Le 2 avril il y a au
Musée de la Ville de Herstal le vernissage
de l’exposition "Nouvelle sélection de Joyaux de l’Empire". Avec des insignes du
pouvoir de Charlemagne provenant (entre autres) du Suermondt-Ludwig-Museum à
Aix-la-Chapelle. La couronne impériale qui date probablement du
sacre de l’empereur Otton Ier à Rome, en 962 est une copie. L'original a
rejoint les Joyaux de la Couronne à Vienne en 1800. C’est cette copie qui se
trouve habituellement dans l’hôtel de ville d’Aix qui circule, au British
Museum et maintenant à Herstal. Neil MacGregor, directeur du British Museum, remarque
avec un flegme très british que « le
fait que cette couronne est le fac-similé d'un objet qui prétend être quelque
chose qu'il ne est pas, à savoir la Couronne de Charlemagne, et que cet objet
doit servir à de promouvoir une nouvelle idée de la germanité, montre comment
le passé est toujours utilisé pour la formation de l'identité actuelle».
J’espère que notre bourgmestre fera preuve de la même finesse d’esprit lors du
vernissage… Attention : nous ne pourrons pas dire à Herstal qu’on nous a roulé dans
la farine. Ces copies sont exposés chez nous en échange du grand pied de
Berthe, qui ne remonte pas au nuit des temps non plus.
Le reliquaire de Saint Etienne :
la sacoche Vuiton de tante Brunehaut
L’épée de l’Empire est
une copie, ainsi que le sceptre et le globe qui sont présentés dans le Musée de la Ville
de Herstal, jusqu'au 31 mai 2015. Pour voir les originaux il faut aller au
Hofburg à Vienne, le trésor du Palais Impérial. Le reliquaire de Saint Etienne
– je l’appelle la sacoche Vuiton de tante Brunehaut) qui est repris sur les
faire-parts de l’expo à Herstal est une copie réalisée en 1915. Pour voir
l’original il faut aller à Reims.
Ces joyaux ont fait partie d’une exposition
« Trésors Perdus » dans la salle du trésor
de la cathédrale d’Aix. Un titre un
peu ambigu: il s’agit de copies de ces trésors effectivement perdus. Ou
vendus. En fait,
au fil des siècles, ces trésors ont été dispersés à travers le monde, vendus ou
volés. Encore et encore, le chapitre de la Cathédrale avait besoin d'argent - et bradait
les reliques, livres précieux, or et argent. Même la bible du couronnement de Charlemagne,
son épée et son linceul ont été vendus et se trouvent maintenant dans les
collections royales de Vienne, Paris ou Londres. Un certain chanoine Bock avait
à l’époque même monté un commerce lucratif en découpant des tissus richement
brodés du trésor en morceaux plus faciles à marchander. Le grand historien
Georges Duby a expliqué en long et en large comment ces trésors servaient de
banque de réserve stratégique tout au long du Moyen âge.
Et on n’a pas fini
avec les copies. Une des œuvres clés du
Musée la Ville d’Aachen est une grande mosaïque(1,50 mètre sur 1,10 mètre) en partie couverte avec des feuilles d'or de 24
carats. C’est une copie dont l’original se trouve dans la basilique du Latran à
Rome. Et cet ‘original’ est déjà une copie qui remonte au 18ème siècle.
L'original –disparu - a probablement été peint peu avant le couronnement de Charlemagne
en 800.
Aix a joué sur le
thème copie-original avec verve. C’est ainsi que treize orfèvres ont créé une réplique d’un talisman de Charlemagne au
9ème siècle. Chez Charlemagne la superstition n’était jamais très loin… Une
copie dans le vrai sens du mot: ils ont reproduit l’amulette avec toutes les
bosses, fissures et autres imperfections de l’original qui se trouve depuis
1919 à la cathédrale de Reims. En même temps chaque orfèvre a créé sa propre
interprétation moderne du talisman, avec un vrai fragment du cristal de saphir
d'origine. Tout ça a fait partie d’une expo ‘Briller ensemble’.
Donc, en fait, tout ce
qu’on voit au trésor d’Aix – aujourd’hui à Herstal - sont des copies ! J’ai
expliqué dans un autre blog que les bâtiments dans lesquels ils étaient
exposés sont le Disneyland du 19° siècle : la vérité historique est loin. Attention :
à ce niveau-là Herstal est le champion toutes catégories avec sa reproduction
du palais de Charlemagne…
230.000 visiteurs pour trois expos de
copies
Aix a réussi à attirer
ainsi pour ses trois expos plein de copies 230.000 visiteurs. Attention :
je trouve ça une évolution intéressante. Fin du 19° on a
commencé partout des Musées des copies et les plus grands artistes y ont
contribué. Ma seule explication de ce rejet actuel de la copie est qu’on a
réussi à nous faire regarder les œuvres d’art avec les yeux de Picsou : combien
de dollars de valeur ? D’où vient ce rejet de la copie ?
