vendredi 29 août 2014

Des Tranchées en Afrique - Comment les Congolais ont battu les Allemands en ‘14-’18

Lucas Cathérine  a sorti en 2013 “Loopgraven in Afrika (1914-1918)” chez EPO. En voici un petit résumé. En août 2014 la traduction en français était prête à envoyer à l'imprimerie chez Aden quand l’éditeur est tombé en faillite.
Des Tranchées en Afrique
Comment les Congolais ont battu les Allemands en ‘14-’18
Lucas Catherine
La Grande Guerre ne se déroula pas seulement derrière l’Yser et sur la Somme. La Force Publique Congolaise et les troupes coloniaux allemandes se battent jusqu’à la fin de 1918 en Afrique Orientale Allemande, la Tanzanie actuelle. Grâce aux soldats congolais la Belgique obtenait comme butin de guerre deux nouvelles colonies : le Burundi et le Rwanda.
Ce sont la puissance de l’économie congolaise et la main d’œuvre congolaise, ouvriers, paysans, soldats, porteurs, qui nous ont assuré la victoire en Afrique. La production dans les mines d’or fut augmentée, pour payer le coût de la guerre et la production des denrées alimentaires, surtout le riz, destinée au ravitaillement des soldats congolais était décuplé dans la région orientale du Congo. Tous ces vivres et équipement furent transportés par trois cents mille porteurs. Je vous parlerai donc surtout de cette ‘main d’œuvre’, les soldats, les porteurs et leurs femmes. Ce sont eux qui ont gagnés pour la Belgique la Première Guerre Mondiale en Afrique. 

