Dans le cadre de son cycle de conférences
« Un AUTRE REGARD SUR LA GRANDE GUERRE » la Braise a organisé en
février 2015 une visite guidée à l’expo «Liège
dans la tourmente ». Une des pièces les plus intéressantes de cette expo
était une affiche du Soviet de
soldats allemands au Palais des Princes-évêques, en 1918. Cette
affiche a été imprimée à l’Imprimerie Coopérative Thonon, Place Verte 6.
En avril 2015 José Gotovitch a donné une
conférence sur le conseil de soldats de
Bruxelles: « NOVEMBRE 1918 - REVOLUTION A BRUXELLES : le ZENTRAL –SOLDATENRAT,
le conseil de soldats allemands. A le croire, une de ses dernières conférences.
Mais ne dis jamais ‘jamais’…
A part ces deux initiatives, ces soviets de
soldats n’ont pas encore été abordés dans les commémorations 14-18. Mais on
n’est pas encore en 2018 et Bruxelles n’a encore rien commémoré.
José Gotovitch a travaillé sur ces soviets de
soldats tout le long de sa vie. Il commence à s’intéresser au sujet en 1960,
quand il découvre dans les archives du
Generalgouvernement Belgiens les rapports de von der Lancken, chef de la Politische
Abteilung, sur cette épisode alors inconnu du Soldatenrat Brüssel. Il est ainsi
le premier à travailler sur ce sujet dans la francophonie. En 1998 il participe ensuite à un colloque. Son intervention lors de ce colloque est la source la plus complète sur
le sujet en français et servira de base à ce blog, avec les notes du jeune
historien Adrian Thomas de sa conférence à la Braise.
Fin 1918 cinq
participants à ce soviet ont publié à Neuköln-Berlin „Bericht der Vollzugsausschusses des Zentral-Soldatenrates in Brüssel über die Revolution in Brüssel“.
Carl Einstein –voir ci-dessous-
aurait écrit la base de ce texte. Mais ce texte reste inconnu en Belgique. Le
seul document sur le sujet est deux pages sur la révolution allemande à
Bruxelles dans le Touring club de janvier 1919.
Ensuite, le 12 novembre 1968, le journaliste antifasciste Kurt Grünebaum – il avait trouvé refuge en Belgique à l’époque nazie – publie un article dans
le Peuple. Grünebaum connaît Carl Einstein, et José Gotovitch put lui livrer,
eà côté des archives de l’Auswartiges Amt, des éléments sur une autre
personnalité du soviet des soldats, le Dr. Freund, chez qui il avait conduit
l’équipe RTBF de la série ’14-18’. C’est l’époque d’un intérêt renouvelé en
Allemagne pour le personnage de Carl Einstein avec une monographie de Sibylle Penkert.
José Gotovitch découvrira cette biographie plus tard. Carl Einstein n’a rien à voir avec le prix Nobel, mais était quand
même un critique d’art de niveau mondial. Il avait joué, avec le Dr. Freund, aussi un rôle clé dans le conseil des soldats
de Bruxelles et c’est ainsi qu’on reparle un peu de ces journées mémorables à
Bruxelles.
En 1988 Luc
SIEBEN publie ‘De novemberdagen van 1918 te Brussel : revolutie en ordehandhaving’
dans une publication du Koninklijk
Legermuseum. Son point de départ est le maintien d’ordre.
La colonie littéraire allemande Claire Colline à La Hulpe
En 1997 Hubert Roland publie une thèse consacrée à la «Deutsche literarische
Kriegskolonie in Belgien». De 1913 à 1918, le pacifiste Carl Sternheim fit de
sa vaste propriété Claire Colline à La Hulpe le centre de la colonie littéraire
allemande. Masereel et ,Lemonnier entre autres sont passés par là. Durant la
guerre, vu la concentration d'intellectuels allemands conscrits à Bruxelles, ce
pôle culturel joue un rôle important dans le mouvement pacifiste.
En 1998 ce même Roland Hubert organise le colloque ‘Carl
Einstein à Bruxelles: Dialogues par-dessus les frontières’. L’intervention
de José Gotovitch est la source la plus complète sur cet épisode de quelques jours qui
n’a pas ébranlé le monde mais qui a quand même eu une importance capitale dans
la période qui a marquée la fin de la guerre. Ce texte a servi de base à ce blog, à côté de notes de sa
conférence.
