mardi 26 mai 2015

Le ZENTRAL –SOLDATENRAT, ou le conseil de soldats allemands, à Bruxelles, Liège, Anvers, Hasselt et Leopoldsburg en novembre 1918

Dans le cadre de son cycle de conférences « Un AUTRE REGARD SUR LA GRANDE GUERRE » la Braise a organisé en février 2015 une visite guidée à l’expo «Liège dans la tourmente ». Une des pièces les plus intéressantes de cette expo était  une affiche du Soviet de soldats  allemands au Palais des Princes-évêques, en 1918. Cette affiche a été imprimée à l’Imprimerie Coopérative Thonon, Place Verte 6.
En avril 2015 José Gotovitch a donné une conférence  sur le conseil de soldats de Bruxelles: « NOVEMBRE 1918 - REVOLUTION A BRUXELLES : le ZENTRAL –SOLDATENRAT, le conseil de soldats allemands. A le croire, une de ses dernières conférences. Mais ne dis jamais ‘jamais’…
A part ces deux initiatives, ces soviets de soldats n’ont pas encore été abordés dans les commémorations 14-18. Mais on n’est pas encore en 2018 et Bruxelles n’a encore rien commémoré.
José Gotovitch a travaillé sur ces soviets de soldats tout le long de sa vie. Il commence à s’intéresser au sujet en 1960, quand il découvre  dans les archives du Generalgouvernement Belgiens les rapports de von der Lancken, chef de la Politische Abteilung, sur cette épisode alors inconnu du Soldatenrat Brüssel. Il est ainsi le premier à travailler sur ce sujet dans la francophonie. En 1998 il participe ensuite à un colloque. Son intervention lors de ce colloque est la source la plus complète sur le sujet en français et servira de base à ce blog, avec les notes du jeune historien Adrian Thomas de sa conférence à la Braise.
Fin 1918 cinq participants à ce soviet ont publié à Neuköln-Berlin „Bericht der Vollzugsausschusses des Zentral-Soldatenrates  in Brüssel über die Revolution in Brüssel. Carl Einstein –voir ci-dessous- aurait écrit la base de ce texte.  Mais ce texte reste inconnu en Belgique. Le seul document sur le sujet est deux pages sur la révolution allemande à Bruxelles dans le Touring club de janvier 1919. 
Ensuite, le 12 novembre 1968, le  journaliste antifasciste Kurt Grünebaum – il avait trouvé refuge en Belgique à l’époque nazie – publie un article dans le Peuple. Grünebaum connaît Carl Einstein, et José Gotovitch put lui livrer, eà côté des archives de l’Auswartiges Amt, des éléments sur une autre personnalité du soviet des soldats, le Dr. Freund, chez qui il avait conduit l’équipe RTBF de la série ’14-18’. C’est l’époque d’un intérêt renouvelé en Allemagne pour le personnage de Carl Einstein avec une monographie de Sibylle Penkert. José Gotovitch découvrira cette biographie plus tard.  Carl Einstein n’a rien à voir avec le prix Nobel, mais était quand même un critique d’art de niveau mondial. Il avait joué, avec le Dr. Freund,  aussi un rôle clé dans le conseil des soldats de Bruxelles et c’est ainsi qu’on reparle un peu de ces journées mémorables à Bruxelles.
En 1988 Luc SIEBEN publie ‘De novemberdagen van 1918 te Brussel : revolutie en ordehandhaving’ dans une publication du  Koninklijk Legermuseum. Son point de départ est le maintien d’ordre.

La colonie littéraire allemande Claire Colline à La Hulpe

En 1997 Hubert Roland publie une thèse consacrée à la «Deutsche literarische Kriegskolonie in Belgien». De 1913 à 1918, le pacifiste Carl Sternheim fit de sa vaste propriété Claire Colline à La Hulpe le centre de la colonie littéraire allemande. Masereel et ,Lemonnier entre autres sont passés par là. Durant la guerre, vu la concentration d'intellectuels allemands conscrits à Bruxelles, ce pôle culturel joue un rôle important dans le mouvement pacifiste.
En 1998 ce même Roland Hubert organise le colloque ‘Carl Einstein à Bruxelles: Dialogues par-dessus les frontières’. L’intervention de José Gotovitch est la source la plus complète sur cet épisode de quelques jours qui n’a pas ébranlé le monde mais qui a quand même eu une importance capitale dans la période qui a marquée la fin de la guerre. Ce texte a servi de base à ce blog, à côté de notes de sa conférence.
En 2014 enfin Herwig Lerouge développe dans un article d’Etudes Marxistes comment ces conseils de soldats cherchent contact avec le Parti Ouvrier Belge (POB). Il se base sur le livre de Jan Godderis « Oorlog aan de oorlog !? De houding van de Belgische Werkliedenpartij ten aanzien van het leger 1885 – 1914”.  Le récit de Godderis est sur quelques points en contradiction avec les faits développés par José Gotovitch. C’est ainsi qu’il prétend que le 10 novembre, un comité de soldats allemands venus de Berlin débarqua à Bruxelles. Selon Godderis,  des militants du POB et des membres de la biographie au Carcob, cela n’est pas le cas. Surveillé par les notables du POB, celui-ci ne répond pas aux sollicitations du Conseil des soldats allemands.
Jeune Garde socialiste se seraient joints au conseil de soldats, dont Joseph Jacqmotte, le futur président du Parti communiste. Pour Jacqmotte en tout cas, selon sa
Toujours selon Godderis c’est le baron von der Lancken, l’une des figures de proue des autorités d’occupation allemande, qui aurait cherché à contacter la direction du POB afin d’empêcher que la population soit aspirée dans une révolte. Il était depuis février 1915 à la tête de la Politische Abteilung auprès du Gouverneur général de la Belgique occupée, et certes bien placé pour faire ce genre d’approches.  Michael Amara, un historien qui a fait un très beau travail sur 14-18, a fait une édition critique de la correspondance de von der Lancken entre 1915 et 1918. Mais il n’aborde malheureusement pas les soviets de soldats.  Cette démarche de von der Lancken n’exclut évidemment pas une démarche en parallèle par le conseil des soldats. Et il est exact que le POB n’avait nullement l’intention de participer à l’insurrection: JosephWauters, qui fut invité par les insurgés allemands, refusa toute collaboration. L’info de Wikipedia qu’Anseele aurait été nommé par les insurgés président de la «République belge » et aurait décliné la proposition me semble assez improbable.
Mais c’est donc  la colonie littéraire allemande pacifiste de Carl Sternheim à la Claire Colline à La Hulpe qui a été incontestablement le terreau pour des hommes comme Karl Einstein. Einstein était en 1914 volontaire de guerre. En 1916, après avoir été blessé, il avait été affecté à l'administration civile du gouvernement général de Bruxelles, département des colonies. Il travaillait dans la bibliothèque de l'Office Colonial dans le Musée Congo de Tervuren. Là, Einstein sympathise avec la révolution russe, est dénoncé et licencié fin 1917 de l'administration coloniale et doit quitter Bruxelles.

