Les JdP annoncent une expo
« Liège 1914-1927, mort et résurrection d’un bassin industriel » au palais des princes-évêques de Liège, montée par le CHST de notre ami Robert
Halleux. Cette exposition est ambulante dans la Province.
Elle se veut dans les
commémorations de 1914 une réflexion sur la destinée du bassin industriel
liégeois. Lors de la guerre de 1914, comme les patrons avaient refusé de
travailler pour l’occupant, les usines furent méthodiquement démantelées.
L’équipement lourd (hauts-fourneaux) fut ferraillé, les machines-outils les
plus modernes transportées en Allemagne. Il y eut chez les travailleurs le
chômage et la famine. L’Allemagne réduisait à néant un concurrent industriel.
Le rééquipement des usines
commença dès l’armistice. Ce que les Boches n’ont pas réussi, la Région
Wallonne le fait : en privatisant en 1997 sa sidérurgie, elle déroule le
tapis rouge pour Mittal qui, après dix ans de lutte, ferme la sidérurgie à
chaud en 2014.
Un rééquipement dans des conditions
typiquement capitalistes.
Ceci dit, ce
rééquipement s’est fait dans des conditions typiquement capitalistes.
C'est-à-dire que les patrons belges se tirent dans les pattes et refusent toute
concertation sur la reconstruction. Deuxièmement une concurrence à mort avec
leurs concurrents directs, la sidérurgie française. Et troisièmement une lutte
à mort pour s’accaparer d’un maximum de butin au dépens des vaincus ;
d’abord les sidérurgistes allemands mais aussi la sidérurgie luxembourgeoise
que les patrons belges auraient bien aimé mettre dans le même sac que les
‘boches’.
D’ailleurs, le système
capitaliste a du mal à se reconvertir à la paix. Une première crise économique
se déclare déjà en 1921, pour éclater 8 ans plus tard dans le krach de Wall
Street de 1929. La conjoncture ne reprend qu’en fin des années 30 avec le
réarmement.
Et finalement, cette
reconstruction s’est faite dans une confrontation avec la classe ouvrière. Même
le suffrage universel (pour les hommes) a été concédé à contrecoeur, par peur
d’une contagion révolutionnaire à partir de la jeune Union Soviétique. En 1921
Ougrée Marihaye connaîtra une des plus longues grèves de l’histoire de la
sidérurgie liégeoise, sous la direction de Julien Lahaut.
Voici comment la
relance s’est passé à Ougrée Marihaye, de 1918 à 1921. Je
me suis basé pour cela sur une étude intéresante de Charles BARTHEL BRAS DE FER, Les maîtres de
forges luxembourgeois, entre les débuts difficiles de l'UEBL et le Locarno
sidérurgique des cartels internationaux
1918 – 1929.
Ougrée Marihaye avant et pendant la
grande guerre
Ougrée - Hauts Fourneaux et tunnel du chemin de fer (coll. jmo) |
En contrôlant ses approvisionnements
(concentration verticale) et en prenant des participations (concentration
horizontale), Gustave Trasenster avait fait d'Ougrée-Marihaye un géant de la
sidérurgie belge. Sous son impulsion, Ougrée-Marihaye avait pénètré les marchés
très protégés de France, en achetant entre autres les Hauts Fourneaux de La
Chiers en 1903) et du Zollverein (absorption de la SA des Hauts Fourneaux de
Rodange en 1905- le Luxembourg avait rejoint l’union douanière allemande en
1842).
Les investissements s’étaient succédés:
construction de quatre nouveaux hauts fourneaux (ce qui porte leur total à
huit) et d'une usine à oxygène; installation de trente fours à coke horizontaux
etc. Au sortir de la Première Guerre mondiale, les installations
d'Ougrée-Marihaye avaient été extrêmement endommagées par les Allemands (quatre
hauts fourneaux complètement détruits et quatre détériorés). Le total des destructions et enlèvements effectués par les Allemands à Ougrée
fut évalué à près de 30.000.000 F sur un actif de 108.000.000 F en 1914. Les
destructions étaient considérables à la Chiers et seule l'usine de Rodange était
resté intacte (comme elle faisait partie du Zollverein).