En 2014 enfin Herwig
Lerouge développe dans un article d’Etudes Marxistes comment ces conseils de soldats cherchent contact avec le Parti Ouvrier
Belge (POB). Il se base sur le livre de Jan Godderis « Oorlog aan de oorlog !? De houding van de
Belgische Werkliedenpartij ten aanzien van het leger 1885 – 1914”. Le récit de Godderis est sur quelques points en
contradiction avec les faits développés par José Gotovitch. C’est ainsi qu’il
prétend que le 10 novembre, un comité de soldats allemands venus de Berlin
débarqua à Bruxelles. Selon Godderis, des
militants du POB et des membres de la biographie au Carcob, cela
n’est pas le cas. Surveillé par les notables du POB, celui-ci
ne répond pas aux sollicitations du Conseil des soldats allemands.
Jeune Garde socialiste se seraient joints
au conseil de soldats, dont Joseph Jacqmotte, le futur président du Parti
communiste. Pour Jacqmotte en tout cas, selon sa
Toujours selon
Godderis c’est le baron von der Lancken, l’une des figures de proue des
autorités d’occupation allemande, qui aurait cherché à contacter la direction
du POB afin d’empêcher que la population soit aspirée dans une révolte. Il
était depuis février 1915 à la tête de la Politische Abteilung auprès du
Gouverneur général de la Belgique occupée, et certes bien placé pour faire ce
genre d’approches. Michael Amara, un
historien qui a fait un très beau travail sur 14-18, a fait une édition
critique de la correspondance de von der Lancken entre 1915 et 1918. Mais il
n’aborde malheureusement pas les soviets de soldats. Cette démarche de von der Lancken n’exclut
évidemment pas une démarche en parallèle par le conseil des soldats. Et il est
exact que le POB n’avait nullement l’intention de participer à l’insurrection: JosephWauters, qui fut invité par les insurgés allemands, refusa toute collaboration. L’info
de Wikipedia qu’Anseele aurait été nommé par les insurgés président de la «République belge » et aurait
décliné la proposition me semble assez improbable.
Mais c’est donc la colonie littéraire
allemande pacifiste de Carl Sternheim à la Claire Colline à La Hulpe qui a été
incontestablement le terreau pour des hommes comme Karl Einstein. Einstein était en 1914 volontaire de guerre. En 1916, après avoir été
blessé, il avait été affecté à l'administration civile du gouvernement général de
Bruxelles, département des colonies. Il travaillait dans la bibliothèque de
l'Office Colonial dans le Musée Congo de Tervuren. Là, Einstein sympathise avec
la révolution russe, est dénoncé et licencié fin 1917 de l'administration
coloniale et doit quitter Bruxelles.
Le soviet de soldats à Bruxelles
En octobre 1918, la VI° armée allemande
commence à se retirer du Nord de la France. Pour Ludendorf, « la peur des dégâts en Belgique est notre
meilleur moyen de pression pour des pourparlers rapides de paix ». Une
réunion rassemble les procureurs généraux, des bourgmestres, des gouverneurs, des
financiers : ils pensent à rétablir la Garde bourgeoisie (civile). Le 21
octobre bourgmestres inquiets utilisent le terme de dictature: « il est
légitime d’y recourir. Le pouvoir dictatorial va se substituer temporairement à
l’autorité légale ».
Liège et Bruxelles sont pleins de déserteurs,
en transit vers l’Allemagne. Ils sont rejoints pas des soldats allemands, revenant de vacances ou
arrivant de la réserve, qui font un arrêt dans les premières villes après la
frontière, dans l'espoir d'une paix qui ne saurait tarder et qui leur permettrait
d'échapper au front.
Le commandement militaire voulait appliquer la
politique de la terre brulée et détruire les charbonnages. Il voulait remonter
les chevaux, stopper l’exhaure et la ventilation, et éteindre les foyers des
chaudières, puis placer des charges explosives sur les machines d’extraction. Cette
idée de destruction complète est abandonné suite à la chute de l’Empire et une
intervention personnelle du nouveau chancelier de l’Empire, Max de Bade (Alain Forti, l’industrie carolorégienne sous
l’occupation, dans «La Bataille de Charleroi, 100 ans après, actes du colloque
du 22 et 23/8/2014, Académie Royale de Belgique, p156).