Le soviet de soldats à Bruxelles

En octobre 1918, la VI° armée allemande commence à se retirer du Nord de la France. Pour Ludendorf, « la peur des dégâts en Belgique est notre meilleur moyen de pression pour des pourparlers rapides de paix ». Une réunion rassemble les procureurs généraux, des bourgmestres, des gouverneurs, des financiers : ils pensent à rétablir la Garde bourgeoisie (civile). Le 21 octobre bourgmestres inquiets utilisent le terme de dictature: « il est légitime d’y recourir. Le pouvoir dictatorial va se substituer temporairement à l’autorité légale ».
Liège et Bruxelles sont pleins de déserteurs, en transit vers l’Allemagne. Ils sont rejoints pas des soldats allemands, revenant de vacances ou arrivant de la réserve, qui font un arrêt dans les premières villes après la frontière, dans l'espoir d'une paix qui ne saurait tarder et qui leur permettrait d'échapper au front.
Le commandement militaire voulait appliquer la politique de la terre brulée et détruire les charbonnages. Il voulait remonter les chevaux, stopper l’exhaure et la ventilation, et éteindre les foyers des chaudières, puis placer des charges explosives sur les machines d’extraction. Cette idée de destruction complète est abandonné suite à la chute de l’Empire et une intervention personnelle du nouveau chancelier de l’Empire, Max de Bade (Alain Forti, l’industrie carolorégienne sous l’occupation, dans «La Bataille de Charleroi, 100 ans après, actes du colloque du 22 et 23/8/2014, Académie Royale de Belgique, p156).
En Allemagne, les conseils de soldats révoltés s’organisent partout. Le 8, la république est proclamée. A Bruxelles. il y a des échos de cette proclamation : dans la garnison allemande de Bruxelles, il y a des intellectuels de gauche dans la centrale de presse qui s’occupe des relations avec les journaux belges, comme le lieutenant de réserve Friedrich Eisenlohr, qui fait partie du cercle de la Claire Colline. 
Le 9, le Kaiser abdique pour Ebert, le n°1 socialiste. Un conseil de commissaires du peuple est mis en poste à Berlin : ils s’entendent avec le sommet militaire contre les spartakistes (Roland Hubert, La «colonie» littéraire allemande en Belgique(1914-1918), Vanderpelen-Diagre Cécile, Revue belge de philologie et d'histoire, Année 2006, Volume 84, Numéro 4 p. 1370 – 1372).
Une dépêche annonce le 9 l’abdication du Kaiser qui, le jour même, fuit en Hollande. On apprend qu’il y a un Soldatenrat à Cologne. Les officiers allemands pensent à former leur propres Soldatenrat avec des bons éléments, qu’ils choisissent eux-mêmes. Malheureusement pour eux, dans la soirée du 9, il y a des réunions, des rassemblements de soldats allemands et belges, qui attendent l’armistice. Au home des cheminots de la gare du nord – un bâtiment que je n’ai pas réussi à repérer - il y a des assemblées libres de soldats allemands. Un Soldatenrat s’improvise. Karl Einstein est un des intervenants probables. La RTBF situe ce conseil de soldats au siège central du gouvernement. Le pouvoir du gouverneur de Bruxelles, le lieutenant-général Hurt, lui est retiré. Le drapeau rouge est hissé sur les quartiers militaires en fin de journée. Le dernier gouverneur général, Ludwig von Falkenhausen, resté à l'écart de l'agitation, quittera la Belgique par le chemin de fer via les Pays-Bas dans la nuit du 12 au 13 novembre 1918. A l'inverse, à l'image de la plupart des officiers, le gouverneur de l’administration civile, le baron von der Lancken, se met à la disposition du conseil des soldats.
Les soldats révolutionnaires fraternisent avec la population. Dans une atmosphère de guerre civile, les soldats révolutionnaires en finissent avec le régime du gouvernement général et remettent une partie de leurs prérogatives aux autorités locales. Bruxelles n’est pas libérée par les troupes alliées, mais par des militaires allemands en révolte. Des simples soldats arrachent les épaulettes des officiers dont ils croisent la route. On réquisitionne des écoles et salles de fêtes.

