Dans mon blog http://hachhachhh.blogspot.be/2014/01/125-ans-de-la-fn-un-anniversaire-secret.html
j’ai décrit comment, dès sa création en
1886, les machines, les brevets et l’outillage de la FN provenaient de l’allemand LOEWE. Quand
la commande de 150.000 MAUSER pour l'armée belge se termine seuls trois des
actionnaires du début restent. L’entreprise se lance dans la cartoucherie avec
l’aide de la Deutsche Metalpatronenfabrik qui dépend également de Loewe. En
1896 Loewe arrive à racheter 50% des parts des actionnaires belges. Une
augmentation de capital double presque le nombre de titres et un emprunt est
garanti par la Deutsche Waffen und Munitionenfabrik (DWM). Les dividendes grimpent
par trois dans les 15 années précédant la guerre. Mais que devient cette
entreprise avec un capital à majorité allemande lorsque la guerre éclate et que
la Belgique est occupée ?
Dans le hall d’usinage, on installe en 1914 un
hôpital dédié aux soldats du Kaiser.
Très vite, les autorités occupantes firent savoir à la FN qu’elles souhaitaient la voir reprendre le travail. Songeant que celui-ci bénéficierait, à court ou
moyen terme, à l’ennemi, le Conseil répondit en fermant l’usine (alors même que
la majorité de ses administrateurs étaient allemands) et alloue des subsides et
des avances au personnel. En guise de représailles, des machines-outils sont
réquisitionnées. Cependant, comme la guerre se prolongeait, le gouvernement
allemand se fait plus pressant : face à la résistance unanime du Conseil, il
condamne à la prison, pour refus de collaborer, le directeur général de la FN,
Alfred Andri, puis, plus tard, renonce à l’idée d’une contribution volontaire à
l’effort de guerre, décrète la mise sous séquestre de la société (1917). Les
troupes allemandes transforment elles-mêmes la fabrique en un vaste atelier de
réparation de véhicules. Le personnel de la FN encore présent est surtout
affecté à la construction de machines-outils.
Peu avant la signature de l’Armistice, la
Société Générale de Belgique fonda, avec plusieurs banques belges, l’Union
Financière et Industrielle Liégeoise. Le but de cette Union était de constituer
un capital suffisant pour racheter les titres de la FN détenus, depuis 1896,
par les DWM. En mars 1919, ce fut chose
faite.
L’armée française manque de fusils
Mais tout au long de la guerre la direction de
la FN a mis un autre fer dans le feu, par le biais d’un certain Alexandre
Galopin était devenu directeur du tout nouveau laboratoire central en 1904. En
1914 il s’était exilé en France ou un certain Louis Renault l’accueille à bras
ouverts. Les usines de Billancourt de Renault avaient été fermées à la
mobilisation et lui-même mobilisé, mais très vite, en août 1914 déjà, il fut convoqué
par le ministre Millerand pour résoudre un problème épineux.
https://www.sites.google.com/site/histoiregrouperenault/renault-et-la-guerre-14-18/publications-renault-histoire-periode-14-18/4-renault-entreprise-d-armement-1914-1918
Au début de la guerre, l’armée française disposait de 2,9 millions de fusils Lebel : cinq mois plus tard, il en restait moins de 2,4 millions : pire, les manufactures de l’Etat qui les fabriquaient avaient arrêté la production 10 ans auparavant ! L’armée utilisa alors les carabines des cavaliers, les mousquetons des artilleurs et retrouva 1,2 million de vieux fusils Gras-Chassepot mais de calibre 11 mm. On décida de chercher le concours de l’industrie privée pour relancer les fabrications.
Au début de la guerre, l’armée française disposait de 2,9 millions de fusils Lebel : cinq mois plus tard, il en restait moins de 2,4 millions : pire, les manufactures de l’Etat qui les fabriquaient avaient arrêté la production 10 ans auparavant ! L’armée utilisa alors les carabines des cavaliers, les mousquetons des artilleurs et retrouva 1,2 million de vieux fusils Gras-Chassepot mais de calibre 11 mm. On décida de chercher le concours de l’industrie privée pour relancer les fabrications.
En janvier 1915, le directeur de l’Artillerie
réunit les patrons de l’industrie mécanique de la région parisienne sous la
présidence de Louis Renault, qui indiqua que l’industrie pouvait produire
certaines pièces mais n’était pas équipée pour la fabrication des canons de
fusils (forage, rayure, dressage). L. Renault créa le groupement des
constructeurs d’armes portatives pour répartir
les fabrications et c’est là qu’il tombe sur l’homme providentiel Galopin. Celui-ci propose d’organiser la fabrication de la manière suivante: chaque entreprise du groupement se voyait confier une ou plusieurs pièces dont elle organisait la production en grande série, "chaque usine n'avait de la sorte à étudier et à établir qu'un minimum d'outillage et n'avait à faire école que sur un nombre de points réduit". En fait, Galopin développe ici un système qui avait fait largement ses preuves à Herstal.
les fabrications et c’est là qu’il tombe sur l’homme providentiel Galopin. Celui-ci propose d’organiser la fabrication de la manière suivante: chaque entreprise du groupement se voyait confier une ou plusieurs pièces dont elle organisait la production en grande série, "chaque usine n'avait de la sorte à étudier et à établir qu'un minimum d'outillage et n'avait à faire école que sur un nombre de points réduit". En fait, Galopin développe ici un système qui avait fait largement ses preuves à Herstal.
