Il y a des jardins similaires dans plusieurs
monastères comme Corbie, Saint-Benoît-sur-Loire et Saint-Gall.
Lors de l'inauguration il y a eu une dégustation médiévale organisée par
Pierre Leclerc, un historien qui combine son intérêt culinaire avec une
connaissance approfondie des modes de production alimentaire, et un respect
profond et sincère des différentes cuisines multiculturelles. Le Petit Lancelot : un projet gastronomique intéressant
Son projet Petit Lancelot réfère à un livre de 1604, ‘l’Ouverture de cuisine’, de Lancelot de
Casteau, maître queux des princes-évêques de Liège. On y trouve par exemple une
recette de carpe aromatisée à la noix de muscade, au gingembre, à la
marjolaine, à la menthe, au vin, au verjus et à la cervoise.
Mais ce Lancelot est aussi le premier qui mentionne le mot « boulet », boulet de
poisson, certes, mais il en prépare également à la viande sous le nom de «
rondes boules » qui sont à la base de nos boulets liégeois.
La civilisation carolingienne tourmentée par la famine.
Mais quand on parle de dégustation médiévale,
on ne peut pas oublier que la civilisation carolingienne était dominée et
tourmentée par la famine. En
Europe, le capitulaire de Charlemagne de 789 est l'un des premiers textes
juridiques à se préoccuper des actes de cannibalisme : « Si quelqu’un, trompé par le diable, croit qu’une femme est une sorcière
qui mange des hommes, et que pour cela il la brûle et donne sa chair à manger
ou la mange lui-même, il sera puni de la peine capitale ».
On l’a appris lors de colloque sur Charlemagne
de la bouche de Florence Close: « le Capitulaire de Herstal de 779 envisageait
les moyens à mettre en oeuvre pour résorber la crise provoquée par la famine de
778/779 ».
Au même colloque Jean-Pierre Devroey a fait le parallèle
entre la plupart des capitulaires et la famine. La guerre demandait plus de
pain et de fourrage, et la politique agraire carolingienne fut aussi
stimulée par le défi représenté par la
répétition des pénuries alimentaires. L’obligation pour tous de payer la dîme
paroissiale (dont un tiers à un quart du produit était réservé à l’assistance
aux pauvres de la paroisse) fut instaurée par Pépin III en 765. Après les
hivers extrêmes de 762-763 et 763-764, les récoltes de 763 et 764 furent
vraisemblablement très déficitaires partout en Europe. L’aléa climatique et ses
conséquences désastreuses pour les populations furent interprétés comme des épreuves voulues par
Dieu en raison des péchés du royaume tout entier (Dedit tribulationem pro delictis nostris), jusqu’à ce que la divine
providence dispense une « abondance
merveilleuse » en 765. Dans une lettre à saint Boniface, Pépin III donna
l’ordre de dire des litanies dans les paroisses, de faire que tout homme fasse
l’aumône et nourrisse les pauvres, et que désormais, chacun soit contraint de
payer la dîme qu’il le veuille ou non.
Ces injonctions furent répétées par Charlemagne en 779 à
Herstal dans les mêmes circonstances de
disette et d’autres tribulations politiques et militaires (le désastre
militaire d’Espagne de 778).
Le 2e
capitulaire de Herstal impose des jeûnes pour le clergé et les hommes
qui dépendent d’eux s’ils en sont capables ; une taxe exceptionnelle à
distribuer en aumône d’un livre d’argent pour les évêques, les abbés et les
abbesses, qui le peuvent ; une demi livre pour les moyens; 5 sous pour les plus
petits. Chacun d’entre eux doit nourrir, selon ses moyens, de 1 à 4 pauvres
jusqu’à la moisson. Des jeûnes pour ces laïcs et leurs hommes qui dépendent
d’eux s’ils en sont capables, rachetable pour 60 à 12 deniers. Chacun d’entre
eux doit nourrir, selon ses moyens, de 1 à 4 pauvres jusqu’à la moisson.
Des récoltes déficitaires se succèdent, à
partir de l’automne 792. En juin 794, lorsque Charlemagne réunit une assemblée
à Francfort, l’abondance était « grâce à
Dieu, revenue malgré une grande sécheresse ». Cela n’empêche que cinq
chapitres sur cinquante-six concernent
l’économie chrétienne des échanges, et l’accès à la nourriture : tarif des
prix maximum des céréales ; obligation aux détenteurs de bénéfices royaux
de nourrir leurs dépendants pour qu’ils ne meurent pas de faim, et de vendre le
surplus des grains à leurs propres dépendants au prix légal des grains publics.
Durant l’automne et l’hiver 805, plusieurs
capitulaires font allusion à la disette. Il ordonne de ne pas attendre un
nouvel édit de sa part pour prendre des dispositions religieuses analogues dans
le cas où interviendrait une quelconque tribulation naturelle (fames, clades, pestilentia, inaequalitas
aeris). Il interdit de vendre des victuailles à l’extérieur de l’Empire.
Les seigneurs fonciers doivent aider leurs dépendants et ne pas vendre leurs
excédents plus cher. L’assemblée à Nimègue a été convoquée au mois de mars 806,
ce qui correspond à la période de soudure. Un capitulaire est entièrement
consacré aux mesures destinées à lutter contre la famine. Dix chapitres sur
dix-huit concernent la politique d’accès à la nourriture: devoir d’assistance
aux mendiants contre du travail ; comment certains font des profits
honteux en achetant et en vendant des céréales et du vin ; mesures
spéciales pour lutter contre les effets de la famine.
Tout ça n’est pas pour couper l’appétit de
ceux qui participent à la dégustation médiévale. Mais il est toujours
intéressant de penser un peu à ceux qui ont produit ces aliments et les
conditions dans laquelle ils ont été produits.
Et je termine, comme dans les fables de la
Fontaine, avec un extrait – certes un peu indigeste - d’une lettrede Friedrich
Engels à Piotr Lavrov : « La production humaine atteint à un certain stade un tel degré que sont
produits non seulement des besoins nécessaires, mais aussi des plaisirs
superflus, bien qu’au départ seulement pour une minorité. La lutte pour la vie se
transforme en une lutte pour les plaisirs, non plus pour de simples moyens d’existence,
mais pour des moyens de développement, moyens de développement produits
socialement, et à ce niveau on ne peut plus appliquer les catégories du règne
animal. Mais si maintenant, comme c’est le cas actuellement, la production dans
sa forme capitaliste produit une quantité de moyens d’existence et de
développement de loin supérieure à ce que la société capitaliste peut consommer
parce qu’elle tient artificiellement la grande masse des producteurs réels à
distance de ces moyens d’existence; si cette société est contrainte par la loi
même de sa propre existence à augmenter continuellement cette production déjà
trop forte pour elle, et en conséquence est amenée à détruire périodiquement,
tous les dix ans, non seulement une masse de produits, mais aussi de forces
productives — quel sens peut encore avoir le bavardage sur la «'utte pour
la vie' ».
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