L’expo «Liège dans la tourmente » au Musée de la
Vie wallonne, de 2015, évoquaitles absents, les militaires prisonniers, les civils
déportés, les exilés réfugiés. Il y avait en 1914 un million de refugiés
belges en Hollande ; on devrait se rappeler ça quand on parle des refugiés
d’aujourd’hui. Je me suis basé pour cela sur le travail remarquable de M. Amara
‘Des belges à l’épreuve de l’exil’.
Toute la population de Mouland réfugiée
à Eijsden.
Photo Heemkunde Kanne |
Les premiers refugiés
ont été les liégeois, suite aux atrocités des troupes allemandes. Selon un
journal local du 2 septembre, « 7.000
refugiés sont arrivés à Maastricht et il en arrive encore. Après l’incendie de
plusieurs villes ils ont jugé sage de partir... »
Selon Jean-Pierre Lensen, le conservateur du musée régional de Visé, pratiquement toute la population de Mouland (600 habitants) franchit la frontière pour se réfugier temporairement à Eijsden. On publia même à l'époque un journal en français pour les réfugiés, « Les Nouvelles de Maastricht ». Céramique Maastricht a fabriqué des assiettes vendues en soutien aux refugiés.
Selon Jean-Pierre Lensen, le conservateur du musée régional de Visé, pratiquement toute la population de Mouland (600 habitants) franchit la frontière pour se réfugier temporairement à Eijsden. On publia même à l'époque un journal en français pour les réfugiés, « Les Nouvelles de Maastricht ». Céramique Maastricht a fabriqué des assiettes vendues en soutien aux refugiés.
Le
Bedumerkrant du 15 septembre 1914 reprend
le discours du trône de la reine Wilhelmine:
« très touché par le sort des
peuples entrainés dans la guerre, les Pays Bas portent le fardeau
extraordinaires qu’on impose, et reçoit les bras ouverts les malheureux qui
cherchent un refuge dans ses frontières ».
Mais le 14 octobre
1914 le même journal mentionne des incidents: “nous compatissons avec les belges et nous maintenons cette attitude
malgré leur irritation contre nous. Ils prétendent envers et contre tout que les allemands sont
passés sans encombre par le sud de notre pays et c’est à peine si on mentionne
le bon accueil des refugiés belges en Hollande ».
Ces bruits (non
fondés) circuleront jusqu’après la fin de la guerre et sont probablement
nourris par le gouvernement belge qui essaye de cacher ainsi son improvisation
totale…
Un million de refugiés en Hollande
après la capitulation d’Anvers
A partir du 20 août,
le roi Albert qui est déjà à Anvers avec sa famille et le Gouvernement, ordonne
à son armée de se retirer dans le « réduit
national ». L’armée y bénéficie d’un répit de courte durée, le gros de
l’armée allemande étant déjà sur la Marne. Elle tente trois sorties destinées à
soulager la pression pesant sur ces derniers. 50.000
civils refugiés dans la ville – des bouches inutiles - sont évacués vers
l’Angleterre.
Le coup
d’arrêt de la bataille de la Marne modifie la donne, les Allemands ne peuvent
plus se limiter à ‘masquer’ Anvers. L’assaut débute le 28 septembre. Pour
éviter l’encerclement, l’armée belge évacue in extremis le réduit national à
partir du 6 octobre, pour faire retraite en direction d’Ostende, puis du
Westhoek. Le 7 octobre quand les allemand annoncent le au bombardement de la ville un
flot immense fuit la ville. Le 9 octobre, la ville d’Anvers se rend. Une
initiative privé, le Comité Hollandais de soutien aux
victimes belges et autres (appelé plus tard Comité Amsterdam) essaye de prendre
en charge les réfugiés dont le nombre est estimé à un million !
Le 28 octobre le
Consul Général des Pays Bas à Anvers annonce que la situation y est tranquillisée
et que les réfugiés doivent retourner à Anvers et reprendre leur besogne. Il
assure que les autorités d’occupation n’envisagent nullement de déporter ou de
faire prisonnier de guerre les jeunes ou les gardes civiques qui
n’appartiennent pas à l’armée.
le monument belge à Amersfoort 1920 |
Cette ‘pression douce’ a ses effets : en novembre il
reste 323.600 refugiés. Ce nombre tombe en
décembre 1914 à 200.000. En mai 1915 on atteint 105.000, chiffre qui se maintiendra jusqu’à
la fin de la guerre.
Fait partie de ces douces pressions la distinction des
‘pauvres ‘ en trois catégories : A. les éléments indésirables B. les éléments
moins désirables C. de fatsoenlijke behoeftigen ou 'Pauvres Honteux'. Les C, ainsi que Belges riches, pouvaient
s’établir en dehors des camps Les Honteux recevaient plus d’aide que les
Pauvres.
Le camp fermé de
Nunspeet -13.000 personnes- était pour les catégories A et B. Ede - 10.000
personnes - était un camp modèle pour la catégorie C. Uden acceuille 10.000 refugiés
de la catégorie B en C. Les derniers refugiés sont seulement ramenés en janvier-
février 1919 en trains spéciaux payés
par le gouvernement hollandais.