Les Allemands en Afrique

Dans le contexte de la course européenne vers de nouvelles colonies, les Allemands sont des concurrents tardifs. A partir de 1884, ils occupèrent comme »Schutzgebiete», le Sud-Ouest africain (aujourd’hui la Namibie), le Togo et le Cameroun. En 1885, ils fondèrent la Deutsch-Ostafrika (aujourd’hui la Tanzanie). Toutes ces annexions ont été reconnues par les autres puissances européennes à la Conférence de Berlin (1885), tout comme Léopold II qui s’y vit attribuer le Congo.
La Deutsch-Ostafrika était en fait une colonie plutôt pauvre. Le Congo par contre est doté de réserves quasi illimitées de minerais. En 1902, les Belges ouvrirent leur première mine de cuivre au Katanga. En 1910 ils ouvrirent la mythique Mine de l’Etoile, à la base de fondation de la ville de Lubumbashi, maintenant deuxième ville du Congo. La première mine d’or fut mise en marche à Kolwezi, dès 1904.  En 1906, avec pour partenaire la Société Générale de Belgique, Léopold II fonda l’Union Minière du Haut-Katanga (UMHK) et la Société Forestière et Minière (Forminière  qui extrait ses premiers diamants en 1909 au Kasai. Le cobalt et l’uranium vinrent s’y ajouter en 1913.
En juin 1905, les Allemands se lancèrent dans la construction du grand chemin de fer central au départ de Dar es Salaam près de l’océan indien en passant par Tabora pour atteindre Kigoma aux abords du lac Tanganyika. En 1914, juste avant le début de la guerre, les rails rejoignent Kigoma. En 1913, la Deutsche Bank avait tenté de constituer un consortium (partenariat) avec la Société Générale en vue de la construction d’un réseau ferroviaire en Angola. Les Belges savaient donc fort bien ce qui les attendait au Congo lorsque la guerre éclata. Aussi vont-ils déployer la Force Publique contre l’armée coloniale allemande.
Brève histoire de la Force Publique
Les premiers Belges à pénétrer au Congo l’avaient fait à partir de Zanzibar et de Dar es Salaam. Léopold II fit appel aux Arabes zanzibari et conclut un traité avec leur sultan et le gouverneur Hamed bin Muhamad al Murjebi (que les Belges connaissaient sous le sobriquet négatif de Tippu-Tip).
En 1885, Léopold II forme sa propre armée, la Force Publique, qui fit son expérience guerrière lors de la guerre contre les Zanzibari. Plus tard, cette guerre fut justifiée comme une lutte contre la traite des esclaves, mais les documents d’époque ne font aucune mention de cette noble intention. La Force Publique dut mater aussi plusieurs rébellions, dont celle des Batetela de 1895 jusqu’à 1904. Patrice Lumumba était aussi un Batetela.
C’est cette armée qui affronta les Allemands en Afrique orientale pendant la Première Guerre mondiale.
En 1908, elle comptait 17 833 soldats, 27 000 fusils Mauser et 535 pistolets Browning (pour les officiers blancs). L’artillerie consistait en 43 canons Krupp et 76 canons Nordenfelt, fabriqués à Seraing.
Le plus souvent, les soldats congolais étaient accompagnés de leurs femmes et de leurs enfants. Outre les soldats, la Force Publique employait aussi un porteur par 1,5 soldat; un officier blanc avait 20 porteurs. Lorsque la Guerre éclata, la Force Publique avait 20 000 porteurs fixes, qui parcoururent 30 km par jour avec 30 kilos sur la tête. Pendant la guerre, près de 260 000 porteurs occasionnels vinrent s’ajouter. Tout comme les soldats, les porteurs étaient accompagnés de leur famille.
Officiellement, 145 blancs périrent pendant la guerre ainsi que 1 895 soldats noirs et 7 124 porteurs fixes. Il n’existe pas de chiffres exacts sur le nombre de porteurs occasionnels, mais selon des estimations, ils sont plus de 20 000 à avoir trouvé la mort. Quand aux femmes et enfants des soldats et des porteurs, nul chiffre nous est connue.
L’ennemi allemand disposait de de 50 canons, 11 367 soldats entraînés (Askari) et de 2 591 soldats auxiliaires, commandés par 2 712 Européens.
La neutralité belge avait été imposée au moment de sa fondation par les grandes puissances, par contre la neutralité de l’État Indépendant à la Belgique était le choix de Léopold II. Avec la déclaration de guerre ce choix fut vite abandonné.
Au début de la guerre, grâce à leur marine de guerre, les Allemands dominèrent entièrement la situation sur le lac Tanganyika: avec le Von Wissemann (60 tonnes et trois canons) et le Kingani (18 tonnes) ; puis en juin 1915, le Von Goetzen (100 tonnes et un canon de 105 mm). Ce navire fut en mesure de transporter 1.000 hommes à la fois. Cette flotte s’opposait au seul bateau de la Force Publique, l’Alexandre Delcommune.
La Force Publique au service des alliés
Le 29 août, le gouverneur-général du Congo donna l’ordre suivant : « Les troupes belges, soit seules, soit en coopération avec les troupes alliées, pourront entreprendre toute offensive pour la défense de l’intégrité du territoire belge (c’est à dire le Congo nda). »
La Force Publique commença à renforcer les troupes françaises au Cameroun et occupa Bonga et Zinga. C’est à partir de ces terres que le 28 janvier 1916, la Force Publique se lança avec les Français et les Britanniques à la conquête de la capitale camerounaise de Yaoundé.
En Rhodésie (la Zambie d’aujourd’hui), les Britanniques firent appel à la Force Publique lorsque les Allemands occupèrent la ville frontalière d’Abercorn qui en chassaient facilement des Allemands
