution d’une armée de métier. Pour
cela il casse les anciennes provinces belges qui sont remplacées par 9 Cercles,
eux-mêmes divisés en 64 districts. En soi, ça tenait la route, puisque ces
cercles deviendront les neuf provinces belges de 1830.
Il impose aussi la
libre circulation des grains. Là aussi c’est une mesure qui privilégie les
industriels et affaiblit les grands propriétaires fonciers. Mais malchance pour
lui : cette mesure coïncide avec des mauvaises récoltes et des
exportations spéculatives et il se met ainsi le peuple à dos qui est confronté
avec des prix exorbitants. Il essaye de contourner les obstacles mais se perd
dans des détails futiles, sous la risée de son adversaire le roi de
Prusse : il décide que les kermesses doivent se dérouler le même jour. A
son avis trop de journées de travail sont perdues lors de ces fêtes. En soi,
cette mesure n’est pas conne, du point de vue capitaliste. La Révolution
française réduira d’ailleurs aussi les jours de fête à une dizaine, nombre qui
est maintenu jusqu’à aujourd’hui. Sans parler de la décade, la semaine de dix
jours. Deux siècles plus tard les accords de Lisbonne ne se limiteront pas à la
durée de travail annuelle mais visent à rehausser le taux d’activité de la
classe ouvrière entière. La bourgeoisie aspire à prolonger par tous les moyens
le taux d’activité de ses prolétaires. Mais en attendant, l’affaire des
kermesses pousse les travailleurs dans les bras des révolutionnaires
brabançons, qui réussissent à créer un front très large contre Joseph II.
Celui-ci accumule les maladresses sur toutes sortes de points secondaires. Le
remplacement des séminaires diocésains par un grand séminaire joséphiste à
Louvain devient un casus belli. Idem de l’autorisation de la fréquentation des
écoles de confession non catholique.
Ceci dit, l’intransigeance de Joseph II s’explique aussi
par la situation politique générale. En France, la fièvre révolutionnaire
montait et les têtes couronnées commençaient à se concerter pour arrêter cette
évolution. La révolution brabançonne gênait évidemment énormément la
constitution d’une force de dissuasion face à la révolution française… Enfin,
il faut savoir que Marie-Antoinette, la femme de Louis XVI, était la sœur que
Joseph II aimait le plus. Ce n’était certes pas déterminant pour un esprit
rationnel comme lui, mais ça l’a encouragé sûrement à imposer ses réformes en
marches forcées …
Les réformes de Joseph II ont des aspects séduisants pour la bourgeoisie.
Le contenu de ses
réformes est bourgeois. Ce n’est donc pas étonnant que certains
révolutionnaires se laissent séduire par ces réformes. Le cas le plus flagrant
est celui de Pierre Lebrun qui fera une grande carrière militaire sous la
République française. Le liégeois Lebrun qui était à la pointe des attaques contre son prince-évêque
s'était exilé à Herve, terre d'Empire, où il poursuit l'impression de son ’Journal général de l'Europe’. Malgré
les pressions liégeoises, le gouvernement des Pays-Bas Autrichien n'inquiéta
guère Lebrun. C'est qu’il appuyait sans réserve les réformes progressistes de
Joseph II. Il était ainsi en opposition ouverte avec la Journal Historique et
Littéraire de l’ex-jésuite Feller, que nous retrouverons chez les Statistes. En
juin 1787, ce ne fut pas Joseph II mais les Etats de Brabant et de Hainaut qui interdirent
son journal sur leur territoire et décrétèrent ses responsables de prise de
corps. Lebrun se réfugie à Aix, en terre de l’Empire, d’où il sollicite
l'intervention du gouvernement impérial qui casse effectivement l’arrêt. Le
journal reparut le 5 janvier 1788.