Les patrons belges refusent toute
concertation sur la reconstruction.
Dans quel cadre national et international allait-on reconstruire? Les
conditions de la reconstruction de la sidérurgie belge furent étudiées dès la
deuxième moitié de 1917 dans le cadre du Comptoir des Aciéries Belges. On
envisageait la constitution d'un consortium regroupant les treize sociétés intégrées
(des hauts-fourneaux aux laminoirs) que comptait alors la Belgique. Le rôle du
consortium serait d'organiser la remise en marche parallèle des usines en
répartissant équitablement entre elles les matières premières, les machines
disponibles; la production à atteindre pour chaque usine serait proportionnelle
à sa part dans la production belge de lingots d'acier avant la guerre; les
usines ne pouvant fabriquer la part leur revenant recevraient des indemnités
provenant d'une soulte prélevée par tonne d'acier produite par les autres
usines. Une telle entente permettrait d'éviter la concurrence entre usines pour
les approvisionnements et les transports qui risquaient de faire défaut à la
fin du conflit. Elle faciliterait aussi une reconstruction plus rapide
permettant à la Belgique de retrouver au plus vite sa place sur les marchés
internationaux.
Mais la concurrence capitaliste étant là, un accord
tarde à se réaliser; les discussions portèrent sur la période de référence
devant servir à la répartition des quotas, la production-acier ou fonte à
prendre en compte pour la répartition des matières premières. Au 20 juin 1918
cinq usines sur les treize n'avaient toujours pas signé la convention.
Pourtant, la Société Générale de Belgique avait commencé
à préparer le terrain avant la fin des hostilités. Pour elle, la reconstruction
offrait l'occasion unique de rationaliser la sidérurgie belge sous sa houlette.
Dans une note du 16 octobre 1917, Eugène Witmeur, ingénieur-conseil de la
Société Générale de Belgique, posait déjà
le problème : "Un point extrêmement
important, que les banques pourraient contribuer à eclaircir, consiste dans la
liberté laissée à tous les affiliés de reconstruire les installations capables
de réaliser les productions de 1913-1914. Il serait
spécialisation relative qui en résulterait, constituerait une grande oeuvre à réaliser qui serait des plus fécondes quant à ses résultats immédiats et permettrait d'éviter le chaos si la bride était laissée sur le cou des industriels".
A la fin de la guerre déjà, début 1918, des
négociations s'engagèrent au pour la fusion de trois sociétés: Angleur,
Espérance-Longdoz et Ougrée-Marihaye. L'accord de la Société Générale était
implicite puisque, selon Gustave Trasenster, directeur général
d'Ougrée-Marihaye, "l'appui de la
grande finance belge assurerait sa puissance financière". Mais cela ne
suffisait apparemment pas puisque les discussions à trois — Ougrée, Angleur,
Espérance-Longdoz — n'avaient toujours pas abouti le 28 septembre 1918.
Cockerill refuse à s'engager sur les modalités. Il faudra attendre finalement 1970
pour une fusion des sociétés Cockerill-Ougrée-Providence et Espérance-Longdoz,
La situation en Europe au lendemain de la guerre
charbonnage de Marihaye, vers 1880 |
La situation en Europe au lendemain de la
guerre se présentait ainsi : la France, avec la récupération de la Lorraine
désannexée, avait une capacité de 10 millions de tonnes de fonte, c'est-à-dire
autant que l'Angleterre. La capacité de l'Allemagne tomberait à 13 millions de
tonnes, sans le Luxembourg et la Lorraine. Enfin, en cas de rattachement de la
Sarre à la France, celle-ci se trouverait placée à égalité avec l'Allemagne
avec 11,5 millions de tonnes.
