En 2011 Liège a eu trois étoiles au Michelin
pour ses Coteaux (Guide Vert pour la Belgique et le Luxembourg).
Des étoiles bien méritées ! Ce site est aujourd’hui menacé par un projet
de liaison autoroutière.
Les Coteaux, c’est d’abord un Site de Grand Intérêt Biologique (SGIB), 40 hectares quasi continus de bois, de
prairies, de vergers, de jardins, d'anciennes terrasses et murailles, de
friches et de potagers, avec notamment le bois des Carmélites, le bois de
l’Évêché et le verger des Filles de la Croix. Le site recèle aussi de
nombreuses richesses archéologiques, historiques, architecturales et
scientifiques, avec 60 monuments et cinq sites classés. Ce site n’est pas
seulement l’apanage de quelques mordus de la nature : le pré de l’ancienne
ferme Fabry et le verger récemment planté accueillent de nombreux piques-niques
et barbecues organisés ou improvisés.
Le bois Fabry tire son nom de la famille
Fabry dont Jacques-Joseph Fabry (1722-1798) fut bourgmestre révolutionnaire de
Liège en 1770, 1783, 1789 et 1790. A l'entrée du chemin menant à la ferme une
laiterie servait du aux les promeneurs du parc. La laiterie devient le bâtiment
administratif du camping communal situé à l'emplacement de l'actuel terrain de
football jusqu'en 1958. En 1978, la ferme est vendue par le charbonnage de
Batterie à un promoteur immobilier qui abandonne un peu plus tard ses projets
de construction en zone verte. Liège rachète les terrains en 1980 pour en faire
un espace vert ouvert au public. Depuis quelques années le Sentier de grande randonnée
des Terrils GR 412 Est traverse le site.
Aujourd’hui ce site est menacé par un projet
de liaison routière entre la E313 et l'hôpital CHR. Le tracé passe,
à partir de l'autoroute à Vottem, par le jardin de la ferme des
enfants, avant de couper la rue des Tawes et la rue de la
Chaîne, pour atteindre l'hôpital de la Citadelle à hauteur de la rue des
Glacis. Pour le ministre Prévot, le ministre wallon des Travaux, «cette liaison fait partie du plan
infrastructures que le ministre compte présenter avant la fin de l'année».
La résistance
s'organise à partir du mouvement citoyen
Citadelle Environnement. "Nous avons créé une page Facebook ’Non à la
liaison E313/CHR’ et lancé une pétition en ligne qui a recueilli plus de 2.300
signatures. A la fête des fous, les 5 et 6 septembre, nous mènerons des actions
et nous lancerons une pétition papier » explique André Raway, l’ancien
président du comité de quartier. Le mouvemrent a eu le soutien de l’ASBL Sauvegarde et Avenir des Coteaux de la Citadelle qui regroupe
riverains et associations (Les Amis de la Terre-Belgique ASBL, urbAgora ASBL,
Société Royale Le Vieux-Liège ASBL, SOS Mémoire de Liège ASBL, La Cité
s’invente ASBL, le Comité des habitants de Saint-Léonard), et du groupe
Facebook pour la sauvegarde des Coteaux. Cette asbl a fait ses dents il y a
quelques années dans le combat contre l’implantation de vignes industrielles
par la société Vranken. Notons le terme ‘vignes
industrielles’ : l’asbl ne s’oppose pas à un vignoble derrière la Montagne de Bueren lancé par la coopérative Vin de Liège.
Le plan de Mobilité 2005 du CHR
Mais cette menace d’implantation de vignes industrielles est
de la piquette par rapport au projet porté par le CHR. En juin 2005 le CHR avait déjà publié un plan de mobilité. Dans l’annexe 2.2.2 on y suggérait (très
prudemment) un ‘tracé potentiel E313
entre la rue Sainte Walburge et la rue Fond des Tawes’. Liège a vécu
pendant trente ans avec un ‘trou de la Place Saint Lambert’, suite au projet
pharaonique d’amener une autoroute sur la Place Saint Lambert. On dirait que
tout ça est oublié. Pourtant, c’est à peine depuis quelques années que le tissu
urbain s’est un peu cicatrisé.
Ce plan de mobilité CHR de 2005 faisait complètement fi
aussi du plan de mobilité de Liège (PCM) qui venait d’être déposé en février 2004. Il est vrai que ce PCM de Liège n’a
jamais été pris au sérieux par certains, avec entre autres l’argument qu’il ne
fallait pas un plan au niveau de la ville, mais au niveau de l’agglomération.
Ce qui est vrai, mais ce qui n’est pas un argument pour jeter les bases
rationnelles du plan de mobilité communal à la poubelle.
Le plan 2005 du CHR noyait un peu le poisson de la liaison
autoroutière avec quelques alternatives comme un téléphérique de la place des
déportés vers l’hôpîtal. Mais le texte fournissait en même temps plein
d’arguments contre ce funiculaire qui selon les auteurs ne résoudrait rien.