Au cours de cette
année Lebrun se détache de Joseph II. Au nom de la «Souveraineté populaire», le journaliste cautionna le soulèvement
brabançon. Mais Lebrun tomba entre deux chaises : il fut condamné par les
impériaux pour sa défection et par les réactionnaires brabançons pour son
attachement au joséphisme. Heureusement pour lui, à Liège un Gouvernement
révolutionnaire liégeois avait été mis sur pied en juillet 1790 et il y reçut
un accueil chaleureux. On le retrouvera plus tard comme général de la
République…
Gosuin |
Le nationalisme
Si le sentiment
national est bien présent dans la plupart des révolutions bourgeoises, il prend
une forme originale dans ce qui va devenir la Belgique. Dans une bonne partie des
onze états des Pays Bas Autrichiens (ou
catholiques : Brabant, Flandre, Hainaut, Namur, Luxembourg, Limbourg,
Gueldre, Malines, Tournai, Tournaisis et West-Flandre) la tendance dominante
est la défense l’autonomie de son « état ».
Remarquez qu’une partie du Brabant, du Limbourg et de la Gueldre faisaient
encore partie des Pays Bas Autrichiens because catholiques. La République des
sept Provinces-Unies se limitait aux
sept provinces de Hollande, Zélande, Overijssel, Frise, Groningue, Gueldre et
Utrecht. La Belgique revendiquera le Limbourg hollandais au Congrès de Vienne
de 1815 et au Traité de Versailles en 1918. Le Limbourg hollandais votera
d’ailleurs en 1848 pour la Confédération germanique. Le sentiment nationaliste du
Limbourg hollandais est quelques chose de bien particulier….
Les révolutionnaires belgiques
choisiront une confédération assez lâche nommé ‘États unis belgiques’ en analogie avec les Etats Unis d’Amérique (d’ailleurs
aussi une confédération). Pour la facilité je continue à parler de révolution ‘brabançonne’,
même si elle a touché d’une manière ou d’une autre les onze états belges, du
Brabant au West-Flandre. Je continue néanmoins d’utiliser Belgique comme
adjectif : c’est tout à fait correct historiquement.
Le nationaliste
flamand Vic Anciaux prétendait “que la Belgique
fédérale est né d’une autre manière que presque tous les états federaux du
monde, par une scission graduelle”(ds 10/1/2013). Il oublie que les Etats Unis Belgique de 1789
étaient confederalistes!
Quant à la Révolution
liégeoise, c’est en tant que ‘pays de
Liège’ qu’elle demandera en 1793 son adhésion à la République française.
A cette époque des
révolutions bourgeoises, le sentiment national existe, certes, mais sous une
forme embryonnaire et pas toujours nette. Le sentiment principautaire du pays
de Liège était bilingue et doublé d’une appartenance imériale. Aucun pays
n’était organisé sur des bases nationales, à part le Royaume de France, la
confédération helvétique et la République Batave.
En France, où l’absolutisme
avait centralisé le pouvoir dans un état-nation, la bourgeoisie révolutionnaire
se saisira à plein de ce sentiment national pour exiger l’abolition de tout
péage, droits de douane etc. à l’intérieur de cette entité. Le nationalisme
justifiait aussi la protection contre la concurrence d’autres pays par des
barrières douanières. En même temps le nationalisme était un levier puissant
pour mobiliser les masses pour la guerre révolutionnaire.
Les révolutionnaires
de la future Belgique n’ont pas eu beaucoup de temps à développer leur sentiment
national embryonnaire. Ils garderont le pouvoir une petite année. Après la
restauration autrichienne, le conflit évolue vers une confrontation entre la
France révolutionnaire et l’Autriche, à la tête d’une coalition de toutes les
couronnes menacées. Le ‘nation-building’ belge sera pris en main par Léopold I un demi siècle plus tard.
Statistes et Vonckistes à la veille de la révolution
A à la veille de la
révolution Brabançonne les révolutionnaires se trouvent divisés dans deux fractions.
La noblesse et clergé, dont les privilèges sont menacés par l’Empire, trouvent
dans l’avocat Henri van der Noot leur défenseur. On les appelera Statistes
parce qu’ils défendent le maintien des
trois Etats. Vander Noot n’était pas une
grande lumière. L’historien de la Révolution française Jules Michelet le qualifiera
de ‘grand agitateur de la tourbe
catholique’. Pour notre ministre d’état Paul Struye, pourtant social chrétien, c’était ‘un bien pauvre esprit, masquant sous un flot
de paroles le vide de sa pensée, se grisant au son de se propre voix, poussant
la vanité jusqu’à la sottise’. Pour les classes qu’il défendait, cela
n’avait pas d’importance que Vander Noot était sectaire et imbu de sa personne.
