Notre 17ième
balade santé dest partie du cimetière de Sainte Walburge. Une idée bizarre pour une balade santé ? Ce n'est pas du"Dark
tourism" ou "Tourisme sombre", dans les sites associés à la
mort ou à la destruction, qui est pourtant
un tourisme en pleine expansion, notamment grâce au web. D’ailleurs, l'office
du tourisme organise des visites guidées du cimetière. Une des guides est Aline
Boland, 93 ans, la doyenne des guides touristiques de la ville. C’est elle qui m’a inspiré pour cette balade.
Sur le thème du «témoignage
des tombeaux», elle présente une trentaine de tombes remarquables. A la fin
de la visite, elle a même eu une personne qui l'a félicitée en disant 'C'était une visite très vivante!'.
Vivante, pour une visite de cimetière, il faut le faire et c’est
faisable !
L’épidémie cholérique de 1866
Face à
l’entrée, les tombes de deux pompiers, Hebrans Jean-Pierre et le sergent
pompier Spineux ‘pour services rendus
pendant l’épidémie cholérique de 1866’. Le dicton ‘choisir entre peste et choléra’ ne date pas du fin fond du Moyen
Age mais de la révolution industrielle…
deux pompiers- épidémie choléra 1866 |
Nous longeons le mur de l’enceinte vers la
droite. Une des plus belles sépultures du cimetière est celle de Jacques Debruyn (parcelle 25-1-1),
coiffeur place du Marché et inventeur de la cigarette – ou préparation
tabagique - de sa mère Khalifas qui fera la fortune de ses fils. Sa pub représentait
une tête arabe : « si Ali ne
fume pas la Khalifas, que voulez-vous qu’Ali fasse ? « . Bien
trouvé ! Le monument est de l’architecte Eugène Jamar.
Dans la
parcelle 33-1-57 Joseph Demarteau, fondateur de la Gazette de Liège. Il
mena (entre autres) en 1881 une campagne contre li toré, sommet de l’indécence
pour les calotins de l’époque…
Le quartier de Sainte Marguerite honore
toujours Maurice Waha (59-1-45). Le 7 septembre 1944, les soldats
allemands, en pleine déroute, lancèrent un char bourré d'explosifs en direction
du carrefour Fontainebleau. Maurice Waha fait une tentative héroïque mais vaine
pour désamorcer la charge explosive. 87 personnes périrent.
Des prisonniers de guerre soviétiques et quatre aviateurs anglais
Nous montons vers la pelouse de dispersion. A
coté des tombes belges, sur la parcelle 63 ter-1-1 à 7, un monument pour cinq
prisonniers de guerre soviétiques décédés en avril et mai 1945, donc largement
après la libération, à l’hôpital Beauregard rue saint gilles. Le monument fut
érigé en 1991 par Obelisk, un organisme d’état russe. L’architecte est V.
Talkousky et le sculpteur A. Bourganov a un musée à son nom à Moscou.
Un peu plus loin sur notre droite,
quatre sépultures d'aviateurs anglais dont l'appareil fut abattu au-dessus de
la région liégeoise dans la nuit du 5 au 6 août 1941. On ne peut pas dire que
les aviateurs meurent anonymement. Leur bombardier Numéro de série Z6803MHJ est sorti des usines Armstrong Whitworth Whitley et
livré directement de l’usine au 51ième Squadron début 1940. Il a décollé
le mardi 5 août 1941, en fin d'après-midi, sur la base de Dishforth en Yorkshire, pour un raid de bombardement sur
Francfort. Y prendront part 46 Whitleys et 22 Wellingtons. L'équipage est
composé du Sgt CREEDY, W/op Air gunner (W/op = wireless operator = opérateur
radio. Air gunner = mitrailleur), matricule 909837 RAF, VR (VR = volontaire de
réserve), originaire de Londres, âge 23 ans; Sgt DEAN, obs, matricule 903312
RAF, VR, originaire de Hawkinge (Kent), âge 24 ans; P/0 (P/0 = Pilote Officer =
officier pilote), TILLEY, Pilot, matricule 61034 RAF, VR, originaire de
Johannesburg Transvaal, South Africa; Sgt WILLIAMS, Pilot, matricule 1162621
RAF, VR, originaire de Thornton Heat (Surrey), âge 18 ans; Sgt HART, W/op.