Galopin ne se limite pas à un rôle de
conseiller. Le 5 juillet 1915, avec d’autres ‘refugiés’ de la FN, comme Gustave
Joassart et Louis Piret, il crée la Manufacture d’Armes de Paris (la MAP), au
capital de 1.500.000 francs, avec siège au 271, boulevard Ornano, à
Saint-Denis. Je n’ai pas réussi à savoir d’où provenaient ces capitaux. Déjà de
la Société Générale ?
Bientôt s’ajoutera la manufacture parisienne
d’armes, à Levallois. Le groupe de Galopin, qui dirige la fabrication, opère la
révision des pièces, surtout les canons des fusils, pour lesquelles une précision très élevée est
exigée (1/300 mm, précision jamais atteinte jusqu'alors en France, en dehors
des ateliers publics) et assure le montage des pièces détachées fabriquées par
les différentes usines.
Galopin fabrique surtout des canons et des
mitrailleuses mais aussi de nombreuses machines à fraiser à l’usage d’autres
constructeurs. En octobre 1918, Galopin avait livré les éléments de plus de 800.000
fusils au Gouvernement français, soit de 27 % de la production totale française
pendant la guerre.
Les deux usines seront réunies à la fin de la
guerre sous le nom de manufacture d’armes de Paris. En 1921, la FN devient
majoritaire dans le capital de la MAP et prend son contrôle
350 belges à la Manufacture d’armes nationale de Saint Etienne
En parallèle, on relance la production du Lebel dans les manufactures d’armes
nationale qui manquent aussi de personnel
qualifié suite à la mobilisation. Celle de Saint Etienne par exemple fait appel à 350 ouvriers belges, originaires
pour la plupart de la région de Liège. Je ne sais pas si Galopin est impliqué
dans ce recrutement, où si l’on a simplement fait appel aux refugiés belges dans
la région. Ce chiffre chute à 115 en octobre 1917 mais la manufacture garde une
équipe belge presqu’exclusivement constituée d’anciens ouvriers de la FN.
Au printemps 1917, la MAS a recruté 12.000 salariés. En novembre 1918, le
rendement de fabrication des armes d'épaule est quatre fois supérieur à celui
d'avant guerre et Saint-Etienne réalise plus de la moitié de la production nationale.
Les refugiés et des réseaux de passeurs et de trafiquants
Au départ Galopin et Joassart s’efforcent de
regrouper leurs ouvriers dispersés par l’exode, y compris au Limbourg
hollandais tout proche de Herstal. Galopin a ses agents installés à Maastricht
dont la mission est de les aider à gagner la France pour y travailler dans les
usines de la banlieue parisienne. Il insiste auprès du consul de Belgique à
Maastricht pour qu’il dirige tous les employés, dessinateurs et ouvriers de la
FN qui passent la frontière hollandaise vers son bureau d’embauche.
Mais il a de la concurrence : d’autres
bureaux de recrutement aussi s’établissent dans la région de Maastricht. Ces
firmes privées s’adjoignent les services d’agents recruteurs qui, à leur tour,
engagent des ‘racoleurs’ actifs aux Pays Bas et en Belgique occupé. Fin 1916 le
producteur d’armes anglais Vickers a consacré 16.000 livres en vue de recruter
des ouvriers belges en Hollande et en Belgique occupée. A la fin de 1915 le
consul de Belgique à Maastricht n’hésite pas à les assimiler à des négriers. Le
socialiste Louis de Brouckère déplore qu’on n’hésite pas à leur faire des
promesses totalement inconsidérées.
Mais Galopin passe assez vite le pas de
favoriser l’émigration de ses employés restés en Belgique, en territoire
occupé. Cette émigration ouvrière clandestine reste un phénomène totalement
méconnu. Il reçoit même le soutien des
syndicats qui lancent une vaste campagne de propagande clandestine et invoquent
le devoir patriotique pour les inciter à quitter le pays. J. Verlinden et E.
Schevenels de la CMB sont déportés pour cette raison en 1915 selon J. Bondas (Michaël Amara, Des
Belges à l’épreuve de l’exil. p.204 -205).