Dimanche 10 novembre : une journée décisive 

Dimanche 10 est une journée décisive : dans la rue, au gouvernement général (établi dans le Parlement rue de la Loi), au POB et dans les salons bourgeois.
Nous avons vu l’impact de la colonie allemande de Claire Colline au niveau de l’information. Nous avons mentionné les interventions de Karl Einstein dans le conseil des soldats. Mais il manque un organisateur. Le hasard arrangera ça. À 5h du matin, venant de Mons, après 30h de route, débarque à Bruxelles un docteur de 28 ans, Hugo Freund. Il a adhéré pendant la guerre à l’USPD. Après la guerre, il sera dirigeant de l’USPD en Bavière. Bruxelles n’était pas sa destination finale, mais il est organisé, il est déterminé et il prend ses responsabilités de militant dans cette situation chaotique. Il monte au home des cheminots où se trouvent les soldats révoltés. Vers 9 heures il appelle « tous les hommes organisés politiquement et syndicalement » à se joindre à lui. Il réunit quatorze politisés, il va dans un café pour élaborer un plan à soumettre à une assemblée pour former un vrai Soldatenrat. Vers 11 h. quelques hommes sous la conduite d’un certain Pfeil les rejoignent et se présentent comme le Soldatenrat, sans doute le groupe constitué la veille. Ils sont invités à la réunion prévue à 14h, ou un programme est adopté.
Une délégation de neuf hommes, dont les camarades Teschmer, Stelting, Weber, Horn et Freund contactent en vain le Gouverneur militaire. Freund télégraphie à Hugo Haase, président de l’USPD, désigné ce jour-là comme vice-président du Conseil des Commissaires du Peuple à Berlin. Freund affirmera avoir reçu une délégation de pouvoir.

Louis Bertrand du POB «écoeuré devant la lâcheté des officiers qui se laissent désarmer ».

Pendant ce temps-là, dans les rues, des officiers allemands sont brutalisés. Il y a des bagarres et tueries. Il y a des manifestations, dont une qui va libérer les prisonniers politiques allemands à la prison de Saint-Gilles. Les drapeaux rouges sont portés par des soldats allemands. Un ordre de Hindenburg mentionne d’accepter les Soldatenrat, voire aussi les humiliations. L’armée se met à la disposition de la République allemande. Louis Bertrand, au sommet du POB, Echevin des Finances de Schaerbeek, exprime « son écoeurement devant la lâcheté des officiers qui se laissent désarmer ». Cela montre son attitude fondamentale devant cette situation potentiellement révolutionnaire : il est moins ‘révolutionnaire’ encore que Hindenburg…
Dans  «SCHAERBEEK PENDANT LA GUERRE 1914-1918», Dechene - Bruxelles–1919, disponible en ligne sur le site communal, Bertrand ne mentionne pas le conseil des soldats allemands dans ses deux pages (p.252-253) sur ‘la délivrance’.
Mais, si je peux me permettre une petite digression, il y a quelques pages intéressantes de sa main concernant l’instauration du chômage en Belgique (p.82-84). En février 1915 le CNSA avait envisagé de laisser jouer un rôle officiel au secours de chômage dans la distribution des secours particuliers, arguant notamment de l’expérience syndicale en la matière, notamment dans le contrôle contre la fraude. Un siècle plus tard certains veulent justement supprimer cette intervention syndicale au nom de la lutte contre la fraude… Au départ, cette recommandation ne sera pas appliquée, notamment suite au blocage par une grande partie du monde patronal réticent devant un système qui favoriserait trop les syndicats (Ernest Mahaim, le secours de chômage en Belgique pendant l’occupation allemande, 1926, p.46, dans «La Bataille de Charleroi, 100 ans après, actes du colloque du 22 et 23/8/2014, Académie Royale de Belgique, p. 175).
Toujours  est-il que pas mal de communes comme Schaerbeek instaurent ce qu’on peut appeler l’embryon du chômage. C’est un autre socialiste, le ministre Joseph Wauters, qui supprimera en juin 1920 le secours chômage hérité de la guerre. Certes, Wauters reconnaîtra les syndicats comme redistributeurs officiels des aides étatiques au chômeurs ; aides qui correspondaient à 50% des
photo eric platteau
cotisations perçues. Wauters prévoit même qu’en période de crise que l’Etat suppléerait à 100% les indemnités syndicales lorsque les caisses syndicales seraient vides, et ce sans limite de temps. A première vue, un progrès puisque les secours alimentaires instaurés au cours de la guerre excluaient les ‘ouvriers mêlés à des grèves ou de lock outs’. Wauters décide de les leur accorder… à condition qu’ils acceptent le principe de l’arbitrage du conflit en s’engageant à ne pas subordonner la reprise du travail à la solution qui interviendrait.
En imposant ainsi un arbitrage de l’Etat, Wauters veut mettre un terme à ce qui n’était pas un mouvement de grève, puisqu’il s’agissait d’un mouvement de ‘refus de reprise de travail’ face au patronat qui veut les réembaucher aux salaires en vigueur en 1914 alors que le coût de la vie a quintuplé (Francine Bolla, les effets de la 1ère guerre mondiale sur le mouvement syndical en Belgique, dans «La Bataille de Charleroi, 100 ans après, actes du colloque du 22 et 23/8/2014, Académie Royale de Belgique, p.168- 171).
Dans un autre livre ‘L’occupation allemande en Belgique, 1914-1918( Dechenne 1919) l’échevin Schaerbeekois Bertrand raconte p 241 comment  ‘la foule avait pris contact avec les soldats allemands et que des citoyens belges s’étaient mêlés aux nombreux cortèges de soldats dans la capitale’. Mais cette intervention de la foule a comme seul effet sur le bureau du conseil général du Parti Ouvrier Belge et son comité bruxellois de publier le 11 novembre un  ‘Manifeste à la population belge’ appelant ‘avant tout à ce que la calme règne.  Nous vous convions à assister, avec sang-froid et dignité, à la retraite des troupes ennemies qui vont rentrer en Allemagne pour y achever l’œuvre de la Révolution. Pas de fausses manœuvres ! Pas de mouvements prématurés ! Pas de manifestations intempestives ! Attendez le mot d’ordre du Parti ouvrier !(Francine Bolla, les effets de la 1ère guerre mondiale sur le mouvement syndical en Belgique, dans «La Bataille de Charleroi, 100 ans après, actes du colloque du 22 et 23/8/2014, Académie Royale de Belgique, p. 171). Inutile de préciser qu’aucun mot d’ordre n’est jamais venu de la part du POB, si ce n’est que de laisser aux soldats allemands achever l’œuvre de la Révolution….

Un cortège emblématique qui traverse tout Bruxelles.