Le Whittey Z6803 est attaqué par un nachtjager
Fw Reinhard Kollak du I./NJG 1 (un
chasseur de nuit de la Luftwaffe basé à Saint-Trond - Nachtjagd). Reinhard descend cette nuit trois avions.
Désemparé, après délestage de ses bombes, le
bombardier s'écrase sur l'île Monsin. Trois corps sont retrouvés sans vie :
ceux de CREEDY, de DEAN et du P/0 TILLEY. Le Sgt WILLIAMS est transporté
grièvement blessé à l'Hôpital Militaire où il décède le 10 août. Le Sgt HART,
unique rescapé, fut fait prisonnier et rapatrié en 1945. POW number R/66039 au Stalag Luft 6
Récit dans le quotidien "collaborationniste" LA LEGIA dumercredi 6 août 1941 : "DEUX
AVIONS ANGLAIS ABATTUS DANS LA REGION LIEGEOISE. Dans la nuit de mardi à
mercredi, l'aviation britannique a de nouveau opéré sans discernement au-dessus
de la région liégeoise. Sur une commune en amont de Liège et loin de tous
objectifs militaires, elle a lâché plusieurs bombes explosives et de nombreuses
bombes incendiaires, provoquant la mort de Monsieur Clément Remy, 40 ans, et de
son fils âgé de 6 ans. On compte en outre quatre blessés. Monsieur et Madame
Morisse, Messieurs Schwartz et Ramackers. Trois maisons sont entièrement
détruites et cinquante autres plus ou moins gravement endommagées. Dans une
autre localité, de nombreuses bombes incendiaires furent lâchées ainsi que des
bombes explosives qui tombèrent dans les champs. Un avion anglais a été abattu
en flammes en aval de Liège."
Décédé accidentellement au charbonnage de Baneux à l’âge de 13 ans
Dans la parcelle 65-A/B un monument de l’Union
des mineurs du bassin de Liège pour Leblanc Alfred, « bienfaiteur des mineurs de Liège ». Ce syndicat est un ancien
fonds local fondé en 1901. Sur la naissance difficile des syndicats miniers
cliquez ici.
Je n’ai pas réussi à retrouver sur la parcelle
21-1A-43, une tombe « A notre regretté
fils Léonard, décédé accidentellement au
charbonnage de Baneux à Liège le 24 mars 1908, à l’âge de 13 ans ». On peut
chercher ensemble… Le garçon Charlier Léon était né dix ans trop tôt : en 1919 la Belgique interdit le
travail aux moins de 14 ans. En 1889 les garçons de 12 à 16 ans et les filles
de 12 à 21 ans ne travailleront que le jour, 12 heures max. et 6j/sem.
Sur le charbonnage de Baneux voir mon blog http://hachhachhh.blogspot.be/2014/02/balade-sur-les-coteaux-de-vivegnis-des.html
Le
monument de Bosman Gilles (53-1-36) est de notre sculpteur liégeois Oscar Berchmans dont on retrouve de nombreuses têtes dans les maisons art nouveau des
architectes Victor Rogister et Paul Jaspar.
Bosmant Jules (53-1-40 bis) était avec Ochs à
Luzerne pour acheter des œuvres d’art dégénéré.
En face de ses soldats du 12ième de ligne, le capitaine-commandant Speesen du fort de Pontisse
A droite une drève en hêtre noir mène vers un
champ d’honneur. En face de ses soldats du 12ième de ligne, parcelle 50-1-58,
le capitaine-commandant Speesen, l’âme
de la résistance du fort de Pontisse qui
ne se rendit qu'après que la « grosse Bertha
» eût tiré quarante-trois obus de 420 mm
! Il survit à quatre ans de captivité en Allemagne. http://www.1914-1918.be/speesen_pontisse.php
Sa santé se détériore fortement le 12 mai 40, quand il découvre les
allemands rue de la Campine. Mais ce n’est
pas ça qui lui donne le coup fatal. C’est une émotion positive suite à une
rencontre avec le colonel Modart qui avait réussi à s'échapper du Fort de
Flémalle et qui assura à Speesen que les forts de Liège avaient combattu aussi
dignement qu’en 1914. Il décède le 28 juin 1940.