En 2012, lors des élections communales, le CHR revient avec
ce funiculaire. Mais là aussi on sent que le vrai objectif était de
réactualiser cette liaison autoroutière.
En 2013 c’est la concurrence entre les hôpitaux qui pousse
le CHR à monter en régime et de demander sans fard ‘une liaison directe avec l’autoroute, comme pour le futur hôpital du
CHC à Glain’.
On brouille à nouveau un peu les pistes avec le funiculaire
baptisé aéro-tram. ‘Un aéro-tram, une
liaison avec l’autoroute, un parking-relais et un plan de circulation corrigé :
l’hôpital de la Citadelle veut une réponse à ses éternels problèmes de
mobilité. Malgré un plan de mobilité mis en oeuvre depuis 7 ans, la situation
est encore loin d’être idyllique autour du centre hospitalier de la Citadelle.
Les navettes Citabus, alliées au parking du Kinepolis, ont quelque peu
contribué à améliorer les choses, c’est
encore loin d’être suffisant. En demandant à la Ville de s’atteler au plus vite
aux corrections à apporter au plan de circulation, à la Société Régionale
Wallonne des Transports de concrétiser tout aussi rapidement le parking-relais
à la sortie de la E313, et surtout au SPW d’offrir à l’hôpital une liaison
directe avec l’autoroute, comme il se prépare à le faire pour le futur hôpital
du CHC à Glain’ (La Meuse 9/11/2013).
Le journaliste du
Soir est un peu plus explicite sur les motifs de cette démarche : « L'accès autoroutier du nouvel hôpital
CHC aiguise les appétits. D'ici trois ans, le Centre hospitalier chrétien aura
coupé le ruban de l'hôpital Mont Legia dont le chantier a commencé sur les
hauteurs de Glain. Une infrastructure hospitalière flambant neuve directement
connectée à l'autoroute via un échangeur que le SPW est en train de réaliser
(5,6 millions d'euros dont 1,6 million pris en charge par le CHC). Sur place,
patients, personnel et médecins trouveront 2.000 places de parking. Le CHR de
la Citadelle voit d'un mauvais œil le nouvel avantage concurrentiel du CHC, lui
qui se bat avec de lancinants problèmes d'accessibilité et de stationnement »
(Le Soir Liège, 04 mars 2015).
Pourtant, au lieu d’aiguiser
les appétits, ce nouvel hôpital implanté sur le Ring, devrait susciter aussi
des questions de mobilité. Notamment concernant l’accès en transport public.
Comment rendre cet hôpital accessible pour la petite moitié des gens sans
voiture ? Sans encore parler d’une saturation du Ring. J’ai l’impression
que l’hôpital de Glain a besoin d’une
étude sérieuse de mobilité…
Le journaliste
Philippe Bodeux remarque à juste titre que la direction des routes de Liège a
sorti de son placard le tracé autoroutier inscrit au plan de secteur dans les
années 70. L'échevin de la Mobilité Michel Firket s'oppose à cette
liaison : « j'estime que c'est
un projet d'un autre âge qui amène des voitures en plus grand nombre à la
Citadelle. De plus, cela gâche un site préservé».
On en revient donc avec un tracé autoroutier
inscrit au plan de secteur dans les années 70, plan de secteur qui a abouti
tout droit dans le trou de la Place Saint Lambert ! La décision de la Commission d’Assistance Publique (CAP) – actuel CPAS de Liège – de remplacerl’hôpital de Bavière par le futur hôpital de la Citadelle date de cette époque.
Le 6 juillet 1974 est posé la première pierre. En novembre 1981 c’est
l’ouverture. Aujourd’hui le CHR de la Citadelle représente 1036 lits répartis
sur les différents sites. Selon la RTBF, l'armée belge aurait lancé l'idée d'une liaison routière à
travers le quartier Sainte-Walburge vers la Citadelle au milieu des années
1950. A l’époque la Citadelle servait encore de caserne. Le CPAS de Liège aurait
repris ce projet. Une opposante à la liaison explique que « sur le
cadastre, il y a toujours des pointillés qui représentent cette zone de
réservation, mais on n’empêche plus les gens de construire. Donc, en principe,
c’était abandonné."
Ceci
dit, à l’époque, cette liaison s’inscrivait dans de ‘tout
à la voiture’ et une stratégie visant à positionner Liège comme un nœud autoroutier.
Les problèmes de mobilité du nouvel hôpital ne sont pas prioritaires.
Pierre Frankignoulle passe en 2009 en revue la «refondation»
de Liège, de 1953 à 1973, avec les visées modernistes « à l’américaine ». L’association le Grand Liège, l’emblématique
échevin libéral Jean Lejeune ou encore le recteur Dubuisson et le comte
Clerdent, tous ont « l’obsession de
ne pas rater la connexion au réseau autoroutier européen quitte à faire passer
l’autoroute place Saint-Lambert avec un tronçon de la corniche passant en
encorbellement sur les Coteaux ».
