Cet été 2016 Paula et
moi avons descendu en vélo le Ruhr. Je voulais entre autres voir ce que cette région en reconversion fait
avec son patrimoine industriel. Nous avons à Liège une sidérurgie sous cocon.
Le temps filant, un redémarrage devient de plus en plus difficile. Que
faire : raser et dépolluer ? Garder un haut-fourneau comme
témoin ?
Le Ruhr : une région en crise !
Le Ruhr a connu ses heures de gloire entre
1905 et 1957, quand la population passe de 3 millions à 6,2 millions. Mais dans
les années 60 la région connait le déclin de l’industrie minière et
sidérurgique. Des 140 charbonnages en 1957 il en restait 7 en 2000. La
population descend à 5.3 millions.
Le taux de chômage dans la Région de la Ruhr
est d'environ 12,1%, un des plus hauts taux des régions urbaines de l’Allemagne
de l’Ouest, et 14,3 % à Duisburg, le cœur du Ruhr. La population de Liège, qui
est aussi en crise, est restée stable autour de 200.000…
Cela n’empêche que Duisburg reste le plus grand producteur d’acier d’Europe. On y produit toujours 15 Millions de Tonnes d’acier brut avec 18.000 sidérurgistes:
un habitant sur 10 y gagne encore sa vie.
Le Haut-fourneau
Schwelgern 2 de ThyssenKrupp, surnommé le géant noir (Schwarzer Riese
Schwelgern 2, mis à feu en 1993, est le plus grand en Europe. ArcelorMittal
aussi a encore ArcelorMittal Ruhrort (avec un tout nouveau train à fil tout
neuf lancé en 2012 , d’une capacité de 690.000 T, approvisionné par une
aciérie qui ne produit que des produits longs.
Mais cela n’empêche
qu’il y a des tas d’usines abandonnées. Et la Région a (entre autres) développé
une stratégie étonnante, autour du concept ‘Route-Industriekultur’.
Voici la carte du
réseau de pistes cyclables le long de ces monuments industriels http://www.route-industriekultur.ruhr/fileadmin/user_upload/metropoleruhr.de/Channel_Route_Industriekultur/Downloads/RoutePerRad/Route_Industriekultur_per_Rad_-_Wegenetz.pdf
Une des initiatives
les plus réussies est la création d’un parc sur une friche sidérurgique.
Parc Paysager de Duisburg nord
Au nord de Duisburg, à Meiderich, on a aménagé un Parc Paysager sur une usine
sidérurgique fermée il y a 40 ans: on a rendu 200 hectares à la nature. En
1901, August Thyssen y avait fait construire cinq haut-fourneaux. L’usine est
fermée en 1985. Entre 1990 et 1999, on y aménage un parc d’un nouveau type. Cela
pourrait-il inspirer Seraing, qui - sans rougir - s’appele parfois ‘ville
verte ‘? Attention : je ne suis pas seul à y penser : la Faculté
des Sciences Appliquées de l’Université de Liège a déjà étudié en 2009 une
stratégie paysagère.
Quand je dis ‘rendu à la nature’, je n’exagère
pas. Une bonne partie des espaces avaient été envahies spontanément par la
nature, après la fermeture. Avec parfois des espèces exotiques amenées dans les
minerais. On a continué sur cette lancée : sur quatre sites fortement
pollués, on laisse pousser une végétation tellement dense que l’accès est
pratiquement impossible. Le raisonnement de base est que puisqu’il n’y a pas de
demandes pour des terrains industriels et encore moins pour du logement (la
Ruhr a perdu un million d’habitants!) on peut garder ces terrains ‘en réserve’ : le jour où la demande
serait là on a toujours le temps de dépolluer, en fonction de l’utilisation.
Evidemment, c’est bien joué par l’ancien propriétaire des terrains
Thyssen qui s’en tire à bon compte. Il ne paye pas la dépollution. Thyssen
s’en sort même auréolé de mécène avec un don de 25 millions d’euros. Une paille
par rapport aux coûts de la dépollution. Tout compte fait, c’est ce qu’Umicore
a fait d’une manière un peu plus hypocrite avec ses terrains pollués par le
zinc à Angleur : ils l’ont déclaré réserve naturelle pour des plantes
halophiles…
Par contre on a investi assez bien dans les
zones moins polluées. Cinq terrains en friche dont le niveau de pollution était
faible ont même été transformés en surface agricole et sylvicole. C’est un peu
comme si on aurait resuscité la ferme Happart derrière Chertal… Tout compte
fait, on a derrière Chertal aménagé la gravière Broch (voir mon blog http://hachhachhh.blogspot.be/2014/04/balade-au-hemlot-des-castors-des.html ).Il est vrai que la ferme
"Ingenhammshof" n’est pas une
vraie ferme, mais seulement un projet pédagogique. Mais les terrains ont
retrouvé une utilisation agricole. Il faut le faire quand même…
Point central du parc est le haut-fourneau N°5, qui a connu sa dernière réfection en
1973 et qui a été arrêté en 1985. On monte jusqu’au gueulard, au sommet, à 70 mètres.
