En 2016 Geneviève Xhayet, directrice
du CHST-ULg, a donné une conférence consacrée à la Paix de Fexhe à la Braise. C’est quoi , cette Paix de
Fexhe que certains comparent avec la Magna Carta ? On pourrait dire que la Paix de Fexhe met fin
de la révolte du Mal Saint Martin, qui
avec les Vêpres Siciliennes, les Matines de Bruges, la rébellion de Tournai de
Saint Omer de Rouen, de Magdebourg,
Augsburg et Trèves a marqué la montée des villes face à la noblesse. Mais
à regarder de plus près ce n’est même pas ça ; c’est plutôt une trêve où le prince évêque se pose comme arbitre dans la vendetta entre Awans et Waroux. Avant
Fexhe il y avait déjà eu la Paix d’Angleur (en quelques sorte la fin du mal
Saint Martin, en 1313), et la Paix de Hanzinelle en 1314.
Et la Paix de Fexhe n’a été qu’une trêve très éphémère :
les années qui ont suivies ont abouti à une rupture avec le prince-évêque Adolphe de la Marck qui quitte même la Cité le 14 février 1325,
après avoir jeté l’interdit sur Liège. C’est le début d’une guerre civile de
quatre ans, où Liège, Dinant, Tongres, Saint-Trond et le comté de Looz
invoquent à plusieurs reprises la Paix de Fexhe, mais à titre purement
propagandiste.
Le 4 octobre
1328 on a une nouvelle trêve, la Paix de Wihogne. La seule référence à
Fexhe est dans l’ordonnance de la suppression de toutes les alliances, « à
l’exception de celles consignées dans la Paix de Fexhe ».
Encore une fois, c’est une trêve très
passagère. La révolte reprend. Victorieux en 1331, le prince soumet le Conseil
de la Cité à la Réformation d’Adolphe, qui réduit le rôle des Métiers. Son
article treizième, la « Loi de Murmure », interdit même toute parole hostile au
pouvoir princier. Une suggestion pour le gouvernement Michel qui trouve que les
médias et syndicats ne communiquent pas bien sur ses ‘bienfaits’ ?
En 1346 nouveau conflit surgit entre le
prince évêque Englebert De la Marck qui, ne se sentant plus en sécurité à
Liège, cite les citains au perron de Vottem, qui est promptement occupé par
3000 miliciens. Face à eux 4000 cavaliers, dont la crème de l’Empire Germanique.
Mais la brillante armée des princes se débande, comme à la bataille des Eperons
d’Or.
Mais cette victoire historique du peuple ne
tient pas dans la durée : un an plus tard
l'évêque avait de nouveau réuni une armée formidable. Les milices de
Liège acceptent le combat en rase campagne et se font battre à plate couture à Tourine.
Huit jours après, la paix de Waroux leur impose un lourd tribut.
Donc, entre 1313 (la fin du Mal Saint Martin),
on a connu la Paix d’Angleur, la Paix de Hanzinelle en 1314, la Paix de Fexhe,
la Paix de Wihogne, la Réformation d’Adolphe, et la paix de Waroux en 1347.
Objectivement ces documents ont le même poids. A cette différence près que la
Paix de Fexhe est la seule favorable à la Cité, dans un contexte d’alliance
avec le prince. Ce qui explique que le peuple garde cette paix comme référence…
En conclusion, pour le médiéviste Christophe
Masson, « la Magna Carta anglaise se
situe à un autre niveau de pouvoir. Concernant Fexhe, il vaut mieux parler
d’une trêve que d’une paix. L’efficacité de la paix de Fexhe tient plus dans sa
mémoire que dans son application. Lors de la Révolution liégeoise, la paix a
été exhibée comme le témoin d’un âge d’or démocratique. Quand on a voulu créer
une constitution wallonne à la fin des années 1990, la paix de Fexhe a été
citée ainsi que le congrès de Polleur et la charte de Huy de 1066. Dans toutes
les commémorations, il y a des actualisations. Les spécialistes de la mémoire
ont montré comment on utilise un fait historique pour dire autre chose (LLB
22 février 2016).
Remarque pour les amateurs de BD: Christophe
MASSON a aussi écrit le scénario d’une bande dessinée ‘le sang de la Paix’.
Fexhe et la révolution liégeoise
A la Révolution liégeoise, la paix est exhibée comme le témoin d’un âge d’or
démocratique. Si comme l’écrit le Pr. Masson l’efficacité de la paix de Fexhe
tient plus dans sa mémoire que dans son application, il faut expliquer pourquoi
cette Paix de Fexhe sort justement du lot des multiples trêves qui ont jalonné
l’histoire de Liège. Je n’en ai qu’une explication : les trêves
victorieuses pour le peuple ont plutôt été rares. Dans ces innombrables
révoltes qui ont marqué notre histoire le Prince-évêque pouvait se tirer d’un
mauvais pas en des repliant sur Maestricht et sur l’Empire Germanique. Le
peuple, lui, n’avait pas ce choix et devait signer une capitulation en bonne et
due forme si le rapport de forces lui devenait trop défavorable...
La Paix de Fexhe reste un mythe. La Révolution Liégeoise de 1789 revendiquait le retour à cette Paix. Notre grand historien Pirenne
signale judicieusement qu’en se plaçant sous l’égide de la Paix de Fexhe,
noblesse et clergé recouvraient leurs anciens prérogatives. En plus, cette
révolution bourgeoise visait aussi à supprimer les Métiers. Or, la Paix de
Fexhe était justement la reconnaissance de ces Métiers. Si les démocrates liégeois
de 1789 se réclamaient de la paix de Fexhe, c’est parce que tout le monde
mettait un peu dans ce mythe qu’il voulait. Pour le peuple, Fexhe évoquait le
retour à un paradis imaginaire, à une époque où ‘l’air de la ville rendait
libre’. Le 17 avril 1790, six mois après la révolution, les corporations de
métiers, regardées comme des oligarchies municipales, sont supprimées à Liège. Ces
Métiers étaient un frein à l’expansion de la bourgeoisie qui voulait des prolétaires
‘libres’. Liège devance ainsi les
révolutionnaires français qui votent leur loi Chapelier seulement en juin 1791. On peut dire qu’avec la suppression des
Métiers la mythe de la Paix de Fexhe a vécu. Ce qui n’a pas empêché de la
repêcher à l’occasion du débat sur la constitution wallonne à la fin des années
1990.
Van Cau explique que la Constitution fait référence à une série de textes fondamentaux. Des textes de valeur historique démontrent que dans l'identité
wallonne, l'attachement à la démocratie est une valeur affirmée, revendiquée et
ce de façon précoce, comme Paix de Fexhe (1316) et la Déclaration des Droits de
l'homme et du Citoyen des gens de Franchimont (1789). En toute logique le
préambule de la Constitution "s’inscrit résolument
dans la démarche humaniste des citoyens qui se revendiquèrent de la Charte
de Huy (1066), de la Paix de Fexhe (1316) et de la Déclaration
des Droits de l’Homme et du citoyen des gens de Franchimont (1789), dans
la lignée des projets autonomistes développés au sein du Mouvement wallon et
dans l’esprit de toutes les affirmations d’une identité wallonne démocratique,
ouverte et plurielle".
Elle a bon dos, cette Paix de Fexhe, 7 siècles
plus tard…
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