lundi 21 novembre 2016

Milan, ville verte ?


Lors de mes citytrips je m’intéresse aux espaces verts. Pour Milan, c’était difficile : la ville est très minérale. Même l’intérieur des ilôts est construit. Cette fenêtre au quatrième étage, en face de notre airbnb, m’intrigue : à mon avis, il s’agit d’un arbre qui a ses racines dans la cave.

Une foret verticale

C’est probablement pour cacher cette misère qu’on a construit en 2014 le « bosco verticale Studio Boeri »,730 arbres, 5000 arbustes et 11 000 vivaces dans deux tours d'habitations hautes de 76 mètres et 110 mètres. Ca correspond un bois de un hectare. L'interaction entre les habitants desappartements et ‘leurs’ arbres est drastiquement réduite, les plantes étant gérées par la copropriété. Non seulement les locataires n'ont pas à les arroser, mais ils ne doivent pas les tailler non plus, car des équipes d'arboriculteurs interviennent quelques dix fois par an à l'aide de cordes et de grues pour l'élagage.
Les arbres ne pourront pas dépasser trois à six mètres afin de résister au vent et de ne pas occulter la lumière. Prix des appartements : €3.000/m2. Celui qui peut se payer ça ne se tracasse pas pour les charges : une heure de travail en hauteur, ça monte ! Selon Boeri l'investissement supplémentaire lié à l'intégration des arbres dans le bâti s'élève environ à 5% des coûts.
Ca me fait penser à Herstal et son nouveau centre administratif, avec ces façades ‘verdies’. Tout aussi artificiel (si l’irrigation tombe en panne, ces arbres ne survivront pas à 24 heures de soleil). En plus, les espèces sélectionnées pour ces bacs d’un mètre cube l’ont été pour leur adaptation à ces conditions extrêmes. Des critères esthétiques comme la couleur du feuillage ou la forme ont apparemment peu joués. La couleur est uniformément verte (vous me direz que c’est mieux que le brun des plantes mortes de Herstal).

Porta Nuova

Ce bosco verticale fait partie d’une réhabilitation du quartier industriel de la Porta Nuova (2 milliards d’euros !). On y prévoit aussi un parc public "botanique" que ces urbanistes du greenwashing présentent comme une bibliothèque des arbres. Il faut de la patience : pour  le moment c’est une pelouse. On annonce  la fin des travaux pour 2017. En 2015 Agnes Denes y a semé un champ de maïs, une installation temporaire. Pourtant, le bilan CO2 de betteraves est mieux, m’a expliqué un fermier de Herstal. On annonce aussi un «Musée des fleurs et des insectes".
On est en plein dans le greenwashing, mais le quartier vaut le détour : il y a une aire piétonne de 16.0000m2, 2km de pistes cyclables, une place circulaire avec un plan d’eau et des fontaines. Il y a moyen de passer une journée bien remplie autour de la Porta Nuova, près de gare Porta Garibaldi.
En face du bosquet végétal il y a aussi depuis 2011 la Casa della architecture collective Baukuh, avec sur la façade  des photos d’archives du centre sous forme de pixels en brique. Le Centre loge cinq associations qui cherchent à préserver la mémoire de la conquête de la démocratie en Italie, comme  l’Association National  de Déportés et Partisans mais aussi des  Victimes du terrorisme et l’Association Piazza Fontana 12 December 1969. A Milan les années de plomb sont encore dans tous les esprits. Lors de notre passage il n’y avait pas d’exposition, mais une en préparation.

Un must : le Corso Como 10

Si vous êtes dans le coin passez par le Corso Como N°10, avec son entrée végétalisée, deux verrières magnifiques, et, surtout, une superbe terrasse végétalisée sur le toit. Une oasis dans cet environnement minéralisé. Attention par contre pour y boire quelque chose: les prix sont surfaits. Et  notez l’adresse : de la rue on ne voit pas grand-chose.
A 100 mètres de là un temple de gastronomie Eataly, piazza XXV aprile. Un peu cher, mais il y a l’embarras du choix. Et on peut manger avec les yeux. Et juste devant il y a des food trucks pas chers.

Le Cimitero  Monumentale pour les riches et le Cimitero Maggiore pour le peuple

A un bon quart d’heure à pied un autre coin vert : le Cimitero  Monumentale. Attention : fermé le lundi, comme les musées ! C’est du tourisme des cimetières, mais cela n’a rien de macabre : ces espaces sont des endroits paisibles, souvent verdoyants, qui regorgent d'oeuvres d'art et de magnifiques aménagements paysagers. Et celui de Milan est un top mondial !
tombeau Giovanni Morgani
Le Cimitero Monumentale date de 1863. On entre par le Famedio, la galerie de la gloire. A côté des sépultures on y trouve aussi des cénotaphes dédiées aux grands hommes enterrés dans d'autres lieux comme Garibaldi, ou Giuseppe Verdi. On y trouve par exemple le tombeau de l’écrivain Giovanni Maccia du sculpteur Luigi Crippa, datant de 1869
Dans le fond l’Ossario et le Crematorio. Ce crématorium n’est plus en fonction depuis une vingtaine d’années, mais il était à l’époque de sa construction, en 1876, le premier en Europe, et cela dans un fort climat catholique. A côté du Famedio, deux espaces réservées aux non –catholiques et aux juifs (entrée séparée). La section israélite remplace les cimetières juifs de Porta Tenaglia, Porta Magenta et Porta Vercellina..
Les plus grands sculpteurs y ont crée des monuments. Ca vaut la peine de préparer un peu sa visite. Cliquez ici pour un petit plan
On y retrouve les industriels qui ont marqué Milan, comme Pirelli. Cliquez ici pour un aperçu de quelques chapelles 
La tombe de Campari invite presque à s’y asseoir.