Quant à la Belgique, grande exportatrice, son
regard se tournait vers le Luxembourg qui ayant perdu ses débouchés dans le
Zollverein, devrait exporter toute sa production; Witmeur concluait par la
nécessité de "trouver des
combinaisons pour concilier les intérêts belges et grands-ducaux, puisque ces
intérêts se complètent encore très souvent." Un des premiers intéressés était Ougrée quiavait une division à Rodange. Rodange n’a jamais eu une organisation
commerciale, ses ventes passant via la
société liégeoise.
Mais ‘concilier
les intérêts belges et grands-ducaux’ avait dans la bouche des
sidérurgistes belges une signification très spéciale. La conciliation se ferait
dans leur estomac gourmand.
Les appétits belges pour la sidérurgie luxembourgeoise
Usine d'Ougrée, vers 1852 |
Le 20 novembre 1918, à peine deux
semaines après l'armistice, en pleine séance du Comité Central Industriel de
Belgique, Gustave Trasenster, le directeur-gérant d' Ougrée-Marihaye, avait
lancé des griefs à l'adresse de l'Arbed au sujet « du travail intensif accompli dans ses usines luxembourgeoises depuis
l’invasion d’août 1914 ». Il accuse les confrères du Grand-Duché «d'avoir fait travailler en plein les usines
» alors qu'ils auraient pu s'en dispenser. Sur un ton cassant il accuse l’Arbed
d’avoir « couru de tous côtés pour
se procurer des matières premières, et même avoir entrepris des démarches
auprès des autorités allemandes en vue d'obtenir la mise sous séquestre de
fours à chaux belges afin de les contraindre à lui fournir de la chaux ».
L'Arbed était à l'époque la seule des cinq
grandes sociétés sidérurgiques du Grand-Duché à mériter le qualificatif de «luxembourgeoise», quoique les deux tiers
de ses parts sociales étaient dans les mains d’actionnaires belges. Des quatre
autres forges, trois étaient directement contrôlées par les Allemands. Sous le
rapport de la production destinée à soutenir l'effort de guerre du Reich, elles
occupent donc de toute manière une position à part. Quant à la quatrième, Rodange,
elle est depuis 1905 une filiale d'Ougrée-Marihaye et constitue un cas spécial
en ce sens que la division continue de travailler pendant la guerre à une
allure fort réduite, avec un ou deux hauts-fourneaux seulement sur un total de
cinq.
Mayrisch, un directeur de l’Arbed, aurait d’ailleurs
invité l'état-major allié à bombarder les unités sidérurgiques allemandes de la
Gelsenkirchener à Belval et de la Deutsch-Luxemburgische à Differdange, plutôt
que ses divisions de l'Arbed à Esch-Schifflange ou à Dudelange. C’est ce qu’on
appelle ‘de bonne guerre’….
On accuse aussi Arbed d’avoir, de connivence
avec les Allemands, dressé des listes noires afin d'interdire la réembauche des
ouvriers qui avaient participé à la grève d'août 1916. C'est vrai, mais le
licenciement des grévistes – surtout des meneurs – est une pratique courante
dans le milieu patronal de l'époque, pendant la guerre, tout comme avant et
après! En faire un acte de collaboration avec l'ennemi peut paraître assez
absurde, surtout quand le reproche sort de la bouche des directeurs de sociétés
belges qui pratiquent exactement les mêmes méthodes pour réprimer la
contestation prolétarienne.
Houillere du Many Seraing |
L'Arbed rend la monnaie à son rival
wallon : « nous n'avons pas fait autre chose que ce qu’ont en
Belgique tous les charbonnages, y compris celui d'Ougrée Marihaye; je dirai
même plus: Ougrée-Marihaye a mis à fruit pendant la guerre un nouveau
charbonnage, celui de Braye, ce qui n'était nullement indispensable ».