Georges Truffaut (1901-1942) a été membre
fondateur et ardent animateur de la Ligue d’Action wallonne (1923), ce député
socialiste de Liège poursuit le combat contre les Allemands en Angleterre dès
mai 1940. Il y perd la vie, le 3 avril 1942. Sa dépouille fut rapatriée en 1947
et sa sépulture, outre un buste, comporte un bas-relief représentant un
flamboyant coq wallon. La citation « Mieux vaut mourir de franche volonté que
du pays perdre la liberté » feit penser à Dolorès Ibaruri « Mieux vaut mourir debout que vivre à genoux »
Le dernier à saluer est le dessinateur et
caricaturiste Jacques Ochs au 44-1-22. Il est arrêté le 20 novembre 1940 par la Gestapo qui lui reproche une
couverture du Pourquoi Pas ? représentant un Hitler aux mains sanglantes. Mis
au secret à la prison Saint-Léonard à Liège, J. Ochs est ensuite
conduit à
Breendonck où il est incarcéré (décembre 1940-février 1942). Durant cette
captivité, il parvient à réaliser des croquis et des portraits bouleversants
qui sont un témoignage des pénibles conditions vécues par les détenus. De
février 1942 à juillet 1944, il est assigné à résidence. Dénoncé comme “ juif
”, il se retrouve à la caserne Dossin à Malines où il évite in extremis la
déportation, grâce à l’arrivée des troupes alliées (septembre 1944). Il
recouvre alors ses fonctions de directeur de l’Académie et de conservateur du
musée des Beaux-Arts de Liège, avant d’y renoncer en 1948.
Nous ne saluerons pas Joseph Bologne parce que
la parcelle 42-1a -9/10 est un peu hors de notre chemin. En 2013 l’expo:
« Liège, cité docile ? »
expliquait comment Joseph Bologne, premier bourgmestre socialiste de Liège,
s’est montré particulièrement zélé dans la persécution des juifs, mais aussi
des communistes. En 1941 Bologne avait transmis au Verwaltungschef de Liège une
liste de 180 militants communistes liégeois
A Sainte Walburge se trouve aussi la tombe du
résistant Walthère Dewé. Nous passerons devant son Mémorial lors d’une de nos
prochaines balades, sur la boucle Thier à Liège du GR des terrils.
Sainte-Walburge et le décret de Napoléon du 12 juin 1804
Autrefois, le cimetière ceinturait l'église Sainte-Walburge mais la loi
républicaine française de 1801 ayant exigé de ne plus inhumer autour des
églises, suivie du décret de Napoléon du 12 juin 1804, la Municipalité définit
3 nouveaux cimetières: le cimetière de Robermont, les Bayards (supprimé en 1816)
et le cimetière de Hocheporte, rue Naimette, supprimé en 1821.
En 1855, alors que la Ville de Liège envisage
de fermer définitivement le cimetière de Sainte-Walburge, la famille Orban y
demande une concession à perpétuité en échange de la cession de terrains
avoisinants. Le cimetière paroissial restera encore vingt ans plus tard, et
sera seulement sera seulement désaffecté pour la construction de la nouvelle
église en 1878. Seul le monument Orban fut sauvegardé. Après de nombreuses
études et débats sur les risques de contaminations des nappes aquifères, on
inaugure enfin le nouveau cimetière Sainte-Walburge le vendredi 20 mars 1874.
Le boulevard Fosse Crahay deviendra une large chaussée pavée, baptisée par les
toujours facétieux Liégeois, le boulevard des étendus.
Le centre fermé
En avril 1994, le conseil des ministres fédéraux décide l’implantation de ce centre fermé à Vottem, le premier en Wallonie (et l’unique jusqu’à nos jours). On tente de prouver l’illégalité des centres fermés puisque des innocents sont arrêtés puis y sont enfermés sur simple injonction «administrative » sans passer par un juge d’instruction. Au printemps 1996 est fondé le Collectif herstalien d’opposition aux centres fermés (le CHOC). Dawinka Laureys de l’IHOES a fait l’historique de ce centre et de la lutte contre son implantation.
Nous contournons le cimetière par la rue des
neufs journaux. Les neuf journaux n’ont rien à voir avec la presse locale;
c’est une mesure de surface : la superficie qu’on peut labourer en une
journée. A Liège, avec ses terres compactes, cela valait 21 ares, ou 5 verges
grandes (cfr rue des 14 verges). Le chemin des neuf journaux existait avant le
cimetière, et si on n’y a pas touché c’est qu’il faisait frontière entre Liège
et Vottem.