Le mausolée commémoratif aux 800 Milanais tués dans les camps de concentration nazis se trouve dans l'allée centrale. Il est l'œuvre d'un groupe de quatre architectes dont l'un, Gian Luigi Banfi, est mort dans un camp en 1945. Ca fait très ‘arte povera'.
'mausolée' camps de concentration
Pourtant c’est déjà la troisième version du monument, L'œuvre originale avait été construit en un temps très court et se détériora rapidement. En 1950 déjà on le remplace par un bâtiment de conception similaire, mais avec le cadre en bronze et la base entièrement en marbre. Mais déjà en 1955, on trouve que le bronze et le marbre sont inadéquats vu la gravité du sujet, en raison de l'extrême raffinement et l'opulence de matériaux.
Le tombeau de Manzoni est incontournable.
Isabelle casati
Je recommande la tombe « Il Sogno della Morte" d'Isabella Airoldi Casati Brioschi (1865-1889) morte en couches à l'âge de 24 ans. Le sculpteur est Enrico Butti, professeur de l'Académie de Brera.
Tullio Morgagni était l’organisateur de Milan-San Remo et du Tour d'Italie. La tombe en marbre de Carrare a six figures féminines, dans le style fasciste, se détache sur une mosaïque de fond sur l'intrados de la voûte qui abrite une épigraphe en lettres d'or de Mussolini.
Elisi ou “Gigli del Cielo“, Lys du ciel, est de la main du sculpteur Penna Francesco commandé en 1916 par Ettore Pen Champs en mémoire de sa fille Adriana.
Le mausolée d’Antonio Bernocchi par Gianino Castiglione 
mausolée d’Antonio Bernocchi
Et la tombe de Toscanini.
Tombe Toscanini
Ecoutez le diriger le Dies Irae

Le Parco Sempione

Après ce ‘dark tourism’, thanatourisme, tourisme mortuaire ou nécrotourisme (néologisme des années 1990 : « la visite d’un lieu où  il  est  possible  d’être  en  contact  direct  ou  symbolique  avec  la  mort"), retournons au centre avec les deux grands parcs publics. Pour commencer le Parco Sempione, du nom duCorso Sempione percé sous le régime napoléonien, derrière le “Castello Sforzesco” (ancienne résidence des ducs de Milan, les Sforza).
La parc est victime de sa fréquentation, et cela pas tellement parce qu’il est beau, mais parce qu’il n’y a rien d’autre au centre de Milan. Les allées sont exagérément larges, pour absorber la foultitude. Et malgré cela, on l’a encore rogné de tout côté, entre autres pour y installer en 1933 le palazzo
dell’Arte, siège de la Triennale de Milan. C’est l’œuvre de l'architecte Giovanni Muzio, réalisé grâce à l'héritage de l'industriel du textile Antonio Bernocchi. Giorgio De Chirico  y avait exposé sa Fontaine des Bainsmystérieux, une de ses dernières sculptures, taillée en calcaire très riche en coquillages fossilisés. Il faut d’ailleurs entrer par le Palais des Arts pour l’admirer.

Giardini Pubblicci Indro Montanelli.