Freund et ses camarades qui voulaient présenter à 15h leur programme au home des cheminots se décident, devant l’affluence, de se transporter devant le palais de justice. C’est ainsi que se forme ce cortège emblématique qui traverse tout Bruxelles. Cinq à six milles soldats sans armes, tel un carnaval, pleins de drapeaux rouges, plein de joie, traverse Bruxelles, en chantant la Marseillaise (expression de la libération, mais aussi avec un contenu pas innocent). La Brabançonne est chantée aussi. Le Dr Freund, désigné président du Soldatenrat, lit les proclamations de son Conseil. Le premier texte appelle au calme : « nous ne sommes plus des ennemis ». Ils s’adressent aux « Soldaten ! Kameraden ! Genossen ! » Le terme « Genossen » renvoie aux camarades membres du parti. C’est plus fort que « Kameraden ». L’ordre et la discipline doivent être appliqués. Que chacun continue son travail. Il appelle les représentants « autorisés du peuple belge, les chefs des syndicats des ouvriers de Bruxelles d’entrer en contact avec lui et de partager le travail pour le bien des habitants ».
Les membres du Conseil Général du POB déclinent l’invitation qui leur est faite à leur Maison du Peuple par une délégation du Soldatenrat. Wauters et Brunfaut refusent tout contact avec les  Allemands révoltés. Certains au POB demandent d’organiser des patrouilles mixtes, avec soldats allemands et belges, pour maintenir l’ordre. Wauters, chef de délégation, refuse et renvoie vers l’administration. Pourtant, ce n’est pas la révolution qui est envisagé, juste le maintien de l’ordre. Entretemps des bagarres entre Allemands font 40 morts. Les Allemands révoltés sont seuls à assumer le maintien de l’ordre. Einstein demande même l’intervention du cardinal Mercier.
Avenue Louise, il y a une réunion entre Wauters, Maurice Lemonnier (échevin de Bruxelles), des ambassadeurs de pays neutres et d’autres notables. Ils ont la trouille et s’inquiètent d’une révolte populaire. Le 10 au soir, ils décident de contacter le Roi, qui est vu comme un héros par la plupart des Belges (qui le voit comme celui qui a empêché les grands massacres, contrairement aux Français et aux Britanniques). Paul-Emile Janson, présent, va à Gand le 11 et va avec Edouard Anseele, le bourgmestre de Gand, trouver le Roi à son QG à Loppem. C’est le coup de Loppem. On y décide le Suffrage Universel et l’abolition de l’article 310 et autorisation de la grève.
A Bruxelles, le POB refuse de coopérer pour maintenir l’ordre dans la ville, mais refuse surtout de s’engager dans une voie révolutionnaire.  Avec ça ils tuent dans l’œuf toute contagion.
Entretemps le soldatenrat ne reste pas inactif : « Toutes les victimes du militarisme sont immédiatement mises en liberté ». Le SR promet un bon ravitaillement, un bon logement et surtout des droits démocratiques étendus pour les soldats :. « Chaque soldat est un homme libre et camarade ». Il y a la foi, l’espérance de transmettre l’enthousiasme vers la population. A la grande réunion convoquée pour 19 heures dans la salle du Sénat se trouvent, en ‘visiteurs’ Joseph Wauters et Max Hallet. Surtout en ‘visiteurs’.
A une séance solennelle le lundi matin, en présence des ambassadeurs neutres, et des autorités de Bruxelles, Einstein délivre le message fraternel de la révolution. Il s’engage au nom du conseil de soldats à exiger la punition des coupables de la déportation des ouvriers belges, du démantèlement de l’industrie et en appelle à la constitution d’une Haute Cour pour examiner la Schuldfrage, la culpabilité politique de la guerre. Ainsi il brisait avec la haine et les brutalités exercées par le pouvoir antérieur. C’était une prise de position prophétique, puisque cette question n’est toujours pas ‘tranchée’ un siècle plus tard…
retrait des soldats allemands à Bxl - photo rtbf
Un comité exécutif (Vollzugausschuss) est élu et se met au travail. Il se considère comme un conseil central dont dépendraient les Soldatenräte d’Anvers, Hasselt, Beverloo et Liège.
Par après, les termes camarades et Genossen n’apparaitront plus. Devant l‘abstention du POB, Freund et ses camarades se replient sur la démobilisation et le maintien de l’ordre.  Le lendemain, le SR constitue quatre commissions pour la sécurité, les transports, le logement et la presse dont l’objectif central est de faire partir le plus rapidement possible les troupes qui refluent vers Bruxelles. Le Soldatenrat prétend même avoir annulé une grève de cheminots qui aurait perturbé l’évacuation. Donc, en fait, c’est terminé le 13. Le 14, les Allemands évacuent. La révolution allemande n’est plus à Bruxelles. La  SR quittera la capitale dans la nuit du 15 au 16, mission accomplie. Un seul article programmatique a été publié dans le Belgische Kurier, le 13 novembre : « que voulons nous ? » L ’unique objectif qu’il se fixe est de rentrer dans la nouvelle Allemagne en formation.