En Allemagne, les conseils de soldats révoltés
s’organisent partout. Le 8, la république est proclamée. A Bruxelles. il y a
des échos de cette proclamation : dans la garnison allemande de Bruxelles,
il y a des intellectuels de gauche dans la centrale de presse qui s’occupe des
relations avec les journaux belges, comme le lieutenant de réserve Friedrich
Eisenlohr, qui fait partie du cercle de la Claire Colline.
Le 9, le Kaiser abdique pour Ebert, le n°1
socialiste. Un conseil de commissaires du peuple est mis en poste à
Berlin : ils s’entendent avec le sommet militaire contre les spartakistes (Roland Hubert, La «colonie» littéraire allemande en Belgique(1914-1918), Vanderpelen-Diagre Cécile, Revue belge de philologie et
d'histoire, Année 2006, Volume 84, Numéro 4 p. 1370 – 1372).
Une dépêche annonce le 9 l’abdication du
Kaiser qui, le jour même, fuit en Hollande. On apprend qu’il y a un Soldatenrat
à Cologne. Les officiers allemands pensent à former leur propres Soldatenrat
avec des bons éléments, qu’ils choisissent eux-mêmes. Malheureusement pour eux,
dans la soirée du 9, il y a des réunions, des rassemblements de soldats allemands
et belges, qui attendent l’armistice. Au home des cheminots de la gare du nord
– un bâtiment que je n’ai pas réussi à repérer - il y a des assemblées libres
de soldats allemands. Un Soldatenrat s’improvise. Karl Einstein est un des
intervenants probables. La RTBF situe ce conseil de soldats au siège central du gouvernement. Le
pouvoir du gouverneur de Bruxelles, le lieutenant-général Hurt, lui est retiré.
Le drapeau rouge est hissé sur les quartiers militaires en fin de journée. Le
dernier gouverneur général, Ludwig von Falkenhausen, resté à l'écart de l'agitation,
quittera la Belgique par le chemin de fer via les Pays-Bas dans la nuit du 12
au 13 novembre 1918. A l'inverse, à l'image de la plupart des officiers, le
gouverneur de l’administration civile, le baron von der Lancken, se met à la
disposition du conseil des soldats.
Les soldats révolutionnaires fraternisent avec la population. Dans une
atmosphère de guerre civile, les soldats révolutionnaires en finissent avec le
régime du gouvernement général et remettent une partie de leurs prérogatives
aux autorités locales. Bruxelles n’est pas libérée par les troupes alliées,
mais par des militaires allemands en révolte. Des simples soldats arrachent les épaulettes
des officiers dont ils croisent la route. On réquisitionne des écoles et salles
de fêtes.
Dimanche 10 novembre : une journée décisive
Dimanche 10 est une journée décisive : dans
la rue, au gouvernement général (établi dans le Parlement rue de la Loi), au
POB et dans les salons bourgeois.
Nous avons vu l’impact de la colonie allemande
de Claire Colline au niveau de l’information. Nous avons mentionné les
interventions de Karl Einstein dans le conseil des soldats. Mais il manque un
organisateur. Le hasard arrangera ça. À 5h du matin, venant de Mons, après 30h
de route, débarque à Bruxelles un docteur de 28 ans, Hugo Freund. Il a adhéré
pendant la guerre à l’USPD. Après la guerre, il sera dirigeant de l’USPD en
Bavière. Bruxelles n’était pas sa destination finale, mais il est organisé, il
est déterminé et il prend ses responsabilités de militant dans cette situation
chaotique. Il monte au home des cheminots où se trouvent les soldats révoltés. Vers
9 heures il appelle « tous les
hommes organisés politiquement et syndicalement » à se joindre à lui. Il
réunit quatorze politisés, il va dans un café pour élaborer un plan à soumettre
à une assemblée pour former un vrai Soldatenrat. Vers 11 h. quelques hommes
sous la conduite d’un certain Pfeil les rejoignent et se présentent comme le Soldatenrat,
sans doute le groupe constitué la veille. Ils sont invités à la réunion prévue
à 14h, ou un programme est adopté.