De là on a un point de vue idéal sur ce parc paysager de
200 hectares, avec ses vingt-huit kilomètres de piste cyclable! J’ai visité dans
la Moselle française, à Uckange, un autre haut-fourneau. Voir mon blog http://hachhachhh.blogspot.be/2013/08/le-jardin-des-traces-et-le-haut.html
Uckange a créé le ‘jardin des sidérurgistes’. C’est joli. Mais le jardin est clôturé et
coupé du site du HF U4. Dans un chapiteau provisoire on a aménagé une
exposition. Pourquoi un chapiteau alors qu’on a rasé tant de bâtiments et
qu’il y a à côté les grands bureaux sauvegardés qui ne fourmillent pas
d’activité ? A Duisburg le haut-fourneau fait partie du concept et en
est le cœur. On a laissé son frère jumeau, le HF4, tel quel : on ne l’a
même pas désamianté. On l’a clôturé. Les trois premiers hauts-fourneaux du
complexe avaient été démontés lorsque l’usine était encore en activité.
L’ancien gazomètre est aujourd’hui le plus
grand bassin artificiel pour plongeurs d’Europe.
L’eau de pluie est récupérée et coule dans des
conduites ouvertes et dans les anciennes canalisation pour déboucher dans un
"Wasserpark" (Parc des Eaux).
D’en haut des remblais des voies ferrées (le
"Bahnpark" ou Parc des voies ferrées), ou d’en haut d’un des deux
hauts-fourneaux, on embrasse du regard le paysage. Et puis on a aménagé des
jardins dans le parc (Gärten im Park) entre autres dans les silos de minerais.
C’est vraiment des hortus conclusus, des chambres végétales.
Une autre partie de ces trémies est aménagé
pour l’escalade. avec l’Alpenverein qui organise l’animation. La centrale
électrique est aménagée en centre d’évènements.
L’artiste anglais Jonathan Park a réalisé l'installation lumière qu’il faut aller voir le weekend.
Ce qui est à mon avis
le plus intéressant, même si ce n’est pas l’aspect le plus spectaculaire, c’est
l’aménagements de "Vorparks" (avant-jardins) qui
font la transition avec les zones d'habitation tout autour (des cités
construits pour les sidérurgistes). Le "Vorpark Meiderich" est
enclavé au milieu d'un bois de bouleaux ayant poussé spontanément. A l'ancienne
gare de rangement Winterstrasse, les tracés de voies ferrées et les surfaces
pavées ont été intégrées dans la structure du parc de quartier.
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Spectaculaire est aussi l’assainissement deseaux de l’Emscher, cette rivière qui traverse le site et qui au fil de
l’industrialisation du Ruhr était devenu un cloaque. Attention : le
travail n’est pas encore terminé. On le voit bien quand on compare un peu plus
loin les eaux noirâtres de l’Emscher avec les eaux claires du canal pourtant
fortement chargé du canal Herne-Rhein. Voici un beau reportage Photo du parc
http://freizeittipps-nrw.de/fotoimpressionen/landschaftspark-duisburg-nord-landi/
http://freizeittipps-nrw.de/fotoimpressionen/landschaftspark-duisburg-nord-landi/
Une histoire (presque) centenaire
En 1903 le premier haut fourneau y avait été
lancé par le père Thyssen. Le cinquième et dernier fourneau est mis à feu en
1907. Pendant la première guerre mondiale la production diminue d'un tiers
suite au manque de minerais. Un haut-fourneau doit même être arrêté. Des
prisonniers de guerre russes, polonais et belges remplacent les allemands
mobilisés. En 1923 l’usine est mise à l’arrêt suite à l’occupation du Ruhr par
la France et la Belgique.
En 1926 Auguste Thyssen et son fils Fritz fusionneront une série d’usines dans les "Vereinigte Stahlwerke AG". Auguste Thyssen décède juste avant, le 4 Avril 1926, au Schloss Landsberg.
En 1926 Auguste Thyssen et son fils Fritz fusionneront une série d’usines dans les "Vereinigte Stahlwerke AG". Auguste Thyssen décède juste avant, le 4 Avril 1926, au Schloss Landsberg.
Suite à la crise de 1930 l’usine est en
difficulté, mais sous les nazis les 5 hauts fourneaux remontent en
fonctionnement. Quand le parti de Hitler connait une grande crise interne en hiver 1932, Fritz
Thyssen convoque le 27 Janvier 1932 ses collègues sidérurgistes au Schloss
Landsberg, et ils décident une
contribution de 3000 Reichsmarken à Hitler…
Schloss Landsberg |
A partir de 1942 l’usine
est plusieurs fois bombardée, et suite aux bombardements du 14 et 15 Octobre
1943 la production s'effondre totalement.
Après la guerre, les usines sont placées sous le contrôle des Alliés. Les grands
monopoles, dont les "Vereinigte Stahlwerke AG" sont dissous. Une
partie des installations est démonté dans le cadre des indemnités de guerre. Meiderich
n’est pas sur les listes de démantèlement parce que l’usine est trop démolie. Retournement
complet de la situation avec le plan Marshall et la guerre froide. En 1956 le
haut fourneau 1 peut être relancé, suivi en 1963 du haut fourneau 2. On n’a plus besoin des petits HF 3 et 4 qui
sont démontés en 1968 et 1970,
année de réfection complète du HF 5. Début des années 1980, on arrête le HF 1 et 2.
Le 5 est encore réfectionné en 1982 mais l’arrêt de toute l’usine tombe comme
un couperet le 4 avril 1985…
Dans un blog suivant
je décrirai le réseau de pistes cyclables autour du patrimoine industriel, avec
la gazomètre d’Oberhausen et l’usine sidérurgique de Hattingen.
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