Ils lui pardonnaient ses fanfaronnades sur les quarts de noblesse. Ils compenseront
ces faiblesses par le poids de leurs réseaux séculaires, et trouvaient des
hommes comme Van Eupen ou Feller pour diriger la manœuvre en
coulisses. Et puis, pour coiffer le tout, il y avait le cardinal de Malines, Jean-Henrivon Franckenberg und Schellendorf. Bien qu’il était prussien, il devait sa carrière a l’Impératrice
Marie-Thérèse. Il soutiendra la révolte des Pays Bas catholiques face aux
réformes de Joseph II parce que ces réformes heurtaient sa conception de
religion.
Van der Noot |
Une partie du Tiers Etat,
les négociants et professions intellectuelles roturiers, sans quarts de
noblesse, soutiennent Vonck. On les qualifiera de démocrates, ce qui n’est pas
tot à fait faux, même s’ils font peu de cas de la démocratie pour l’écrasante
majorité du peuple travailleur…
Les deux tendances se
disputaient sur tout, à commencer par la tactique révolutionnaire. Les démocrates
de Vonck appelaient à former une armée patriotique. Verlooy qui avait fondé, avec
Vonck, la société secrète Pro Aris et Focis au
printemps de 1789, explique avec beaucoup de lucidité et d’esprit de suite son
projet de lutte armée, dans un pamphlet rédigé en néerlandais: « trois millions de Belges gémissent dans
l'esclavage et parmi ceux-ci se trouvent bien 700 000 hommes en état de se
battre et qui sont mécontents; facilement, on en trouverait 300 000 qui
risqueraient leurs biens et leur sang pour la patrie. Mais de même qu'un
geôlier peut aisément dompter seul 200.000 prisonniers, parce qu'il les tient
séparés, de même, un si petit nombre de militaires, à peine 13 000 hommes, nous
tiennent tous séparés et dans l'esclavage». Les contrerévolutionnaires du
Boerenkijg reprendront la devise ‘Pour
l'autel et le foyer - Voor Outer en Heerd’, mais le contenu différait
quand même un peu de celui donné par Verlooy…
Frans Vonck |
Verlooy n’a jamais
trouvé 300.000 hommes pour risquer leur vie pour leur patrie ; par contre,
pour l’Autriche, le compte y est, avec 13.000 gendarmes. Mais malgré cette
erreur de calcul les révolutionnaires belges trouveront assez de volontaires
pour les tenir tête, au moins aussi longtemps que l’Empire avait d’autres
priorités avec son conflit turque.
Van der Noot par
contre comptait sur le soutien armée de la Prusse, de l’Angleterre et des Hollandais et était contre le développement
de forces armées propres. C’est d’ailleurs avec le soutien de la Prusse que
Vander Noot et une série d’autres personnalités de l’Etat du Brabant trouveront
exile à Bréda quand les affaires tournent mal.
Il n’y avait pas
seulement la question de l’armement du peuple : chaque décision était
sujette de discussion entre Statistes et Vonckistes, y compris le vol de
souliers par les soldats pieds-nus.
Vonck établit son QG à
Hasselt, en Pays de Liège, en plein bouillonnement révolutionnaire, mais hors
de portée directe de l’Empire puisque c’étaient les Prusses étaient censés remettre
de l’ordre à Liège.
Les Vonckistes avaient
une base plus large et s’étaient donné aussi une organisation mieux
structurée : d’abord la société secrète Pro Aris et Focis déjà mentionnée et
plus tard la «commission de Bruxelles des
démocrates », afin que les prochaines révoltes ne soient plus « l'ouvrage non du hazard, mais d'une
combinaison bien réfléchie, bien conduite, contre les précautions, les ruses
& les bras toujours menaçans du despotisme."
Les statistes de Van
der Noot s’appuyaient sur les anciennes structures politiques dont ils
défendent les privilèges. Ils n’avaient pas besoin d’une organisation bien
structurée: la solidarité bien rôdée de ces anciennes structures suffisait
amplement. Ils étaient plus forts dans le Brabant, centre politique. Et ils ne
rechignaient pas à une démagogie brutale pour mater leurs adversaires
politiques.