Une délégation de neuf hommes, dont les
camarades Teschmer, Stelting, Weber, Horn et Freund contactent en vain le Gouverneur
militaire. Freund télégraphie à Hugo Haase, président de l’USPD, désigné ce
jour-là comme vice-président du Conseil des Commissaires du Peuple à Berlin.
Freund affirmera avoir reçu une délégation de pouvoir.
Louis Bertrand du POB «écoeuré devant la lâcheté des officiers qui se laissent désarmer ».
Pendant ce temps-là, dans les rues, des
officiers allemands sont brutalisés. Il y a des bagarres et tueries. Il y a des
manifestations, dont une qui va libérer les prisonniers politiques allemands à
la prison de Saint-Gilles. Les drapeaux rouges sont portés par des soldats
allemands. Un ordre de Hindenburg mentionne d’accepter les Soldatenrat, voire
aussi les humiliations. L’armée se met à la disposition de la République
allemande. Louis Bertrand, au sommet du POB, Echevin des Finances de Schaerbeek,
exprime « son écoeurement devant la
lâcheté des officiers qui se laissent désarmer ». Cela montre son
attitude fondamentale devant cette situation potentiellement
révolutionnaire : il est moins ‘révolutionnaire’ encore que Hindenburg…
Dans «SCHAERBEEK PENDANT LA GUERRE 1914-1918», Dechene - Bruxelles–1919, disponible
en ligne sur le site communal, Bertrand ne mentionne pas le conseil des soldats
allemands dans ses deux pages (p.252-253) sur ‘la délivrance’.
Mais, si je peux me
permettre une petite digression, il y a quelques pages intéressantes de sa main
concernant l’instauration du chômage en Belgique (p.82-84). En février 1915 le
CNSA avait envisagé de laisser jouer un rôle
officiel au secours de chômage dans la distribution des secours particuliers,
arguant notamment de l’expérience syndicale en la matière, notamment dans le
contrôle contre la fraude. Un siècle plus tard certains veulent justement
supprimer cette intervention syndicale au nom de la lutte contre la fraude… Au
départ, cette recommandation ne sera pas appliquée, notamment suite au blocage
par une grande partie du monde patronal réticent devant un système qui
favoriserait trop les syndicats (Ernest Mahaim, le secours de chômage en Belgique pendant l’occupation
allemande, 1926, p.46, dans «La
Bataille de Charleroi, 100 ans après, actes du colloque du 22 et 23/8/2014,
Académie Royale de Belgique, p. 175).
Toujours
est-il que pas mal de communes comme Schaerbeek instaurent ce qu’on peut
appeler l’embryon du chômage. C’est un autre socialiste, le ministre Joseph
Wauters, qui supprimera en juin 1920 le secours chômage hérité de la guerre.
Certes, Wauters reconnaîtra les syndicats comme redistributeurs officiels des
aides étatiques au chômeurs ; aides qui correspondaient à 50% des
cotisations perçues. Wauters prévoit même qu’en période de crise que l’Etat
suppléerait à 100% les indemnités syndicales lorsque les caisses syndicales
seraient vides, et ce sans limite de temps. A première vue, un progrès puisque
les secours alimentaires instaurés au cours de la guerre excluaient les ‘ouvriers mêlés à des grèves ou de lock outs’.
Wauters décide de les leur accorder… à condition qu’ils acceptent le principe
de l’arbitrage du conflit en s’engageant à ne pas subordonner la reprise du
travail à la solution qui interviendrait.
photo eric platteau |
En imposant ainsi un arbitrage de l’Etat, Wauters veut mettre un terme à ce qui n’était pas un mouvement de grève, puisqu’il
s’agissait d’un mouvement de ‘refus de reprise de travail’ face au patronat qui
veut les réembaucher aux salaires en vigueur en 1914 alors que le coût de la
vie a quintuplé (Francine Bolla,
les effets de la 1ère guerre mondiale sur le mouvement syndical en
Belgique, dans «La Bataille de Charleroi, 100 ans après, actes du colloque du
22 et 23/8/2014, Académie Royale de Belgique, p.168- 171).