Le deuxième grand parc public est Giardini Pubblicci Indro Montanelli. Ce jardin  fut créé en 1782-1786 par l'architecte Giuseppe Piermarini - le concepteur du célèbre Teatro alla Scala – à partir de plusieurs jardins et vergers ayant autrefois appartenu à deux monastères. Il fut agrandi en 1857 lorsqu’on y ajouta le jardin du Palazzo Dugnani. Là aussi on a rogné les abords, en y implantant par exemple le Musée d’histoire naturelle et en 1930, sous Mussolini, le Civico Planetario "Ulrico Hoepli".
Le nom actuel date de  2002. Etrange changement de nom d’un parc qui a un nom vieux de trois siècles. Pour un personnage quand même assez controversé. Montanelli était volontaire, poussé par ses idéaux fascistes, en tant que commandant d'un bataillon d'Àscaris. Il y ‘épousa’ une jeune
Érythréenne de 12 ans, payant à son père la somme convenue de 500 livres, selon les coutumes locales. Avant de revenir en Italie il la céda au général Alessandro Pirzio Biroli qui la fit entrer dans son petit harem privé. La coutume d'épouser un « sujet colonial », ce qu'on appelait en Italie « madamato », fut interdite en avril 1937. Ce n’était pas par respect pour les droits de la femme, mais pour éviter les contacts entre Italiens et Africains. Cette mesure fut suivie l'année suivante de la proclamation des lois raciales. Il écrit pour Civiltà fascista : « avec les nègres, on ne fraternise pas. On ne le peut pas, on ne le doit pas. Au moins jusqu'à ce qu'on leur ait procuré une civilisation. » En tant que correspondant la guerre civile espagnole, il publia un article critique sur la bataille de Santander dans lequel il la définit comme une promenade, avec un seul ennemi : la chaleur. Pour cela le ministère de la Culture populaire le raya de la liste des journalistes, offensant pour l'honneur des forces armées. On lui retira même la carte du Parti Ce qui ne l’empêcha pas de  rencontrer en 1939 Adolf Hitler dans le corridor de Danzig. En Finlande il fut un témoin passionné de la tentative d'invasion par l'URSS. Correspondant en Grèce et en Albanie, il fut considéré comme « défaitiste » par les censeurs. En 1943, il s'associa à Giustizia e Libertà, il fut emprisonné et condamné à mort par les Allemands, le 20 février 1944, mais le cardinal Ildefonso Schuster, archevêque de Milan, intervient pour lui. Il réussit à fuir l'Italie grâce au réseau clandestin Opera Scout Cattolica Aiuto ai Rifugiati (OSCAR). Les anti-fascistes ne lui pardonnaient pas le fait d'avoir été fasciste, tandis que les anciens fascistes n'avaient pas oublié son attitude lors du « 8 septembre ». En 1965, Montanelli défendait encore le colonialisme italien débonnaire, réalisé par une armée chevaleresque, incapable de brutalité envers l'ennemi et respectueuse des peuples indigènes. Dans ses nombreuses interventions publiques il ne cessa de nier l'utilisation systématique d'armes chimiques par l'aviation militaire italienne en
Éthiopie. Anticommuniste affiché ou «anarcho-conservateur» (comme il aimait à se définir), 2 juin 1977 il est victime d'un attentat par la colonne Walter Alasia des Brigades rouges. Berlusconi devint l'actionnaire majoritaire de son journal en 1979, jusqu'en 1994, lorsqu’il attaqua violemment Berlusconi, le comparant à Mussolini (« J'ai déjà connu un homme providentiel, et cela m'a suffi »); il le considérait comme un adversaire de la démocratie, En 2001, il mourut à Milan. Je trouve ce changement de nom d'un parc multiséculaire en "Indro Montanelli" un peu provocateur. Comme si cela ne suffit pas, on lui a érigé à l'intérieur du parc une statue...

Milan et son Art Nouveau ou stile Liberty


A deux pas du parc, un quartier art nouveau, derrière la Porte de Vénise. On reste dans la verdure, mais en pierre ou céramique. Milan est, après Palerme et Turin, la ville italienne la plus représentative du style Liberty, le style Art nouveau. Liberty est  plus ornemental qu'architectural, plein de sculptures et de moulures aux motifs floraux et végétaux,  de céramique, et une ferronnerie de qualité. Giovanni Battista Bossi (1864-1924), auteur des case Galimberti, Bossi, Guazzoni, Alessio et Centenara (ainsi que de plusieurs chapelles au cimetière monumental). Les rues les plus riches en bâtiments Art nouveau sont les Via Malpighi et Via Pisacane.  Voici un itinéraire à partir de la Porta Venezia, au-dessus du parc.   
Et puis, il y a les Navigli, ces canaux antiques qui servaient à l’approvisionnement de Milan. Il y a Naviglio Piccolo  et Naviglio Grande. Ca reste néanomoins très minéral. Mais dans la Via Casale 66 il y a un Petit jardin au Centro dell’Incisione et un peu de vert Vicolo dei Lavandai. Je mentionne aussi le vignoble de Leonardo Da Vinci. On n’a pas été jusque là. Ca me semblait trop toc.
Dans le cadre d’Expo 2015 on l’a recrée, en espérant surfer sur le hype Leonardo… Un bombardement allié l’avait détruit en 1943.  Il a fallu aux experts plusieurs années afin d’identifier les racines de vignes découvertes sous le sol de la Casa degli Attelani, à proximité de l’église Santa Maria delle Grazie, où se trouve la Cène. Le vignoble attenant avait été offert à Léonard, en 1499, par Ludovico Sforza, , pour le remercier de son œuvre  « La Cène ». Le cépage serait du Malvasia. Ces experts ont en fait enfoncé une porte ouverte : c’est le cépage très répandu en Méditerranée et même jusqu’aux îles de Madère. Le vignoble se situe juste en face de l'église, Corso Magenta 65.

Un parc sur la zone abandonnée par Alfa Romeo en 1886

Je termine avec un espace vert inauguré en décembre 2015 sur une zone industrielle, à Portello ou Arco Industria Alfa Romeo. Notre hôte nous a déconseillé d’y aller. Dommage : on aurait du insister.  En dessous de deux collines artificielles, des gravats et de la terre d'excavation. La scupture Helix représente la double hélice d'ADN. Le parc n’est pas encore terminé. Pour une visite virtuelle http://blog.urbanfile.org/2016/07/05/milano-portello-novita-al-parco-industria-alfa-romeo-portello/

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