Sur ce terrain aussi il va entrer en
concurrence avec le gouvernement belge. Louis de Brouckère par exemple estime,
dans une lettre à Lloyd George, entre 5 à 6.000 les ouvriers qualifiés
susceptibles de quitter le pays clandestinement. Vandervelde suggère de créer
une agence de recrutement clandestine organisée par les syndicats socialistes
et de ramener 3.000 mécaniciens, tourneurs et ajusteurs parmi ceux encore en
Belgique. Et le gouvernement du Havre essaye aussi de recruter des ouvriers
pour ses usines. Il commence par les refugiés célibataires de 18 à 30 ans – à
l’exception de ceux employés par les chemins de fer belges ou français – qui sont
invités à se présenter dans les bureaux de recrutement où ils doivent choisir
entre un engagement volontaire ou un ordre de réquisition. Ceux qui refusent
sont dirigés vers Calais sous la conduite de gendarmes pour intégrer une ‘compagnie de travailleurs civils’ (Michaël
Amara, Des Belges à l’épreuve de l’exil p.287).
Le gouvernement compte aussi sur les blessés
qui gardent un handicap permanent : entre août 1914 et avril 1917 pas un
seul soldat belge est réformé, mais ‘proposé à la réforme’. Cela avait l’avantage
de maintenir la pression sur ces inaptes qui travaillaient dans les usines d’armement
et de munitions : on pouvait à tout moment révoquer la décision et les
renvoyer au front (op.cit. p.310).
Le gouvernement belge en exil concurrence Galopin
Les usines de Galopin concurrencent donc le gouvernement belge dans
le recrutement des ouvriers spécialisés. Cela ne l’empêchait pas de devenir
conseiller du gouvernement belge en matière d’armement portatif. Le gouvernement
belge en exil avait racheté en Angleterre la Manufacture d’Armes de Birmingham
dont le personnel, belge en majorité, comprenait des armuriers mobilisés. On y
utilisait des calibres apportés par des transfuges de la FN (Vivre la guerre à
Liège p.127-133). Le 3 août 1915 Albert expose les grandes lignes qu’il
souhaite donner à l’industrie de guerre belge. Par un AR du 16 août 1915 le
gouvernement créait à Calais et au Havre neuf ACMA : ateliers de construction
de Matériel d’Artillerie, ainsi que des AFAP (Ateliers de Fabrication d’Armes
Portatives); puis des établissements de taille plus réduites, rassemblés sous
le terme Etablissements d’artillerie (EA). Les sommes allouées aux EA passent
de 158 millions de Fb en 1916 à 222 millions en 1917. Cela représentait 30% du
budget du Ministère de la guerre en 1916, 40% en 1917.
En novembre 1915 l’ensemble des ateliers au
Havre et à Calais emploient 3.290 personnes, dont 2960 militaires ; 13.500
ouvriers en octobre 1916 (7582 militaires au Havre, 651 à Calais, 194 à
Birmingham 106 à Colbrook et 3.347 à Birtley) et 15.000 en novembre 1917. Les
patrons anglais et français qui utilisent des mobilisés belges étaient tenus de
démontrer leur utilité. Les autres sont renvoyés au front ou dirigés vers les entreprises
d’armement belges. En janvier 1918, les usines d’armement du Royaume-Uni
employaient plus de 32.000 Belges, soit près des trois quarts de la
main-d’œuvre étrangère employée dans ce secteur à travers tout le pays.
Une main d’œuvre surexploitée
Usine de fabrication des obus à Bertley |
Ce régime militaire permettait au gouvernement de placer les
détachements d’ouvriers d’Artillerie (DOA) sous la direction d’officiers qui
peuvent recourir à des baisses de salaires, des peines de cachot, internement
au camp militaire d’Auvours ou à la compagnie disciplinaire de l’île de
Cézembre.
http://www.lesoir.be/683525/article/14-18/petite-gazette-14-18/2014-10-17/saviez-vous-une-compagnie-disciplinaire-belge-au-large-bretagne
Des centaines de milliers de mobilisés Français par contre qui bénéficiaient
de sursis d’appel restent des militaires dans la mesure où ils peuvent être
mutés dans d’autres entreprises ou renvoyés au front. En dehors du travail ils
relèvent de l’autorité militaire. Mais contrairement aux belges ils sont soumis
l’intérieur des ateliers à l’autorité patronale et bénéficient de la loi de
1898 sur les accidents de travail ou de 1910 sur les retraites et, surtout,
touchent les mêmes salaires que leurs collègues civils.