Dans un autre livre ‘L’occupation allemande en Belgique, 1914-1918’ ( Dechenne 1919) l’échevin
Schaerbeekois Bertrand raconte p 241 comment
‘la foule avait pris contact avec
les soldats allemands et que des citoyens belges s’étaient mêlés aux nombreux
cortèges de soldats dans la capitale’. Mais cette intervention de la foule a
comme seul effet sur le bureau du conseil général du Parti Ouvrier Belge et son
comité bruxellois de publier le 11 novembre un ‘Manifeste
à la population belge’ appelant ‘avant
tout à ce que la calme règne. Nous vous
convions à assister, avec sang-froid et dignité, à la retraite des troupes
ennemies qui vont rentrer en Allemagne pour y achever l’œuvre de la Révolution.
Pas de fausses manœuvres ! Pas de mouvements prématurés ! Pas de
manifestations intempestives ! Attendez le mot d’ordre du Parti
ouvrier !’ (Francine
Bolla, les effets de la 1ère guerre mondiale sur le mouvement
syndical en Belgique, dans «La Bataille de Charleroi, 100 ans après, actes du
colloque du 22 et 23/8/2014, Académie Royale de Belgique, p. 171). Inutile de préciser qu’aucun mot d’ordre n’est jamais venu de la part du
POB, si ce n’est que de laisser aux soldats allemands achever
l’œuvre de la Révolution….
Un cortège emblématique qui traverse tout Bruxelles.
Freund et ses camarades qui voulaient
présenter à 15h leur programme au home des cheminots se décident, devant
l’affluence, de se transporter devant le palais de justice. C’est ainsi que se
forme ce cortège emblématique qui traverse tout Bruxelles. Cinq à six milles
soldats sans armes, tel un carnaval, pleins de drapeaux rouges, plein de joie,
traverse Bruxelles, en chantant la Marseillaise (expression de la libération,
mais aussi avec un contenu pas innocent). La Brabançonne est chantée aussi. Le
Dr Freund, désigné président du Soldatenrat, lit les proclamations de son
Conseil. Le premier texte appelle au calme : « nous ne sommes plus des ennemis ». Ils s’adressent aux « Soldaten ! Kameraden !
Genossen ! » Le terme « Genossen »
renvoie aux camarades membres du parti. C’est plus fort que « Kameraden ».
L’ordre et la discipline doivent être appliqués. Que chacun continue son
travail. Il appelle les représentants « autorisés du peuple belge, les chefs des syndicats des ouvriers de
Bruxelles d’entrer en contact avec lui et de partager le travail pour le bien
des habitants ».
Les membres du Conseil Général du POB
déclinent l’invitation qui leur est faite à leur Maison du Peuple par une délégation
du Soldatenrat. Wauters et Brunfaut refusent tout contact avec les Allemands révoltés. Certains au POB demandent d’organiser
des patrouilles mixtes, avec soldats allemands et belges, pour maintenir
l’ordre. Wauters, chef de délégation, refuse et renvoie vers l’administration. Pourtant,
ce n’est pas la révolution qui est envisagé, juste le maintien de l’ordre. Entretemps
des bagarres entre Allemands font 40 morts. Les Allemands révoltés sont seuls à
assumer le maintien de l’ordre. Einstein demande même l’intervention du
cardinal Mercier.
Avenue Louise, il y a une réunion entre
Wauters, Maurice Lemonnier (échevin de Bruxelles), des ambassadeurs de pays neutres
et d’autres notables. Ils ont la trouille et s’inquiètent d’une révolte
populaire. Le 10 au soir, ils décident de contacter le Roi, qui est vu comme un
héros par la plupart des Belges (qui le voit comme celui qui a empêché les
grands massacres, contrairement aux Français et aux Britanniques). Paul-Emile
Janson, présent, va à Gand le 11 et va avec Edouard Anseele, le bourgmestre de
Gand, trouver le Roi à son QG à Loppem. C’est le coup de Loppem. On y décide le Suffrage Universel et l’abolition de l’article
310 et autorisation de la grève.
A Bruxelles, le POB refuse de coopérer pour
maintenir l’ordre dans la ville, mais refuse surtout de s’engager dans une voie
révolutionnaire. Avec ça ils tuent dans
l’œuf toute contagion.
