lundi 26 janvier 2015

«Liège dans la tourmente » : les refugiés belges en Hollande

L’expo «Liège dans la tourmente » au Musée de la Vie wallonne, de 2015, évoquaitles absents, les militaires prisonniers, les civils déportés, les exilés réfugiés. Il y avait en 1914 un million de refugiés belges en Hollande ; on devrait se rappeler ça quand on parle des refugiés d’aujourd’hui. Je me suis basé pour cela sur le travail remarquable de M. Amara ‘Des belges à l’épreuve de l’exil’.

Toute la population de Mouland réfugiée à Eijsden.

Photo Heemkunde Kanne
Les premiers refugiés ont été les liégeois, suite aux atrocités des troupes allemandes. Selon un journal local du 2 septembre, « 7.000 refugiés sont arrivés à Maastricht et il en arrive encore. Après l’incendie de plusieurs villes ils ont jugé sage de partir... »
Selon Jean-Pierre Lensen, le conservateur du musée régional de Visé, pratiquement toute la population de Mouland (600 habitants) franchit la frontière pour se réfugier temporairement à Eijsden. On publia même à l'époque un journal en français pour les réfugiés, « Les Nouvelles de Maastricht ». Céramique Maastricht a fabriqué des assiettes vendues en soutien aux refugiés.
Le Bedumerkrant du  15 septembre 1914 reprend le discours du trône de la reine  Wilhelmine: « très touché par le sort des peuples entrainés dans la guerre, les Pays Bas portent le fardeau extraordinaires qu’on impose, et reçoit les bras ouverts les malheureux qui cherchent un refuge dans ses frontières ».
Mais le 14 octobre 1914 le même journal mentionne des incidents: “nous compatissons avec les belges et nous maintenons cette attitude malgré leur irritation contre nous. Ils prétendent  envers et contre tout que les allemands sont passés sans encombre par le sud de notre pays et c’est à peine si on mentionne le bon accueil des refugiés belges en Hollande ».
Ces bruits (non fondés) circuleront jusqu’après la fin de la guerre et sont probablement nourris par le gouvernement belge qui essaye de cacher ainsi son improvisation totale…

Un million de refugiés en Hollande après la capitulation d’Anvers

A partir du 20 août, le roi Albert qui est déjà à Anvers avec sa famille et le Gouvernement, ordonne à son armée de se retirer dans le « réduit national ». L’armée y bénéficie d’un répit de courte durée, le gros de l’armée allemande étant déjà sur la Marne. Elle tente trois sorties destinées à soulager la pression pesant sur ces derniers. 50.000 civils refugiés dans la ville – des bouches inutiles - sont évacués vers l’Angleterre.
Le coup d’arrêt de la bataille de la Marne modifie la donne, les Allemands ne peuvent plus se limiter à ‘masquer’ Anvers. L’assaut débute le 28 septembre. Pour éviter l’encerclement, l’armée belge évacue in extremis le réduit national à partir du 6 octobre, pour faire retraite en direction d’Ostende, puis du Westhoek. Le 7 octobre quand les allemand annoncent le au bombardement de la ville un flot immense fuit la ville. Le 9 octobre, la ville d’Anvers se rend. Une initiative privé, le Comité Hollandais de soutien aux victimes belges et autres (appelé plus tard Comité Amsterdam) essaye de prendre en charge les réfugiés dont le nombre est estimé à un million !
Le 28 octobre le Consul Général des Pays Bas à Anvers annonce que la situation y est tranquillisée et que les réfugiés doivent retourner à Anvers et reprendre leur besogne. Il assure que les autorités d’occupation n’envisagent nullement de déporter ou de faire prisonnier de guerre les jeunes ou les gardes civiques qui n’appartiennent pas à l’armée.
le monument belge à Amersfoort 1920
Après quelques mois le gouvernement hollandais exerce une pression douce, ‘zachte drang’, en supprimant les aides publiques et en parquant les réfugiés dans des ‘vluchtoorden’, des refuges – le mot ‘camp de concentration étant jugé politiquement incorrect (M. Amara p. 243).
Cette ‘pression douce’ a ses effets : en novembre il reste 323.600 refugiés. Ce nombre tombe en  décembre 1914 à 200.000. En mai 1915 on atteint  105.000, chiffre qui se maintiendra jusqu’à la fin de la guerre.
Fait partie de ces douces pressions la distinction des ‘pauvres ‘ en trois catégories : A. les éléments indésirables B. les éléments moins désirables C. de fatsoenlijke behoeftigen ou 'Pauvres Honteux'.  Les C, ainsi que Belges riches, pouvaient s’établir en dehors des camps Les Honteux recevaient plus d’aide que les Pauvres.
Le camp fermé de  Nunspeet -13.000 personnes- était pour les catégories A et B. Ede - 10.000 personnes - était un camp modèle pour la catégorie C. Uden acceuille 10.000 refugiés de la catégorie B en C. Les derniers refugiés sont seulement ramenés en janvier- février 1919 en trains  spéciaux payés par le gouvernement hollandais.
A Uden on essaye même une expérience ‘communiste’ basé sur le franc maçon américain Edward Bellamy qui dans son roman Cent ans après ou l'An 2000 développe l'économie distributive. Dans sa société idéale du XXe siècle il y a la carte de crédit. 
Article 2 du règlement du camp appelle à travailler contre une rémunération en points. Il faut dire que ce système à points n’était pas populaire. Il était imposé par les missionnaires utopistes de la ‘Society of Friends’ qui encadraient les travaux, mais celui qui voulait aller boire une pinte en dehors du camp (prohhibition à l’intérieur !) était obligé à les échanger à perte sur le marché noir pour obtenir des florins.  Le système de points a aussi été appliqué pour fabriquer des maisons démontables. En mars 1915 le gouvernement danois donne 325.000 florins, qui servent à construire des ateliers à Gouda, Ede en Uden où l’on fabriquait ces maisons. Ces baraques du village Danois (Deense Dorp) à Nunspeet sont après la guerre démontées et reconstruites en Belgique sous le nom ‘Baraques Albert’. Ces baraques sont donc le fruit d’une initiative communiste, certes utopique. Albert se retournera dans sa tombe….