Mais en fait, ces accusations de collaboration
avec l’ennemi traduisent une volonté de mainmise sur l’Arbed. L’Arbed se tire
de ce mauvais pas en s’alliant au français Schneider. C’est une grande
déception pour l’ambassadeur belge, le prince Albert de Ligne: comment l'Arbed,
une forge « dont le Président du Conseil
d'Administration , la plupart des Administrateurs et la plus grande partie des
capitaux sont belges, ose-t-elle faire un accord avec Schneider alors que nous
nous efforçons d'étendre la sphère d'influence belge sur le Luxembourg »?
L’annexionisme belge ne s’arrêtait pas à
l’Arbed, mais vise le Grand Duché même.
Avec l’alliance Arbed- Schneider, les chantres
de la propagande annexionniste belge voient soudain un monde s'effondrer.
Toutes leurs rêveries du rapprochement entre «frères séparés» menacent d'être coulées par cette complicité qui
érige les sidérurgistes français en vedette.
En 1919, à l'occasion de la liquidation des
propriétés industrielles allemandes, c'est la ruée sur le fleuron de la
Gelsenkirchener Bergwerks. C’est une véritable bataille rangée entre l'Arbed
d'un côté, Ougrée-Marihaye et la Société Générale de Belgique (SGB) de
l'autre.
L'annexion, toujours l'annexion. Le président
d'Ougrée-Marihaye exige que le transfert des propriétés allemandes soit
subordonné et postposé au règlement définitif du statut du Grand-Duché,
c'est-à-dire sa disparition comme État souverain. Il en fait une «condition sine qua non», car, sans cette
destruction préalable des structures autonomes, la Belgique se priverait de
toute influence directe sur les opérations de reprise. Elle serait par
conséquent impuissante à prescrire aux Luxembourgeois une procédure de
liquidation qui doit pourtant avoir comme unique but de «favoriser les usines sinistrées belges en leur permettant d'acquérir, à
des conditions, une part prépondérante de ces affaires allemandes».
les bureaux d'Ougrée Marihaye - photo Sg autrefois |
Gustave Trasenster voudrait que pendant une
période transitoire déterminée en fonction du temps nécessaire à la
restauration en Belgique et dans le Nord de la France, la totalité des produits
métallurgiques manufacturés du Bassin minier luxembourgeois soit impérativement
réservée à l'Entente, le tout, « à des
prix fixés par elle [lisez: la Belgique] et sous contrôle de fabrication ».
À une exception près. Seule la filiale d'Ougrée à Rodange bénéficierait du « privilège de disposer à son gré de ses
produits et de son marché », en guise de récompense pour son attitude «irréprochable» pendant la guerre.
Déjà avant la guerre, les ateliers belges
manquaient de plus d'un demi-million de tonnes de matières brutes qu'ils
importaient pour les deux tiers environ du Zollverein. «Si le Grand-Duché devenait belge», ses capacités productives
suffiraient amplement à couvrir tous les besoins.
L’espoir d’avaler le Grand Duché
s’évanouissant, la Belgique essaye d’arriver au même résultat via des
négociations gouvernementales belgo-luxembourgeoises ouvertes en avril 1919. Les
plénipotentiaires du Royaume essayent de faire passer une résolution qui très
proche des exigences d'Ougrée-Marihaye: « le
Gouvernement luxembourgeois s'engage à obliger, par des mesures ad hoc, les établissements
allemands situés sur son territoire, à soumettre à l'agrément des Gouvernements
luxembourgeois et belge, des propositions fermes de rachat émanant d'individus
ou de groupes alliés [lisez: belges] , de toutes leurs installations, matériaux,
produits fabriqués, biens fonciers et mobiliers , etc ».
La Belgique comptait acheter ces entreprises
avec les six milliards de marks allemands empilés dans les coffres de l'État
belge. Puisque la conférence de paix est muette sur le remboursement des anciens billets allemands au change garanti
de 1,25 francs le mark, la Belgique encourt le danger de voir cette encaisse
fondre au fur et à mesure que l'inflation rend la devise ennemie sans valeur.