Entretemps le soldatenrat ne reste pas
inactif : « Toutes les victimes
du militarisme sont immédiatement mises en liberté ». Le SR promet un
bon ravitaillement, un bon logement et surtout des droits démocratiques étendus
pour les soldats :. « Chaque
soldat est un homme libre et camarade ». Il y a la foi, l’espérance de
transmettre l’enthousiasme vers la population. A la grande réunion convoquée
pour 19 heures dans la salle du Sénat se trouvent, en ‘visiteurs’ Joseph Wauters et Max Hallet. Surtout en ‘visiteurs’.
A une séance solennelle le lundi matin, en
présence des ambassadeurs neutres, et des autorités de Bruxelles, Einstein
délivre le message fraternel de la révolution. Il s’engage au nom du conseil de
soldats à exiger la punition des coupables de la déportation des ouvriers
belges, du démantèlement de l’industrie et en appelle à la constitution d’une
Haute Cour pour examiner la ‘Schuldfrage’, la culpabilité politique de la guerre. Ainsi il brisait avec la haine et les
brutalités exercées par le pouvoir antérieur. C’était une prise de position
prophétique, puisque cette question n’est toujours pas ‘tranchée’ un siècle plus tard…
retrait des soldats allemands à Bxl - photo rtbf |
Un comité exécutif (Vollzugausschuss) est élu
et se met au travail. Il se considère comme un conseil central dont dépendraient
les Soldatenräte d’Anvers, Hasselt, Beverloo et Liège.
Par après, les termes camarades et Genossen
n’apparaitront plus. Devant l‘abstention du POB, Freund et ses camarades se
replient sur la démobilisation et le maintien de l’ordre. Le lendemain, le SR constitue quatre
commissions pour la sécurité, les transports, le logement et la presse dont
l’objectif central est de faire partir le plus rapidement possible les troupes
qui refluent vers Bruxelles. Le Soldatenrat prétend même avoir annulé une grève
de cheminots qui aurait perturbé l’évacuation. Donc, en fait, c’est terminé le
13. Le 14, les Allemands évacuent. La révolution allemande n’est plus à
Bruxelles. La SR quittera la capitale dans
la nuit du 15 au 16, mission accomplie. Un seul article programmatique a été
publié dans le Belgische Kurier, le 13 novembre : « que voulons nous ? »
L ’unique objectif qu’il se fixe est de rentrer dans la nouvelle Allemagne
en formation.
Le destin des dirigeants du SR
Freund dira à José Gotovitch : de mon
équipe, « seuls Einstein et moi
étions de gauche ».
http://www.carleinstein.org/biographie-1914-1920 Einstein quitte Bruxelles le 16 novembre.
Le 15 janvier 1919,
lors de l’assassinat de Rosa Luxembourg et de Karl Liebknecht, Einstein est spartakiste; il est arrêté avec sa femme, sa soeur
et son beau-frère, mais libéré rapidement. Le 13 juin, il prononce un discours à
une commémoration de Rosa Luxembourg à Berlin; le lendemain il
part pour
Nuremberg pour participer à un meeting communiste. Après la défaite de la
République soviétique bavaroise, le 19 Juin, il sera expulsé à la frontière
bavaroise et retourne à Berlin. Einstein y collabore avec George Grosz à la revue Der blutige Ernst. Il collabore avec Herzfelde, son frère John Heartfield et Grosz dans le Malik-Kreis.
En été 1936 il rejoint à Barcelone le Grupo Internacional der Colonna Durruti sur le front d’Aragon. Sa femme y travaille comme
infirmière. Après la victoire de Franco il se retrouve en 1939 à Paris. Au printemps 1940 il est arrêté
comme citoyen allemand et interné près de Bordeaux. En juin il est libéré, et
se suicide lorsque la France capitule.
Le Dr. Freund se rangera du côté de Haase,
contre Liebknecht. Il devient directeur de la santé publique en Saxe. En 1933,
juif et socialiste, il est interné. Libéré, il émigre aux USA, après un passage
en Palestine. Il regagne l’Allemagne en 1945 et sera conseiller communal SPD à
Munich.