Les 32.000 militaires belges internés des troupes des forteresses

Une deuxième catégorie est les 32.000 militaires belges des troupes des forteresses du réduit national d’Anvers. Quand les troupes de ligne se sont retirés vers l’Yser, on a demandé aux troupes des forteresses d’assurer les arrières. Après leur reddition des forts, la plupart
Belgenmonument Huib Hoste Amersfoort
sont passés en Hollande, où ils ont été internés dans des camps de concentration aux Pays-Bas durant toute la guerre. 7.000 militaires belges seulement rejoindront le front de l'Yser, mais la plupart n’étaient pas des internés. Ca mériterait aussi une petite enquête, puisque la Hollande neutre était censée empêcher le recrutement de soldats sur son territoire. Julien Lahaut par exemple est arrivé en Angleterre via la Hollande.
Les autres sont restés prisonniers quatre longues années. L'armée leur refusa l'octroi des chevrons de guerre déterminant les droits à la pension. Une commission dirigée par le général Bierbuyck fut chargée de déterminer la bonne foi des internés. Elle s'intéressa aussi avec une égale intransigeance aux prisonniers de guerre, soupçonnés d'avoir trop facilement rendu leurs armes à l'ennemi. Le général Dossin, envoyé par Albert Ier, considérait les internés avec mépris. A leur retour, les internés furent accueillis par des quolibets: kees (fromage), «traîtres», etc. Il fallut attendre plus de 15 ans pour attribuer chichement aux prisonniers des chevrons de front. Le député socialiste August De Block, ancien interné, plaida en 1936 l'amnistie pour tous ses compagnons de détention « même si certains ne le méritent pas ».
Les conditions de détention étaient déplorables. La nourriture manquait. Le 3 décembre 1914, une révolte éclata au Camp Zeist, en raison des prix exorbitants du tabac et de l'alcool, elle fut écrasée par les gardiens néerlandais; huit habitants du camp y perdirent la vie.
Dès 1916, les internés belges furent autorisés à travailler en dehors des camps. Au total 46,2% des militaires ont ainsi trouvé du travail.
Pour les civils et les familles des soldats, on installait des «refuges». 19.000 hommes, femmes et enfants, échouèrent à Amersfoort, au Camp Zeist. Pour les familles des soldats, on construisit dans les environs trois «colonies » de maisons en bois, Albertsdorp, Elisabethdorp et Nieuwdorp.
Omer Buyse, directeur de la Commission administrative des écoles professionnelles pour les internés belges, qui prit l'initiative d'élever, à Amersfoort, près du Camp Zeist, un monument des Belges qui serait à la fois un signe de reconnaissance à l'égard de l'hospitalité néerlandaise et un instrument de mémoire pour les souffrances endurées par les réfugiés belges. Les plans du monument furent dessinés par l'architecte belge Huib Hoste La Commission administrative voulait d'emblée transférer à la municipalité d'Amersfoort  la propriété du monument.  Une cérémonie solennelle de remise devait avoir lieu en 1922. Elle fut décommandée car la Belgique tardait à payer les 53 millions de florins que les Pays-Bas lui réclamaient pour se dédommager d'avoir entretenu les internés militaires belges durant quatre ans. L'irritation à ce sujet ne s'éteignit qu'en 1938.
Un autre grand artiste, Rik Wouters, mort à Amsterdam en 1916, s'est beaucoup inspiré, dans ses œuvres, de son exil hollandais et de celui de ses compatriotes.
Le sujet des internés est d’une actualité brûlante : l’ex-ministre de la Défense Peter De Crem a chargé une commission d'historiens de déterminer si les 32.000 militaires belges  internés ont été injustement traités par les autorités militaires lors de leur retour en Belgique. Cette initiative résulte d'une résolution déposée par quatre parlementaires flamands (Patrick De Groote, Huub Broers, Karl Vanlouwe et Lieve Maes) au Sénat.