Mais c’est en Deutsch-Ostafrika que la Force Publique livra ses batailles décisives, une campagne de deux ans, qui se termina le 4 septembre 1916 avec la chute de Dar es Salaam.
Lorsque le réseau ferroviaire les Chemins de Fer du Congo Supérieur aux Grands Lacs atteint le lac Tanganyika, les Belges furent enfin en mesure de transporter les pièces démontées d’un plus grand navire : le Baron Dhanis (avec une capacité de 700 tonnes). Ce site fut baptisé plus tard Albertville (Kalemie). On y installa deux bases militaires : Kalemie pour arborer la flotte et Mtoa, une modeste base aérienne avec quelques petits hydravions.
En avril 1915, le ministre des Colonies Renkin décida que la Belgique se devait de conquérir les districts Ruanda et Urundi (aujourd’hui Burundi), Deutsch-Ostafrika, sur les Allemands. Le grand défi à relever cependant fut l’organisation de la logistique. Tant que les Allemands contrôlaient le lac Tanganyika, le chemin de fer avec son terminus aux abords du lac, ne venait pas en ligne de compte. Par conséquent, il fallait faire un appel massif à des porteurs pour pouvoir déplacer les troupes du Kivu au lac Victoria. Tous ces soldats et leurs porteurs devaient évidemment être nourris. On oblige alors les Congolais de l’Est d’augmenter massivement leur production de riz et de l’or, nerf de la guerre. Pour y arriver, la violence était omniprésente, tant pour recruter soldats et porteurs que pour obliger les paysans à augmenter leur production de vivres.
photo solidaire.org
Dans le district de Lowa par exemple, les quotas furent augmenté de 800 tonnes en 1915 jusque 5.975 tonnes en 1918. De surcroît, les paysans étaient obligés de transporter le riz jusqu’auprès des soldats, parfois cent jours de marche ininterrompue. S’ajoutaient à cela les munitions et équipements. Chaque soldat avait besoin d’au moins six porteurs. Seulement un type de véhicule fut capable de circuler sur ces chemins de brousse: le vélo. À part les porteurs, les cyclistes de la Force Publique jouèrent un rôle important.
Les porteurs étaient recrutés sur place ce qui signifiait un réel dépeuplement de la région entre le Lualaba et la frontière. Les femmes et les enfants aussi durent exécuter diverses corvées. Il ne restait donc personne pour labourer les champs. Au nord-ouest du lac Kivu la famine apparût. Dans la région longeant la rivière Lowa (un affluent du Lualaba) vivaient 83.518 hommes adultes. 15% de ces hommes moururent. Dans la région du Kivu ou passaient la majorité des caravanes de porteurs, la famine régna et les chefs de village se virent obligés de vendre des membres de leur propre famille pour subvenir aux besoins. Lorsque le missionnaire Smulders publia un article sur ces pratiques dans un journal néerlandais, le général Tombeur l’accusa de sympathies pro-allemandes et le renvoya en Europe.
Plus de 250.000 porteurs furent déployés (en guise de comparaison : l’armée belge en Europe comptait 350.000 unités) Entre août 1914 et mai 1916, ceux-ci ont transporté 128.853 cargaisons pesant chacune 30 kilos. Une marche journalière partait à 5 heures du matin, s’arrêtait entre 11 et 14 heures pour éviter la grande chaleur et se terminait après 8 heures de marche. La plupart du temps, on avançait environ de 20 kilomètres par jour. Parmi les soldats, 15% ont trouvé la mort alors que la mortalité parmi les porteurs opérant au front atteint facilement 49%.
Les premiers cas de la grippe espagnole furent signalés fin 1916 dans un camp militaire britannique à Etaples. En Allemagne on appelait la grippe « Fländern Fieber » Cette grippe fit plus de victimes que la guerre elle-même. Dans la zone du conflit africain, le nombre de morts suite à cette grippe fut estimé à 100.000.
La victoire est donc chèrement payé par la population : le roi Musinga du Ruanda se rendit le 19 mai au colonel Molitor. Le 28 juillet, Kigoma, la plus grande base allemande située le lac Tanganyika et point terminus du chemin de fer entre Tabora et Dar es Salaam, tomba.
En route pour Tabora
Chaque année, toute une série de caravanes transportant un demi million de personnes passèrent par Tabora. Cette ville fut donc le prochain objectif de la Force Publique. Fin juin, l’armée congolaise atteint le lac Victoria. Ainsi furent donc conquis les districts Ruanda et Urundi et la voie libérée pour commencer l’attaque de Tabora à partir du nord.  Tabora tomba le 19 septembre. Les Belges remirent Tabora aux Britanniques le 25 février 1917.
Monumrent Schaerbeek
Ces batailles sont mentionnées sur le monument érigé en honneur de la Force Publique à Schaerbeek. Chaque année, les Congolais bruxellois y organisent une commémoration pour le soldat inconnu congolais.  
Avec la conquête de l'Afrique orientale, la Force Publique avait conquis un territoire cinq fois la Belgique. Lors de la conférence de Versailles en 1919 l'Allemagne doit renoncer à ses colonies. La Société des Nations confie en 1923 un mandat à la Belgique sur ce qui constitue plus tard le Rwanda et le Burundi. En 1925, ces territoires sont rattachés au Congo belge dont ils constituent désormais la septième province tout en conservant un statut conforme au mandat.