C’est à Kurt Heinig, que nous n’avons pas
encore mentionné, que nous devons les archives du Soldatenrat de Bruxelles qui
se trouvent aux Archives Ouvrières de Stockholm. Heinig rejoint après-guerre la
rédaction du Vorwärts et est élu au Reichstag en 1927. Il émigre en 1933 en Suède
en emportant ces archives.
Un soviet des soldats au palais des princes-évêques en novembre 1918
En 14-18 le palais des princes-évêques fut le
siège de la Kaiserliche Kommandantur, le commandement impérial de la place
forte de Liège. Le palais sera à nouveau le siège de la kommandantur en 40-44. Au
Palais se forme
aussi le 12 novembre 1918, donc après l’armistice, un Soldatenrat. Les signataires sont Lückenhaus, „vorsitzenden des Soldatenrat Lüttich“ et
Schneider, „Generalstab“, autrement
dit état major. La proclamation se réfère aux sociaux-démocrates
Friedrich Ebert, Philipp Scheidemann, Otto Landsberg (Mehrheitssozialdemokraten ou sociaux-démocrates majoritaires), et de Hugo
Haase, Wilhelm Dittmann, Emil Barth (sociaux démocrates indépendants =
Unabhängige). Les majoritaires se mettront un peu plus tard à la tête de la
répression des conseils ouvriers et soldat révolutionnaires. Beaucoup
d’Indépendants, dont Haase, sont assassinés, comme la Spartakiste
Rosa Luxembourg ou emprisonnés.
Le Conseil des soldats de Liège n'est
institué après l'armistice. Une cinquantaine de soldats investissent le Palais
des Princes-Evêques, sans rencontrer aucune résistance et déposent le
gouverneur, le Freiherr Leuckart von Weissdorf http://home.comcast.net/~jcviser/aok/leuckart.htm
, après que celui-ci ait légèrement protesté. Ce dernier transmet ensuite
l'ordre aux officiers d'obéir au Conseil des soldats.
Voici le texte de la
première déclaration repris sur l’affiche de l’expo : « Hier s'est constitué à Liège un Conseil des
Soldats. Il travaille en parfait accord avec les anciens services et les
anciennes autorités militaires. Le but commun est le maintien de la discipline,
du sang-froid militaire et de l'ordre. Dans les circonstances actuelles, en
territoire occupé, chacun doit s'efforcer, par tous les moyens, à atteindre ce
but. La vente d'armes et de pièces d'équipement, les pillages, surtout de
magasins d'approvisionnement et de trains, de même que les dommages causés à
toutes les installations militaires importantes, seront punis sans aucune
considération, le cas échéant même de la peine de mort. La désertion également
reste, comme sous l'ancien gouvernement, un crime punissable".
Une seconde délivre le
message suivant aux civils : "Le
Conseil des Soldats a repris l'autorité dans la province de Liège. Il invite la
population à s'abstenir de tout ce qui pourrait troubler l'ordre public. Le
conseil des soldats salue la population et la félicite à l'occasion de sa
délivrance".
Contrairement au SR de
Bruxelles, le SR de Liège ne cherche pas des contacts avec la gauche belge. Ils se limitent à
organiser le retrait dans l’ordre.
Le passage de soldats
battant en retraite s'intensifie encore à partir du 16. Le voyage se fait
principalement à pied, parfois accompagné de charrettes tirées par des chevaux,
les officiers se distinguant à peine au sein de cette longue procession. Le 22 novembre ce Rat
s’éclipse.
L’Alsacien Eugène Bouillon a vécu les SR de Bruxelles et de Liège. Il décrit ça
dans son livre « Sous les drapeaux
de l’envahisseur. Mémoires de guerre d’un Alsacien ancien-combattant
1914-1918 ». En octobre 1915 il avait été enrôlé dans la garde
impériale de Berlin. Au début de novembre 1918 il se retrouve chef cuisinier
d’un casino des officiers à Bruxelles. Le Soldatenrat proclame sa
démobilisation et organise la retraite générale vers l’Allemagne. En chemin, il
prend congé de l’armée allemande et rejoint alors Liège où il trouve à loger
chez des hôtes très généreux qui l’hébergent durant trois semaines au cours
desquelles il assiste au long défilé des troupes allemandes en retraite. Il
quitte enfin Liège pour Paris avec neuf autres déserteurs alsaciens-lorrains à
bord d’un train rempli de prisonniers français libérés. Après la guerre il
s’établit comme exploitant viticole à Wintzenheim et exerce à deux reprises le
mandat de maire. En 1940, l’Allemagne nazie victorieuse ré-annexe l’ancien
Reichsland perdu en 1918. Eugène Bouillon, tout comme une partie de la
population jugée indésirable, en est expulsé et se réfugie avec sa famille dans
le Lot.