L’ingratitude de la Belgique

Les Pays Bas ont donc accueilli en 1914 un million de refugiés ; et une centaine de milliers de mai 1915 jusqu’à la fin de la guerre. En guise de remerciement la Belgique a essayé de les rafler le Limbourg hollandais lors des négociations de Versailles, en invoquant la politique de neutralité des Hollandais. Le gouvernement belge a d’ailleurs essayé la même chose avec la Grand Duché du Luxembourg. La Belgique ‘neutre’ avait choisi le camp des vainqueurs et se croyait autorisé à assouvir ses appétits impérialistes aux dépens de ses voisins directs. Elle a dû se contenter du Ruanda et de l’Urundi. Comme cette argumentation sur la neutralité était un peu spécieuse, la propagande a essayé de mettre un peu de chair autour de ces arguments, pour les rendre plus attrayants.
Les premières victimes sont les internés belges. On a accusé le gouvernement de La Haye d’avoir accueilli des traîtres plutôt que d'infortunés fuyards qui n'auraient eu le choix qu'entre la captivité dans un camp de prisonniers de guerre en Allemagne et le refuge hollandais. Dans la même foulée on accusait  les soldats flamands, peu friands à risquer leur vie, sur le front de l'Yser, pour une Belgique, dominée par des francophones d’avoir profité des désordres entraînés par la chute d'Anvers, pour déposer leurs armes au-delà de la frontière du nord. Pourtant, la revue Inter-Nos, publiée dans les camps d'internés militaires était bilingue.  On faisait l’amalgame entre des prisonniers de guerre flamands défaitistes et l’existence d’un parti de pacifistes flamands aux Pays-Bas, durant la Première Guerre mondiale. On reproche aussi aux Néerlandais d’avoir permis à des troupes allemandes (70.000 hommes), qui regagnaient précipitamment leur pays en 1918, de traverser le Limbourg hollandais. Et, argument ultime,  le Kaiser Guillaume II, déchu, avait été autorisé à s'exiler chez eux.
Cette ingratitude belge est pour moi la preuve du caractère impérialiste de cette ‘pauvre petite Belgique’ qui était encore à l’époque encore au top des nations industrialisées….

Post scriptum : la colonie allemande d’Anvers

Je termine par un paradoxe : les premiers refugiés étaient la colonie allemande d’Anvers, pourtant un groupe particulièrement bien intégré (ils ont payé la fontaine de Brabo sur la Grande Place). Cet épisode a été étudié par Antoon Vrints dans son livre "De Eerste Wereldoorlog en de ondergang van de Duitse kolonie  in Antwerpen". En 1910 il y avait à Anvers  entre 8.346 personnes de nationalité allemande plus 5.000 Belges d’origine allemande Une parti de cette communauté avait manifesté ouvertement ses sympathies pour l’Empire allemand, en rejoignant leurs régiments en chantant Wacht am Rhein dans la gare centrale. Le 4 août on a expulsé d’abord tous les citoyens allemands et autrichiens vers la Hollande (les autrichiens étaient fait pour la plupart des Juifs de Galicie).  Mais après on a visé aussi les allemands naturalisés belges, en pillant leurs maisons abandonnées.



Le mot de la fin est pour Eugene V. Debs :  "The master class has always declared the wars; the subject class has always fought the battles."

Biblio

M. Amara Des belges à l’épreuve de l’exil, éd. ULB http://www.editions-universite-bruxelles.be/fiche/view/2427  p.130 Galopin et la mise au travail du personnel issu de la FN en France
Le livre est parti de sa thèse de doctorat http://theses.ulb.ac.be/ETD-db/collection/available/ULBetd-06052007-101038/unrestricted/Tabledesmatieresamara.pdf  http://www.1914-1918.be/civil_exode.php bcp photos L'exode d'un million de Belges en Hollande
Antoon Vrints http://www.cegesoma.be/docs/media/chtp_beg/chtp_10/chtp10_001_Vrints.pdf De Eerste Wereldoorlog en de ondergang van de Duitse kolonie  in Antwerpen
http://www.senate.be/www/webdriver?MItabObj=pdf&MIcolObj=pdf&MInamObj=pdfid&MItypeObj=application/pdf&MIvalObj=83890619  4/12/2013 Proposition de résolution relative à la réhabilitation des soldats internés aux Pays-Bas au cours de la Première Guerre mondiale
sur le camp ‘communiste‘ d’Uden http://www.vluchtoord-uden.nl/Tijdschriften.html






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