A Uden on essaye même une expérience ‘communiste’ basé sur le franc maçon américain Edward Bellamy qui dans son roman Cent ans après ou
l'An 2000 développe l'économie distributive. Dans sa société idéale du XXe
siècle il y a la carte de crédit.
Article 2 du règlement du camp appelle à travailler contre une rémunération en points. Il faut dire que ce système à points n’était pas populaire. Il était
imposé par les missionnaires utopistes de la ‘Society of Friends’ qui
encadraient les travaux, mais celui qui voulait aller boire une pinte en dehors
du camp (prohhibition à l’intérieur !) était obligé à les échanger à perte
sur le marché noir pour obtenir des florins. Le système de points a aussi été appliqué pour
fabriquer des maisons démontables. En mars 1915 le gouvernement danois donne
325.000 florins, qui servent à construire des ateliers à Gouda, Ede en Uden où
l’on fabriquait ces maisons. Ces baraques du village Danois (Deense Dorp) à
Nunspeet sont après la guerre démontées et reconstruites en Belgique sous le
nom ‘Baraques Albert’. Ces baraques sont donc le fruit d’une initiative
communiste, certes utopique. Albert se retournera dans sa tombe….
Les 32.000 militaires belges internés des troupes des forteresses
Une deuxième catégorie est les 32.000 militaires belges des
troupes des forteresses du réduit national d’Anvers. Quand les troupes de ligne
se sont retirés vers l’Yser, on a demandé aux troupes des forteresses d’assurer
les arrières. Après leur reddition des forts, la plupart
Belgenmonument Huib Hoste Amersfoort |
Les autres sont restés prisonniers quatre longues années.
L'armée leur refusa l'octroi des chevrons de guerre déterminant les droits à la
pension. Une commission dirigée par le général Bierbuyck fut chargée de
déterminer la bonne foi des internés. Elle s'intéressa aussi avec une égale
intransigeance aux prisonniers de guerre, soupçonnés d'avoir trop facilement
rendu leurs armes à l'ennemi. Le général Dossin, envoyé par Albert Ier,
considérait les internés avec mépris. A leur retour, les internés furent accueillis
par des quolibets: kees (fromage), «traîtres», etc. Il fallut attendre plus de
15 ans pour attribuer chichement aux prisonniers des chevrons de front. Le
député socialiste August De Block, ancien interné, plaida en 1936 l'amnistie
pour tous ses compagnons de détention « même
si certains ne le méritent pas ».
Les conditions de détention étaient déplorables. La
nourriture manquait. Le 3 décembre 1914, une révolte éclata au Camp Zeist, en
raison des prix exorbitants du tabac et de l'alcool, elle fut écrasée par les
gardiens néerlandais; huit habitants du camp y perdirent la vie.
Dès 1916,
les internés belges furent autorisés à travailler en dehors des camps. Au total 46,2% des militaires ont ainsi trouvé
du travail.
Pour les civils et les familles des soldats, on installait des «refuges».
19.000 hommes, femmes et enfants, échouèrent à Amersfoort, au Camp Zeist. Pour
les familles des soldats, on construisit dans les environs trois «colonies » de
maisons en bois, Albertsdorp, Elisabethdorp et Nieuwdorp.
Omer Buyse, directeur de la Commission administrative des écoles
professionnelles pour les internés belges, qui prit l'initiative d'élever, à Amersfoort,
près du Camp Zeist, un monument des Belges qui serait à la fois un signe de
reconnaissance à l'égard de l'hospitalité néerlandaise et un instrument de
mémoire pour les souffrances endurées par les réfugiés belges. Les plans du
monument furent dessinés par l'architecte belge Huib Hoste La Commission
administrative voulait d'emblée transférer à la municipalité d'Amersfoort la propriété du monument. Une cérémonie solennelle de remise devait
avoir lieu en 1922. Elle fut décommandée car la Belgique tardait à payer les 53
millions de florins que les Pays-Bas lui réclamaient pour se dédommager d'avoir
entretenu les internés militaires belges durant quatre ans. L'irritation à ce
sujet ne s'éteignit qu'en 1938.
Un autre grand
artiste, Rik Wouters, mort à Amsterdam en 1916, s'est beaucoup inspiré, dans
ses œuvres, de son exil hollandais et de celui de ses compatriotes.
Le sujet des internés est d’une actualité
brûlante : l’ex-ministre de la Défense Peter De Crem a chargé une commission d'historiens de déterminer si les 32.000 militaires belges internés ont été injustement traités par les
autorités militaires lors de leur retour en Belgique. Cette initiative résulte
d'une résolution déposée par quatre parlementaires flamands (Patrick De Groote,
Huub Broers, Karl Vanlouwe et Lieve Maes) au Sénat.