Sur les SR de Bourg
Léopold et d’Anvers je n’ai retrouvé aucune référence. Par contre, au premier meeting
du SR de Hasselt a parlé une figure
emblématique, Erwin Piscator (Willett, John. 1978. The Theatre of Erwin Piscator: Half a Century of
Politics in the Theatre. London: Methuen. pg 43).
Le ‘Putsch’ de Loppem
Nous avons vu que lors de la réunion du 11
novembre Wauters, Lemonnier et des
ambassadeurs de pays neutres on décide d’envoyer Paul-Emile Janson au QG du roi
à Loppem. Le Roi sait qu’il y a des révoltes dans tout le Reich. Il y a même
des désordres aux Pays-Bas (que l’on connaît mal en Belgique). Il
ya des revendications et des révoltes partout, même en Suisse (grève en novembre. Le tableau de l’Europe est menaçant pour l’ordre bourgeois. Il y a une
pression du patronat (Francqui). Le roi ne craint pas la révolution, car il
sait qu’il n’y a pas de parti révolutionnaire, mais il y a un danger si les
gens bloquent l’économie, parce que là le POB sera obligé de suivre. Wauters
sera ministre du Travail. Le Suffrage Universel sera mis rapidement en route,
sans respecter la procédure qui exigeait une révision de la Constitution. C’est
Francqui qui est à la manœuvre. Il sait qu’il ne doit pas tout risquer.
Novembre 1918 a contribué à se rendre compte qu’il fallait changer la société,
et accorder des acquis. Mais l’épisode ephémère des Conseils de soldats avait
clairement montré, par l’absence manifeste même d’un embryon d’organisation révolutionnaire en Belgique
que fondamentalement la bourgeoisie n’avait rien à craindre. Les quelques
personnalités comme Jacqmotte qui ont compris cela ont été à la base de la
construction d’un nouveau parti qui reprenait le flambeau : le Parti
Communiste.
Biblio
Gotovitch, José, Révolution à Bruxelles: le
Zentral-Soldaten-Rat in Brüssel, Editeur scientifique Baumann, Roland
Carl-Einstein Kolloquium 1998, (page 237-257) 2001
http://www.peterlang.com/index.cfm?event=cmp.ccc.seitenstruktur.detailseiten&seitentyp=produkt&pk=22531&cid=446nb
Baumann, Roland / Roland, Hubert (Hrsg./éds)Carl-Einstein-Kolloquium 1998, Carl
Einstein in Brüssel: Dialoge über Grenzen, Carl Einstein à Bruxelles: Dialogues
par-dessus les frontières Collection: Bayreuther Beiträge zur
Literaturwissenschaft - volume 22, 2001, ISBN 978-3-631-37931-8 br.
http://difusion.ulb.ac.be/vufind/Record/ULB-DIPOT:oai:dipot.ulb.ac.be:2013/106042/Details
De
novemberdagen van 1918 te Brussel : revolutie en ordehandhaving / door Luc
SIEBEN
In : Van
Brialmont tot de Westeuropese Unie. Bijdragen in de militaire geschiedenis
aangeboden aan Albert Duchesne, Jean Lorette en Jean-Léon Charles / door
Patrick LEFEVRE en Piet DE GRYSE. - Brussel : Koninklijk Legermuseum, 1988. -
312 p. : ann., cart., ill., ind. ; 8°, pp. 155-176.Part of Van Brialmont tot de
Westeuropese Unie. Bijdragen in de militaire geschiedenis aangeboden aan Albert
Duchesne, Jean Lorette en Jean-Léon Charles / door Patrick LEFEVRE en Piet DE
GRYSE. -