La guerilla de von Lettow-Vorbeck et ses askaris

Le général allemand von Lettow-Vorbeck et ses askaris, coupé de sa métropole, réussit à tenir jusqu’à la fin de la guerre en Europe immobilisant un grand nombre de troupes alliés dans une guérilla. Le grand historien britannique, Sir Basil Liddell Hart, dira de lui: « Avec une force qui était de 5.000 hommes au début, dont 5% d'européens, Lettow-Vorbeck amena ses adversaires à employer 130.000 hommes et à dépenser 72 millions de livres sterling ». C’est le 25 novembre seulement, deux semaines après la fin des combats en Europe, que Lettow-Vorbeck se rendit aux Britanniques.
Après la guerre, des soldats de la Force Publique s’établirent à Tabora où ils fondirent une association pour vétérans. Ils y associèrent les vétérans allemands, qui se présentèrent comme « Deutsche Askari » alors que leurs collègues « belges » se définissaient comme « Basolda » mot lingala signifiant soldat. Les Askari allemands ont eu leurs pensions en Deutsche mark tandis ce que les « Belges » ont vu leur pensions s’évaporer fin des années 70, avec l’accord Belgique- Congo sur la dette, où le Congo prendrait en charge les pensions des vétérans, qui, faut-il préciser, n’ont plus jamais vu un sou?
L’infamie noire
La Belgique n’a jamais voulu envoyer des bataillons de noirs au front d’Europe. Une panoplie d’arguments fut avancée, entre autres que les noirs représentaient un danger pour les femmes européennes en raison de leur appétit sexuel. Même le journaliste libéral britannique Morel, bien connu pour ses prises de position hostiles envers la politique de colonisation de Léopold II, se prononça contre la participation des soldats noirs : « Le soldat africain qui a tué des blancs en Europe, qui les a achevés à la baïonnette et qui a eu des rapports sexuels avec des femmes blanches, perdrait confiance dans la supériorité des blancs». Déjà du temps de Léopold II, la ligne de conduite était d’envoyer le moins possible de noirs en Belgique. Voilà pourquoi derrière l’Yser, seulement 27 Congolais ont participé aux combats.

Le colonel Chaltin et son Corps de volontaires congolais


Lors des jounrnées du Patrimoine 2014, le Cercle Royal des Anciens Officiers des Campagnes d'Afrique et l'Union Royale des Fraternelles Coloniale ont mis en honneur le monument Chaltin, à Erpent (Namur), un des rares témoins de l’implication du Congo dans la Grande Guerre. En 1914, le colonel Chaltin couvrit la retraite de l’armée belge avec son Corps des volontaires congolais comptant 250 coloniaux et quatre Congolais. Les français par contre ont utilisé massivement des troupes noires. Des tirailleurs Sénégalais ont d’ailleurs sauvé Dixmude en octobre 1914. Voir mon blog (en grande partie en néerlandais) http://huberthedebouw.blogspot.be/2014/06/de-koloniale-troepen-in-de-slag-om.html

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