L’ingratitude de la Belgique
Les Pays Bas ont donc accueilli
en 1914 un million de refugiés ; et une centaine de milliers de mai 1915
jusqu’à la fin de la guerre. En guise de remerciement la Belgique a essayé de
les rafler le Limbourg hollandais lors des négociations de Versailles, en
invoquant la politique de neutralité des Hollandais. Le gouvernement belge a
d’ailleurs essayé la même chose avec la Grand Duché du Luxembourg. La Belgique
‘neutre’ avait choisi le camp des vainqueurs et se croyait autorisé à assouvir
ses appétits impérialistes aux dépens de ses voisins directs. Elle a dû se
contenter du Ruanda et de l’Urundi. Comme cette argumentation sur la neutralité
était un peu spécieuse, la propagande a essayé de mettre un peu de chair autour
de ces arguments, pour les rendre plus attrayants.
Les premières victimes sont les internés belges. On a accusé le gouvernement de La Haye d’avoir accueilli des traîtres plutôt que d'infortunés fuyards qui
n'auraient eu le choix qu'entre la captivité dans un camp de prisonniers de
guerre en Allemagne et le refuge hollandais. Dans la même foulée on
accusait les soldats flamands, peu friands
à risquer leur vie, sur le front de l'Yser, pour une Belgique, dominée par des
francophones d’avoir profité des désordres entraînés par la chute d'Anvers,
pour déposer leurs armes au-delà de la frontière du nord. Pourtant, la revue
Inter-Nos, publiée dans les camps d'internés militaires était bilingue. On faisait l’amalgame entre des prisonniers
de guerre flamands défaitistes et l’existence d’un parti de pacifistes flamands
aux Pays-Bas, durant la Première Guerre mondiale. On reproche aussi aux
Néerlandais d’avoir permis à des troupes allemandes (70.000 hommes), qui
regagnaient précipitamment leur pays en 1918, de traverser le Limbourg
hollandais. Et, argument ultime, le
Kaiser Guillaume II, déchu, avait été autorisé à s'exiler chez eux.
Cette ingratitude
belge est pour moi la preuve du caractère impérialiste de cette ‘pauvre petite
Belgique’ qui était encore à l’époque encore au top des nations
industrialisées….
Post scriptum : la colonie allemande d’Anvers
Je termine par un paradoxe : les premiers refugiés
étaient la colonie allemande d’Anvers, pourtant un groupe particulièrement bien
intégré (ils ont payé la fontaine de Brabo sur la Grande Place). Cet épisode a
été étudié par Antoon Vrints dans son livre "De Eerste Wereldoorlog en de ondergang van de Duitse kolonie in Antwerpen". En 1910 il y avait à
Anvers entre 8.346 personnes de
nationalité allemande plus 5.000 Belges d’origine allemande Une parti de cette
communauté avait manifesté ouvertement ses sympathies pour l’Empire allemand,
en rejoignant leurs régiments en chantant Wacht am Rhein dans la gare centrale.
Le 4 août on a expulsé d’abord tous les citoyens allemands et autrichiens vers
la Hollande (les autrichiens étaient fait pour la plupart des Juifs de Galicie). Mais après on a visé aussi les allemands
naturalisés belges, en pillant leurs maisons abandonnées.
Le mot de la fin est pour Eugene V. Debs : "The master class has always
declared the wars; the subject class has always fought the battles."
Biblio
M. Amara Des belges à l’épreuve de l’exil, éd.
ULB http://www.editions-universite-bruxelles.be/fiche/view/2427 p.130 Galopin et la mise au travail du
personnel issu de la FN en France
Le livre est parti de sa thèse de doctorat http://theses.ulb.ac.be/ETD-db/collection/available/ULBetd-06052007-101038/unrestricted/Tabledesmatieresamara.pdf http://www.1914-1918.be/civil_exode.php
bcp photos L'exode d'un million de Belges en Hollande
Antoon Vrints http://www.cegesoma.be/docs/media/chtp_beg/chtp_10/chtp10_001_Vrints.pdf
De Eerste Wereldoorlog en de ondergang van de Duitse kolonie in Antwerpen
http://www.senate.be/www/webdriver?MItabObj=pdf&MIcolObj=pdf&MInamObj=pdfid&MItypeObj=application/pdf&MIvalObj=83890619 4/12/2013 Proposition de résolution relative
à la réhabilitation des soldats internés aux Pays-Bas au cours de la Première
Guerre mondiale
sur le camp ‘communiste‘ d’Uden http://www.vluchtoord-uden.nl/Tijdschriften.html
https://books.google.be/books?id=1KPvhwCYxU8C&pg=PA162&lpg=PA162&dq=Maastricht+belgische+vluchtelingen&source=bl&ots=qUsJf2V3RZ&sig=0ABvRhst113D5Gd3s4I6RVf4xQg&hl=fr&sa=X&ei=_9WuVMZ06-SwBJalgrgD&ved=0CEAQ6AEwAw#v=onepage&q=Maastricht%20belgische%20vluchtelingen&f=false
Marij Leenders, Ongenode gasten: van traditioneel asielrecht naar
immigratiebeleid, 1815-1938
Voir aussi mon blog http://hachhachhh.blogspot.be/2014/08/expo-liege-dans-la-tourmente.html
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