Le destin des dirigeants du SR

Freund dira à José Gotovitch : de mon équipe, « seuls Einstein et moi étions de gauche ».
http://www.carleinstein.org/biographie-1914-1920  Einstein quitte Bruxelles le  16 novembre.
Le 15 janvier 1919, lors de l’assassinat de Rosa Luxembourg et de Karl Liebknecht, Einstein est spartakiste;  il est arrêté avec sa femme, sa soeur et son beau-frère, mais libéré rapidement. Le 13 juin, il prononce un discours à une commémoration de Rosa Luxembourg à Berlin; le lendemain il 
part pour Nuremberg pour participer à un meeting communiste. Après la défaite de la République soviétique bavaroise, le 19 Juin, il sera expulsé à la frontière bavaroise et retourne à Berlin. Einstein y collabore avec George Grosz à la revue Der blutige Ernst. Il collabore avec Herzfelde, son frère John Heartfield et Grosz dans le Malik-Kreis.
En été 1936 il rejoint à Barcelone le Grupo Internacional der Colonna Durruti sur le front d’Aragon. Sa femme y travaille comme infirmière. Après la victoire de Franco il se retrouve en  1939 à Paris. Au printemps 1940 il est arrêté comme citoyen allemand et interné près de Bordeaux. En juin il est libéré, et se suicide lorsque la France capitule.
Le Dr. Freund se rangera du côté de Haase, contre Liebknecht. Il devient directeur de la santé publique en Saxe. En 1933, juif et socialiste, il est interné. Libéré, il émigre aux USA, après un passage en Palestine. Il regagne l’Allemagne en 1945 et sera conseiller communal SPD à Munich.
C’est à Kurt Heinig, que nous n’avons pas encore mentionné, que nous devons les archives du Soldatenrat de Bruxelles qui se trouvent aux Archives Ouvrières de Stockholm. Heinig rejoint après-guerre la rédaction du Vorwärts et est élu au Reichstag en 1927. Il émigre en 1933 en Suède en emportant ces archives.

Un soviet des soldats au palais des princes-évêques en novembre 1918

En 14-18 le palais des princes-évêques fut le siège de la Kaiserliche Kommandantur, le commandement impérial de la place forte de Liège. Le palais sera à nouveau le siège de la kommandantur en 40-44. Au Palais se forme aussi le 12 novembre 1918, donc après l’armistice, un Soldatenrat. Les signataires sont Lückenhaus, „vorsitzenden des Soldatenrat Lüttich“ et Schneider, „Generalstab“, autrement dit état major. La proclamation se réfère aux sociaux-démocrates Friedrich Ebert, Philipp Scheidemann, Otto Landsberg (Mehrheitssozialdemokraten ou sociaux-démocrates majoritaires), et de Hugo Haase, Wilhelm Dittmann, Emil Barth (sociaux démocrates indépendants = Unabhängige). Les majoritaires se mettront un peu plus tard à la tête de la répression des conseils ouvriers et soldat révolutionnaires. Beaucoup d’Indépendants, dont Haase, sont assassinés, comme la Spartakiste Rosa Luxembourg ou emprisonnés.
Le Conseil des soldats de Liège n'est institué après l'armistice. Une cinquantaine de soldats investissent le Palais des Princes-Evêques, sans rencontrer aucune résistance et déposent le gouverneur, le Freiherr Leuckart von Weissdorf http://home.comcast.net/~jcviser/aok/leuckart.htm , après que celui-ci ait légèrement protesté. Ce dernier transmet ensuite l'ordre aux officiers d'obéir au Conseil des soldats.
Voici le texte de la première déclaration repris sur l’affiche de l’expo : « Hier s'est constitué à Liège un Conseil des Soldats. Il travaille en parfait accord avec les anciens services et les anciennes autorités militaires. Le but commun est le maintien de la discipline, du sang-froid militaire et de l'ordre. Dans les circonstances actuelles, en territoire occupé, chacun doit s'efforcer, par tous les moyens, à atteindre ce but. La vente d'armes et de pièces d'équipement, les pillages, surtout de magasins d'approvisionnement et de trains, de même que les dommages causés à toutes les installations militaires importantes, seront punis sans aucune considération, le cas échéant même de la peine de mort. La désertion également reste, comme sous l'ancien gouvernement, un crime punissable".
Une seconde délivre le message suivant aux civils : "Le Conseil des Soldats a repris l'autorité dans la province de Liège. Il invite la population à s'abstenir de tout ce qui pourrait troubler l'ordre public. Le conseil des soldats salue la population et la félicite à l'occasion de sa délivrance".
Contrairement au SR de Bruxelles, le SR de Liège ne cherche pas des contacts  avec la gauche belge. Ils se limitent à organiser le retrait dans l’ordre.
Le passage de soldats battant en retraite s'intensifie encore à partir du 16. Le voyage se fait principalement à pied, parfois accompagné de charrettes tirées par des chevaux, les officiers se distinguant à peine au sein de cette longue procession. Le 22 novembre ce Rat s’éclipse.
L’Alsacien Eugène Bouillon a vécu les SR de Bruxelles et de Liège. Il décrit ça dans son livre «  Sous les drapeaux de l’envahisseur. Mémoires de guerre d’un Alsacien ancien-combattant 1914-1918 ». En octobre 1915 il avait été enrôlé dans la garde impériale de Berlin. Au début de novembre 1918 il se retrouve chef cuisinier d’un casino des officiers à Bruxelles. Le Soldatenrat proclame sa démobilisation et organise la retraite générale vers l’Allemagne. En chemin, il prend congé de l’armée allemande et rejoint alors Liège où il trouve à loger chez des hôtes très généreux qui l’hébergent durant trois semaines au cours desquelles il assiste au long défilé des troupes allemandes en retraite. Il quitte enfin Liège pour Paris avec neuf autres déserteurs alsaciens-lorrains à bord d’un train rempli de prisonniers français libérés. Après la guerre il s’établit comme exploitant viticole à Wintzenheim et exerce à deux reprises le mandat de maire. En 1940, l’Allemagne nazie victorieuse ré-annexe l’ancien Reichsland perdu en 1918. Eugène Bouillon, tout comme une partie de la population jugée indésirable, en est expulsé et se réfugie avec sa famille dans le Lot.
Sur les SR de Bourg Léopold et d’Anvers je n’ai retrouvé aucune référence. Par contre, au premier meeting  du SR de Hasselt a parlé une figure emblématique, Erwin Piscator (Willett, John. 1978. The Theatre of Erwin Piscator: Half a Century of Politics in the Theatre. London: Methuen. pg 43).