Les ouvriers des entreprises d’armement belges par contre devaient
se contenter de salaires inférieurs. Fin 1916 Emile Vandervelde compare les
salaires payés aux Trefileries et Laminoirs du Havre (5,5 à 7 FF par jour) avec
ceux des entreprises militaires belges, 20 à 30% inférieurs. Je n’ai pas
retrouvé chez Amara des précisions sur le statut de ses ouvriers ‘refugiés’,
mais logiquement ils étaient soumis au même régime.
entrepot d’obus à Graville-Sainte-Honorine (Le Havre) |
Au départ, ces ouvriers mobilisés réagissent avec leurs pieds. En
1916 une centaine d’ouvriers quittent clandestinement les ateliers belges pour
aller travailler au port du Havre. Mais le 2 février 1918 240 ouvriers des
Ateliers de Fabrication de Munitions de Gainneville font grève contre la
mauvais qualité des rations alimentaires. Dès le lendemain 136 sont envoyés
dans les compagnies de réhabilitation au front dans les troupes du Génie ou à
la compagnie disciplinaire d’Auvours. Les autres se tirent avec le retrait de
leurs décorations et de fortes réductions de salaires.
A Sainte Adresse Vandervelde prend fait et cause pour les grévistes.
Il demande au ministre de la Guerre de faire preuve de clémence et brandit la
menace de démission. Le calme revenu Vandervelde retire sa menace.
Le 7 novembre 1918 - wquatre
jours avant l’armistice - les ouvriers des ateliers de Sainte Adresse cessent
le travail, rapidement rejoints par Gainneville et Granville. Le Conseil
ministériel de Bruges du 9 novembre 1918 sollicite l’autorisation d’envoyer
trois compagnies d’infanterie. Vandervelde et Emile Brunet remettent leur
démission. Cooreman arrache un compromis. Le 13 novembre les ouvriers
reprennent le travail après avoir obtenu l’alignement de leurs salaires sur les
salaires français, la limitation de la journée de travail à 10h et le retour
des grévistes envoyés dans les camps d’internement (Michaël Amara, Des Belges à
l’épreuve de l’exil, p.142-146).
Je n’ai pas retrouvé des précisions sur les
conditions de travail et des salaires des travailleurs dans les usines
Parisiennes de Galopin. Mais il est fort vraisemblable qu’il ne s’est pas privé
d’utiliser les mêmes moyens de pression que le gouvernement belge au Havre. En
octobre 1918, le groupement placé sous la direction d'Alexandre Galopin avait livré les éléments de plus de 800.000 fusils au Gouvernement français, soit de
27 % de la production totale française pendant la guerre. Au cours de l'année
1918, ce groupe avait été chargé de la fabrication d'autres armes (fusils
semi-automatiques RSC, mitrailleuses Vickers pour l'aviation) et gérait le
Consortium des Constructeurs de moteurs d'avions, répartissant la fabrication
des pièces de moteurs entre diverses usines, en opérant la réception puis le
montage à Levallois.
L’après guerre pour la FN
En 1921, la FN devient majoritaire dans le capital de la MAP et fabrique des outillages pour honorer des commandes
militaires ou encore l’assemblage de motocyclettes de la FN à la fin des années
1920. En réponse à un appel d’offre pour la fourniture d’un pistolet
automatique (PA) de 7,65 mm, en 1937, la MAP propose le Browning 1936. Mais
l’offre n’est pas retenue. Suite à ce revers, la FN vend la MAP à la firme
Hotchkiss.
Entretemps,
à Herstal, le 10 novembre 1918 – le jour avant l’armistice – 5700 actions sont
mis sous séquestre. Les allemands sont évincés de l’actionnariat à des prix
bradés, au profit de Gustave Joassart qui travaille pour l’UFI, une filiale de la Société Générale. Celle-ci
devient l’actionnaire principal. Galopin, devenu directeur général de la FN en
1918 est appelé en 1923 au holding. En plus, des indemnités importantes sont
accordées par la cour des dommages de guerre. Les bénéfices sont octuplés de
1919 à 1926.
Biblio
Les
données de base de ce blog viennent de Michaël Amara, Des Belges à l’épreuve de
l’exil. Les réfugiés de la Première Guerre mondiale en France, en Angleterre et
aux Pays-Bas, éd. ULB http://www.editions-universite-bruxelles.be/fiche/view/2427
1914-1918 C. Maréchal et all. Vivre la guerre
à Liège et en Wallonie éd. Du Perron
Pascal Deloge, une histoire de la Fabrique
Nationale de Herstal, éd. Céfal
A explorer
Pierre Tilly, Milieux économiques belges et
occupation allemande de 1914 à 1918 : une stratégie du moindre mal
Fernand Van Langenhove, 1927. L'action du
gouvernement belge en matière économique pendant la guerre. Les presses
universitaires de France. pp. 269.
http://guerres-et-conflits.over-blog.com/article-territoires-occupes-103916622.html
Michaël Amara, L’exfiltration des ouvriers belges, au confluent de la
guerre clandestine et de la mobilisation industrielle alliée
Voir aussi
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