La pièce maîtresse de l’expo « Van Gogh au Borinage » est Le semeur, ou
plutôt les semeurs, une partie des innombrables copies que Van Gogh a faites de
Millet.
En 2008 une exposition "Constantin Meunier en l'Andalousie" au Beaux-Arts de Bruxelles, a réuni 75 esquisses
et tableaux, toutes des copies ! En 1882 le gouvernement avait demandé à Meunier
de réaliser une copie de la Descente de croix de Pedro Campaña à Séville: on
voulait créer un Musée des copies regroupant les grands chefs-d'œuvre de l'art
belge conservés à l'étranger. La France avait inauguré un tel musée à Paris
vers 1870.
Dans l’autre sens, il y a des grandes œuvres restaurées qui ne sont plus qu'une "réédition" de l'original. A Bruges, on a pu visiter en 2004 une expo coup-de-poing sur les restaurations
abusives allant jusqu'à la totale falsification mercantile. « Fake/not fake ? » présentait six
tableaux attribués aux primitifs flamands. Van der Veken est un grand
restaurateur belge qui a peint une copie des « Juges intègres » de van Eyck volé en 1934. Afin d'éviter tout
malentendu, le restaurateur donna à l'un des chevaliers les traits du roi
Léopold III. Mais d’autres de ses tableaux sont des faux qu’il a fait
Vanderveken: faussaire ou restaurateur? |
passer
pour des primitifs authentifiés. Il avait même réussi à vendre un de ces faux au
maréchal Goering. Van der Veken avait développé un concept inédit, d'un point
de vue juridique beaucoup moins dangereux: l'hyperrestauration. Et je ne parle
pas ici des œuvres qu’il a officiellement ‘restaurées’
en grattant parfois 90% de l’original et qui se trouvent dans tous les musées
belges…
Plus dans http://hachhachhh.blogspot.be/2015/01/fake-or-not-fake-ou-le-rejet-de-la-copie.html
Plus dans http://hachhachhh.blogspot.be/2015/01/fake-or-not-fake-ou-le-rejet-de-la-copie.html
Le curateur du Suermondt-Ludwig-Museum qui nous a prêté ces copies est Peter van den
Brink. Il me fait penser à Umberto Eco. Brink est un maitre de messages à
double, voir triple fond, comme Eco. Le nom de la Rose d’Eco peut être lu comme
un detective et le scénario du film a été écrit à ce niveau; mais il y a
un double fond philosophique passionnant pour qui veut plonger dans le texte. Que
penser de l’expo organisé en 2009 avec comme titre : „Schattengalerie
– Verlorene Werke der Gemäldesammlung“ – Galerie des ombres- œuvres perdus de
la collection de peinture ». L’expo de Herstal est une ‘Nouvelle sélection’ de l’exposition « Trésors Perdus » dans la salle du trésor
de la cathédrale d’Aix. Bien sûr, ces tableaux perdus de 2009 réfèrent aux tableaux ‘voles’ parl’armée soviétique en 1945. Comme ces 80 tableaux provenant du Suermondt museum se
trouvent aujourd’hui en Crimée, Brink a exposé 80 copies (encore !). Je
mets ‘vomlés’ entre parenthèses parce que Poutine revendique aujourd’hui, comme
les grecs, des indemnités de guerre de la RFA. La valeur des tableaux d’Aix-la-Chapelle
ne couvre apparemment pas les dégâts et les 20 millions de morts que les nazis
ont provoqués en Union Soviétique. C’est
dans ce sens que le colloque organisé en marge de cet expo de 2009 avait comme
sujet le ‘Beutekunst’, les œuvres volés. Je ne veux surtout pas faire un procès
d’intention au curateur du musée d’Aix, mais pour moi il y a un lien entre les
deux expos : quelle différence entre les tableaux expropriés et les joyaux
de Charlemagne vendus par les chanoines de la cathédrale d’Aix, par app. Mais
ici nous sommes dans un autre débat : entartete kunst, raubkunst, beutekunst.
Art dégénéré, art volé, art spolié…
Si déjà cette « nouvelle sélection des
joyaux de l’Empire » pouvait susciter un débat sur le rôle et l’intérêt de
la copie par rapport à l’original, cette exposition n’aura pas raté son but….
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