Le ‘Putsch’ de Loppem  

Nous avons vu que lors de la réunion du 11 novembre Wauters, Lemonnier et  des ambassadeurs de pays neutres on décide d’envoyer Paul-Emile Janson au QG du roi à Loppem. Le Roi sait qu’il y a des révoltes dans tout le Reich. Il y a même des désordres aux Pays-Bas (que l’on connaît mal en Belgique). Il ya des revendications et des révoltes partout, même en Suisse (grève en novembre. Le tableau de l’Europe est menaçant pour l’ordre bourgeois. Il y a une pression du patronat (Francqui). Le roi ne craint pas la révolution, car il sait qu’il n’y a pas de parti révolutionnaire, mais il y a un danger si les gens bloquent l’économie, parce que là le POB sera obligé de suivre. Wauters sera ministre du Travail. Le Suffrage Universel sera mis rapidement en route, sans respecter la procédure qui exigeait une révision de la Constitution. C’est Francqui qui est à la manœuvre. Il sait qu’il ne doit pas tout risquer. Novembre 1918 a contribué à se rendre compte qu’il fallait changer la société, et accorder des acquis. Mais l’épisode ephémère des Conseils de soldats avait clairement montré, par l’absence manifeste même d’un embryon  d’organisation révolutionnaire en Belgique que fondamentalement la bourgeoisie n’avait rien à craindre. Les quelques personnalités comme Jacqmotte qui ont compris cela ont été à la base de la construction d’un nouveau parti qui reprenait le flambeau : le Parti Communiste.

Biblio

Gotovitch, José, Révolution à Bruxelles: le Zentral-Soldaten-Rat in Brüssel, Editeur scientifique Baumann, Roland Carl-Einstein Kolloquium 1998, (page 237-257) 2001
http://www.peterlang.com/index.cfm?event=cmp.ccc.seitenstruktur.detailseiten&seitentyp=produkt&pk=22531&cid=446nb Baumann, Roland / Roland, Hubert (Hrsg./éds)Carl-Einstein-Kolloquium 1998, Carl Einstein in Brüssel: Dialoge über Grenzen, Carl Einstein à Bruxelles: Dialogues par-dessus les frontières Collection: Bayreuther Beiträge zur Literaturwissenschaft - volume 22, 2001, ISBN 978-3-631-37931-8 br. 
http://difusion.ulb.ac.be/vufind/Record/ULB-DIPOT:oai:dipot.ulb.ac.be:2013/106042/Details 
De novemberdagen van 1918 te Brussel : revolutie en ordehandhaving / door Luc SIEBEN

In : Van Brialmont tot de Westeuropese Unie. Bijdragen in de militaire geschiedenis aangeboden aan Albert Duchesne, Jean Lorette en Jean-Léon Charles / door Patrick LEFEVRE en Piet DE GRYSE. - Brussel : Koninklijk Legermuseum, 1988. - 312 p. : ann., cart., ill., ind. ; 8°, pp. 155-176.Part of Van Brialmont tot de Westeuropese Unie. Bijdragen in de militaire geschiedenis aangeboden aan Albert Duchesne, Jean Lorette en Jean-Léon Charles / door Patrick LEFEVRE en Piet DE GRYSE. -

jeudi 7 mai 2015

14ième balade santé MPLP : Milmort, le fort de Liers et Tilice

La 14ième balade santé de notre maison médicale MPLP de Herstal, est partie de la gare de Milmort. Nous avons contournéle fort de Liers et suivile chemin de terre qui longe la bretelle de l’autoroute et qui peut être un peu boueux. Nous avons débouchésur la ferme de Tilice pour revenir à la gare par les chemins de remembrement.

Mérmwète, chef lieu de canton ephémère avec ses Belles de Milmort et ses huitres d’Oléron

Milmort, c’est tentant de l’expliquer par une grande bataille qui a laissé mille morts. C’est ce que fait notre chroniqueur principautaire Jean des Preis(des prés à outremeuse) : « et celle fut apalée Milhemort, portant que en temps que ons le edifioit oit la 1 batalhe, où ilh oit milhe hommes morts entre les parties » (Li Mireur des Histors). Notre Jean des Preis avait une imagination débordante mais il cherche trop loin. Il faut chercher l’explication dans le wallon Mermwète: une mare morte, traduite par les moines de Saint Riquier en Matermortua. L’abbaye cède ces terres en 1007 à un chevalier nommé Hubert pour cent sous d’argent et un cens annuel de 25 sous. Avec ça nous savons ce que Mermwète vaut !
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Milmort a payé cher pour l’esprit de révolte des communiers liégeois (communiers, pas communards ; quoique… ) : le village a été incendié le 4 mai 1347, par Renaud III, sire d’Argenteau, lors des évènement qui ont suivi la bataille de Vottem qui est en quelque sorte notre bataille des Eperons d’or. 120 Milmortois laissèrent la vie dans l’incendie.
Vottem avait ses fraises - la St-Lambert, la Merveilleuse et surtout la Souvenir Charles Marchiroux. Milmort aussi avait ses « Belles de Milmort ». Mais aujourd’hui on y vient pour ses huitres: un Grand Festival de l'huitre de Milmort est organisé chaque année dans le plus petit village de Noël du monde : un  seul chalet ! Pour celui qui ne les aime pas nature je les conseille gratinées. 35000 huîtres y sont dégustées au profit des papilles gustatives, … et des associations de jeunesse et d'œuvres sociales du Village. Oufti ! Quéne afêre a Mérmwète !
Millemorte a aussi été chef lieu de canton ephémère! En 1795 le Directoire de la République française instaure les Municipalités des Cantons. Le 27°  canton regroupe 20 localités avec 12.752 habitants dont Herstal, Glons, Juprelle, Rocourt et Millemorte comme chef lieu ! Un lieu beaucoup plus central que ne l’est aujourd’hui Herstal pour ses communes fusionnées. Mais malgré cela la première réunion dans la ferme des Prémontrés ou d’Archis, le 19 janvier 1796, commence mal : il y a 15 absents sur 40 maires et 12 des 25 présents refusent de prêter le serment de fidélité à la République. Le 31 juillet 1796 le chef-lieu est transféré à Herstal. Mais cela provoque aussi une dissidence et on fixe finalement le chef lieu à Hermée. En 1789 Milmort comptait 478 habitants, dont 53 mendiants errants. 32 savaient lire et écrire (Spécial millénaire Matermortua 1007- Milmort 2007 Musée herstalien N°136 mars 2007).

