mardi 26 avril 2016

Projet bavière : que faire avec la dentisterie ?


Photo le Vieux Liège
Dans le projet d’urbanisation de l’ancien hôpital de Bavière le consortium BPI, Thomas&Piron et UrbaLiège ne maintient pas la dentisterie. Il est vrai que le bâtiment délabré et squatté offre une bien piètre mine depuis son abandon en 2001. Pourtant, la dentisterie fait partie de l'architecture moderniste qui se développe dans les années 1930, en concurrence avec l'Art déco et le style Beaux-Arts.
Le modernisme privilégie la fonction. Comme édifices publics de style moderniste  nous avons à Liège l’église du Sacré-Cœur et Mémorial Interallié à Cointe (Jos Smolderen, 1928-1936 ), le siège du journal "La Wallonie" actuellement commissariat de Liège, Rue de la Régence (Joseph Moutschen1925) ; le Pont-barrage de Monsin (1930) et le Mémorial Albert Ier à l'entrée du Canal Albert (1939 J. Moutschen) ; la Plaine de jeux Reine Astrid ( Groupe l'Équerre 1937) ; le  lycée Léonie de Waha (1936-1938) boulevard d'Avroy, et le Palais des Fêtes de la Ville de Liège de 1939.
Pour Olivier De Wispelaere, ingénieur-architecte de formation et assistant à l’ULg, co-président, de l’ASBL citoyenne urbAgora, ce bâtiment est un des rares bâtiments liégeois de style Bauhaus (= moderniste), le cousin nord du site du Val-Benoît.
phot lechainonmanquant
Nous venons de voir que ces bâtimentsne sont pas si rares que ça, mais il est vrai que certains de sont dans un piteux état (l’église du Sacré-Cœur) et le Palais des Fêtes de la Ville de Liège de l’expo de 1939 (déjà reconverti en patinoire) attend une nouvelle affectation. D’autres par contre sont restaurés ou en voie de restauration (Waha, Mémorial de Cointe, le Val-Benoit, la Wallonie, la Sauvenière).
Si les autres architectes modernistes comme Jos Smolderen, Joseph Moutschen ou le Groupe l'Équerre ont un palmarès impressionnant, celui de  Charles Servais est mince : il a réalisé quelques habitations privées rue Fond Pirette en 1932, et un projet avorté d’immeuble à appartements rue Saint-Laurent en  1939.
Pour Thomas Moor, directeur Guide d’architecture moderne et contemporaine à Liège 1895-2014, sa valeur architecturale intrinsèque est relative — elle est représentative des investissements menés par l’Université dans l’entre-deux-guerres à Liège, en mode mineur en regard du remarquable complexe universitaire du Val Benoît — elle est néanmoins reconnue par Docomomo Belgium.
Un architecte peu connu, un bâtiment en  mode mineur en regard de son ‘cousin’ du Val Benoît ; s’ajoute à cela que pour tous ces bâtiments fonctionnalistes, leur qualité devient une tare en cas de réaffectation. La dentisterie était un modèle de fonctionnalisme. Servais avait dressé les plans en collaboration avec Henri Fauconnier, un chargé de cours qui connaissait bien l’organisation des grands instituts de stomatologie étrangers. Seules les baies du demi sous-sol et les bouches d’aération sont décorées de grilles sobres aux formes géométriques. La revue Bâtir souligne à l’époque « la qualité essentielle du rythme de la bâtisse ». Si l’amphithéâtre et les vastes plateaux libres d’usage ont des qualités spatiales indéniables, d’autres comme les cabines de dentiste sont plus difficiles à réaffecter.
Ce fonctionnalisme allait jusqu’à prévoir un exhaussement ultérieur! L’Université de Liège avait construit ce nouveau bâtiment pour son service de stomatologie quand la dentisterie devient une discipline universitaire. Le chantier dure de 1937 à 1940 mais l’’inauguration officielle n’a lieu qu’en 1946. Servais a construit les quatre niveaux sur une structure métallique pensée pour supporter un exhaussement ultérieur (début des années 70 l’édifice est effectivement exhaussé de deux nouveaux étages). La façade s’inscrit dans un dialogue de la brique et du verre, dans un rejet de l’ornementation gratuite (source http://levieux-liege.be/?page_id=384 ).
Si la fonction historique joue fortement pour certains bâtiments comme la piscine ou la patinoire, qui évoquent des moments heureux, pour la plupart des gens une dentisterie n’évoque pas nécessairement des souvenirs agréables.
En 1985, contrairement aux autres services de l’hôpital de Bavière, l’institut n’est pas transféré au Sart Tilman. Mais le répit ne dure que quinze ans: en 2001, l’ancien institut de stomatologie est définitivement fermé et laissé aux mains des vandales. Le fonctionnalisme de Servais n’allait pas jusqu’à celui de l’architecte nazi Speer qui développa la théorie de la valeur des ruines, à la suite d'une visite sur le site, tout juste dynamité, du futur chantier du Zeppelinfeld, à Nuremberg. Speer construisait des édifices qui après des centaines ou des milliers d'années  ressembleraient aux ruines laissées par Rome. Il a eu ses ruines un peu plus vite, et elles ne ressemblaient pas du tout à l’ancien Rome.
Ceci dit, les urbanistes du consortium BPI, Thomas&Piron et UrbaLiège invoquent des problèmes de stabilité du bâtiment qui rendraient une réaffectation onéreuse. Une affirmation à prendre avec des pincettes puisqu’ils sont juge et partie…
photo sauvaonsladentisterie
En 2005, la Ville de Liège demande encore à définir un projet pour ce « symbole architectural de la modernité héroïque » et  l’équipe lauréate de l’appel à projet pour Bavière, pilotée par les architectes d’Anorak (Cédric Libert, Vincent Piroux, Cécile Chanvillard) louait encore ses qualités spatiales indéniables (amphithéâtre et vastes plateaux libres d’usage), en projetant une affectation culturelle à définir. En 2008, le promoteur demande de permis de démolir.
En 2012 un «Collectif dentisterie » constitué par UrbAgora, SOS Mémoire de Liège, Le vieux Liège et Patrimoine Outremeuse avait fait des propositions  en reprenant l’idée ‘d’affectation culturelle’.  Alain De Clerck avait suggéré d’en faire un « phare culturel eurégional entre Liège, Maastricht et Aix, valorisé dans le cadre de Maastricht 2018 ». D'autres lui rendraient bien sa fonction historique de formation en y installant la faculté d'architecture. Trouver une nouvelle affectation est évidemment important, même si cette question devrait trouver une solution assez facilement dans le cadre du grand pôle culturel prévu sur le site. Ce qui permettrait de ramener la question à son essence : cela vaut-il la peine de sauver ce témoin d’architecture moderniste des années 30…

Sources

VAN EVERBROECK, Louis, L’institut de stomatologie de l’Université de Liège dans Bâtir, n° 75, Bruxelles, février 1939, p.66 – 70
idem https://orbi.ulg.ac.be/bitstream/2268/116306/1/dentisterie.pdf

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