On y trouve un autre cimetière : « Le
paradis des animaux ». Les animaux vont directement au paradis. Pour les
humains il y a le purgatoire, sauf pour les saints… A côté des chiens et chats,
il y a aussi des rats, des chevaux et un
kangourou.
Un Perron de « dépannage
Quelque part dans le coin se trouvait un
Perron de « dépannage », quand le Perron Place du Marché était inaccessible au
prince évêque. L’historien Claude Gaier le situe à l’angle de la vieille voie
de Tongres et la rue des Neuf Journaux. Nous y sommes donc. A Liège le perron
était à l’époque le symbole du pouvoir de justice, le pouvoir temporel, du
prince-évêque.
Tout ça remonte à 1254, année où Henri de Dinant devient le premier bourgmestre liégeois nommé
par un suffrage vraiment populaire. Il organise les milices populaires par
vinâves, des compagnies de vingt personnes, commandées par des vingteniers.
Quelques années plus tard, il est prêt pour la confrontation avec le prince. Le
prince s’était plaint au Pape de ce que les bourgeois de Liège avaient institué
des compagnies et avait excommunié les Liégeois. En 1255, le prince arrive avec
l’aide du duc de Brabant, du comte de Gueldre, du comte de Juliers et du comte
de Looz d’imposer la paix de Bierset. Par prudence, le Prince y avait prévu le
droit d'ouvrir un plaid à Vottem, quand la Cité était trop dangereuse pour lui.
Quand un demi siècle plus tard, en 1307, le prince évêque Thibaut de Bar doit fuir à
Maastricht, devant la pression du peuple, il cite donc les chefs des révoltés à
Vottem. Le peuple en armes occupe le lieu avant l'arrivée du prince. Le prince
n’ose pas lancer le combat et doit signer la paix à Seraing.
En 1346 s’y déroule la Bataille de Vottem:
notre bataille des Eperons d’Or de 1302 http://hachhachhh.blogspot.be/2014/02/la-bataille-de-vottem-de-1346-notre.html
La rue de l’Emancipation dans les Cascogniers : Vottem devient une commune émancipé.
Nous passons dans la Rue Suzanne Grégoire, un lotissement intéressant avec un nom qui l’est autant.
En face la cité des Cascogniers. Avec cette
cité, Vottem dépassait les 5000 habitants pour devenir une commune émancipé. De
4.852 en 1930, la population monte à 5.156 habitants en 1931. Pour commémorer
l’évènement, la rue de l’Emancipation. Petit problème : le changement de
catégorie se fait sur base du dernier recensement général. Or, il y en a eu un
en 1930 et le prochain est programmé pour 1940. Suite à la guerre le
recensement est retardé jusqu’en 1947. A la fin de cette année arrivera
l’émancipation. La commune compte alors 5.445 habitants.
Nous passons par un lotissement tout en longueur,
la rue Machiroux, pour déboucher Rue du Plope (peuplier en wallon). En face le
terril Batterie Nouveau (ou terril du Poyou Fossé). L’exploitation charbonnière
s’est arrêtée en 1965. Il occupe une superficie de ± 14 ha. Dans les années 70,
il a fourni du remblai lors de la construction de l’hôpital de la,Citadelle.
Reboisé en 1984, il est aujourd’hui classé non exploitable. De son sommet nous
découvrirons, lors d’une prochaine balade, quand les feuilles ne sont
plus sur les arbres, l’un des panoramas les plus impressionnants de Liège!
Quelques points de repère : le pont haubané de Wandre, les terrils de
Bernalmont et de Belle-Vue, les échancrures des vallées de la Meuse, de
l’Ourthe et de la Vesdre, la Chartreuse, l’église St-Vincent, le pont haubané,
le Mémorial interallié de Cointe, les hauteurs de Seraing. Plus près de nous,
le long ruban de platanes du bd Hector Denis, le Bois Fabry (une prochaine
balade) et l’hôpital de la Citadelle. De la paire du charbonnage Batterie un
tunnel débouchait en face de la gare de Vivegnis, dans le quartier Saint
Léonard.
Bibliographie
Chantal Mezen, Le Cimetière de
Sainte-Walburge, Noir Dessin Production, Liège, 2004, (ISBN 2-87351-102-8)
Chantal Mezen a passé trois ans à éplucher les
nécrologies des journaux et à feuilleter les livres, salle Ulysse Capitaine à
la bibliothèque des Chiroux, pour son dernier livre consacré au cimetière de
Sainte-Walburge
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