Alors pourquoi n'en utiliserait-on pas au moins une partie pour acheter les
usines du Grand-Duché? On pourrait même songer à acquérir d'importantes
quantités de matières premières en Allemagne voire des complexes industriels
entiers situés outre Rhin.
C’était sans compter le ministère français de
la Reconstruction industrielle. Le langage tenu par le président du conseil
d'administration de l'Arbed est clair: «le
seul moyen pour les Belges de faire une affaire de l'espèce, c'est de la faire
avec des Français. Ou bien les Belges feront cette affaire avec des Français,
ou bien ils ne la feront pas»!
Les diplomates belges ne peuvent, ou plutôt,
ne veulent pas l'accepter. Ils sont prisonniers de leur propre propagande
annexionniste. Au fond, ils savent qu'il n'y a plus guère moyen d'engloutir la
patrie des frères d'avant 1839. Alors ils se mettent à parler d'union économique,
Les sidérurgistes français tablent sur le
Traité de Versailles pour affaiblir définitivement la puissance allemande. Mais
ce programme supposait l'adhésion de la Belgique et du Luxembourg, afin
d'empêcher la sidérurgie allemande de reprendre ses positions à l'exportation.
Ougrée-Marihaye sautait les deux pieds joints
sur cette occasion et s'associait à un
groupe français pour la reprise des usines de la Deutsch-Luxemburgische, et
acquit des nouvelles minières en Lorraine. Mais pour rentabiliser ces acquisitions,
il fallait un accord économique franco-belge incluant le Luxembourg. Ces negociations
eurent lieu de juin à octobre 1919. La France voulait interdire l'exportation
de minerai de fer; elle accorderait néanmoins des licences de sortie en faveur
de la Belgique et des usines du Luxembourg contrôlées par des groupes
franco-belges agréés, à condition que la Belgique garantisse à la France
l'exportation de charbon dans les quantités d’avant-guerre et qu'un cartel d'exportation des produits
métallurgiques soit conclu entre la France, la Belgique et le Luxembourg.
Cette combine saute suite au refus des
sidérurgistes belges à renoncer à exporter en France les produits B (tôles,
fil-machine ...) comme le leur demandaient leurs collègues français. Cet échec a
des répercussions directes pour Ougrée. Sa filiale de la Chiers n'avait pas
encore reconstruit son aciérie et expédiait une grande partie de sa fonte à
Ougrée pour la transformer et la revendre en France sous forme de produit fini.
La crise économique de 1920-21 se retrouve au
niveau des relations entre Etats. L'attitude d'Ougree sur le marché français se
fait alors beaucoup plus dure. A partir de sa tête de pont de la Chiers Ougrée
essaie d'empêcher la reconstitution d'un comptoir intérieur français. On
prononça la dissolution du Comptoir au premier janvier 1923.
L’élimination des sidérurgistes belges non-intégrés
Les dirigeants de l'industrie lourde belge
partaient du constat que la métallurgie en Wallonie souffrait d’une production
déficitaire de fontes brutes d'un côté, de l'autre sa trop grande division en
une quarantaine de sociétés insuffisamment intégrées. Treize entreprises
seulement possèdent des installations intégrées comprenant des hauts-fourneaux,
des aciéries et des laminoirs. «Il
importe au plus haut point pour usines belges de grouper leurs efforts, de les
coordonner et d'éliminer dans la limite du possible, les unités économiquement
peu viables qui subsistent encore ». La mainmise sur les sites
luxembourgeois constituerait un exutoire aux embarras. Leur intégration au
profit des plus puissants groupes du Royaume créerait des entités assez solides
pour défier la concurrence internationale.