Jean Englebert aussi
raconte comment il a été confronté « aux
urbanistes-conseils de la Ville, L’EQUERRE, proche du pouvoir. Il fallait que
les autoroutes arrivent à Liège, elles devaient passer place Saint-Lambert. De
là est né le problème de la place Saint-Lambert ». La revue L’Équerre avait
été créé en 1928 par une série d’architectes liégeois intéressants, comme antenne
locale des CIAM (Congrès Internationaux d’Architecture Moderne, sous la
houlette de Le Corbusier). En 1938, l’Equerre s’était même vu confier le
Secrétariat de la section belge des CIAM, et la sixième conférence CIAM aurait
dû se dérouler à Liège en 1939 avant d'être annulée par la mobilisation. Mais en 1941 la Charte d’Athènes sonne le
glas des CIAM et le mouvement part un peu dans tous les sens. A Liège, l’Equerre
accroche son char aux projets mégalomanes de l’échevin Lejeune, jusqu’au
bout : l’abandon du projet fou de ramener une autoroute Place Saint
Lambert est aussi le chant de cygne de l’Equerre. L’agence est en faillite en
1982 et les Coteaux restent à l’état.
Comme P. Frankignoulle signale, ce projet
d’autoroute en ville ne comprenait pas seulement la bretelle qui a coupé Sainte
Marguérite en deux. Il prévoyait aussi un tronçon sur la corniche, en
encorbellement sur les Coteaux.
Les Coteaux ont suscité des convoitises dès le déclassement militaire de la Citadelle en fin du 19° siècle !
Mais, en fait, les Coteaux ont suscité des
convoitises dès le déclassement militaire de la Citadelle en fin du 19°
siècle ! L’asbl Homme et Ville a réalisée pour l’échevinat de
l’Urbanisme de la Ville de Liège en 2006 une « Etude historique sur sept parcs liégeois». Les menaces sont là
depuis le déclassement de la Citadelle en 1891, suite à la construction des
forts Brialmont. En 1894, un projet présenté au Conseil communal prévoit la
transformation en parc public, mais aussi (déjà) le projet d’un chemin de fer
funiculaire de la rue Fond Saint-Servais au nouveau parc. Le funiculaire se
situait dans le prolongement du tramway vicinal de Wihogne à Sainte-Walburge,
avec une pente de maximum 16 %, et les 200 premiers mètres en tunnel. La gare
inférieure était prévue rue Fond Saint-Servais. A noter : le funiculaire serait
accessible aussi bien aux piétons qu’aux voitures.
Mais aussi, et
ici nous ne sommes plus dans le folklorique, mais dans la réalité 2015, Le
conseil communal voulait un nouveau boulevard de liaison démarrant près de la
prison Saint-Léonard à hauteur de l’actuelle Rue des Déportés avec un coude à
hauteur de la tête du tunnel du chemin de fer. Ce boulevard aurait monté
jusqu’au-dessus de la houillère du Bâneux et ensuite vers la Citadelle en
suivant la pente naturelle de la crête et en traversant le bois Fabry. Les
boulevards actuels, plus au nord, (Ernest Solvay, Hector Denis) ne sont
finalement que le reliquat de ce projet.
Ce projet
s’inscrivait dans un projet plus vaste de « boulevard
de circonvallation » partant de Cointe, où ce boulevard a connu un début de
réalisation dans la cadre de l’expo de 1905, avec le futur boulevard Gustave
Kleyer).
la Ferme Fabry |
Pendant la Grande Guerre, la Citadelle
retrouve une activité militaire toute relative, mais cruciale. Les allemands
occupent très vite ce site qui servait de caserne et qui n’était pas fortifié.
Ils exploitent cette victoire pour annoncer que la ‘Festung Luttich’ est prise.
Entre les deux guerres le site reste un lieu de promenade. En 1940, la citadelle sert de caserne pour les soldats allemands, de centre d'entrainement pour les gardes wallonnes et de prison pour les patriotes. En 1945, les troupes américaines occupent la citadelle. En 1947, l'armée belge reprend possession du lieu. Selon la RTBF, l'armée belge aurait à l’époque lancé l'idée d'une liaison routière à travers le quartier Sainte-Walburge vers la Citadelle de Liège. Le site change ensuite de mains. Le CPAS de Liège l'achète pour y construire un hôpital. Une opposante à la liaison Anne Fiévet explique que « sur le cadastre, il y a toujours des pointillés qui représentent cette zone de réservation, mais on n’empêche plus les gens de construire. Donc, en principe, c’était abandonné."
Voilà la longue histoire des Coteaux. Le site
a non seulement survécu à ces multiples projets, mais est devenu avec l’aménagement
des Coteaux un véritable poumon vert à deux pas du centre-ville. Ca serait
dommage de perdre ce joyau au nom d’un concept de mobilité suranné ;
concept qui a coûté à Liège trente ans de survie ‘à cœur ouvert’…
Malheureusement, on a à l’époque simplement refermé le patient, au lieu de
faire un bon bilan de cette stratégie fausse. Mais il est toujours temps de
reconnaître ses erreurs, et ce moment est peut-être venu.
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