La base de masse des Vonckistes
La base de masse des
Vonckistes et Statistes était différente. Nous avons déjà mentionné la décennie
de procès sur les privilèges des métiers, menés par des futurs Vonckistes. Ca
vaut la peine de parcourir un peu la provenance sociale des membres. Pour
commencer il y a l’avocat Verlooy déjà mentionné ; Jean Joseph Torfs, que
Vonck enverra à Paris, est avocat aussi. Ils seront très vite rejoints par deux
membres de la société du Commerce de
Bruxelles, les marchands de vin Antoine d'Aubremez et J.B. Weemaels. L'architecte
Claude Fisco deviendra colonel dans l’armée patriotique.
C’est l’avocat Pieter Emmanuel de Lausnay qui
contactera le général Van der Mersch. Un autre membre du noyau central sera le banquier Walckiers, surnommé "Edouard le Magnifique". Sa maison de commerce était liée par les relations de
sa banque au commerce d'argent de toute l'Europe.
Vandermersch |
Il avait construit une partie de sa fortune sur l'esclavage, pourtant
déjà interdit aux Pays-Bas autrichiens : un esclave qui s’échappait à
Ostende d’un navire anglais n'était pas extradé. Mais l'attrait du marché
lucratif d’esclaves pour les colonies américaines était énorme. La sympathie
pour la Révolution Américaine n’empêchait nullement cet intérêt pour le
commerce d’esclaves : c’est beaucoup plus tard que les états nordistes se
tourneront contre les états esclavagistes… Romberg, qui avait déjà mené des
procès contre les Corporations, avait envoyé en 1780 d'Ostende le premier
bateau négrier, bon pour 290 nègres. En 1782, 10 navires quittaient Ostende,
chacun bon pour 500 nègres. En 1783 il augmente encore l’échelle avec l'aide de
Walckiers.
Il y a Jean-Baptiste
De Bouge (1757-1833), qui en tant que cartographe formé à l’Académie militaire
de Malines avait aidé le comte Ferraris à faire sa carte renommée. Joseph II l’enverra
plus tard comme conciliateur.
L’avocat Jacques-Dominique t'Kint assumera lors de la répression Statiste la direction du mouvement à Bruxelles. Il
y a les hommes d’affaires Chapel et Martinus J.F. De Brouwer. Sandelin
organisera un raid à partir de Lille. Mosselman est un marchand de grains et fermier des égoûts ('Pacht van de beir en straatmodden'). Il avait acheté un terrain
lors de la liquidation par Joseph II du Couvent des Sœurs Blanches, et y avait
construit une maison de maître dessiné par l’architecte Claude Fisco. Le 17
mars 1790 cette maison au nouveau marché aux grains sera pillée. Il y a le
boetmeester De Noter (c’est la seule fonction liée aux Métiers); l’avocat Balsa ;
le Suisse Philippe Secrétan, précepteur de la Maison d'Ursel. Donc pour la
plupart des professions libérales issues du Tiers Etat.
Comme nobles il n’y a
que De la Marck que nous avons déjà mentionné, d’Ursel et de Ligne. Si pour les deux derniers leur engagement dans la révolution Belgique était
sincère, leur appartenance de classe facilitera le pardon de la part d’Autriche,
lors de la Restauration. Surtout pour de Ligne qui avait un frère dans les hautes
sphères de l’Empire.
Vonck désire « l'émancipation politique de «la bourgeoisie de l’intelligence et de la finance».
Voilà un costume taillé sur mesure pour ses
sympathisants.
Pourtant, sa revendication
centrale est bien modeste : le doublement du Tiers. Donc tout au plus
l’égalité devant le premier et second état, qui finalement représentent moins
qu’un pourcent de la population. Et son Tiers Etat est loin de reprendre la
majorité de la population puisqu’il ne conçoit l'affiliation au tiers-état que
moyennant le paiement d'un cens élevé. Il maintient les délibérations séparées
des trois ordres, et conserve au clergé toute
son influence politique. Nous verrons que ces revendications tout
modestes n’atténueront nullement la colère des deux premiers états.
Voilà les deux
tendances qui s’opposent aux réformes de Joseph II, décidées 'd'en haut', et qui mèneront à la
Révolution brabançonne. Mon prochain
blog décrira la confrontation par les armes. Comme disait un grand homme d’état
chinois : « le pouvoir est au bout du fusil !
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