L’Occupation de la Ruhr par des troupes françaises et belges de janvier 1923 à mi-1925
Au moment où Français et Belges entrent dans la Ruhr en janvier 1923 afin de se saisir du gage productif destiné à faire payer les
réparations à l'Allemagne, les relations entre sidérurgistes des deux pays
semblent au plus mal. A Ougrée on se plaint aussi du dumping et de la remontée
en puissance des Allemands. Cependant la marche des usines s'était améliorée au
cours de l'année et la production de fonte et d'acier avait retrouvé le niveau
d'avant-guerre. Mais les arrivages de charbon et de coke allemands se
raréfièrent et il fallut diminuer la production de fonte dans les usines du
groupe Ougrée. Cette opération suscite une vague de résistance passive, des
mouvements de grève, des incidents et affrontements, et quelques actes de
sabotage. En janvier 1924 la situation des usines allemandes des territoires
non occupés est désespérée. L'Allemagne est en état de décomposition politique
et économique totale. Adolf Hitler fait son putsch de la Brasserie ou putsch de
Munich le 8 novembre 1923. Une république autonome du Rhin est proclamée à
Aix-la-Chapelle en octobre 1923, dans le but de favoriser la politique
franco-belge. Des projets d'investissements directs en Allemagne furent encore
établis au cours de l'année 1924 principalement pour combler le manque de
charbon et de coke.
Les franco-belges acceptent finalement
d’évacuer la Ruhr en 1924 en échange du plan Dawes. Peu à peu l'Allemagne
redevient un concurrent à part entière sur le plan économique et des relations
privilégiées entre la France et la Belgique ne s'imposent plus : l'accord
commercial de 1923 fut rejeté par la Chambre le 27 février 1924.
1919-1924 la reconstruction des usines
Résumons. La période 1919-1924 fut celle de la
reconstruction des usines; elle était pratiquement achevée au printemps de
1924. Dès l'armistice, on avait opté pour une reconstruction de l'ensemble des
installations. Pourtant au début de 1919, seule une petite partie se trouvait
en ordre de marche: à Ougrée ne travaillaient encore que deux trains (train
marchand et train à tôles fines) et l'effort principal porta sur la
reconstruction des trains de laminage. Ainsi, alors que deux hauts fourneaux y
fonctionnaient seulement en novembre 1921 contre huit avant guerre, l'usine
comportait dès février 1922 outre l'aciérie un train à rails, un train à larges
plats, un train de 500, un train à fil, à billettes, à tôles fines, et un petit
train. La fonte, traditionnellement en déficit à Ougrée pouvait être fournie en
partie par Rodange.
En 1922 l'effort porta sur la fabrication de
la fonte : à l'automne le groupe fonctionnait avec onze hauts fourneaux: quatre
à Ougrée, quatre à Rodange, trois à la Chiers. L'année 1923 ne permit pas
d'aller plus loin en raison du manque de coke lié à l'occupation de la Ruhr. La
mise en marche de nouveaux hauts fourneaux reprit en 1924 : en juin six
fonctionnent à Ougrée, cinq à Rodange, quatre à la Chiers.
Dès juillet 1920, la production d'acier Thomas
à Ougrée représentait 54% de celle de juillet 1914 ; en 1922-23 les
niveaux de 1913-14 sont presque retrouvés: 98% pour la fonte, 93% pour l'acier;
ils sont dépassés en 1923-24. Au début de 1924, la capacité totale du groupe
est de 860.000 t. d'acier, on prévoit le million de tonnes pour 1925 ce qui
place Ougrée-Marihaye parmi les grands sidérurgistes européens.
La reconstruction d'Ougrée ne se fit pas à
l'identique. Un effort considérable fut mené pour améliorer le rendement des
outils de production. Ainsi l'usine d'Ougrée produisait-elle en octobre 1922
avec quatre hauts-fourneaux autant de fonte qu'avec huit avant la guerre. Il en
est de même dans les produits finis: en 1923-24 les performances réalisées par
les différents trains étaient les suivantes (en % de 1913-14) :
trains à blooms et billettes : 360
train à tôles fortes : 120
train à tôles fines : 303
train à fil : 247
La politique d'Ougrée semble surtout avoir été
de profiter de la reconstruction pour fournir au marché des produits de plus en
plus élaborés.