Le café de la gare, ma Maison du Peuple 

Nous commençons (et terminons) notre balade au café de la gare à Milmort, un vrai café de village, avec un cuistot intéressant. Pour moi c’est aussi un peu ma Maison du Peuple : trois générations de restructurés d’Uniroyal s’y donnaient rendez-vous pour contester des plans de fermetures successives, et j’ai eu l’honneur de les conseiller dans leurs démarches juridiques, dont le dernier s’est terminé en 2014 seulement.
J’ai aussi contribué à la publication d’un dossier sur cette affaire par la Gresea.
Le passage à niveaux de la gare de Milmort sera bientôt supprimé, avec celui plus loin de la rue de Lambotte. Si Infrabel arrive à se mettre d’accord avec la SPI et la Ville, parce qu’il y a un problème suite à l’extension des Hauts Sarts en direction de Hermée. Les deux ronds points rue de Hermée, à l’autre bout du zoning, saturent aux heures de pointe.  Pour résoudre ce problème, le PCM Herstal avait proposé en 2009 un nouvel échangeur à … Milmort ! En 2013 la SPI reprend ce projet et place cet échangeur à hauteur de la rue Bêche, en coupant la rue de l’Escousset, la rue du Tilice et la Route de Hermée : excusez du peu.
Non seulement la ferme Lohest est coupé de ses champs : la SPI trace aussi une route à travers les champs, dans la prolongation du 2ième Avenue, pour que les camions puissent atteindre directement cet échangeur. Le fermier voit ça à juste titre comme la prochaine extension du zoning. Les auteurs de l’étude d’incidence se sont rendus compte de la forte opposition contre ce projet et ses incohérences, mais n’abandonnent pas et le postposent.
Le viaduc qui doit remplacer les deux passages à niveau à Milmort déboucherait donc  sur trois routes qui pourraient demain être fermées (l’Escousset, Tilice et la Route de Hermée). Infrabel a un véritable casse tête avec cette situation.
Par contre on peut espérer un élargissement du tunnel en dessous du chemin de fer rue Bêche (mesure essentielle pour éviter le passage de camions dans le centre de Milmort). Mais là aussi ce nouvel échangeur plombe ce projet… Sans compter qu’Infrabel, la SPI et la Ville ne sont pas encore d’accord sur la facture.

Une ferme historique menacée par la SPI

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Nous prenons la rue de l’Escousset, avec la ferme Lhoest. En fait, une ferme historique : la cense «Anthoienne Darchis dict Le Compte ». Compte de compteur ; pas comte. Autrement dit : comptable de la ‘cour d’Arcis appartenante à l’Abbaye de Beaurepart’. Dans cette abbaye des Prémontrés se trouve aujourd'hui le séminaire de Liège. En fait, cette ferme est la seconde cense de Beaurepart, la première étant la ferme D’Archis. L’abbaye n’a pas éprouvé le besoin de donner un nom à celle de l’Escousset. Deux pierres dans la façade de la cour intérieure donnent le millésimé 1624, date de construction probable. Les Darchis ont été métayers dans les deux fermes.  Métayer ne veut pas dire pauvre. Depuis 1600 nous retrouvons plusieurs Darchis comme notaires à la chancellerie pontificale ! Ce qui explique qu’en 1699 Lambert Darchis lègue une partie de sa fortune d’un demi-million d’écus à une ‘hospitium pauperum patriotarum’ à Rome, pour les jeunes liégeois pauvres se dessinant au service de la Curie Romaine. Ca deviendra la fondation Darchis qui existe aujourd’hui toujours à Rome. Au départ, tous les pensionnaires portaient la soutane, «ce qui ne les faisait pas changer de mœurs en changeant d’habit », selon G. Kurth. Les candidats faisant défaut, on élargit en 1725 aux peintres, sculpteurs et musiciens. Dans les pensionnaires on retrouvera Léonard Defrance et André-Modeste Grétry. Lambert Darchis a ainsi aidé à loger, nourrir et blanchir le responsable de la déstruction de la cathédrale Saint-Lambert…
En 1797 l’administration révolutionnaire sécularise la fondation qui dispose à l’époque de 1500 écus romains de revenus, écus qui alimentent même le trésor de guère de Bonaparte. Après Waterloo, le patrimoine de la fondation était fortement entamé. Ses rentes suffisent à peine à assurer quelques bourses pour quatre  pensionnaires pour une période limité. Aujourd’hui la valeur des bâtiments est estimé à 20 millions d’euros (Leon Henri Darcis, dans Musée herstalien N°154 novembre 2010).
La ferme est gérée aujourd’hui par HenriLhoest, vice-Président de la FWA, et très actif dans le comité contre l’extension du zoning.