Cet effort technologique fut étroitement lié
au développement du réseau commercial de la firme. Celle-ci disposait avant la
guerre de diverses participations commerciales en Belgique et à l'étranger,
d'intérêts dans des affaires de travaux publics susceptibles d'apporter des
commandes. Les incertitudes de l'après-guerre et la nécessité absolue
d'exporter conduisirent à développer ce réseau. En 1924, Ougrée regroupe en une
seule filiale : la Société Commerciale de Belgique (Socobelge) à l'image de la
filiale commerciale de l'ARBED, Columeta.
Une reconstruction basée sur l’appel aux capitaux extérieurs
La reconstruction s'est faite dans de
mauvaises conditions financières. Les dommages de guerre n'ont pas couvert les
coûts de reconstruction. La comparaison des bilans au 30 avril 1919 et au 30
avril 1925 est éclairante: l'actif fixe, déduction faite des
amortissements, est en augmentation de 214 millions dont 58 millions d'excédent
du coût de la reconstruction sur les dommages de guerre, 65 millions
d'immobilisations matérielles nouvelles, 91 millions d'immobilisations
financières nouvelles. La période 1919-1925 n'a donc pas seulement été celle de
la reconstruction mais aussi celle du développement des installations
industrielles (nous l'avons vu au niveau des laminoirs). Les bénéfices réalisés
durant la période sont en effet loin d'avoir permis à eux seuls ce
développement. Le total des bénéfices non distribués de 1920 à 1925 atteint en
effet 68 millions de F, dont 41.500.000 F. consacrés à des amortissements sur
les immobilisations. Le cash-flow se réduit donc à 26.490.000 F. sur toute la
période. La différence est de plus de 187.000.000 F. par rapport à
l'augmentation de l'actif fixe, ce qui explique un large appel aux capitaux
extérieurs. On a fait appel aux augmentations de capital pour 147.275.000 F.
A la fin de 1924, la reconstruction à
proprement parler du groupe Ougrée est terminée.
A partir de 1924 le contexte politique et
économique européen change totalement. De l'époque de la guerre économique nous
passons à celle des ententes. Ce qui revient toujours à une guerre, mais à une
échelle plus grande.
Une
reconstruction dans une confrontation avec la classe ouvrière.
Cette reconstruction
s’est faite dans une confrontation avec la classe ouvrière. Même le suffrage
universel (pour les hommes) a été concédé à contrecoeur, par peur d’une
contagion révolutionnaire à partir de la jeune Union Soviétique. En 1921 Ougrée
Marihaye connaîtra une des plus longues grèves de l’histoire de la sidérurgie
liégeoise, sous la direction de Julien Lahaut.
La longue grève aux usines d’Ougrée-Marihaye de 1921 va déterminer
l’orientation définitive de sa vie. Elle va perdurer 9 mois. Pour rester fidèle
au choix des travailleurs de poursuivre le combat, Lahaut va à l’encontre des
décisions de la centrale syndicale de mettre fin au conflit. Il sera bientôt
exclu du syndicat et du P.O.B. pour indiscipline. Julien Lahaut transforme
alors le Comité de Grève en Comité de Défense Syndicale, section locale des
Chevaliers du Travail qui adhèrent eux-mêmes à l’Internationale Syndicale Rouge
(communiste).
Conclusion
Voici comment la relance s’est passé à Ougrée Marihaye, de 1918 à 1924.
Est-ce une source d’inspiration pour la reconversion de Liège en 2014 ? La
sidérurgie belge s’est reconstruite en 1918 dans la cadre d’une concurrence
anarchique capitaliste à mort. C’est exactement ce que Mittal a fait avec la
sidérurgie liégeoise un siècle plus tard, sauf qu’en 2014 Liège était la
victime en en 1918 Liège était le prédateur. Quant à la grande unité des forces
vives, ça a été un leurre, aussi bien en 1918 qu’en 1997 avec la privatisation
de Cockerill Sambre.
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