Le fort de Liers

Le fort de Liers a joué un rôle important dans la bataille de Rhées, la nuit du 5 au 6 août 1914. D’abord il a contribué à une (petite) victoire tactique belge en arrosant de projectiles les allemands qui avaient pénétré à Rhées, dans l’intervalle entre Liers et Pontisse. Mais Liers a fait basculer la bataille pour les forts de Liège d’une autre manière. Des bataillons allemands qui s’étaient approchés du fort de Liers en profitant du talus du chemin de fer sont refoulés. Une compagnie allemande descend sur Liège et arrive par la rue Saint-Léonard dans la rue Ste-Foi où se trouve le Q.-G. du lieutenant-général LEMAN, commandant la Position Fortifiée de Liège. Le petit détachement allemand est finalement chassé. Mais cette attaque-surprise amène Leman à renvoyer en arrière toutes les troupes qui devaient protéger les intervalles entre les forts vers le gros de l’armée belge qui se trouvait sur la Gette. Suite à ça, les allemands étaient maîtres des intervalles entre les forts et avaient l’embarras du choix pour installer leurs canons qui tiraient des obus de 420 mm.
Plus dans  http://hachhachhh.blogspot.be/2014/02/la-bataille-de-rhees-du-5-aout-1914.html
Un autre fait divers mène à la petite bataille de Vottem qui nous vaut une place à Ypres, au musée"In Flanders Fields". Deux compagnies chassés par les tirs de Liers se retrouvent à Vottem où un feu nourri les accueille. Ce qui subsiste de ces deux compagnies reflue vers Rocourt dans une carrière. Après une escarmouche meurtrière les chasseurs allemands rejoignent Lixhe. A Vottem, après le repli des troupes allemandes et belges, les morts et blessés sont abandonnés sur place. Le curé de Vottem emmène les blessés au couvent, les Belges et les Allemands dans des salles séparées, et les morts sont enterrés dans deux fosses communes. Tous les morts – allemands et belges - furent photographiés deux par deux afin d’être identifiés ultérieurement. Presqu’un siècle plus tard ces plaques en verre réapparaissent dans une brocante. Onze de ces photos sont exposées à Ypres.
Dès novembre 1914 les allemands occupent les forts. Dans le mess des officiers de Liers, il reste encore des inscriptions en allemand.  Un monument se trouve rue des Combattants.  L’Harmonie de Liers interprète bien volontiers deux marches des régiments qui étaient positionnés autour de Liers en 1914 : les 11e Régiment  et le 12e Régiment de Ligne.
Les allemands améliorent certain forts, comme à Boncelles où l’on construit une tour d’air. Mais Liers reste tel quel pendant la guerre.
A partir de 1927 la Belgique décide de moderniser certains forts comme Pontisse. Liers n’est pas réarmé mais transformé en dépôt de munitions avec les forts de Hollogne et de Lantin.
Vendu à la Fabrique nationale de Herstal pour un franc symbolique en 1949, le fort de Liers démilitarisé est occupé aujourd'hui par Techspace Aero - anciennement FN Moteurs - qui y a installé ses bancs d'essais de moteurs d'avions. En surface, les coupoles de tir ont fait place aux citernes de kérosène destinées à alimenter les bancs d'essais. Lorsque l'on travaille en endurance, explique l'ingénieur de Techspace, un moteur consomme 80.000 l en trois jours en tournant 24 h sur 24. Le mur d'enceinte a été détruit à la dynamite afin de laisser entrer les camions dans la fosse antipersonnel. De part et d'autre des enceintes d'escarpes et de contre-escarpes, des toits ont été lancés, histoire de construire des hangars. Dans ces locaux on retrouve un véritable résumé de l'épopée de la FN moteurs : les vieux bancs d'essais des moteurs de Gloster Meteor, de Fouga Magister ou des moteurs Atar de Mirage. Les moteurs d'Airbus A 320 installé sur de nouveaux bancs sont protégés par une porte de 13 tonnes.  Le poids du dossier d'un moteur est plus lourd que le moteur lui-même. « Il n'y a que les ingestions de pigeon dans les turbines que nous ne reproduisons pas. Cela se fait sur d'autres bancs d'essais avec des tirs au poulet».
Lors de la fusion des communes de 1977, le fort est traversé de part en part par les nouvelles limites communales sans conséquences pour la solidité de l’ouvrage….

La Ferme Tilice ou Delforge

La ferme Tilice photo Eddy Van LOO

Nous suivons un sentier qui longe l’autoroute pour déboucher dans la rue de Tilice. Jusqu'en 1740, Tilice et Anixhe constituaient une enclave de la seigneurie de Herstal dans le pays de Liège pour être ensuite rachetée par le Prince Evèque Georges Louis de Berghe. En 1804 Tilice fut rattaché a Fexhe-Slins. La ferme Tilice ou Delforge est construite sur les bases d'une ancienne abbaye. La chapelle date de l'an 1590.
Nous passons un peu plus loin, au cimetière de Hermée, devant un petit monument en honneur du Lancaster MK II  KO-L , descendu le 19/11/1943. C’était un des premiers raids de la bataille pour Berlin. Le général Arthur "Bomber" Harris espérait ainsi briser la résistance allemande: "cela nous coûtera entre 400 et 500 avions. Mais les nazis perdront a guerre". Entre Novembre 1943 et mars 1944, Harris lance 16 raids sur Berlin. Ca a été un échec qui a couté à la  RAF 1.047 bombardiers descendus, 1.682 fortement endommagés, et 7.000 pilotes perdus. C’est incroyable ce que l’on retrouve comme détails aujourd’hui. Je n’ai pas réussi à savoir ce qu’ils ont mangé cette nuit. Mais je sais que ce 18 novembre 440 Lancaster ont été envoyés sur Berlin26 ont raté leur cible. Neuf avions ont été perdus, avec 43 morts et 23 aviateurs faits prisonniers.  Le KO-L (DS680) a été descendu sur son chemin de retour par Oblt. von Bonin du II./NJG1 (NJG= nachtjagdgeschwader : des chasseurs de nuit) et s’est écrasé à Hermée. Aucun survivant: le pilote autralien P/O Raymond Peat, le co-pilote Sgt Neil McKay; le navigateur Sgt Noel Shaw; le radio Sgt François Collenet; le meccano Sgt Hugh Bannister; le pointeur F/Sgt Murray Richardson RCAF ; les mitrailleurs Sgt George Sharratt et F/Sgt Sydney Anderson RCAF. Ces membres d’équipages sont enterrés à Heverlee. Pour ceux qui maitrisent l’anglais, voici le lien vers un récit de ce raid. Toute notre région, sur le passage le plus court vers l’Allemagne, avait été truffé d’artillerie antiaérienne et presque chaque village compte une épave de bombardier. 

Biblio

Spécial millénaire Matermortua 1007- Milmort 2007 Musée herstalien N°136 mars 2007
Leon Henri Darcis, dans Musée herstalien N°154 novembre 2010
Daniel Bastin, Les forts de Pontisse & de Liers